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Renouveler le capitalisme ou le remplacer?

11 septembre 2012

Je termine (enfin?) ma série de billets sur le livre de Jim Stanford, Petit cours d’autodéfense en économie : L’abc du capitalisme. Le bulletin plus que médiocre accordé au capitalisme par Stanford dont j’ai parlé dans le billet précédent ne peut mener qu’à la suggestion de modifications profondes à notre système économique. C’est bien ce que Stanford propose dans la dernière partie de son livre.

Par où commencer?

Stanford rappelle d’entrée de jeu les principales conséquences négatives du bilan du capitalisme : «pauvreté à grande échelle, dégradation de l’environnement, sous-utilisation des talents et des énergies de milliards de personnes, utilisation abusive des ressources…». Face à tant d’éléments à corriger, on peut se demander par quel bout on doit commencer.

Malgré ce bilan et son lien avec ses fondements (investissements privés, salariat, profit), Stanford croit que le capitalisme peut être amélioré sans le rejeter totalement. Il en arrive à cette conclusion en examinant les différentes formes que prend le capitalisme actuellement, soit les types :

  • anglo-saxon, comme aux États-Unis;
  • continental, comme en France;
  • asiatique, comme au Japon;
  • nordique, comme en Suède.

Si tous ces pays sont capitalistes, certains réussissent beaucoup mieux à atténuer les effets néfastes du capitalisme. Le modèle anglo-saxon génère le PIB le plus élevé, mais cela se fait avec un temps de travail beaucoup plus élevé qu’ailleurs, plus de pauvreté, d’inégalités et de pollution, et un taux d’incarcération bien supérieur. Il faut donc tendre à s’éloigner de ce modèle et à s’approcher de celui des pays nordiques.

Réformes à accomplir

Pour atteindre cet objectif, Stanford propose une série de réformes :

  • augmentation des salaires, surtout pour les emplois les moins bien payés; le rôle des syndicats est ici primordial;
  • croissance de l’activité économique pour diminuer le chômage et la sous-utilisation de trop d’autres travailleurs et travailleuses;
  • appui aux industries de haute technologie et à forte productivité;
  • régulation nationale et internationale du secteur financier;
  • hausse des transferts sociaux pour atténuer les inégalités;
  • amélioration des services publics (dont la santé et l’éducation) et de leur accessibilité;
  • renforcement de la réglementation environnementale;
  • réforme de la gouvernance mondiale pour harmoniser les réglementations financières environnementales et autres, et pour favoriser le développement des pays pauvres.

Ces réformes ne peuvent être adoptée uniquement par l’élection de partis sociaux-démocrates, mais doivent être appuyées par la pression des mouvements sociaux et des syndicats. On doit bien sûr s’attendre à une résistance féroce des mieux nantis et des entreprises, car ils seraient les premiers à payer la note. Mais, avec des profits et des revenus plus élevés que jamais auparavant, ils ont les moyens, tant d’augmenter les salaires que d’investir dans la protection de l’environnement, ce qui, au bout du compte, améliorerait à la fois la croissance et la productivité. Stanford ajoute que les États sont en bonne santé financière (il a écrit ce livre avant la crise actuelle). Il ajoute que ceux qui en ont une moins bonne, comme les États-Unis, subissent les effets des nombreuses baisse d’impôts accordées aux entreprises et aux plus riches, baisses qui devraient bien sûr être annulées.

Stanford explique ensuite que ces réformes auraient plus de chance de voir le jour si on encourageait davantage les investissements privés, publics et même sans but lucratif. Ces derniers canaux d’investissement permettraient non seulement de développer une économie moins polluante, mais compenseraient la baisse des investissements privés dus à la mise en œuvre des réformes proposées (comme l’augmentation des salaires), investissements qui stagnent de toute façon depuis quelques années malgré les baisses d’impôt importantes qui ont été octroyées aux entreprises. Cela dit, il faudrait aussi, selon lui, soutenir l’investissement privé en mettant l’accent sur les innovations, les nouvelles technologies (surtout éconergétiques) et la recherche.

Ce programme s’inspirant d’expériences existantes, notamment dans les modèles nordiques et asiatiques, il n’a rien d’utopique. Il constitue «une solution de rechange globale et cohérente à la variante extrémiste et inégalitaire du capitalisme qui a cours aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Australie.»

