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La pandémie de la peur

6 novembre 2009

Le fait d’être un pédiâtre mondialement reconnu et un des plus grands experts dans les domaines des maladies infectueuses, de l’immunologie et de la virologie, n’empêche pas le docteur Paul Offit d’être un des médecins les plus détestés en Amérique.  Son crime?  Il est un des rares défenseurs des programmes de vaccination et il tente de réfuter la thèse qui laisse croire que l’autisme est causé par certains vaccins.

Le docteur Offit est devenu la cible principale d’un « mouvement-citoyen » (grassroots movement) qui s’oppose systématiquement à la vaccination des enfants et des lois qui l’exigent.  L’actrice Jenny McCarthy (mère d’un enfant autiste), qui a connu ses heures de gloire après avoir posé nue dans Playboy, son époux, l’acteur Jim Carrey et le politicien Robert F. Kennedy Jr sont les têtes d’affiche de ce mouvement, fortement appuyés par une armée d’organisateurs et de sympatisans.

Mentionnons ici que dans certaines régions des États-Unis, de plus en plus de parents refusent certains vaccins, résultant en une réapparition de certaines maladies infantiles au niveau de ce qu’il était avant le début des programmes de vaccination.  En mai dernier, le réputé New England Journal of Medicine traçait un lien direct entre la réapparition de certaines maladies suite à l’impopularité de certains programmes de vaccination.  Kaiser Permanente, un organisme sans but lucratif spécialisé dans la prestation de soins médicaux, rapportait également que les enfants qui ne reçoivent pas les vaccins appropriés courent un risque 23 fois plus élevé de contracter la coqueluche, un virus extrêmement contagieux qui provoque une toux violente et qui peut entraîner la mort chez les nourissons.  Une autre étude démontre que les cas de coqueluche reportés ont grimpé de 1,000 en 1976 à 26,000 en 2004.  Une maladie infectueuse qu’une campagne de vaccination a pratiquement fait disparaître refait surface.

« Autrefois, je disais que le vent tournerait lorsque les enfants commenceraient à mourir.  Malheureusement, les enfants ont commencé à mourir » confie le docteur Offit, impuissant devant le décompte des enfants non-vaccinés qui n’ont pas survécu à la méningite en Pennsylvanie et au Minnesota.  « Alors maintenant, j’ai modifié cette phrase par ‘lorsque suffisamment d’enfants seront morts’.  Parce qu’évidemment, nous n’y sommes pas encore« .

Avant que la variole ait été maîtrisée par un vaccin, elle fut responsable de la mort d’environ 500 millions d’individus.  Et, il n’y a que 60 ans à peine, la polio paralysait 16,000 américains annuellement alors que la rubéole causait des malformations de naissance et des troubles de développement du cerveau chez plus de 20,000 nouveaux-nés.  La rougeole s’attaquait à 4 millions d’enfants causant 3,000 décès par année.  La bactérie Haemophilus influenzae de type B (bacille de Pfeiffer) provoquait une forme de méningite (Hib) chez plus de 15,000 enfants dont plusieurs étaient victimes de lésions permanentes au cerveau.  La mortalité infantile et l’espérance de vie réduite – aujourd’hui perçues comme un problème des pays en développement – étaient alors une réalité du monde occidental.

Depuis quelques semaines, nous avons droit à un interminable débat entre ceux qui recommandent la vaccination contre le virus A-H1N1 et ceux qui s’y refusent catégoriquement.  Sur Internet et la blogosphère, un nombre impressionnant de gens s’improvisent scientifiques et n’hésitent pas à rejeter le vaccin.  Certains vont jusqu’à vanter les mérites de l’homoépathie et de la naturopathie.  Le documentaire québécois « Silence on vaccine« , que mon ami Renart a affiché sur son blogue, alimente le mythe qui veut que les vaccins sont directement responsables de l’autisme.  Déjà en 1905, le mathématicien et physicien français Henri Poincaré soulignait que l’attirance vers les pseudo-sciences gagnait en popularité parce que les gens « savent que la vérité peut être souvent cruelle, et nous nous demandons si l’illusion n’est pas plus réconfortante« .  Une centaine d’années plus tard, l’astronome Carl Sagan en arrivait à des conclusions similaires: la science perd du terrain face à la pseudo-science parce que cette dernière offre un plus grand confort.  « Un nombre important de ces croyances tiennent compte des réels besoins humains que notre société semble incapable de combler adéquatement. »  Sagan s’est également questionné sur l’attirance des américains envers la réincanation, le spiristime (communications avec les esprits) et les extraterrestres.  « Il existe des besoins médicaux qui ne trouvent pas réponse, des besoins spirituels, et des besoins de communion avec l’ensemble de l’humanité. »

Et si vous recherchez une nouvelle assertion pour supporter votre système de croyances, ça n’a jamais été aussi facile.  L’Internet offre un pêle-mêle d’informations, des données, des recherches, spéculations, demi-vérités, anecdotes et conjectures concernant la santé et la médecine.  C’est également une puissante démocratisation de l’information qui tend à minimiser l’autorité scientifique tout en donnant le pouvoir aux individus.  Dans un monde où tous sont partie prenante, ce que Jenny McCarthy appelle « l’Université Google » – où les gens se révoltent devant l’immunologie avant même d’analyser les bienfaits de la vaccination, se présente une nouvelle approche pour prendre soin de ses enfants.  Grâce à Internet, tous et chacun peuvent devenir leur propre investigateur médical.

