40 %, 75 $ et 50 %
Manon Cornellier, chroniqueuse au Devoir, a publié cette semaine une chronique, Vive les riches, qui a réussi le tour de force de faire des liens avec trois de mes billets les plus récents. Elle y parle en effet du budget fédéral, des riches et des programmes à l’intention des personnes âgées.
Ne pouvant aborder tous ces sujets dans un seul billet, je vais décrire succinctement les principaux changements au programme d’assurance-emploi contenus dans le budget et m’attarder sur celui dont elle parle.
Changements
Ce budget a annoncé plusieurs changements à la Loi sur l’assurance-emploi. Par contre les descriptions sont dans bien des cas trop vagues pour pouvoir interpréter ces changements correctement. Je mentionnerai quand même leur objet.
À la page 168 du plan budgétaire, on peut lire :
«le gouvernement présentera des mesures législatives afin d’étoffer et de préciser les obligations des personnes qui reçoivent des prestations régulières d’assurance-emploi et cherchent du travail.»
Il est impossible de savoir exactement en quoi consisteront ces «mesures législatives», mais cela n’annonce rien de bon. À la même page, on ajoute :
«[dans le cadre du Programme des travailleurs temporaires étrangers] le gouvernement met au point des moyens d’informer les prestataires d’assurance-emploi d’employeurs qui sont à la recherche de travailleurs, et de signaler aux employeurs la présence dans leur région de prestataires possédant les qualités requises pour occuper les postes disponibles.»
Encore là, il est difficile d’interpréter en détail ce changement, mais cela sous-entend une obligation pour les prestataires de rencontrer ces employeurs. À la page 170, on peut lire :
«À compter de 2013, toutes les prestations d’assurance-emploi seront calculées d’après les semaines les mieux rémunérées de l’année précédant la demande de prestations; le nombre de semaines variera de 14 à 22 selon le taux de chômage régional.»
À première vue, cela semble positif, d’autant plus que le budget parle d’un coût estimé de 387 millions $ sur deux ans. Mais, je préfère encore attendre…
Projet pilote
À la page 169, on peut lire la description du projet pilote qui a fait réagir madame Cornellier. Ce projet vise à «Éliminer les facteurs de désincitation au travail». Malgré tout le respect que j’ai pour elle (et j’en ai beaucoup), elle l’a mal compris. Elle s’est un peu mêlée avec les 75 $, 40 % et 50 %… Elle décrit toutefois clairement la situation actuelle.
«Depuis 2008, un prestataire peut, sans pénalité, gagner le plus haut des deux montants suivants: 75 $ ou l’équivalent de 40 % de ses prestations.»
Par exemple, si quelqu’un reçoit 400 $ de prestations par semaine, il pourra conserver le premier 40 % de ses prestations, soit 160 $. Ainsi, s’il gagne un salaire de 300 $, sa prestation sera diminuée de la différence, soit de 140 $. Il recevra donc sa paye de 300 $ plus 260 $ de prestations pour un total de 560 $.
Par contre, un prestataire qui ne touche que 100 $ de prestations ne pourrait garder que 40 $ d’un gain d’emploi. Là, on lui permet de garder 75 $. Mme Cornellier a compris que le projet pilote consistait à porter le % qu’un prestataire peut garder de 40 % à 50 %, mais éliminait le minimum de 75 $. Or, le changement prévu est bien différent… Il prévoit plutôt qu’un prestataire pourra garder 50 % de ses gains de travail, peu importe leur montant. Il n’élimine pas seulement le 75 $, mais aussi le 40 % qu’il pouvait garder sans diminution de ses prestations.
L’exemple donnée à la page 169 montre qu’une personne qui touche des prestations de 450 $ et trouve un emploi à 600 $ verra ses prestations réduites de 50 % de ce 600 $, donc de 300 $, Elle touchera donc des prestations de 150 $ (450 $ – 300 $ = 150 $) en plus de son salaire de 600 $ pour un total de 750 $. Avec la règle actuelle, elle n’aurait pu conserver que 40 % de 450 $, donc 180 $ et ses prestations auraient été réduites de 420 $ (600 $ – 180 $ = 420 $). Elle n’aurait donc conservé que 30 $ de prestations (450 $ – 420 $ = 30 $), soit 120 $ de moins.
Mais, le changement a des conséquences encore pire que ne le décrit Mme Cornellier pour les prestataires qui acceptent un emploi à bas salaire. Ainsi, un travailleur saisonnier touchant 400 $ de prestations qui accepte un emploi à temps partiel qui lui rapporte 160 $ pour améliorer son sort en attendant de reprendre son emploi saisonnier peut actuellement garder toute cette somme, car elle correspond à 40 % de son salaire. Il améliore donc son sort avec un revenu total de 560 $. Avec le projet pilote décrit dans le budget, il verra ses prestations réduites de 50 % de son gain d’emploi, soit de 80 $. Il touchera donc 480 $ (160 $ + 400 $ – 80 $) au lieu de 560 $.
