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Exode, vous dites?

17 novembre 2012

Il y a plus de deux ans, j’ai publié un billet sur ce que d’aucuns appellent l’exode des cerveaux au Québec dû, supposément, au fait que les impôts sont plus élevés au Québec. Pour étudier cette question, j’avais pris pour exemple les médecins, d’une part parce qu’ils ont des revenus élevés, qu’ils peuvent exercer leurs professions dans les autres provinces du Canada et aux États-Unis, et qu’ils sont parmi les travailleurs les plus mobiles, et, d’autre part, parce que l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) publie des données détaillées sur leurs migrations interprovinciales et, dans une moindre mesure, internationales.

J’y montrais, à partir des données de l’ICIS et d’études de Statistique Canada et d’autres sources, que, non seulement on ne peut pas parler d’exode, mais que le Québec a finalement bénéficié d’un solde migratoire total positif entre 2000 et 2008, et que les départs des médecins étaient concentrés chez les anglophones.

L’ICIS a publié la semaine dernière et au cours de la dernière année des données plus récentes et plus complètes sur la question. Ce sujet étant toujours d’actualité, je me suis dit que ce serait bon de regarder ces données, d’autant plus que le mythe de l’exode des cerveaux est toujours bien vivant. Par exemple, dans l’article de La Presse portant sur les données récentes de l’ICIS, la journaliste, Daphné Cameron, n’a pas pu s’empêcher de colporter le mythe de l’exode des cerveaux :

«L’exode des cerveaux semble être chose du passé puisque seulement 16 médecins ont quitté le Québec l’an dernier alors que 43 sont rentrés au bercail.»

Comment quelque chose qui n’a jamais existé, comme nous allons le voir, peut-il bien être «chose du passé»?

Migration des médecins

Le tableau qui suit, construit à partir du document Nombre, répartition et migration des médecins canadiens 2010, plus précisément des données présentées aux pages 43 à 48, montre les moyennes de migrations interprovinciales et internationales au cours des trois dernières décennies.

  • Les départs montrent la moyenne de médecins qui ont quitté le Québec pour un autre pays (migrations internationales) ou une autre province canadienne (migrations interprovinciales);
  • les retours comptabilisent le nombre moyen de médecins qui sont revenus au Québec après l’avoir quitté pour un autre pays;
  • les «nouveaux» indiquent le nombre moyen de «diplômés internationaux en médecine» (DIM) qui sont arrivés au Québec et y ont obtenus le droit d’exercer;
  • les arrivées des autres provinces montrent la moyenne de médecins qui ont déménagé d’une autre province pour exercer au Québec.

La dernière colonne représente le solde de tous ces mouvements. On peut constater que le seul solde négatif est survenu dans les années 1990. Mais, avec un solde négatif moyen de moins de 35 médecins par année, ce qui ne représente que 0,2 % des médecins, peut-on vraiment parler d’exode? De toutes façons, on peut voir que le solde pour les trois dernières décennies est positif!

Et pour 2011? Les données ne sont pas complètes, mais la version préliminaire de 2011 du document Nombre, répartition et migration des médecins canadiens 2011, accessible à partir de cette page, montre à la page 31 que le solde interprovincial fut positif de 30 médecins et que le solde international, sans même comptabiliser les DIM, indique un solde positif de 28, résultat du départ de 16 médecins et du retour de 44 autres. Ainsi, ce solde a atteint 58, et, en ajoutant la moyenne du nombre de DIM des 10 années précédentes, il pourrait bien en fait s’être élevé à 135!

Par ailleurs, le document de 2010 fournit aussi à la page 48 des données sur le «Pourcentage de nouveaux médecins (de 1996 à 2000) qui, 5 et 10 ans plus tard, demeurent actifs dans la province ou le territoire où ils s’étaient inscrits pour la première fois, selon la province ou le territoire, Canada», dont on peut voir le graphique ci-près.