Remplacer le capitalisme?

Même s’il peut produire des résultats intéressants, il demeure que le système capitaliste repose sur la recherche de profit et non sur «le désir d’amélioration de la condition humaine». La dégradation constante de l’environnement et le niveau effarent d’inégalité et de pauvreté pourraient pourtant être solutionnés si on leur consacrait les ressources nécessaires.

«Imaginons par exemple qu’on affecte technologie, biens d’équipement, compétences et éthique du travail à l’élimination de la pauvreté, à l’expansion des services publics (comme la santé et l’éducation) et à la protection de l’environnement plutôt qu’aux jeux vidéo, aux annonces publicitaires et aux bombes à guidage laser…»

Sans retomber dans les affres des expériences du socialisme du XXème siècle, il serait tout à fait possible de réorienter l’économie en fonction du bien commun. Pour ce, il faudrait appliquer deux grands principes :

  • La prépondérance des sociétés d’État et des entreprises sans but lucratif (y compris les coopératives). Plutôt que de viser la maximisation des profits, ces entreprises visent plutôt la maximisation du bien-être collectif. Notons que l’encouragement à un tel virage fait partie du programme de QS.
  • Accorder une place importante à la planification économique. Comme j’en ai déjà parlé dans un précédent billet, la planification étatiste a mauvaise presse, rappelant les fameux plans quinquennaux soviétiques complètement décrochés de la réalité. Pourtant, tout le monde planifie, même (surtout?) les entreprises privées, notamment pour décider d’investir ou non, et où investir. Pour l’État, planifier, c’est orienter l’économie vers des objectifs macroéconomiques (croissance, diminution du chômage, secteurs à favoriser, etc.).

La façon d’appliquer ces deux principes peut se faire d’une multitude de façons. Par exemple, on peut favoriser les sociétés d’État et des entreprises sans but lucratif que dans des secteurs précis et laisser des pans complets de l’économie à de petites et moyennes entreprises, souvent familiales. La planification peut très bien se faire uniquement sur de grands objectifs en assurant la décentralisation d’une grande partie de ces décisions et de la mise en œuvre de ce qui a été décidé. On peut aussi laisser le mécanisme de marché continuer à jouer son rôle dans les secteurs où il le fait bien (quitte à l’encadrer davantage).

Le champ des possibles

Après avoir analysé les différentes formes d’expériences de socialisme, de la réelle sociale-démocratie au communisme, en citant également les expériences actuelles du Vénézuela et de la Bolivie, Stanford termine ce chapitre en ouvrant les portes.

Si les socialistes d’aujourd’hui connaissent bien les lacunes du capitalisme, ils ont rarement de solution complète à proposer pour le remplacer. Stanford croit que la forme de cette solution de remplacement viendra de l’action de citoyens cherchant à résoudre des problèmes concrets délaissés par le capitalisme.

«Tant qu’il y aura pauvreté et exploitation, les luttes sociales pour la justice sociale se poursuivront.»

Qu’on veuille des réformes ponctuelles sur des problèmes précis ou des changements majeurs qui permettraient de se débarrasser du capitalisme, la recette demeure la même : «il faut prendre la parole et lutter pour un monde meilleur.». Toutes les politiques visant à améliorer le capitalisme doivent être appuyées : redistribution des richesses, amélioration des services sociaux, protection de l’environnement, aide aux pays du Sud, etc.

«Tout en luttant pour ces réformes, rien n’empêche cependant de chercher à dépasser les limites du capitalisme en élaborant de nouvelles formes d’entités à but non lucratif, d’entrepreneuriat social ou de responsabilité économique. Bref, le champ des possibles doit rester ouvert.»

Et alors…

J’ai bien aimé cette dernière partie du livre de Stanford. Elle sait à la fois encourager chaque petite amélioration au sort de la population tout en n’écartant pas le rejet plus substantiel du capitalisme. Les solutions dépendent de la population et seules sa mobilisation et sa volonté sauront apporter des changements, changements dont le type dépend de ce que les gens veulent et de ce qu’ils sont prêts à faire pour les obtenir.

