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Santé: la désinformation du RLQ

29 octobre 2010

Par lutopium – On apprend ce matin dans La Presse – considéré comme un journal de gauche par les sympathisants du Réseau Liberté-Québec – que notre province est toujours en queue de peloton en ce qui concerne les dépenses dans le secteur de la santé.  Contrairement aux idées véhiculées par Joanne Marcotte et sa nouvelle gang de pseudo-libertariens, l’étude publiée par l’Institut canadien d’information sur la santé remet les pendules à l’heure et présente des chiffres précis dans une perspective canadienne et internationale.  J’invite ces disciples de l’illusion malhabile, qui tentent de nous faire croire que des individus comme Jeff Fillion sont plus crédibles que les économistes et les sociologues, à lire cette étude et constater, une fois pour toute, que le modèle de santé québécois, même s’il n’est pas aussi parfait que celui qu’on retrouve en Somalie, est loin d’être le plus coûteux…  Première partie de ce billet, quelques faits saillants de cette étude:

Les dépenses totales de santé continuent de varier selon la province. L’Alberta et le Manitoba devraient afficher les dépenses par personne les plus élevées, avec 6 266 $ et 6 249 $, respectivement. La Colombie-Britannique et le Québec devraient enregistrer les dépenses par personne les moins élevées, soit 5 355 $ et 5 096 $, respectivement.

En 2008, dernière année pour laquelle on dispose de données, parmi une liste de 26 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) utilisant des systèmes de comptabilité semblables, c’était aux États-Unis que les dépenses de santé par habitant étaient les plus élevées (7 538 $ US). Suivaient la Norvège (5 003 $ US), la Suisse (4 627 $ US) et le Luxembourg (4 210 $ US). Le Canada, à environ 4 079 $ US par habitant, occupait le cinquième rang, avec des dépenses comparables à celles de plusieurs autres pays de l’OCDE, comme les Pays-Bas (4 063 $ US), l’Autriche (3 970 $ US), l’Allemagne (3 737 $ US) et la France (3 696 $ US).

Deuxième partie: le bon vieux temps…

Les adéquistes, qui tentent de se donner de nouvelles couleurs, tentent de nous faire croire que la Révolution Tranquille fut précédée d’un Québec prospère, libre et égalitaire.  J’aimerais leur présenter ici la conclusion d’une autre étude qui a pris le temps d’analyser le marché des soins hospitaliers au Québec entre 1939 et 1961.

Les promesses de l’assurance privée au tout début de la Seconde Guerre mondiale paraissaient alléchantes. Tout en faisant appel aux forces du marché libre, elle devait en atténuer les effets pervers. La formule du contrat collectif et le prélèvement des primes d’assurances par petits versements sur les salaires, promettait-on, allaient progressivement ouvrir l’accès aux soins à ceux et celles qui, jusqu’alors, s’étaient trouvés exclus des grands circuits du marché de l’assurance maladie, faute de moyens économiques. L’assurance privée a pu ainsi être considérée comme un mécanisme de régulation des inégalités et des tensions auxquelles donne lieu un marché sans entrave, et ce, sans pour autant déroger aux principes du libéralisme ambiant. Le développement de l’assurance volontaire, pensait-on, allait déboucher sur la généralisation de l’accès aux soins par les voies « naturelles » du marché. Cette conviction ressort comme le fait marquant des années 1940.

L’assurance privée fait alors miroiter d’autres perspectives avantageuses. Elle paraît susceptible d’assurer aux hôpitaux un niveau de revenus satisfaisant. Elle ne nécessite, pour les principaux acteurs du monde hospitalier, aucun réajustement majeur sur le plan du discours et des idéologies. En outre, les groupes dominants dans l’organisation du régime hospitalier pensent de la sorte préserver leurs acquis, et ce, par-delà des intérêts qui parfois les opposent : propriétaires et dirigeants d’hôpitaux, Église, philanthropes bourgeois, corps médical et assureurs craignent l’assurance d’État, et font preuve d’un certain pragmatisme en se ralliant autour d’un projet qui la tient en respect.

Au tournant des années 1950, cependant, l’assurance privée tarde à remplir ses promesses et la coalition commence à se fissurer. Bientôt, la progression insatisfaisante des taux d’adhésion de la population, la modélisation de la protection d’assurance suivant la capacité de payer, l’incapacité des assureurs d’arracher une entente aux organisations médicales pour les soins aux plus démunis et l’approfondissement de la crise des finances hospitalières vont constituer les manifestations les plus tangibles d’un échec de l’assurance privée. En définitive, cette histoire est celle de rendez-vous manqués, tant à l’égard de la généralisation de l’accès aux soins qu’à celui de la consolidation des finances hospitalières. À un autre niveau, les assureurs privés ont échoué dans leur promesse d’assurer la pérennité du régime hospitalier en place et d’y préserver les prérogatives de ses acteurs les plus puissants. Les ratés de ce régime hospitalier d’inspiration libérale, comme nous l’avons signalé, ont engendré du mécontentement au sein de la population. Il s’agit là d’une piste de recherche qui mériterait d’être étudiée plus à fond et sur une période plus longue. La clientélisation des patients, amorcée vers la fin du xixe siècle, a vraisemblablement contribué à accroître les attentes populaires qui, par ricochet, ont exercé une influence à la fois sur l’adoption de nouvelles politiques d’accès et sur l’organisation des soins.

