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Les banques criminelles

10 janvier 2013

banques_loisPatrick Lagacé a publié lundi dernier une chronique fort appréciée sur l’impunité des banquiers, Les bandits. Il y raconte que la banque HSBC «a accepté de payer 1,9 milliard de dollars aux autorités américaines » après avoir reconnu avoir aidé des narcotraficants à blanchir 881 millions $. Cet article de décembre dernier parle plutôt de transferts de 7 milliards $ et du fait qu’une autre banque, la Standard Chartered, a aussi accepté de verser 340 millions$ pour le même genre de crime. Cet autre article de juillet 2012 précise que «Des transactions pour plus de 19 milliards de dollars auraient ainsi transité par sa filiale américaine et été soutirées au contrôle et à la supervision des organismes réglementaires.» et que «28 000 transactions susceptibles de constituer une violation des lois américaines». On ne parle donc pas de quelques étourderies…

Lagacé s’indigne avec raison qu’aucun responsable de cette banque n’ait reçu d’accusation criminelle et, qu’en conséquence, personne n’ira en prison. J’appuie son constat sans hésitation. Mais il ne va pas assez loin!

Il cite fort pertinemment le livre de Joseph Stiglitz, The price of inegality, où l’auteur explique en détail les manœuvres des banques pour maximiser leurs gains. Or, je suis justement en train de lire la version française de ce livre, Le prix de l’inégalité (sur lequel j’écrirai sûrement quelques autres billets…), et Stiglitz explique bien d’autres magouilles des banques qui viennent justement de déboucher sur d’autres accords monétaires…

Le crédit prédateur et les saisies illégales

Dans son livre, Stiglitz explique d’abord l’«insouciance» des banques lors de la montée de la bulle immobilière pratiquant ce qu’il appelle du crédit prédateur : «elles profitaient des personnes les moins instruites de notre société, et les plus ignorantes en matière financière en leur vendant des prêts hypothécaires coûteux et en dissimulant le détail des commissions [le véritable objectif des banquiers] dans des paragraphes en petits caractères, incompréhensibles à la plupart des gens.»

Stiglitz raconte que bien des États ont essayé d’intervenir avec des lois protégeant les consommateurs, mais le secteur financier a aussitôt réagi. Dans un cas, des agences de notation ont menacé de cesser de noter les prêts hypothécaires des banques de cet État. Sans notation, les banques n’auraient plus été capables de mettre ces hypothèques en garantie (ou de les titriser) et leur crédit se serait rapidement asséché. Ailleurs, ce sont les banques elles-mêmes qui ont mis leur poids politique pour faire reculer les politiciens (à qui elles offrent de généreuses contributions lors des élections, précise Stiglitz).

Lorsque la bulle a éclaté, des millions de ces petits prêteurs se sont trouvés incapables de payer leurs mensualités hypothécaires, leur maison valant dorénavant moins que leur prêt. C’est là qu’à commencé la vague de saisies. Or, comme les banques avaient des millions de dossiers du genre, elles ont décidé d’accélérer les procédures.

Pourtant, «si une banque affirme qu’un particulier lui doit de l’argent, la loi exige qu’elle en produise les preuves avant de pouvoir le jeter à la rue.». Or, elles étaient dans bien des cas incapables de le faire, les dossiers de prêts ayant été remplis à la va-vite, sans respecter les lois. Elles ont donc adopté la méthode que Stiglitz appelle la «robo-signature» (méthode mentionnée aussi dans cet article de Wikipédia sur le scandale des saisies immobilières ).

«Au lieu d’embaucher du personnel pour examiner les dossiers, vérifier que l’intéressé devait bien la somme qu’on lui réclamait et signer, au terme de ce travail, un document certifiant qu’il avait été accompli, de nombreuses banques ont demandé à une seule personne de signer des centaines de certificats de ce genre sans même regarder les dossiers. Vérifier les archives pour respecter les procédures aurait porté un coup aux profits de la banque. La politique suivie par les banques revenait donc à mentir au tribunal.»

Les banques comptaient bien que l’État ne les poursuivent pas, car si les millions de saisies avaient été annulés, l’État aurait encore été obligé de les renflouer une nouvelle fois! On savait qu’on les considère «trop grandes pour faire faillite», mais là, on apprend qu’elles sont aussi trop grandes pour être poursuivies!

Mentir à un tribunal est pourtant passible de prison. Le faire à répétition comme elles le faisaient auraient dû être encore pire! «Si les entreprises étaient des personnes dans un état imposant une règle des «trois coups» (…) ces multirécidivistes auraient été condamnés à de multiples peines de prison à vie». Et, au bout du compte, aucun banquier n’a passé un seul jour en prison! Il n’y a même pas eu une seule mise en accusation!

