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Revenu de citoyenneté et biens communs

29 juillet 2010

Par Darwin – Dans mon précédent billet sur le revenu de citoyenneté, j’ai abordé brièvement le fait que l’adoption de cette mesure «compromettrait toute autre possibilité d’intervention, comme d’investir davantage dans les transports en commun ou dans tout autre projet environnemental ou social. Pire, cela compromettrait les programmes actuels, notamment en santé et en éducation.»

Ce point est pour moi essentiel. Comme ce billet était déjà très long (trop ?), je n’ai pas pu développer cette question comme elle le mérite.

Biens privés et biens publics

Quand j’ai fait des recherches sur le revenu de citoyenneté, le fait que la droite et la gauche aient appuyé tout deux cette mesure me semblait étrange. En fait, cela ne l’est pas vraiment. Du côté de la gauche, c’est son aspect redistributif qui est attrayant. Du côté de la droite, c’est que cette mesure fonctionne uniquement par le partage de biens privés, entraînant l’abolition de nombreux programmes sociaux et hypothéquant la possibilité de créer d’autres biens publics ou même de maintenir ceux existants.

En effet, les ménages vivant avec au moins le seuil de faible revenu grâce au revenu de citoyenneté, les conservateurs considèreraient qu’ils peuvent maintenant décider quoi faire avec leur argent, décision que, selon eux, les ménages sont mieux à même de faire efficacement qu’un gouvernement qui décide à leur place. Selon eux, il n’y aurait plus besoin de biens publics, les biens privés les remplaçant plus efficacement. Pensons à l’allocation de 500 $ par mois que l’ADQ proposait de donner à chaque femme qui resterait à la maison pour élever ses enfants plutôt que d’utiliser les services de garde subventionnés. Pour les conservateurs qui appuient le revenu de citoyenneté, le raisonnement est semblable.

Je pense avoir démontré dans le billet précédent qu’il est pratiquement impossible d’offrir un revenu de citoyenneté correspondant au seuil de faible revenu en n’abolissant que les programmes sociaux que j’ai mentionnés (assurance-emploi, prestations parentales, assistance emploi, sécurité de la vieillesse et supplément de revenu garanti). Eux ne s’arrêteraient pas là ! Ils considéreraient que les ménages auraient maintenant les moyens de se procurer par eux-mêmes les programmes dont ils ont besoin : assurance médicaments, services de garde, assurance santé (ou maladie, au choix…), éducation et tout le reste des biens et services publics dont nous nous sommes dotés avec le temps. Ce serait le nirvana des idéologues qui ne rêvent qu’à abolir les institutions étatiques. Le revenu de citoyenneté est pour eux le cheval de Troie permettant une autre façon d’affamer la bête, non pas en limitant les revenus cette fois, mais en concentrant toutes les dépenses de l’État dans un seul programme de partage de biens privés, le revenu de citoyenneté.

Alors, pour ceux qui aimeraient davantage d’interventions pour favoriser l’environnement, notamment grâce à un financement accru du transport en commun et au développement de projets d’énergie propre, ou pour offrir l’éducation gratuite à l’université, oubliez cela, le revenu de citoyenneté aurait déjà tout ratissé…

Revenus et «capabilités»

Penser qu’un même revenu privé donné à tous les ménages procure à tous exactement la même liberté (ou le même bien-être) est selon moi une erreur. Ce serait considérer que tous ont les mêmes besoins et les mêmes capabilités de transformer leurs revenus en possibilités d’atteindre leurs objectifs de vie. Une personne handicapée physiquement, un psychosé, une personne malade, une personne peu scolarisée issue d’un milieu défavorisé et une mère monoparentale n’ont ni les mêmes besoins ni les mêmes possibilités de se réaliser que le reste de la population. La pauvreté n’est en effet pas qu’un manque de moyens financiers, mais aussi et surtout une situation où une personne ne peut se réaliser.