Le Québec est la province où ce pourcentage fut le plus élevé, que ce soit après 5 ans (76,8 % par rapport à 63,5 % pour l’ensemble du Canada) ou après 10 ans (72,5 % par rapport à 57.5 %). Ces données viennent appuyer ce que j’avance depuis des années, soit que les Québécois sont moins mobiles que les autres Canadiens. Je rappelle en plus que les données de Statistique Canada montrent que cette mobilité est beaucoup plus grande chez les anglophones et chez les immigrants que chez les natifs du Québec francophones.

Et alors…

Je déplorais dans un billet récent sur l’analphabétisme fonctionnel que trop de personnes, dont des journalistes, ce qui est pire, véhiculent involontairement de fausses informations sans chercher à vérifier si des données les appuient. C’est encore le cas ici. On continue à prétendre que le Québec est ou a été victime d’un exode des cerveaux alors qu’aucune donnée n’appuie ce verdict. Bien au contraire, le Québec est bien plus un pilleur de cerveaux qu’une victime d’un quelconque exode du genre. Mais ça, c’est une autre question…

22 commentaires leave one →
  1. 17 novembre 2012 14 h 18 min

    Pourquoi les néo-libéralismes et une certaines droite reviennent-t-ils toujours avec cette légende urbaine d’exode des cerveaux ?

    Ma théorie est que si cela va si mal que ça, ils devraient être les premiers a s’exiler!
    Mais comme ils ne sont pas des plus brillants, la peur qu’ils ne manque à personne ici l’emporte sur tout leurs autres peurs!!!

    Donc ils préfère entretenir des peurs….

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  2. 17 novembre 2012 17 h 46 min

    «ils devraient être les premiers a s’exiler!»

    J’en ai connu qui ont dit qu’ils le ferait, mais ils sont encore ici…

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  3. Yves permalink
    17 novembre 2012 18 h 56 min

    Ce qui me chagrine dans tout cela c’est que ceux qui véhiculent de telles faussetés ne soient pas les premiers à partir.

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  4. 17 novembre 2012 19 h 27 min

    Ce qui me chagrine davantage, c’est qu’ils ne réalisent pas qu’ils nient les faits par aveuglement idéologique.

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  5. Yves permalink
    17 novembre 2012 20 h 57 min

    Je ne suis pas certain qu’ils ne réalisent pas. Je crois qu’il peut y avoir beaucoup de mauvaise foi de leur part.

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  6. 17 novembre 2012 23 h 19 min

    Les médecins qui ont quitté vers les USA – où leurs revenus sont plus élevés – reviennent souvent au Québec, après avoir fait le douloureux constat des poursuites en responsabilité professionnelle et des primes d’assurances que ces poursuites engendrent.

    L’auteur des premières greffes de Coeur au Canada et au Qc, le Dr Grondin, s’était exilé à Miami; il est discrètement revenu au Québec, quelques années plus tard.

    Aux USA, un médecin fait l’objet de poursuites une fois par année, en moyenne. Les cardiologues et obstétriciens font augmenter la moyenne…

    Au Qc, les parents d’un bébé mal accouché (séquelles neurologiques) obtiennent 2-3M. Aux USA, avec le concept des dommages punitifs et exemplaires, il faut multiplier par 10, quand ce n’est pas par 30. L’assureur couvre, mais il y a une franchise ( « déductible »), et financièrement, c’est lourd. Tout comme, d’ailleurs, le montant de la prime d’assurance-responsabilité, qui est souvent supérieur aux USA à ce que le même MD pourrait gagner au Qc.

    Mettons que ça freine l’exode…

    Quant aux médecins forms au Qc qui quittent une fois leurs etudes terminées, je me risqué à affirmer qu’ils étaient étrangers, qu’ils sont venus étudier ici (McGill en attire beaucoup) et qu’ils retournent chez eux une fois diplomés. Est-ce que les stats reflètent cette situation?

