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Les politiciens-entrepreneurs

16 janvier 2012

Je m’étais bien promis de ne pas écrire un autre billet sur la CAQ avant un bon bout de temps. Même l’adhésion de François Rebello à ce parti ne m’a pas porté à changer d’idée. On pourrait croire que l’article de la Presse de la fin de semaine, où François Rebello fait une déclaration étonnante aurait raison de ma résolution. Sa déclaration est en effet digne de mention (euphémisme). Jean-François Lisée y a d’ailleurs consacré un court billet samedi dernier (François Legault, Mitt Romney, même combat?). Voici ce que M. Rebello y disait :

«Parmi tous les candidats républicains, j’ai trouvé que Romney avait des qualités évidentes. Il est pragmatique, il a un parcours d’affaires, et il a été le seul, durant le débat, à parler d’éducation, de santé, etc. C’est un peu le Legault des républicains.»

M. Lisée ayant soulevé avant moi le fait que M. Legault n’apprécierait pas nécessairement qu’on compare son programme à celui de M. Romney, j’aurais probablement encore résisté. C’est ça quand on est fait fort!

En fait, j’avais déjà décidé d’écrire un billet qui comparerait Mitt Romney et François Legault après avoir lu la chronique de vendredi de… Paul Krugman! J’attendais seulement que cette chronique soit traduite en français pour écrire mon billet lorsque M. Rebello a fait la même comparaison que celle que je voulais faire! Je ne m’y attendais vraiment pas!

Chronique de Paul Krugman

La chronique en question s’intitule L’Amérique n’est pas une entreprise. Par «l’Amérique», M. Krugman veut bien sûr dire «les États-Unis», mais bon, sa chronique s’applique aussi à la situation de notre coin d’Amérique. La chronique en question vise à montrer qu’on ne dirige pas un pays comme une entreprise, ce que M. Romney semble penser, en vantant ses réalisations comme dirigeant d’entreprise, réalisations que même ses opposants républicains ne trouvent pas vraiment louables, mais, ça, c’est une autre question. Regardons quelques-uns des arguments soulevés par Paul Krugman :

«[Mitt Romney] affirme que notre économie défaillante a besoin de quelqu’un qui a fait ses preuves dans le monde des affaires.»

Et que disait François Rebello dans sa lettre expliquant son passage à la CAQ?

«Qui peut le mieux réaliser ce virage au nom des Québécois qu’un entrepreneur à succès qui a de surcroît fait ses classes en politique?»

Que pense M. Krugman de cette relation entre l’expérience dans le monde des affaires et la politique?

«cette idée que le pays a besoin d’un homme d’affaires à succès comme président souligne un problème plus profond : en fait, l’Amérique n’est pas une entreprise. Mener une bonne politique économique n’est pas du tout comme maximiser les profits d’une entreprise. Et les hommes d’affaire – même les grands hommes d’affaires – n’ont généralement aucune idée de ce qu’il faut faire pour opérer une relance économique.»

Je pense exactement la même chose d’un bon nombre de propositions de François Legault. Il utilise les mêmes outils qu’un entrepreneur en s’imaginant qu’une hausse des salaires des enseignants ou des médecins les rendra plus «productifs». Il veut imposer des «cibles» de réussite pour évaluer le travail des enseignants, dans la même optique qu’il avait imposé des «plans de réussite» aux écoles secondaires et des «contrats de performance» aux universités, «une approche comptable simpliste qui avait hérissé les recteurs.» comme le rappelle Michèle Ouimet.

«Il avait aussi exigé que les écoles secondaires pondent des plans de réussite. Il voulait mettre des chiffres sur tout: évaluer, surveiller et punir. (…) En 1998 aussi, il voulait révolutionner le monde de l’éducation. Ses contrats de performance ont fini en eau de boudin et ses plans de réussite n’ont pas changé la face du monde.»

Revenons à la chronique de Paul Krugman qui explique une des plus grande différence entre le fonctionnement d’une entreprise et celui d’un gouvernement :

«Prenons ce qui se passe lorsqu’une entreprise se lance dans une réduction impitoyable des coûts. Si l’on suit le point de vue des dirigeants de l’entreprise (mais pas celui des employés), plus on réduit les dépenses, mieux c’est. Chaque dollar ôté de la colonne des dépenses est ajouté à la ligne finale.

Mais c’est autre chose lorsque le gouvernement sabre les dépenses dans une économie déprimée. Regardez la Grèce, l’Espagne et l’Irlande, qui ont toutes adopté des mesures sévères d’austérité. Dans chacun de ces cas, le chômage est monté en flèche parce que les coupes budgétaires du gouvernement ont surtout frappé les producteurs nationaux. Et dans chacun des cas, la réduction des déficits budgétaires a été moindre que ce qui était escompté, parce que les recettes fiscales ont chuté à mesure que l’activité et l’emploi s’effondraient.»

Nous ne sommes bien sûr pas dans une situation aussi morose qu’aux États-Unis ou en Europe, malgré les estimations de pertes d’emplois de l’Enquête sur la population active (j’y reviendrai…), mais je frémis à l’idée de voir à la tête du Québec un entrepreneur comme Legault (ou comme Sirois!) au cours d’une récession.