Le projet de développement de l’assurance privée n’en a pas moins reporté de quinze ou vingt ans l’adoption de l’assurance d’État discutée avec vigueur durant la Seconde Guerre mondiale, profitant par ailleurs d’une situation de blocage créée par les conflits de compétences entre les provinces et le gouvernement fédéral en matière de santé. Avant les réformes des années 1960, les logiques assurantielles privées, avec leur cortège d’hommes d’affaires de haut vol, ont donc joué d’un poids prépondérant dans l’évolution du régime sociosanitaire québécois. Par la suite, et cela surprend, l’étatisation n’a pas provoqué de recul de l’assurance privée dans le champ de la santé ; au contraire, elle y a connu une croissance appréciable en diversifiant ses produits. Il n’en reste pas moins qu’elle louche parfois avec intérêt du côté des marchés sanitaires d’où l’État l’a évincée, ce qui incite à ne pas oublier cette période de notre histoire où l’assurance privée avait reçu le mandat de garantir au plus grand nombre l’accès à des soins de qualité.

6 commentaires leave one →
  1. 29 octobre 2010 8 h 32 min

    Complément de programme:

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  2. 29 octobre 2010 22 h 41 min

    Excellent billet !

    Non seulement c’est au Québec que les coûts de la santé sont les moins cher (j’ai peur que cela change avec les avantages accordés aux médecins spécialistes), mais le rapport de l’ICIS remarque que le vieillissement de la population n’a pas encore l’effet que les lucides lui prêtent :

    «Le vieillissement de la population, présenté comme le principal facteur de l’augmentation des dépenses, ne semble pas avoir d’impact pour le moment. Le rapport démontre que même si les personnes âgées coûtent plus cher en soins de santé, et même si leur proportion est passée de 12 à 14 % de la population depuis dix ans, leur part de l’utilisation des ressources est demeurée stable, à 44 %.»

    http://www.radio-canada.ca/nouvelles/National/2010/10/28/002-sante-couts-ralenti.shtml

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  3. Déréglé temporel permalink
    30 octobre 2010 9 h 51 min

    « Le rapport démontre que même si les personnes âgées coûtent plus cher en soins de santé, et même si leur proportion est passée de 12 à 14 % de la population depuis dix ans, leur part de l’utilisation des ressources est demeurée stable, à 44 %.» »

    Ça semble paradoxal. Ça mériterait une explication (que l’article ne fournit pas). Je suis perplexe.

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  4. 30 octobre 2010 10 h 36 min

    @ Déréglé

    «Ça mériterait une explication»

    Cela veut dire que même si les personnes âgées de plus de 65 ans sont proportionnellement plus nombreuses, leur part dans les coûts totaux de la santé sont demeurés fixe à 44 % du total. Bref, elles coûtent proportionnellement moins cher par personne.

    J’ai vu après avoir fait ce commentaire un article qui en dit plus sur les raisons de ce phénomène :
    http://tinyurl.com/2avb6x9

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  5. koval permalink*
    30 octobre 2010 14 h 18 min

    Darwin Déréglé

    Réjean Hébert, chercheur spécialiste en géronto dit pas mal la même chose…et non pas de catastrophes ni crises à cause de nos ti-vieux!

    Cliquer pour accéder à 12.pdf

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  6. 30 octobre 2010 15 h 04 min

    «Réjean Hébert, chercheur spécialiste en géronto dit pas mal la même chose»

    L’IRIS aussi, en citant d’autres études :

    «Il est également avancé que le vieillissement de la population devrait entraîner une explosion des dépenses en santé et, de ce fait, restreindre d’autant la marge de manoeuvre budgétaire du gouvernement. Cependant, on constate que c’est dans les cinq dernières années de vie que devient plus important le « coût » en santé des personnes. C’est donc dire que le vieillissement de la population n’est pas en soi un facteur d’augmentation des coûts en santé. Si les Québécoises et les Québécois vivent plus vieux, ils vieillissent également en meilleure santé.»

    http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/budget_2010_comment_financer_les_services_publics.pdf_7

    Mais, c’est bon de voir que les données confirment ces raisonnements et études.

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