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  7. 17 novembre 2012 23 h 50 min

    «Mettons que ça freine l’exode…»

    Mais, est-ce différent pour les médecins des autres provinces canadiennes? Si non, pourquoi les médecins québécois quittent moins que ceux des autres provinces, comme le montre le dernier graphique du billet? Serait-ce possible que mon explication soit la bonne?

    «Quant aux médecins forms au Qc qui quittent une fois leurs etudes terminées,»

    Ce billet n’aborde pas cette question, car les données de l’ICIS ne touchent que les médecins qui ont commencé à exercer dans une province. Mais, j’en avais parlé dans le billet précédent à partir d’autres sources (https://jeanneemard.wordpress.com/2010/08/07/limpot-et-l%C2%ABexode%C2%BB-des-cerveaux/).

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  8. 18 novembre 2012 8 h 50 min

    @Darwin
    « Si non, pourquoi les médecins québécois quittent moins que ceux des autres provinces? »

    L’aspect culturel y est sans doute pour quelque chose; je pense qu’on s’attache davantage au Québec (ou à l’île du Prince-Eddy) qu’on s’attache au Manitoba ou à la Saskatchewan – je parle ici de « bouillon culturel ». Un médecin de Calgary pourrait se croire à Houston si ce n’était des montagnes et de la météo. Le « choc culturel » est pas mal plus prononcé entre Québec et Atlanta qu’il ne l’est entre Toronto et Chicago ou New-York.

    Et puis, les références culturelles d’un médecin de Trois-Rivières ne sont pas celles d’un médecin du Minnesota… ou de Brockville, Ontario. À Brockville ou a Minneapolis, ils écoutent la même musique, regardent les mêmes talk-shows et parlent la même langue.

    J’ai un fils qui a vécu des années aux USA, avec sa femme et les enfants qu’ils ont eus là bas. Conditions de travail? Outstanding! Mais ils ont bien vu que les enfants parlaient mieux Anglais que français. « Quel age as-tu? Je suis cinq! ». Il y avait des irritants culturels, comme l fait de ne pas pouvoir bouquiner en français ni voir le dernier film de Bernard Émond, par exemple. Pour les médecins en couple avec un non-médecin, il y aussi la dictature de la green card; ma bru détenait un Master mais n’avait pas le droit de s’en server pour gagner sa vie. Alors que toutes les portes s’ouvraient devant mon fils en raison de son champ de competences… et de la carte verte que son employeur a pu facilement lui faire obtenir.

    Quand les enfants ont eu l’âge d’aller à l’école, bin… le couple a quitté montagnes, plages, amis, maison, conditions de travail avantageuses et whatever, pour revenir au Qc et y éduquer leurs enfants. Lesquels, aujourd’hui, ont presque tout oublié de leur vie là-bas, incluant la langue qu’ils y parlaient avec les amis et à la garderie.

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  9. 18 novembre 2012 9 h 00 min

    Suite au questionnement de Darwin sur l’exode des MD’s plus grand depuis les autres provinces… Le facteur « assurance-responsabilité professionnelle » et « dommages exemplaires » au cas de condemnation n’est pas uniforme à travers le Canada. Au Qc, des reclamations de 100M à la suite d’une cicatrice chirurgicale, ça n’existe pas. Tout simplement parce qu’ici, la Loi ne reconnaît pas la notion de « dommages exemplaires » – sinon dans un cadre três restreint (protection du consommateur, par exemple).

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  10. 18 novembre 2012 9 h 18 min

    «L’aspect culturel y est sans doute pour quelque chose;»

    Oui, c’est justement ce que je dis dans je ne sais plus combien de billets.

    «je pense qu’on s’attache davantage au Québec (ou à l’île du Prince-Eddy) qu’on s’attache au Manitoba ou à la Saskatchewan »

    Le deuxième graphique de mon billet montre un taux de rétention plus faible à l’IPÉ qu’au Manitoba et qu’en Saskatchewan. Je dois avouer que les taux de rétention faibles dans les provinces de l’Atlantique m’ont étonné.