En théorie, le projet pilote vise à augmenter les incitatifs pour que les prestataires acceptent un emploi. Ce n’est pas fou. Par contre, il risque d’avoir l’effet inverse dans certains cas. Il aurait été bien mieux de jumeler le changement proposé avec les règles actuelles, soit d’appliquer la règle la plus avantageuse entre l’actuelle et celle du projet pilote.
Et alors…
Tous les changements à l’assurance-emploi ne sont pas décrits dans le plan budgétaire. Ainsi, un autre «projet pilote» qui permettait aux travailleurs d’éviter ce qu’on appelle le «trou noir», soit la période sans revenus entre la fin des prestations et le début d’une nouvelle saison d’activités, en ajoutant 5 semaines de prestations dans les régions où le travail saisonnier est important, comme dans le Bas-Saint-Laurent et la Côte Nord, n’a pas été reconduit.
Bizarre, n’est-ce pas, que le gouvernement n’ait pas publicisé cette non reconduction? La dernière fois que le gouvernement avait décidé de ne pas reconduire ces projets-pilotes, des routes avaient été bloquées…
Bref, il y a un peu de bon dans ces changements, mais le négatif est encore une fois réservé aux travailleurs les plus précaires…
Très clair. Merci pour les bons exemples. À suivre …
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Eh bien moi, j’ai scotché sur ce problème, je ne comprends pas….
« Par exemple, si quelqu’un reçoit 400 $ de prestations par semaine, il pourra conserver le premier 40 % d’un gain d’emploi, soit 160 $. Ainsi, s’il gagne un salaire de 300 $, il gardera 160 $ et sa prestation sera diminuée de la différence, soit de 140 $. Il recevra donc sa paye de 300 $ plus 160 $ de prestations pour un total de 440 $. »
Voilà mon raisonnement:
1-« il pourra conserver le premier 40 % d’un gain d’emploi, soit 160 $ »
Il garde 0.4*prestation=0.4*400$=160$. C’est ok.
2-.. » et sa prestation sera diminuée de la différence, soit de 140 $. »
Il garde Prestation-(gain-0.4*prestation)=400-140=260$
Donc selon ces deux assertions il devrait garder 260$+160$=420$
Le calcul (1+2) serait donc 1.8*prestation -Gain !?!?
3- Il recevra donc sa paye de 300 $ plus 160 $ de prestations pour un total de 440 $. »
Maintenant la formule est Gain + 0.4* prestation: =300+160=460.
Toi, tu arrives à 440!?!? La moyenne de mes deux calculs 😉
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@ Koval
«Eh bien moi, j’ai scotché sur ce problème»
Je viens de modifier ce paragraphe pour qu’il devienne compréhensible. Il n’y avait pas une, mais deux erreurs! 😳
Merci!
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Le diable est dans les détails, et les détails sont dans les Règlements. Pas dans la Loi. Or si la Loi relève du Parlement et peut donc faire l’objet de débats et de suggestions par les membres de la loyale et Royale (!) Opposition, la préparation de la réglementation, elle, relève du pouvoir exécutif et ce sot les fonctionnaires de madame la minisse Finlay qui vont dessiner toute la patente, à l’abri des débats.
Ce qui précède s’applique à tous les domaines et vaut tout autant pour les lois provinciales, d’ailleurs.
La seule restriction, c’est que le Règlement doit couvrir les seules matières que la Loi autorise de réglementer.
D’habitude, ce sont les règlements qui comportent les abus les plus flagrants; certains règlements sont parfois déclarés ultra vires (traduction: au delà des pouvoirs de réglementation, et donc illégaux), ce que l’on constate souvent en matière de réglementation municipale (c’est l’Assemblée Nationale qui définit les limites de la réglementation mais certains conseils de ville essaient de pousser plus loin).
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@ Papitibi
«Le diable est dans les détails, et les détails sont dans les Règlements.»
C’est d’ailleurs pourquoi j’ai été prudent dans l’analyse des intentions mentionnées dans le budget. Ce n’est que lorsqu’on prendra connaissance des changements réglementaires précis qu’on pourra interpréter correctement ces intentions.
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Merci pour la correction mais je pense qu’il y a encore une erreur :
Voilà tes deux exemples qui devraient illustrer une même méthode comptable :
Dans le premier cas, la prestation est réduite de la quantité suivante :
Prestation-0..4*Prestation=0.6*Prestation
Dans le deuxième cas, la prestation est réduite de :
Gain-0.4*Prestation
!!!!!!!!!!!!!!!!!!?????????????????????