Cela diffère grandement des révolutions menées par petits groupes et imposées au reste de la population que nous avons connus au XXème siècle. Stanford préfère de loin que les propositions et solutions viennent du peuple. Nos expériences récentes de démocratie directe (mouvement étudiant, Occupons, assemblées populaires, etc.) vont dans ce sens. Il faut continuer…

17 commentaires leave one →
  1. The Ubbergeek permalink
    11 septembre 2012 14 h 05 min

    Je suis déçu sur un petit point – encore une fois, un type qui moque les passes-temps et jeux, comme les jeux vidéos. :/ Ca parait bizarre à dire, mais je crois que cette habitude du ‘serious business’, que les gens devraient travailler et pas ‘gaspiller du temps’ à s’amuser-loisirs, etc… Ca nuit à l’homme.

    L’humain est un Homo Ludis. Le jeu (au sens large) est important même à l’adulte et au vieux. Avec modération, c’est bénéfique… Pas du temps gaspillé, ou un ‘opium du prolétarien pour oublier’.

    Je trouve un peu triste que la gauche et la droite se rejoignent sur un tel sujet. Encore peut-être un ‘préjudice assimilé’, que le travail est plus important que tout…

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  2. 11 septembre 2012 15 h 35 min

    «Je suis déçu sur un petit point»

    Moi aussi. Je trouvais plate que l’auteur mette sur le même pied d’inutilité, voire de nuisance, les jeux vidéos, la pub et les dépenses militaires. Il aurait pourtant pu trouver bien d’autres exemples…

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  3. Robert Lachance permalink
    14 septembre 2012 13 h 07 min

    Par exemple Darwin?

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  4. 14 septembre 2012 13 h 34 min

    Le Iphone5!

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  5. Robert Lachance permalink
    14 septembre 2012 13 h 37 min

    Je n’en ai pas. Vous en avez un ?

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  6. 14 septembre 2012 13 h 51 min

    Non!

    Il y a de nombreux articles sur le fait que les améliorations ne justifiaient pas de nouveau lancement. On avait dit la même chose pour le Iphone4s. En fait bien des sociétés comme Apple sortent des produits pour rendre leur précédent produit désuet. C’est une forme d’obsolescence planifiée. Et ça, c’est du vrai gaspillage de ressources!

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  7. Robert Lachance permalink
    14 septembre 2012 14 h 51 min

    Je vous reçois 5 sur 5.

    Vous m’inspirez le sujet d’un DQSyst.

    http://membre.oricom.ca/robertlachance/cepdarwin6.html

    J’envisage le mettre à niveau en incorporant le iphone5 et simplifiant la question.

    Vous avez une couleur préférée après l’orange ?

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  8. 14 septembre 2012 16 h 09 min

    «Vous avez une couleur préférée après l’orange ?»

    Je ne sais pas… J’aime l’orange sur les liens, mais pas partout!

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  9. youlle permalink
    15 septembre 2012 11 h 03 min

    @ Darwin

    « Il y a de nombreux articles sur le fait que les améliorations ne justifiaient pas de nouveau lancement. On avait dit la même chose pour le Iphone4s. En fait bien des sociétés comme Apple sortent des produits pour rendre leur précédent produit désuet. C’est une forme d’obsolescence planifiée. Et ça, c’est du vrai gaspillage de ressources! »

    Je me souviens d’avoir discuté avec vous d’obsolescence. Ce jour-là je découvrais qu’on la planifiait et même dans certains cas qu’on la programmait. Ayant une formation de mécanicien, je me disais « faut-il être imbécile pour faire une affaire semblable ». Mais non ils n’étaient pas imbéciles, ils étaient même brillants.

    Voici un document français très intéressant sur le sujet, CASH investigation de France télévisions. J’ai eu certaines expériences qu’ils y décrivent. Apple y est un des sujets et même la santé. C’est long mais très intéressant et choquant.

    La mort programmée de nos appareils

    Si le capitalisme est ce que c’est aujourd’hui, il faut le bannir et pousser l’entreprenariat. Les entreprises géantes de ce monde, qui gèrent ce dernier n’entreprennent pas, ce sont des vampires, des voleurs légaux qui se foutent complètement de la vie des gens, mais qui aiment bien voir le contenu du portefeuille de ces derniers. Des pickpockets comme ceux de la rue, mais légaux à force de lobby.

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  10. 15 septembre 2012 12 h 23 min

    @ Youlle

    «C’est long mais très intéressant et choquant.»

