Ça n’a vraiment pas d’allure !
Par Darwin – Je poursuis aujourd’hui ma série sur les expressions qui me tapent sur les nerfs. Celle que je vais aborder aujourd’hui trône sûrement près du sommet de celles qui me font le plus grincer des dents quand je les entends et qui me donnent les crampes au cerveau les plus souffrantes quand je les lis. Je parle ici de l’anglicisme qui s’est implanté graduellement au cours des toutes dernières années et qui prétend qu’on peut faire du sens… «Ça fait ben du sens» (That makes sense), disent trop de personnes (ayoye, ma tête…), ne réalisant pas qu’elles font ainsi un emprunt inutile à l’anglais pour donner plus de poids à leurs propos.
Tant de façon de le dire…
Dans notre belle langue française, le sens est un attribut, il ne se fabrique pas, ne se fait pas. Si le français ne permettait pas de rendre cette idée efficacement, on pourrait comprendre qu’on se tourne vers l’anglais pour pouvoir exprimer de façon imagée notre pensée. Or, le français nous offre pour contrer cette infamie une panoplie complète d’expressions qui permettent de nuancer nos propos à notre guise ou simplement de varier la façon de les exprimer :
- cela a du sens : voilà la forme de base appropriée;
- ce choix est sensé : très semblable au précédent;
- c’est une bonne idée : là, on passe déjà à un autre niveau moins général;
- ça me semble logique : ici, on catégorise la notion de sens;
- ça a bien de l’allure : ma préférée, car elle ajoute un aspect plus populaire, ce qu’on recherche souvent avec l’anglicisme porteur de migraines…
Pour exprimer la négative de cette idée, inutile de prétendre que «ça fait pas de sens» (deux acétaminophènes, vite…) :
- ça n’a pas de sens : encore la forme de base, sans odeur, ni saveur, mais pratique quand même;
- c’est à n’y rien comprendre : ah ! une petite touche supplémentaire;
- ça ne tient pas debout : une forme plus imagée;
- ça n’a pas d’allure : encore une fois, l’expression populaire par excellence…
Précision et intégrisme
Je dois ici préciser que je ne conteste pas tous les emprunts linguistiques. Il arrive assez souvent que la langue française, plus sclérosée que l’anglaise en raison des intégristes qui voudraient que notre langue soit figée une fois pour toute, ne permette pas de rendre aussi précisément une idée.
Par exemple, l’extension de sens qu’on a donné au mot «priorité», ne désignant à la base que le premier (rendant pléonasmique une première priorité…), et la création des termes «prioriser» et priorisation» ont bien du sens, car ces mots ont peu d’équivalents en français. Certains se sont obstinés longtemps à tenter d’imposer «hiérarchiser» et «hiérarchisation», mais même l’Office de la langue française recommande maintenant les termes «prioriser» et priorisation», les considérant conformes aux modes de formation du français.
Alors…
Face à cette passionnante (peut-être pas…) démonstration, je demande grâce aux faiseurs de sens et les prie de bien vouloir prioriser l’utilisation d’une ou de plusieurs des expressions qui peuvent bien traduire et nuancer leur intention plutôt que de tenter de fabriquer du sens.
Je recommande en plus à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté de refuser de voter pour tout candidat qui continuera à propager cet anglicisme vecteur de méningite (fiou, j’ai failli rater la composante politique obligatoire pour diffuser un billet sur ce blogue…).
Pour moi, ça fait du s… euh… ça a bien de l’allure !
« Dans notre belle langue française, le sens est un attribut, il ne se fabrique pas, ne se fait pas »
Je ne sais pas. Le mot « sens » dans le cas d’une comphréhension d’une chose se fabrique il me semble et la langue est un outil qui fabrique du sens justement. On dit que l’acquisition d’un langage évolué ne sert pas tant à communiquer mais à appréhender le monde qui nous entoure.
Je m’égare peut-être, ou je comprends tout croche.
J’aimeJ’aime
«la langue est un outil qui fabrique du sens justement»
Bof, j’espère que c’est clair que ce petit billet vise plus à faire sourire qu’autre chose, même si c’est vrai que cette expression me fait gricer des dents (mais, je commence malheureusement à m’habituer…).
On peut lire dans le lien que j’ai laissé vers le site Internet de l’Office de la langue française : «Ainsi, s’il est vrai qu’un geste peut avoir un sens ou n’avoir pas de sens, ou qu’on peut trouver, donner un sens à quelque chose, il n’est pas possible pour autant de dire qu’il fait du sens ou ne fait pas de sens.»
Donc, le langage peut donner un sens à quelque chose, mais ne peut pas en fabriquer.
J’aimeJ’aime
« Donc, le langage peut donner un sens à quelque chose, mais ne peut pas en fabriquer »
méchante pirouette linguistique 🙂
J’aimeJ’aime
«méchante pirouette linguistique »
Pas coupable, cela vient les terminologues de l’OLF… 😉
J’aimeJ’aime
C’est l’expression qui me gêne le moins dans toutes celles qu’on a évoquées ici ou sur mon blogue. Je n’ai pas de problèmes philosophiques avec l’idée qu’on puisse fabriquer du sens. Et il n’y a guère d’altérations de sens qui gênent dans les relations personnelles ou la perception de la réalité (comme le GBS, la « nuit des temps » ou « j’ai pas le temps »). C’est un anglicisme parmi d’autres.
J’aimeJ’aime
«C’est un anglicisme parmi d’autres.»
Il me fatigue plus parce qu’il est relativement récent. On dirait que lorsqu’on réussit à se débarrasser d’un anglicisme, il y en a deux qui repoussent !
Mais, tu as raison, j’avais moins d’arguments pour cette expression-là que pour les précédentes, car dans les autres, il y a un problème conceptuel.
J’aimeJ’aime