Seule l’offre universelle de biens et services publics peut permettre d’atténuer les différences en besoins et en possibilités pour que tous puissent minimalement espérer atteindre leurs objectifs de vie. La base pour développer son potentiel est en effet de bénéficier de soins de santé adéquats, d’avoir accès à une éducation correspondant à ses aspirations, de pouvoir bénéficier d’un appui psychologique offert à tous et de tout autre service adapté à ses besoins.

Il serait pour le moins étrange que la gauche qui s’oppose autant (et avec raison !) à l’utilisation du produit intérieur brut (PIB) comme seul indicateur de richesse et de bien-être, se base tout d’un coup sur le même genre d’indicateur monétaire avec le revenu de citoyenneté pour lutter contre la pauvreté !

Finalement, le revenu de citoyenneté ne serait-il pas un piège à con pour détruire notre filet de sécurité sociale ? Ne serait-il pas mieux de travailler à le renforcer plutôt que de l’échanger contre un miroir aux alouettes ?

24 commentaires leave one →
  1. 30 juillet 2010 10 h 46 min

    Bon billet. Je n’étais pas au courant de la promotion du revenu de citoyenneté par des mouvements de droite.

    La notion de « biens communs » mériterait sans doute d’être élaborée pour elle-même.

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  2. Déréglé temporel permalink
    30 juillet 2010 16 h 43 min

    En fait, tu estimes que ces gens de droite ont mieux évalué les conséquences du revenu de citoyenneté, mais comme tu ne partages par leurs valeurs, tu préconises de ne pas l’instaurer.

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  3. 30 juillet 2010 18 h 16 min

    @ Déréglé

    «Je n’étais pas au courant de la promotion du revenu de citoyenneté par des mouvements de droite.»

    Pour les créditistes, c’était presque leur premier objectif, sous le vocable «allocation universelle» ou… «cdédit social» ! Pour Friedman, c’était l’impôt négatif. J’ai laissé des liens sur des textes de wiki au début du prédécent billet.

    «La notion de « biens communs » mériterait sans doute d’être élaborée pour elle-même.»

    Tout à fait. La distinction entre »biens communs» et «biens privés» est dans ma liste de sujets de billets depuis quelques mois. Je pensais la développer dans ce billet, mais cela aurait été trop pour un seul texte. Je vais sûrement y revenir, mais je ne sais pas quand…

    De toute façon, la perception de ce qu’est un bien commun varie selon nos valeurs. Pour un libertarien, c’est la police, la justice et l’armée. Pour un minarchiste, on peut ajouter quelques éléments, dont la voirie. Et pour un social démocrate, on ajoute la santé, l’éducation, la protection de l’environnement, etc. Bon, je vais arrêter, sinon je vais écrire mon billet en commentaire !

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  4. 30 juillet 2010 18 h 28 min

    @ Déréglé

    «En fait, tu estimes que ces gens de droite ont mieux évalué les conséquences du revenu de citoyenneté, mais comme tu ne partages par leurs valeurs, tu préconises de ne pas l’instaurer.»

    J’ai peut-être un peu trop insisté sur la vision de la droite dans ce billet. Ce n’est pas en réaction aux visées de la droite que je m’y oppose. En plus, comme plusieurs gens de la droite s’y opposent aussi, je ne suis pas sûr qu’ils ont mieux évalué ses conséquences ! En fait, les formes de revenu de citoyenneté appuyées par la droite n’atteignaient jamais le seuil de faible revenu.

    Dans mon esprit, un revenu de citoyenneté qui élimine la pauvreté coûte trop cher (premier billet) et nous forcerait à terme à abandonner des programmes sociaux et autres types d’Intervention étatique (deuxième).

    Ce n’est pas seulement par le revenu qu’on peut réduire les inégalités et combattre la pauvreté, mais aussi en offrant des services. Et, dans l’optique des capabilités, concept que j’aime beaucoup, il est clair que l’offre de services a plus de chance de vraiment aider les gens à atteindre leurs objectifs de vie qu’en ajoutant seulement des sous (ce qu’il faut faire aussi, mais plus à ceux qui en ont le plus besoin).