    Ça adonne bien, je l’ai vu à la télé il y a quelques jours (deux semaines, je crois)! Vrai que ce documentaire est éloquent. On voit que l’obsolescence est parfois un résultat de la recherche du coût le plus bas possible et parfois carrément volontaire. J’étais personnellement sceptique sur ce deuxième type d’actions, mais l’abondance de faits m’a convaincu de changer ma perception.

    La tactique d’Apple, sans renoncer à ces deux types d’obsolescence planifiée, ajoute celle de la sortie fréquente de produits à peine différents du précédent. Je n’ai jamais par contre nié l’existence de cette stratégie!

    «Si le capitalisme est ce que c’est aujourd’hui, il faut le bannir et pousser l’entreprenariat.»

    Le problème n’est pas le constat, mais la solution. Au moins, Stanford en propose quelques-unes…

    Pour revenir au Iphone5, j’ai vu une vidéo ce matin de personnes qui l’essayaient : ils le trouvaient tous meilleur que le Iphone4S : plus clair, plus rapide, plus léger, etc. Problème : on leur avait donné un Iphone4S… Ce type d’achat est l’exemple parfait de la consommation ostentatoire, faite uniquement pour montrer qu’on est à la page…

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Consommation_ostentatoire

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  11. Robert Lachance permalink
    15 septembre 2012 20 h 44 min

    J’ai ajouté le Iphone5 aux trois éléments inutilités, voire nuisances Les jeux vidéos, La pub et Les dépenses militaires de mon précédent DQSyst Darwin6. BGCOLOR= »#FF3399″ sur blanc. Ça donne Darwin7, sans vouloir rendre Darwin6 obsolète.

    La question est : Réserves envers des inutilités, voire nuisances ? J’ai opté pour réserves plutôt qu’appréhensions ou aversions.

    Ma répartition de 100 points de réserves entre les 4 éléments va comme suit : le Iphone5, 7 points; les jeux vidéos, 10; la pub, 24; les dépenses militaires 59.

    http://membre.oricom.ca/robertlachance/cepdarwin7.html

    La radio et la télévision doivent beaucoup aux dépenses militaires allouées à la recherche lors des deux guerres mondiales. Que serait la radio et la télé sans la pub ? Que serait l’ordinateur sans les jeux vidéos ? Que serait l’homme sans le singe ?

    « Le problème n’est pas le constat, mais la solution. Au moins, Stanford en propose quelques-unes… » Darwin

    D’accord, je vais voir ce que je peux faire comme dispositif de questionnement systématique pour peser sur 100 points les solutions de Stanford.

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  12. The Ubbergeek permalink
    16 septembre 2012 3 h 00 min

    @Robert

    Oui, le jeu vidéo a poussé aussi la recherche sur certains aspect de l’informatique, you bet.

    Et les trucs comme sattelites militaires ont donnés la télé sattellite, le GPS, par example, la téléphonie partout…

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  13. Robert Lachance permalink
    17 septembre 2012 5 h 37 min

     » … on peut se demander par quel bout on doit commencer. »

    Ce serait exagéré d’écrire qu’il y a 7 milliards de réponses à cette question, autant qu’il y a d’humains dans ce monde, réduit à l’existence et l’empreinte de ceux-ci sur celui-ci.

    Fort bien de se le demander, mais c’est en cours. Serait-ce exagéré de dire depuis Adam et Ève ?

    En tout cas, mettons Jésus, Karl Marx, le curé Labelle, B.F. Skinner, Jim Stanford, vous après lui et moi maintenant.

    Je me répond qu’on doit commencer par soi et c’est parti.

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  14. Robert Lachance permalink
    17 septembre 2012 6 h 25 min

    Votre bout c’est l’économie et sa vulgarisation au sens enseignement, le mien c’est la démographie et sa mise en conscience.

    http://bit.ly/Ue3Lir

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  15. The Ubbergeek permalink
    17 septembre 2012 14 h 58 min

    http://www.iris-recherche.qc.ca/blogue/les-riches-sont-ils-en-danger/

    À voir aussi leur dernier truc, part 1 d’un truc sur les ‘eurobounds’

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  16. 17 septembre 2012 15 h 49 min

    Merci pour les lecteurs de ce blogue, car moi, je les ai déjà vus…

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