Et alors…

Jean-François Lisée a souligné avec raison que le fait de comparer Legault à Romney n’était pas une bonne idée en raison du programme extrême du républicain :

«Éliminer immédiatement le programme de couverture universelle d’assurance maladie d’Obama, donc remettre un Américain sur six sans couverture; donner le coup de grâce aux syndicats américains en révoquant la formule Rand; venir en aide aux plus riches en rendant permanentes les baisses d’impôts de Bush et en éliminant l’impôt sur les successions; s’opposer au droit à l’avortement; envisager sérieusement de bombarder l’Iran.»

Il a bien raison. Je dois toutefois ajouter que je ne crains pas du tout que François Legault ait des intentions semblables.

De son côté, Krugman, lui, s’inquiète dans sa chronique de la vision des entrepreneurs qui ont «réussi», souvent en sabrant dans les emplois comme Romney, et qui veulent diriger le gouvernement avec les mêmes méthodes. À un niveau tout de même moindre, je crains aussi de voir un entrepreneur comme François Legault appliquer ses méthodes de comptable au Québec…

23 commentaires leave one →
  1. 16 janvier 2012 8 h 23 min

    Ha ha! Très bons parallèles! Legault doit franchement regretter la venue de Rebello! C’est rare de voir un député commencer une nouvelle tâche avec autant de sorties médiatiques compromettantes, Rebello travaille contre la CAQ comme je disais! N’empêche que je ne lui connaissais pas ce petit côté givré!

    Legault et Rebello, les « Laurel et Hardy » de la politique québécoise! La campagne va être tordante.

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  2. 16 janvier 2012 17 h 42 min

    «Éliminer immédiatement le programme de couverture universelle d’assurance maladie d’Obama, donc remettre un Américain sur six sans couverture; donner le coup de grâce aux syndicats américains en révoquant la formule Rand; venir en aide aux plus riches en rendant permanentes les baisses d’impôts de Bush et en éliminant l’impôt sur les successions; s’opposer au droit à l’avortement; envisager sérieusement de bombarder l’Iran.»

    Je n’étais pas au courant de son programme, ma foi cet individu est complètement cinglé. Très dangereux, le pire c’est lui qui mène chez les républicains.

    Hé ben, si jamais il devient le prochain président, encore une fois le peuple américain me décevra.

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  3. 16 janvier 2012 17 h 51 min

    «le pire c’est lui qui mène chez les républicains.»

    Et encore, les autres sont encore plus extrémistes!

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  4. 16 janvier 2012 20 h 15 min

    «Et encore, les autres sont encore plus extrémistes!«

    Y’a pas un p’tit vieux, je me souviens plus de son nom, qui a des idées pas mal olé olé pour un républicain? Par exemple, comme laisser faire l’Iran, décriminaliser les drogues douces, abolir la banque central ou la réserve fédéral, quelque chose du genre

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  5. 16 janvier 2012 20 h 25 min

    Un libertarien…

    «Ultralibéral, isolationniste, mais progressiste sur les questions de société: Ron Paul n’a rien du républicain classique et est d’ailleurs un transfuge du parti «libertaire» aux positions atypiques, sous l’étiquette duquel il a été candidat à la présidentielle en 1988.»

    Ici, le journaliste confond libertaire et libertarien.

    «Le programme de Ron Paul est tellement radical qu’il est du reste difficile d’imaginer comment les républicains pourraient lui offrir d’abolir à moitié la Réserve fédérale ou bien de revenir à moitié à l’étalon-or.»

    Il veut revenir à l’étalon-or (les fans de l’Argent-dette vont l’aimer!) et le laisser-faire complet en matière économique.

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  6. 16 janvier 2012 20 h 26 min

    ha ha! Effectivement! Ron Paul est un bien vilain papy!

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  7. 16 janvier 2012 21 h 07 min

    Merci Nicolas!

    «et le laisser-faire complet en matière économique.«

    Ouai! Il peut bien être libertarien et vouloir dépénaliser la drogue. Dans son monde d’égoïstes, s’il ne dépénalise pas la drogue, il n’y aura plus personne pour travailler à des salaires de crève faim, ils vont tous être en prison. Pcq ça va en prendre la drogue pour être capable de supporter un tel système.

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  8. 16 janvier 2012 21 h 23 min

    «ça va en prendre la drogue pour être capable de supporter un tel système.»

    Mets-en!

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  9. 16 janvier 2012 21 h 29 min

    La loi de la jungle, il n’y a que ça de vrai!!!

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  10. 16 janvier 2012 21 h 30 min

    De la drogue… ou de la religion!

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  11. 16 janvier 2012 21 h 43 min

    Ron et Rand, les Paul & Paul de la politique américaine, quand on compare avec nos deux totoches Rebello et Legault, (Laurel et Hardy), on se console un peu!

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  12. 16 janvier 2012 21 h 52 min

    «on se console un peu!»

    Mais on espère, dans un cas comme dans l’autre, qu’ils ne prennent pas le pouvoir!