    C’est en fait la grande opposition entre le principe de justice comme équité de John Rawls (redistribution en biens premiers, ou en argent) et la position d’Amartya Sen qui vise plus à compenser les écarts de capabilité.

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  5. Déréglé temporel permalink
    30 juillet 2010 19 h 02 min

    « En plus, comme plusieurs gens de la droite s’y opposent aussi, je ne suis pas sûr qu’ils ont mieux évalué ses conséquences ! »

    C’est pour ça que j’ai écrit « ces » gens de la droite, en référence à ceux qui le promeuvent.

    « C’est en fait la grande opposition entre le principe de justice comme équité de John Rawls (redistribution en biens premiers, ou en argent) et la position d’Amartya Sen qui vise plus à compenser les écarts de capabilité. »

    Enregistré. 😉

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  6. 30 juillet 2010 19 h 43 min

    «Enregistré»

    Je viens de terminer L’idée de justice d’Amartya Sen. J’aime beaucoup cet économiste-philosophe. Un des rares philosophes que j’ai du plaisir à lire, même dans les bouts plus ardus, probablement parce qu’il colle toujours à la réalité, pas seulement aux concepts.

    J’ai sûrement déjà parlé de lui…

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  7. 31 juillet 2010 7 h 57 min

    Tout comme il existe plusieurs courants idéologiques du côté de la gauche politique, on peut constater que ceux qui sympathisent aux idées de la droite ne parviennent pas à s’entendre sur ce qui devrait être inclus dans un programme politique. À l’exception de l’allocation familiale proposée par Mario Dumont, les porte-parole de la droite s’opposent généralement à toute forme de redistribution de la richesse, préférant endosser les sacro-saints principes de mérite personnel, de libre choix et de l’utilisateur-payeur.

    Ces jours-ci, la priorité de la droite politique québécoise est plutôt de détruire les acquis du modèle social-démocrate et de ternir la réputation de tous ceux qui défendent les travailleurs et de nos concitoyens qui vivent dans la pauvreté.

    Et ça se prétend chrétien. C’est à se demander s’ils ont déjà pris le temps de lire les évangiles! D’abord citoyens ou croyants?

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  8. 31 juillet 2010 10 h 20 min

    @ Luto

    «Et ça se prétend chrétien. »

    Ça fait deux fois que je lis de tes commentaires qui font le lien entre le fait d’être chrétien et de droite. Je suis un peu confus à ce sujet. L’article que tu mets en lien semble bien séparer les engagements politiques et religieux (enfin, la plupart des intervenants le font), et c’est très bien pour moi.

    Tu devrais peut=être écrire un billet sur le sujet pour élaborer un peu…

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  9. clopp permalink
    31 juillet 2010 23 h 51 min

    Pourquoi présupposer que le revenu de citoyennenté éliminerait les grands chantiers de l’État? Que ce soit en santé ou en éducation ou ailleurs.

    Prenons l’exemple de la voirie que tu effleures en parlant des transport en commun. Cette forme de distribution empêcherait-il l’État de refaire l’échangueur Turcot?

    Je ne crois pas.

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  10. 1 août 2010 0 h 35 min

    @ Clopp

    «Pourquoi présupposer que le revenu de citoyennenté éliminerait les grands chantiers de l’État?»

    As-tu lu mon billet d’avant ?

    Revenu de citoyenneté

    J’évaluais le coût du revenu de citoyennenté à 70 à 75 milliards $ (j’ai revisé mes calculs récemment, et j’avais oublié 5 milliards $, ce qui donnerait entre 75 et 80 milliards $ !), tandis que le budget total du Québec est actuellement entre 65 et 70 milliards $, y compris le service de la dette de plus de 6 milliards $ ! Il est clair que toutes les dépenses actuelles seraient sur la sellette et que toute possibilité de réinvestir dans les transports ou ailleurs serait compromise. Et cela sans compter les risques dont je parle dans ce billet.

    Si tu ne le crois pas, j’aimerais que tu me présente tes calculs ou tes arguments, on pourrait en discuter sur une base commune…

    Quant à l’échangeur Turcot, il serait terminé de toute façon depuis longtemps le jour où le revenu de citoyenneté serait mis en oeuvre !