La majeure partie de ce billet est une traduction de l’article « An Epidemic of fear: how panicked parents skipping shots endangers us all », rédigé par Amy Wallace et disponible sur le site du magazine Wired.  Merci au Mutant médiatique de m’avoir pointé dans sa direction.

9 commentaires leave one →
  1. 6 novembre 2009 9 h 03 min

    Quoi ajouter de plus à votre article sinon le publiser sur mon compte Twitter !

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  2. Hefgé permalink
    6 novembre 2009 9 h 37 min

    Le complot de l’ignorance

    Intéressant papier ma chère Jeanne. On peut constater, merci monsieur Poincaré, que croyances et pseudo-sciences ont toujours fait bon ménage. Et que grâce à l’effet amplificateur d’Internet, l’ignorance de certains s’est épaissi. Il faut reconnaître toutefois que le terrain était déjà bien préparé. Depuis des lustres, les publicitaires bombardent quotidiennement la population de réclames qui très souvent reposent sur un jargon pseudo-scientifique. Telle crème pour le visage, tel shampoing, tel détergent qui sont tous dotés de vertus quasi magiques grâce à leur additifs enzymatiques améliorés… C’est n’importe quoi, mais c’est essentiellement un argument de vente.

    Parfois, c’est beaucoup moins subtil. Comme cette récente pub qui montre une femme dans un sarrau blanc et qui dit à peu près ceci : «Grâce à mon expérience de pharmacienne, j’ai pu concevoir une gamme de produits homéopathiques pour les enfants.»

    Ben voyons…

    Et le pire, c’est qu’elle va l’écouler sa camelote.

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  3. 6 novembre 2009 12 h 58 min

    Bravo pour cette adaptation!

    Je vais te revenir là-dessus…

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  4. 6 novembre 2009 20 h 06 min

    AP, un gros merci!

    Hefgé, merci pour le compliment. Venant de toi, c’est encore plus apprécié… 😉 Tu devrais envoyer un courriel à la journaliste qui fait référence à Poincaré, je ne le connaissais même pas moi-même!

    Martin, merci. Et merci pour le lien original, quel article fascinant. J’attend tes réactions avec impatience. Au plaisir de te lire.

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  5. 6 novembre 2009 20 h 08 min

    Enquête a réalisé un reportage qui explique les intérêts des groupes antivaccins.

    Partie 01
    http://tinyurl.com/yjqtr95

    Partie 02
    http://tinyurl.com/yfg3z6p

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  6. 7 novembre 2009 10 h 20 min

    Guillaume, merci pour les liens. Malheureusement, je ne peux pas visionner les vidéos sur le site de Radio-Canada. L’environnement Ubuntu-Firefox en arrache ce site!

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  7. Louis Horvath permalink
    8 novembre 2009 12 h 52 min

    Avant de commenter, allez voir l’excellent documentaire de l’ONF « A Shot in The Dark » / « Silence on vaccine » –> http://www.youtube.com/watch?v=cGCHgkAz2eg

    L’autre problème, plus pratique, c’est le fait que les gouvernements et les institutions ont tout fait pour susciter la méfiance du citoyen. Qui peut blâmer le citoyen qui ne croit plus à rien quand depuis des années on lui monte des bateaux et on gère le système en fonction de facteurs uniquement économiques? La confiance est partie. La science, qui avait jadis pignon sur rue n’est guère mieux. Elle est financée à même la grande entreprise qui passe toujours son profit avant tout. Mais la science et l’économie ne font pas un état; ils sont tributaires au mieux. Et cette crise du H1N1 démontre très bien qu’on a absolument rien compris si bien que le péril n’est pas médical, il est assurément social.

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  8. 8 novembre 2009 18 h 49 min

    Louis, bienvenue sur le blogue… Oui, j’ai vu le documentaire « Slince on vaccine ». Très bien fait, je l’avoue. Ce pendant, la réalisatrice a opté pour une approche pamphlétaire. On n’y présente qu’un point de vue. Et, vous avez raison, l’argent, la science et le monde médical ne font pas bon ménage. C’et également ce que je dis dans mon billet d’aujourd’hui (L’argent et la santé sont incompatibles).

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