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  11. youlle permalink
    19 novembre 2012 9 h 00 min

    Pendant les élections aux EU en 2008 j’ai appris que le coût des assurances pour un Médecin en Floride était de 285 000$. Sa vous gruge le salaire en partant. En 2009 je me suis informé à un agent d’assurances pour savoir quel était ce coût au Québec. Il m’a répondu environ 3 800$-4 000$.

    J’ai appris aussi que les médecins se tiennent dans les endroits ou états où il y a de l’argent. Aux endroits où les revenus ne sont pas élevés, comme dans le centre il peut y avoir jusqu’à 0 médecins par habitants.

    Une femme médecin de New York disait que sa paraissait bien plus beau que la réalité la médecine aux USA et souhaitait bonne chance aux arrivants sachant que plusieurs seraient déçus.

    C’est comme partir une entreprise. Il faut savoir choisir le lieu et la clientèle et sont fric.

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  12. 19 novembre 2012 9 h 36 min

    @ youlle

    «Une femme médecin de New York disait que ça paraissait bien plus beau que la réalité la médecine aux USA »

    C’est certain que ce facteur joue un rôle important. Cela dit, cette situation existe depuis longtemps et n’explique pas comment il se fait qu’une journaliste puisse encore parler de l’exode des cerveaux des médecins comme une chose du passé, alors que ce passé n’a jamais existé.

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  13. 20 novembre 2012 17 h 24 min

    «Nous le savions, depuis 2005, la rémunération globale des 18 500 médecins est passée de 3 à 5 milliards. De ce fait, elle accapare maintenant 8,2 % de l’ensemble des dépenses de programme du gouvernement, toutes missions confondues, et le rythme d’augmentation qui frôle 9 % par année ne semble pas près de ralentir.»
    (Le Devoir, 6 nov. 2012, A8, Jean-Robert Sansfaçon, « Santé. La poudre aux yeux »).

    Peut-être qu’un autre facteur expliquant le bon taux de rétention des médecins au Québec est le fait qu’en se basant sur l’évolution récente de leurs rémunérations, ils peuvent espérer obtenir ici, avant longtemps, les niveaux de rémunérations obtenus par les médecins des autres provinces canadiennes et des autres États américains?…

    Peut-être ne faudrait-il pas prendre les médecins en exemple pour évaluer les effets des taux d’impôts sur les niveaux d’exodes (s’il y a lieu) des cerveaux?…

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  14. 20 novembre 2012 17 h 57 min

    Cela peut avoir joué un rôle en 2011, mais pas avant, la plus grosse hausse des salaires, et pour les spécialistes essentiellement, a été décidée en 2011.

    «ils peuvent espérer obtenir ici, avant longtemps, les niveaux de rémunérations obtenus par les médecins des autres provinces canadiennes et des autres États américains?…»

    Ils en sont encore assez loin.

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  15. 7 décembre 2012 21 h 57 min

    « Le Québec est la province où ce pourcentage fut le plus élevé »

    J’aimerais bien avoir la possibilité de faire apparaître ce graphique n’importe quand et n’importe où. Encore aujourd’hui j’ai pu entendre des gens se plaindre de « l’exode des médecins »…

    C’est sûrement, comme disait l’autre, tellement « logique » que ça ne peut être faux même si les faits disent le contraire!

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  16. 8 décembre 2012 7 h 11 min

    «C’est sûrement, comme disait l’autre, tellement « logique » que ça ne peut être faux même si les faits disent le contraire!»

    En fait, ce n’est logique que si on accepte sans réféchir les prémisses de leur idéologie.

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  17. Yves permalink
    8 décembre 2012 17 h 21 min

    😆 Ben ça c’est une réponse logique!

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