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  11. 1 août 2010 9 h 45 min

    Darwin, il me semble que la plupart des statistiques démontrent que la majorité des québécois confirment leur confession catholique et leurs croyances, même s’ils ne pratiquent presque plus… Donc, puis-je confirmer que la majorité des sympathisants de la droite sont des gens qui adhèrent aux valeurs chrétiennes?

    De plus, j’ai remarqué que bien des gens qui commentent les blogues de droite n’hésiteront pas à confirmer leur appartenance à la foi chrétienne – on peut le constater lorsqu’il y a des débats sur l’avortement ou le cours ECR…

    Évidemment, bien des gens qui sympathisent aux idées proposées par la gauche politique sont également croyants. Cependant, c’est plutôt une approche humaniste qui se dégage de ce côté. D’ailleurs, selon une étude que j’ai consulté, bien des québécois sont inconfortables devant la religion musulmane et l’associent à la violence.

    Pas surprenant qu’un type comme Éric Duhaime ait décidé de faire peur au monde en associant Amir Khadir à l’islam et au PCQ. Il est fort probablement relgieux, ayant accepté de traviller avec le créationniste Stockwell Day dans le passé…

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  12. 1 août 2010 12 h 17 min

    Merci de ces précisions. Je ne suis toutefois pas totalement à l’aise avec le lien droite-chétienté, même s’il existe sûrement.

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  13. koval permalink*
    2 août 2010 22 h 12 min

    Darwin, les agités du bocal sont à l’aise eux…

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  14. 2 août 2010 22 h 23 min

    «Darwin, les agités du bocal sont à l’aise eux…»

    Excellent ! Ce grand penseur fait aussi le lien entre les catholiques et la droite… Ça doit être vrai ! 😉

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  15. 3 août 2010 6 h 39 min

    Suite à ta suggestion, je vais creuser un peu le sujet… En attendant, voici un xourt extrait d’une étude réalisée en France:

    « … Les catholiques pratiquants régulièrement sont plutôt conservateurs. Ils ont voté aux législatives de 1993 à 33% RPR, à 27% UDF, et même à 12% FN. Les sans religions, eux, sont répartis entre le PS (22% aux même élections) et le PC (21%). On constate que les voix socialistes venant des ouvriers ont baissé de 25 points entre les législatives de 1978 et de 1993. Le changement électoral de la population géographiquement dispersée et dont le vote peut faire pencher la balance dans de nombreux départements ( les exploitants agricoles) a une influence en déclin, car la population diminue. Très conservateurs ils votent surtout pour l’UDF et le RPR. »

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  16. 3 août 2010 7 h 57 min

    @ Luto

    Intéressant ! Tu sais comme j’aime que les impressions, aussi pertinentes et logiques soit-elles, soient appuyées par des données fiables… Sinon, on est obligé de se fier à notre GBS, et ça, c’est mal ! 😉

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  17. 3 août 2010 20 h 40 min

    Darwin, évidemment que je sais! Tiens, complément de programme. Première partie d’un documentaire chrétien-progressiste…

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  18. 3 août 2010 21 h 29 min

    J’ai mieux aimé Religulous !

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  19. 4 août 2010 20 h 32 min

    J’allais sortir la même. Me fait toujours rire didier :).

    Sinon super article de fond, merci pour ces infos

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  20. 4 août 2010 23 h 54 min

    «Sinon super article de fond»

    Ça fait toujours plaisir de lire ça !

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  21. the Ubbergeek permalink
    20 février 2011 2 h 16 min

    La gauche religieuse, ça existe, et ça changerait bien des choses si elle s’avançait avec force….

    Et aussi les religio-communistes et anarchistes. Ferait suer Palin et Bush Fils et amis.

    Ça risque cependant de donner des armes à la droite laique-séculière (et des fois fanatique..) comme le fameux Objectivisme d’Ayn ‘Mom of Palon’ Rand….

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