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Je le mérite bien !

3 août 2010

Par Darwin – «Ma chère Jocelyne, je vous souhaite de bonnes vacances, vous le méritez bien !» de dire le présentateur de Radio-Canada en soulignant l’absence de Jocelyne Blouin pour les prochaines semaines. Mais pourquoi devrait-elle «mériter» ses vacances ? N’est-ce pas un droit que de bénéficier de vacances annuelles ? En quoi le «mérite» a-t-il quoi que ce soit à voir avec le souhait d’avoir des «bonnes» vacances ? Si elle avait moins bien travaillé, mériterait-elle d’avoir de «mauvaises» vacances ?

Cela n’est bien sûr qu’un exemple. Mais il y en a tellement… De l’achat de produits de beauté (!) («achetez des cochonneries à vous mettre dans la face, vous le méritez-bien !») au gâteau que prenait ma mère tous les soirs durant ses éternels «régimes» («je me suis assez privée dans la journée, je le mérite bien !»), on abuse constamment du concept du mérite.

Ce billet poursuit ma série de textes portant sur «les expressions qui me tapent sur les nerfs», après le trop populaire «gros bon sens» et le trop galvaudé «J’ai pas le temps».

Un héritage dur à oublier

«Elle a bien mérité son ciel, celle-là» ai-je déjà entendu à propos d’une femme qui avait eu 12 enfants et avait enduré un mari ivrogne toute sa vie sans rechigner. Dans les religions judéo-chrétiennes, il est bien vu de souffrir pour mériter des récompenses.

À mon grand dam, il m’est déjà arrivé à la fin d’une journée de travail particulièrement pénible de me dire «J’ai bien mérité ma paye aujourd’hui.». Bon, je suis parti à rire de moi-même dès que l’idée est apparue à mon esprit et ai vite effacé ce relent de mon éducation judéo-chrétienne. En effet, en quoi aurais-je plus mérité mon salaire ce jour-là que la veille où j’avais eu du plaisir à travailler toute la journée ? Mon salaire est un droit inclus dans mon contrat de travail. Le fait d’avoir du plaisir en le faisant ou de ne pas en avoir n’a rien à voir avec ce salaire, tant que j’exécute mes tâches conformément aux attentes.

Certains acteurs et sportifs professionnels disent parfois qu’ils ont honte de toucher d’aussi bons cachets pour faire un métier qu’ils aiment… Bon, on peut s’interroger de façon pertinente sur le caractère surréaliste des salaires ou cachets touchés dans ces professions (commentaire politique obligé…), mais ils n’ont rien à voir avec le plaisir ou le déplaisir. Au contraire, un artiste ou un sportif qui adore son métier performe en général mieux que celui qui le déteste.

Mérite et hasard

«Qu’ai-je fait au bon Dieu pour mériter cela ?». Le curé de rétorquer «Demande-toi plutôt quelles souffrances tu n’as pas fait subir à notre Seigneur…». On confond souvent un malheur dû au hasard avec le mérite ou on attribue abusivement une chance inespérée à notre bonne vie… Encore là, c’est un résidu de l’éducation religieuse et, même si on n’a pas eu une telle éducation, de la culture qui en reste.

Il y a aussi dans cette confusion un sentiment ancré chez bien des gens que les choses finissent toujours par s’équilibrer, bref un sentiment qu’il existe une justice qui vient répartir les chances et les malchances, que cette justice soit d’origine religieuse ou naturelle. Quiconque a des notions solides en probabilité ne peut que décevoir ces personnes… Désolé, mais, même si on a perdu 100 fois d’affilée à la loterie, on ne mérite pas plus de gagner la prochaine fois et la probabilité qu’on le fasse n’est ni plus grande, ni inférieure que si on avait gagné la semaine précédente…

Bref…

J’aurais pu aussi élaborer sur le principe du mérite en milieu de travail qui est en fait un principe de compétences, ou discuter si une personne a vraiment du mérite d’être altruiste, mais bon, après avoir écrit plus de 600 mots, je mérite bien de m’arrêter là !

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8 commentaires leave one →
  1. 3 août 2010 11 h 04 min

    J’aurais quelques nuances, notamment celle-ci: si on accepte de faire un boulot qui nous plaît davantage pour un salaire moindre, c’est bien qu’on estime que la rétribution du temps investi peut se faire de différentes manière, aussi bien en plaisir qu’en argent.
    Si tu subis une injustice après une activité qui te plaît, tu t’en consoles plus facilement que si, en plus d’avoir été arnaqué, tu avais passé un mauvais moment: ça revient à dire que tu t’es fais volé deux fois, une fois en argent, l’autre en qualité de vie. Je ne pense pas qu’on doive ramener ce principe, qui m’apparaît très sain, à une éducation judéo-chrétienne.
    Pourquoi alors ne pas considérer comme bien normal le sentiment d’avoir plus « mérité » son salaire après une dure journée? Tant qu’on ne tombe pas dans le raisonnement inverse et qu’on ne culpabilise pas d’avoir du plaisir au travail. Mais si cette dure journée se répétait plus souvent, et devenait une norme, n’est-ce pas là un argument de poids pour demander une hausse de salaire? car resterais-tu travailler au même endroit dans ces conditions pour le même salaire?
    Peut-on vraiment dresser un pare-feu infranchissable entre plaisir et rétribution?