Est-ce que le nouveau calcul (avec les nouvelles règles) peut se réduire à :
0.5*Gain+ Prestation?
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@ Koval
«je pense qu’il y a encore une erreur :»
En effet…, en plus le texte du premier exemple était encore erroné : J’ai écrit « il pourra conserver le premier 40 % d’un gain d’emploi» au lieu de «il pourra conserver le premier 40 % de ses prestations». Et le calcul me donne finalement 560 $.
Le deuxième exemple est bon.
L’équation est donc :
prestation = prestation – (gain – .4 prestation)
Dans le premier cas, cela fait : prestation = 400 – (300 – 160) = 400 – 140 =260 $
Gains totaux = 300 $ + 260 $ = 560 $
Dans le deuxième : prestation = 450 – (600 – 180) = 450 – 420 =30 $
Gains totaux = 600 $ + 30 $ = 630 $
J’espère que cela est maintenant correct…
Merci encore!
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J’ai écrit, dans le billet :
J’ai vu les détails dans un article aujourd’hui :
Des mois d’attente quant aux détails sur l’accessibilité à l’assurance-emploi
Manon Cornellier en parle avec beaucoup de pertinence ici:
Vive le «cheap labor»!
Je ne voyais que cette mesure pour atteindre l’objectif énoncé dans le budget. Mais, j’avais de la difficulté à croire qu’on pourrait aller jusqu’à obliger un enseignant à aller cueillr des fraises. J’avais tort, il n’y a rien à leur épreuve…
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Merci Darwin pour cette info! Je connais plusieurs personnes qui vont être inquiets quand je vais leur dire cela.
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Il reste à savoir quand ça sera en force… L’article parle de mois d’attente, mais aussi que le texte du changement est dans le projet de loi «mammouth» (http://www.ledevoir.com/politique/canada/348607/une-loi-mammouth-pour-changer-les-regles-sans-debat)! Alors, je suis un peu confus là-dessus…
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Je vais quand même leur en parler, toutefois en leur précisant que ce n’est pas encore fait.
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«en leur précisant que ce n’est pas encore fait.»
Là, ça se précise et pas dans le bon sens.
Je connaissais aussi cette autre modification, mais ne savais pas que ça réduirait l’accessibilité aux appels :
(…)
Dégueulasse!
Syndicats, NPD et Bloc dénoncent des modifications à l’assurance-emploi
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Ouai, ils n’auront plus besoin de faire venir des mexicains pour cueillir dans les champs.
Merci pour l’info Darwin.
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«Merci pour l’info Darwin.»
Je la diffuse à mesure que je prends connaissance des détails plus sordides les uns que les autres.
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Encore plus de précisions…
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Ouai, de plus en plus sordide!
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Je suis ça de près!
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Je compte sur toi! 😉
Merci Darwin!
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«La ministre des Ressources humaines a semblé vouloir calmer les craintes des chômeurs, hier, en précisant que les changements à l’assurance-emploi prévus par son gouvernement n’obligeront pas tout citoyen qui perd son emploi à en accepter un autre sans condition.»
Mais, en contredisant Flaherty, elle ne dit pas comment elle s’y prendra…
Loi budgétaire C-38 – Ottawa tente de rassurer les chômeurs
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Encore des précisions, pas très précises (…), mais cette fois sur le changement de la procédure d’appel :
http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/archives/2012/05/20120516-201025.html
«Le chef libéral intérimaire Bob Rae craint plutôt que les travailleurs seront pénalisés et qu’ils perdront certains droits « historiques », car tous ces changements se feront par réglementation et ne seront donc pas légiférés.»
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Encore des précisions…
Je ne croyais que ce tribunal ne remplacerait que les conseils arbitraux. Les conséquences risquent d’être majeures.
Par contre, ça s’obscursit du côté de l’abolition de la notion d’emploi convenable…
http://24hmontreal.canoe.ca/24hmontreal/actualites/archives/2012/05/20120517-183258.html
Aussi :
http://www.theglobeandmail.com/news/politics/ei-changes-to-target-repeat-claimants/article2436512/
On y explique que le type d’emploi qu’on pourra refuser dépendra entre autres de la fréquence des demandes à l’assurance-emploi. Par exemple, quelqu’un qui reçoit de l’assurance-emploi pour la première fois pourrait refuser un emploi qui paye moins de 90 % de son salaire précédent, mais un travailleur saisonnier (ou fréquent) devrait accepter un emploi qui paye au moins 80 % de son salaire précédent.
Il s’agit d’une rumeur, mais cela ne m’étonnerait pas qu’elle soit fondée, car elle correspond à quelque chose de «facile» à appliquer. On verra!
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Les précisions complètes sont maintenant publiques à cette adresse après le texte du communiqué. Elles sont trop complexes pour que je puisse les résumer…
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