Stiglitz rappelle que, lors de la crise des caisses d’épargne dans les années 1990 («déclenchée en 1987 en raison d’investissement hasardeux dans l’immobilier», exactement comme dans le cas discuté ici), il y avait eu «7 000 renvois au pénal qui avaient abouti à 1 100 inculpations en 1992 et à 839 condamnations (dont environ 650 à des peines de prisons). Aujourd’hui, les banques négocient simplement le montant de leurs amendes – et dans certains cas elles sont inférieures aux profits que leur ont rapporté leurs activités illicites.»

J’ai justement lu récemment dans Le Devoir le résultat de ces négociations :

«Dix banques américaines impliquées dans un gigantesque scandale de saisies immobilières douteuses ont accepté de verser 8,5 milliards pour dédommager leurs clients lésés dans cette affaire, a annoncé lundi la Réserve fédérale des États-Unis (Fed).»

Elles ont «accepté», gentilles comme elles sont…

«Les autorités de régulation fédérales aux États-Unis affirment que les banques paieront des milliards de dollars aux propriétaires afin de mettre fin à un processus de révision des dossiers de saisies requis en 2011. Les banques ont mal géré les dossiers des particuliers et omis des étapes importantes.

Des militants estiment qu’environ 400 000 propriétaires seront admissibles à une compensation en vertu du règlement avec la Réserve fédérale et l’agence Office of the Comptroller of the Currency.»

Pas un mot, par contre, sur le fait que cette «mauvaise gestion de dossiers» et cette «omission des étapes importantes» étaient passibles de peines de prisons. Ces gens ont mis des personnes à la rue pour minimiser leurs pertes et on les laisse continuer en liberté… Stiglitz ajoute que, non seulement l’État fédéral a refusé de poursuivre ces banques, mais «une des banques contrôlée par l’État fédéral a menacé de cesser toute activité dans le Massachusetts quand le procureur de cet État a porté plainte contre les banques.».

La collusion n’est vraiment pas une exclusivité québécoise! Et, dans ce pays où tout est big, ils la pratiquent à une toute autre échelle!

Et alors…

On sait déjà que le secteur financier fait plier les États un peu partout sur la planète. Il est, d’une façon ou une autre, derrière les plans d’austérité en Europe et un peu partout dans le monde. Ce que dénonçait Patrick Lagacé et ce que Stiglitz présente dans son bouquin est une nouvelle étape : elles sont aussi au dessus des lois!

La fraude et la tromperie – exactement l’objet de la plainte du Massachusetts – ne sont pour les banques que des moyens «normaux» pour faire de l’argent. Si elles sont prises, elles négocieront! Et que les affaires continuent!

Ah oui, j’allais oublier… Un autre article récent du Devoir (du même jour que le précédent!) nous apprenait que la Bank of America a «accepté un accord à 11,6 milliards de dollars pour régler un contentieux sur des prêts hypothécaires à risque vendus avant la crise à Fannie Mae, sur lesquels ce groupe semi-public de refinancement hypothécaire s’estimait trompé.». Elle n’a pas été condamnée, elle a, dans sa grandeur d’âme j’imagine, accepté un accord… Et on notera que le montant que cette banque a «accepté» de verser à ces deux institutions financières (11,6 milliards $) est plus élevé que celui que dix banques ont «accepté» de verser aux 400 000 citoyens dont on a injustement saisi la maison (8,5 milliards $). C’est ça, le sens des priorités bancaires!

Une petite dernière :

«Le chef de la direction de Bank of America, Brian Moynihan, a dit de l’entente qu’elle constituait une «étape importante» dans le processus visant à résoudre les derniers problèmes de la banque en lien avec les prêts hypothécaires. Il a également indiqué que l’entente devrait permettre à l’institution bancaire de se réorganiser et de réduire ses dépenses futures.»

On le comprend de vouloir passer à autre chose, car sa banque «s’attend à des résultats «modestement positifs» au quatrième trimestre», lit-on vers la fin de cet article. Pas bon ça, des résultats modestes, pour sa carrière… Au lieu de s’inquiéter de ses résultats modestes, il pourrait peut-être se demander comment il se fait qu’un banque puisse faire le moindre profit dans un tel contexte!

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17 commentaires leave one →
  1. 10 janvier 2013 8 h 03 min

    Heureuse nouvelle cet article (et cette promesse de série sur Le prix de l’inégalité de Joseph Stiglitz). Ça tombe très bien, parce que j’entamais justement la lecture de ce texte offert gracieusement par ma copine pour les fêtes. J’ai hâte et je suis curieux de savoir ce qu’un commentateur subtil comme toi en pense! Merci encore de ce pertinent billet!