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  13. 17 janvier 2012 5 h 55 min

    En influençant les principaux partis politiques, les chambres de commerce mènent encore le bal avec l’arrivée de la CAQ. Les liens sont durables entre nos entrepreneurs et les organisations politiques tant au niveau municipal que provincial. D’ailleurs, n’avez-vous pas remarqué que lorsqu’un personnage politique important désire prendre un bain de foule, il préfère normalement prononcer un discours devant une chambre de commerce ?

    Pour ce qui est de Rebello, je crois que le consensus est clair au sein de l’opinion publique, du moins celle que l’on peut voir ou entendre dans les médias ou sur la toile. La ClAQue sur la gueule est arrivée par la main de l’ex-président de l’exécutif du PQ dans La Prairie dans le Devoir de samedi dernier (à lire, c’est du bonbon): http://www.ledevoir.com/politique/quebec/340255/defection-de-francois-rebello-mauvais-choix-de-depute-pas-de-parti

    @koval: « les Paul et Paul de la politique américaine »… Elle est bien bonne celle-là !

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  14. 17 janvier 2012 6 h 45 min

    «Les liens sont durables entre nos entrepreneurs et les organisations politiques tant au niveau municipal que provincial.»

    Imagine quand les politiciens sont eux-mêmes issis de ce milieu!

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  15. 17 janvier 2012 9 h 51 min

    Extrait d’une chronique cadenassée de Michel David dans le Devoir de ce matin:

    « Je ne sais pas dans quelle mesure M. Romney constitue une référence pour les adéquistes, mais, aux yeux de la majorité des Québécois, il est simplement le moins moron de la bande d’extrémistes de droite qui se disputent l’investiture républicaine.

    D’ailleurs, M. Legault lui-même se sent certainement beaucoup plus près des positions de Barack Obama, même si sa façon d’adapter le vocabulaire des affaires à la politique traduit une conception unidimensionnelle navrante de la société.

    Qu’un admirateur que le chef de la CAQ a décrit comme une «acquisition significative» le compare à un homme aussi dépourvu de charisme, qui ferait passer Gérard Deltell pour un dangereux gauchiste, n’en illustre pas moins à quel point la personnalité politique de M. Legault demeure mal définie, ce qui donne à ses adversaires toute la latitude voulue pour imposer leur propre définition.»

    Intéressant, mais il demeure, comme Jean-François Lisée, sur le plan de la comparaison des programmes de Romney et de Legault, si ce n’est de souligner, avec raison, la personnalité politique de M. Legault mal définie. Lui non plus n’a pas vu le parallèle avec la chronique de Krugman (bon, il ne l’a peut-être par lue…). Il n’y a qu’ici que vous l’aurez lu! 😉

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  16. 17 janvier 2012 18 h 28 min

    @ Benton.

    J’ai constaté que le lien vers mon billet a été remis sur le Facebook du syndicat! Le nombre de lien venant de FB a en effet encore une fois augmenté fortement (moins que la dernière fois, quand même…)!

    Si vous voulez voir l’effet sur la fréquentation la dernière fois, allez sur cette page et regardez les deux jours de pointe (499 et 777) : les trois quarts de ces visites venaient de ce lien sur FB!

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  17. 19 janvier 2012 22 h 49 min

    Dans sa chronique pour demain, Paul Krugman avance que Mitt Romney devrait présenter ses rapports d’impôts des dernières années. On devrait peut-être les demander à François Legault! 😉

    J’essaierai de penser de mettre la traduction de sa chronique demain soir. Il y parle aussi de l’injustice de l’impôt sur les gains en capitaux.

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  18. 20 janvier 2012 22 h 15 min

    Tiens, Normand Baillargeon a trouvé une grosse différence entre François Legault et Mitt Romney. Tellement grosse, qu’il ne parle même pas de Legault!

    Mitt Romney, mormon…

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  19. 23 janvier 2012 6 h 47 min

    «J’essaierai de penser de mettre la traduction de sa chronique demain soir»

    J’ai oublié… La voici :

    Les impôts au sommet

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  20. 29 février 2012 20 h 47 min

    «En point de presse, le porte-parole de la CAQ en matière de santé, François Bonnardel, a d’abord affirmé que 2500 fonctionnaires au service des ces agences perdraient leur emploi, un chiffre nettement supérieur aux 1000 postes abolis évoqués par le chef François Legault.

    Son collègue député de Beauce-Nord, Janvier Grondin, a pour sa part avancé qu’il n’y aurait pas de mises à pied avant de se raviser et de concéder qu’il y en aurait peut-être.

    Pour ajouter à l’équivoque, M. Bonnardel a par la suite assuré que la CAQ n’avait nullement l’intention de remettre en question la sécurité d’emploi dont profitent les employés de l’État.»

    – Bon, allez-vous en mettre à pied?
    – Ni oui, ni non…

    On aimerait les caricaturer, mais ils le font déjà très bien!

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  21. Mathieu Lemée permalink
    29 février 2012 22 h 36 min

    Ben puisqu’on parle de la CAQ, admirez cette performance de Legault, ça dit tout:

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