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La course au luxe – critique

18 décembre 2012

gagnantCe billet est le dernier de ma série consacrée au livre de Robert H. Frank, La course au luxe. L’économie de la cupidité et la psychologie du bonheur. Après avoir traité les trois sujets qui ont le plus attiré mon attention dans ce livre (L’économie des gagnants, Le bien-être subjectif et L’irrationalité de nos choix de consommation), il est maintenant temps d’évaluer ce livre comme tel.

Ce livre est probablement le plus cité sur la question de la consommation ostentatoire. C’est d’ailleurs ce qui m’a incité à le lire. Il pourrait sembler étrange de dire, après avoir consacré trois billets à ce livre, qu’il ne vaut pas vraiment la peine d’être lu, mais je suis tenté de le faire!

Des oscillations déstabilisantes…

Même si j’ai apprécié certaines parties de ce livre (voir les trois précédents billets de cette série), d’autres m’ont déplu, pour ne pas dire exaspéré. Il y vante par exemple les intérêts composés, ignorant, semble-t-il, les conséquences de la financiarisation de l’économie (dont j’ai parlé entres autres dans un billet sur les régimes de retraite), associe directement la croissance au bien-être (même s’il mentionne les faiblesses du PIB), encourage les investissements sans réserves et nie le pouvoir de la publicité, affirmant qu’elle ne peut pas influencer beaucoup notre consommation parce que nous savons bien qu’elle exagère (!) et la vantant même comme source d’information (!!). Il ne remet même pas clairement en question le modèle économique des États-Unis et son impact sur la consommation ostentatoire.

Bref, son alignement politique m’a confondu à de nombreuses reprises, oscillant de mesures de droite à des considérations progressistes selon les sujets.

Taxe à la consommation progressive

Même si ces oscillations sont déstabilisantes, elles ne sont pas ce qui m’a irrité le plus. En fait, ce qui m’a le plus agacé est le fait qu’il consacre la deuxième moitié du livre à un seul objectif, soit de faire la promotion d’une taxe à la consommation progressive. Le taux de la taxe qu’il propose part à 0 %, monte à 20 % avec une consommation disons de 40 000 $ par an et augmente sans cesse jusqu’à 70 % pour la consommation qui excède 500 000 $. Il prétend que ce système n’a pas de défaut. Il ne semble pas réaliser que, si on a un gros achat une année, comme l’achat d’une maison, la taxe risque d’être plus élevée que le revenu! Je suis bien d’accord pour prendre des mesures qui découragent l’achat de maisons trop luxueuses, les montres à 50 000 $ et les barbecues à 5 000 $ (tous des exemples de consommation ostentatoire qu’il donne) mais pas pour pénaliser durement tout achat de maison. Il pourrait en être de même pour tout achat important. En plus, malgré les nombreuses pages qu’il consacre à cette taxe, il n’explique pas clairement son fonctionnement. Ce genre de taxe n’étant en force nulle part, il est pour le moins hasardeux d’en prévoir les effets précis.

Il dit viser avec cette taxe deux objectifs : diminuer la consommation ostentatoire (cette taxe aurait sûrement cet effet, quoiqu’elle ne ferait pas diminuer que ce type de consommation) et augmenter l’épargne qui ne serait pas taxée pour augmenter le niveau d’investissement et ainsi la croissance future par une hausse de productivité.

Sa vision de l’économie me paraît incohérente. Il est progressiste sur certains points (pour l’assurance-maladie publique et pour plus de dépenses dans l’éducation), mais s’imagine, comme chez les droitistes de l’économie de l’offre, que l’épargne se transforme automatiquement en investissements. Or, la situation actuelle nous montre que lorsque la demande stagne, les entreprises n’investissent pas (même le ministre Flaherty le reconnaît), préférant spéculer sur les marchés financiers! Si sa taxe progressive visait à diminuer la croissance, son système serait plus cohérent, mais ce n’est pas le cas. Il estime qu’en augmentant la productivité, nous pourrions travailler moins longtemps et mieux profiter de la vie, compte tenu que sa taxe inciterait à diminuer la consommation, mais que la hausse de productivité consécutive à la hausse des investissements permettrait une bonne croissance.