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  2. 10 janvier 2013 8 h 17 min

    «et cette promesse de série sur Le prix de l’inégalité de Joseph Stiglitz»»

    En fait, les deux premiers billets sur ce livre étaient déjà écrits avant que je ne rédige celui-ci. J’ai dû les modifier en conséquence! Et j’en prévois un autre, peut-être deux si je trouve autre chose dans ce livre sur lequel je n’ai pas encore publié. Mais, je l’achève!

    Ce livre est excellent. Un problème toutefois : les 112 pages de notes à la fin du livre. Le problème n’est pas le contenu de ces notes, mais le fait de devoir trois ou quatre fois par page devoir chercher à la fin du livre. À lire avec deux signets!

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  3. 10 janvier 2013 9 h 08 min

    Très juste : avec deux signets! Je ne comprends pas pourquoi les éditeurs s’entêtent à placer les notes à la fin… est-ce qu’ils espèrent qu’on utilisent 2 signets où proposent aux lecteurs de lire sans vraiment aller voir les notes (ou seulement quand ils veulent vraiment savoir). Je me souviens d’une belle édition d’Aristote qui placait les (trop) nombreuses notes à chaque page. Ça donnait un résultat amusant. 2-3 lignes d’Aristote et le reste de la page (2\3) à des notes érudites.

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  4. 10 janvier 2013 9 h 20 min

    «Je me souviens d’une belle édition d’Aristote»

    J’ai aussi lu un livre de philosophie du genre. Je préfère 100 fois cela aux deux signets! Si ce n’était que des sources, ça irait, mais ces notes contiennent des suppléments d’information intéressants. Pas moyen de les sauter!

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  5. 10 janvier 2013 12 h 20 min

    Ainsi sont les mailles du filet de la justice: Il capture les petits poissons tout en laissant passer les gros!

    Pour paraphraser Monsieur Verdoux de Charlie Chaplin:
    « Pourquoi devrait-on me condamner? Je ne fais qu’à très petite échelle ce que les puissants de ce monde font a très grande échelle! »

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  6. 10 janvier 2013 13 h 06 min

    «Pour paraphraser Monsieur Verdoux de Charlie Chaplin:»

    Cela montre que cela ne date pas d’hier!

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  7. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    11 janvier 2013 8 h 15 min

    M’a dire mm’ le gars:  » y a des décharges de chaise électrique qui se perdent… »
    😈

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  8. 11 janvier 2013 8 h 34 min

    La prison suffirait… 😉

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  9. Étienne permalink
    12 janvier 2013 20 h 42 min

    Avez-vous déjà pensé à offrir une liste de suggestion de livres? Avec, par exemple, de courtes descriptions? Car je vois que vous travaillez beaucoup à partir de livres qui m’ont tous l’air très intéressant!

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  10. 12 janvier 2013 21 h 03 min

    «Avez-vous déjà pensé à offrir une liste de suggestion de livres? Avec, par exemple, de courtes descriptions?»

    Non… Mais le blogue contient déjà une section «références intéressantes». En haut de la page, à droite. Je pourrais ajouter des suggestions de lectures… Depuis peu, j’ajoute le mot «livre» dans les mots-clés pour cette raison et ai créé une catégorie livre. Mais, je devrais l’ajouter aux précédents… et arrêter d’oublier de le faire! Ça mène ici : https://jeanneemard.wordpress.com/tag/livre/ ou là https://jeanneemard.wordpress.com/category/livre/

    «je vois que vous travaillez beaucoup à partir de livres qui m’ont tous l’air très intéressant!»

    Et d’études!

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  11. 17 janvier 2013 8 h 15 min

    Il y a aussi l’histoire du l’agent de la GRC, Mark Bourque, qui découvrit une magouille de niveau cataclysmique entre une banque canadienne et la mafia. Ça commence comme ceci :

    « Marck Bourque et son équipe avaient réussi à pénétrer secrètement dans la demeure d’un important ministre du cabinet Chrétien, à Ottawa, et à y installer des micros. Ce ministre, originaire lui aussi de la Sicile, en menait large, semble-t-il. On avait observé qu’il recevait, tous les vendredis, la visite de deux dirigeants connus de la mafia canadienne… »

    Jacques Lanctôt résume bien ici :

    http://www.vigile.net/Corruption-et-cie-suite

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  12. 17 janvier 2013 8 h 29 min

    Cela complète bien mon billet.

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  13. 17 janvier 2013 10 h 21 min

    Deux autres banques passent à la caisse, mais, on s’en doute, sans accusation criminelle:

    «Les banques américaines Morgan Stanley et Goldman Sachs ont accepté de verser 557 millions pour dédommager leurs clients lésés dans un gigantesque scandale de saisies immobilières irrégulières, a annoncé mercredi la Réserve fédérale des États-Unis (Fed).»

    http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/368534/saisies-immobilieres-morgan-stanley-et-goldman-sachs-vont-regler-pour-557-millions

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