    Pour ce qui est du « mérite » dans la religion, je préciserais que c’est surtout un penchant catholique. Le mérite est consubstantiel du libre-arbitre. Or, Luther a substitué le libre-arbitre par le « serf-arbitre », et le fait de mériter son ciel par la prédestination.
    D’ailleurs en lisant ton texte, je me suis demandé si ce n’étais pas la raison pour laquelle la littérature et le cinéma anglo-saxon (donc issus d’une culture plus marquée par le protestantisme) débordent d’une espèce de mystique du destin. Ce serait à vérifier.

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  2. 3 août 2010 11 h 33 min

    @ Déréglé

    «c’est bien qu’on estime que la rétribution du temps investi peut se faire de différentes manière, aussi bien en plaisir qu’en argent.»

    J’ai pensé à cet aspect, mais je ne parlais pas d’un emploi toujours désagréable, mais d’une seule journée. J’ai failli déborder sur la question de la qualité de vie au travail, la principale raison pour laquelle je suis encore représentant syndical, mais cela me semblait une autre question.

    «Mais si cette dure journée se répétait plus souvent, et devenait une norme, n’est-ce pas là un argument de poids pour demander une hausse de salaire?»

    Tout à fait. Cela a même un nom en économie, les différentiels compensatoires. Le salaire tend à augmenter pour compenser la dureté d’un travail (mines, construction, etc.) et ses horaires contraignants (nuit, fins de semaine, absence prolongée du domicile, etc.). Voir entre autres http://tinyurl.com/23ytbxs . Mais, encore là, est-ce une question de «mérite» ? Comme le nom l’indique, c’est plus une question de compensation que de mérite, si on veut trouver quelqu’un qui accepte ce boulot !

    Je le répète, je ne parlais que d’une journée. Pour compléter l’analyse de cette question, il faudrait aussi parler des intérêts et aptitudes, concepts fondamentaux quand on choisi une carrière et même un emploi. Le salaire n’est qu’un élément qui entre en ligne de compte, et non pas le seul comme certaines théories économiques le prétendaient (les classiques ont quand même peaufiné leur théorie…). Un boulot pénible pour un (par exemple à l’extérieur ou à l’inverse devant un ordi toute la journée) sera au contraire agréable pour un autre.

    «Pour ce qui est du « mérite » dans la religion, je préciserais que c’est surtout un penchant catholique»

    Disons que c’est la religion que j’ai la plus connue et la plus expérimentée, et que mes références portent en conséquence beaucoup sur elle.

    «Or, Luther a substitué le libre-arbitre par le « serf-arbitre », et le fait de mériter son ciel par la prédestination.»

    Oh… Intéressant, mais mon petit texte avait un objectif plus humoristique qu’autre chose ! Bon, cela n’empêche pas d’aller plus loin…

    «Ce serait à vérifier.»

    Il me semble quand même qu’on y valorise aussi l’impact qu’un individu peut avoir pour éviter des événements présentés comme inévitables ou prédestinés. Tous les films d’action, de James Bond à Die Hard, reposent sur ce concept… Leur scénaristes seraient plus catho ? J’en doute…

    Question intéressante, encore une fois ! Je ne pensais pas que ce petit texte écrit rapidement déboucheraient sur de telles discussions. Tant mieux !

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  3. Déréglé temporel permalink
    3 août 2010 14 h 07 min

    « Mais, encore là, est-ce une question de «mérite» ? »

    Je pense tolérer que l’acceptation courante du terme soit plus large que sa définition philosophique (ou économique).

    « Il me semble quand même qu’on y valorise aussi l’impact qu’un individu peut avoir pour éviter des événements présentés comme inévitables ou prédestinés. »

    Sauf qu’à partir du moment où on affirme ou sous-entends que le personnage est « le seul » à pouvoir le faire, qu’il est une sorte d’élu, ça entre plutôt dans le domaine de la prédestination. Ce personnage accompli ce pour quoi il est fait.

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  4. 3 août 2010 14 h 15 min

    «Ce personnage accompli ce pour quoi il est fait.»

    Ça se défend ! Mais, comme tu le dis, il faudrait approfondir la question, question que je ne me suis jamais posée vraiment…

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  5. Déréglé temporel permalink
    3 août 2010 14 h 34 min

    Comme tu dis. En fait, c’est toi qui vient tout juste de m’inspirer la question (tu t’y attendais pas, hein?).

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  6. Alain B. permalink
    3 août 2010 16 h 55 min

    Bonjour
    J’espère qu’il n’y a pas de boîte à kon sur jeanne !, mais il me semble que le domaine de la prédestination en soit un religieux.
    Faites attention, car dernièrement j’ai lu quelques articles dans laquelle nous y avions des allusions à la religion et ce dans des sites politique.
    Vous ne voudriez certainement pas qu’un endoctriné comme moi commence a y commenter.
    Aurevoir et j’aime bien vous lire.

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  7. Déréglé temporel permalink
    3 août 2010 18 h 38 min

    « mais il me semble que le domaine de la prédestination en soit un religieux. »

    tout à fait.

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  8. 3 août 2010 19 h 40 min

    @ Alain B

    «Vous ne voudriez certainement pas qu’un endoctriné comme moi commence a y commenter.»

    C’est fait !

    «Aurevoir et j’aime bien vous lire.»

    C’est gentil…

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