Et alors…

Malgré tout, je ne regrette pas d’avoir lu ce livre, les éléments positifs de ce livre, notamment l’analyse des comportements humains qui mènent à la consommation ostentatoire et à l’irrationalité des choix de consommation, ne s’effaçant pas en raison de ce que j’ai perçu comme des incohérences et méritant tout à fait le temps que j’y ai consacré.

C’est seulement que, avoir su, je n’aurais pas lu la deuxième moitié du livre!

5 commentaires leave one →
  1. 18 décembre 2012 12 h 48 min

    @Darwin

    « « Nous avons besoin d’investissements solides de la part du secteur privé – dans l’achat d’équipements pour améliorer la productivité, dans l’embauche de travailleurs, entre autres – pour s’assurer que notre économie continue de croître et de créer des emplois et pour soutenir la reprise au Canada », a affirmé hier le ministre Flaherty. »

    Pas sûr qu’il fasse le lien entre la demande et l’investissement. En tout cas, voilà un bel exemple de pensée magique, « baissons leurs impôts et elles vont investir assurément… ». Flaherty ne souhaite même pas prévoir de plan B au cas où cela ne fonctionnerait pas. Aveuglement idéologique, entêtement ou simplement ignorant?

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  2. Luc Laroche permalink
    18 décembre 2012 13 h 11 min

    Merci de ses éclairements sur un ouvrage qu’une majorité de nous n aurions pas le temps de lire. Le fait que vous dites que la deuxième moitié du livre n est pas d ‘intérêt, est d’intérêt pour nous. La financiarisation de l’ économie, des ressources naturelles, de l’agriculture, de la nourriture et des biens de consommation est déjà implantée pour rester….nonobstant les efforts pour mettre en place des taxes sur les transactions financières interbancaires. Darwin….comme votre nom l indique…l’évolution de l espèce…implique placer cette espèce au pied du mur…au fond du baril…c est notre destination

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  3. 18 décembre 2012 15 h 22 min

    L’équation est simple:
    Meilleure répartition (équité) de la richesse = plus de demandes.
    Plus de demandes = Plus d’investissements.

    Évidemment, lorsqu’un puissant groupe tire la couverte d’un seul côté, il y a dé-balancement et l’équation ne tient plus. Pour que la pilule passe, (qui a la forme d’un gros suppositoire) on dit alors que le libre marché va ré-équilibrer les choses!!!

    La concentration de la richesse, ce n’est pas ce qui fait tourner l’économie.

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  4. 18 décembre 2012 16 h 20 min

    @ pseudovirtuose

    «Pas sûr qu’il fasse le lien entre la demande et l’investissement.»

    Moi non plus. Ma phrase pouvait effectivement porter à interprétation. Je voulais simplement dire que Flaherty reconnaît que les entreprises n’ont pas augmenté leurs investissements (malgré les baisses d’impôts à répétition qu’il leur a accordées), pas qu’il reconnaît que c’est en raison de la stagnation de la demande. Il demeure sans aucun doute un admirateur de l’économie de l’offre.

    «Aveuglement idéologique, entêtement ou simplement ignorant?»

    Les trois? 😉

    @ Luc Laroche

    «Merci de ses éclairements sur un ouvrage qu’une majorité de nous n aurions pas le temps de lire.»

    Ce n’est en général pas une question de temps, mais d’intérêt!

    https://jeanneemard.wordpress.com/2010/07/21/jai-pas-le-temps/

    «nonobstant les efforts pour mettre en place des taxes sur les transactions financières interbancaires.»

    Je ne crois pas que cela changera quoi que ce soit. On parle d’une taxe de quelques milliards sur des échanges qui se calculent en trillions… Le taux estd e 0,1 % sur les produits dérivés, si je ne m’abuse.

    «c est notre destinationx

    On peut tout de même tenter de prolonger le trajet pour s’y rendre! 😉

    @ benton65

    «L’équation est simplex

    Je partage en gros ce verdict!

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