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L’inflation (3) – causes et conséquences

14 janvier 2013

inflation_causes_conséquencesCe billet est le troisième et dernier de la série que j’ai consacrée à l’inflation. Il est en grande partie basé sur le chapitre 9 du dernier livre de Paul Krugman, Sortez nous de cette crise…maintenant!.

L’inflation et les austériens

Une des principales armes des partisans de l’austérité – que Krugman appelle les austériens – est l’annonce répétée de la résurgence de l’inflation galopante, voire de la stagflation, surtout lorsque la Réserve fédérale (banque centrale des États-Unis, ou FED) a fait augmenter à quelques reprises la masse monétaire au cours des récentes années. Et pourtant, deux à trois ans après leurs prévisions quasi apocalyptiques, l’inflation est toujours basse aux États-Unis (et au Canada, et en Europe…).

En fait, les austériens croient que toute création de monnaie supérieure à la croissance économique génère automatiquement de l’inflation. Krugman, tout comme Keynes à l’époque, considère plutôt que cet automatisme ne fonctionne pas en période de crise, comme celle que nous vivons, lorsque les taux d’intérêt sont très faibles. Dans cette situation, l’attrait des particuliers et des banques pour la liquidité, à la fois pour se protéger et pour se faire des réserves et pour pouvoir profiter de la hausse des taux d’intérêt qui surviendra tôt ou tard, enferme l’économie dans ce qu’on appelle une trappe à liquidité.

Création de monnaie et inflation

Selon Krugman, le processus qui fait en sorte que l’augmentation de la masse monétaire puisse générer de l’inflation n’est pas du tout direct, ni automatique. Peu importe la quantité de monnaie en circulation, aucun producteur n’augmentera ses prix pour rien. Si les agents économiques (particuliers et entreprises) n’utilisent pas cette quantité de monnaie plus élevée, les prix n’augmenteront pas.

C’est seulement s’ils décident de l’utiliser, soit si la demande augmente, que cette utilisation pourra générer de l’inflation, car là, le producteur pourra maintenir ses ventes même s’il augmente ses prix. Il en est de même pour les salaires. Avec un chômage élevé, les salariés n’ont pas le rapport de force nécessaire pour faire augmenter leurs salaires. De même, si les prix n’ont pas augmenté, ils auront plus de difficulté à faire valoir leurs revendications de hausse des salaires. Dans la situation actuelle, avec une économie déprimée et des taux de chômage très élevés aux États-Unis et en Europe, les pressions sur la hausse des salaires et la hausse des prix sont très faibles. Et, en conséquence, l’inflation l’est tout autant.

Les seules petites poussées d’inflation qu’on a pu voir depuis trois ans étaient dues à la montée des prix de l’énergie et des aliments, hausses qui ne sont même pas considérées dans les taux d’inflation cibles des banques centrales, comme on l’a vu dans le premier billet de cette série. Ces petites poussées n’ont engendrés aucun mouvement inflationniste sur les salaires et les autres biens, et ont disparu dès que les prix de l’énergie et des aliments ont diminué. Même si certains de ces prix n’ont pas diminué, l’effet des hausses de ces prix est disparu du calcul de l’inflation un an après la hausse, puisqu’elles ne se sont pas étendues aux autres biens et services, ni aux salaires. Bref, aucune inflation structurelle n’est à l’horizon, malgré la forte création de monnaie des dernières années.

Inertie de l’inflation et anticipations

En fait, l’inflation structurelle s’établit lorsque les agents économiques, producteurs et salariés, anticipent une hausse de l’inflation. Comme les producteurs n’augmentent leurs prix qu’une fois ou deux par année (quand ils les augmentent), ils ont tendance à inclure dans leurs hausses de prix l’inflation à laquelle ils s’attendent dans les mois prochains (inflation qui touchera aussi, prévoient-ils, leurs coûts de production).

Ce phénomène est encore plus manifeste chez les salariés, car ils ne négocient des hausses qu’une fois par plusieurs années. Certaines conventions collectives prévoient d’ailleurs des ajustements automatiques en fonction du niveau d’inflation, les clauses d’indexation. Ce raisonnement s’applique aussi dans les milieux non syndiqués, mais moins formellement. Si un employeur constate que les salaires augmentent régulièrement sur le marché du travail, il sera aussi porté à les augmenter au même rythme s’il veut conserver ses employés et ceux-ci l’exigeront.

Les économistes austériens peuvent bien s’attendre à de fortes poussées de l’inflation, mais l’évolution des prix et des salaires aux États-Unis et en Europe montre bien qu’ils sont bien les seuls à s’attendre à ça. Malheureusement, ils contrôlent en grande partie les politiques monétaires et économiques, surtout en Europe… Même si les faits contredisent constamment leurs prévisions depuis plusieurs années, ils ne lâchent pas leur théorie à laquelle ils semblent bien plus attachés qu’aux faits! Certains vont même jusqu’à prétendre que les données officielles sont manipulées, même si aucune source indépendante n’arrive avec des données différentes. Idéologie, quand tu nous tiens…

L’inflation est-elle toujours mauvaise?

Les austériens semblent considérer toute inflation supérieure à 2 % comme le mal incarné. Mais, quel grand malheur s’abattrait sur nous si les banques centrales rehaussaient leurs cibles d’inflation de 2 %, comme actuellement, à disons 4 %, cible que recommandait Olivier Blanchard en 2010, alors chef économiste du Fonds monétaire international (FMI)?

Les désavantages d’une inflation forte sont de favoriser le troc (et encore…) et de rendre les anticipations plus difficiles, les investissements hasardeux et les contrats à long termes quasi impossibles. Mais ces désavantages ne prennent vraiment une ampleur significative que lorsque l’inflation est vraiment forte, pas à 4 % (taux inférieur à l’inflation moyenne sous Reagan, comme le souligne Krugman…).

Une telle hausse de la cible de l’inflation aurait toutefois, selon Krugman (et Blanchard), trois grands avantages. Tout d’abord, elle permettrait de créer un plus grand écart entre un taux d’intérêt faible (qui ne peut être inférieur à zéro) et le taux d’inflation, rendant aussi l’emprunt plus attrayant, car l’emprunteur remboursera à terme (dans quelques années) une somme valant beaucoup moins que celle qu’il a empruntée. Normalement, cet avantage est annulé par les taux d’intérêt plus élevés en période d’inflation plus forte. Mais dans la situation actuelle de trappe à liquidité, les taux d’intérêt demeureraient très faibles jusqu’à ce qu’il y ait une véritable reprise, objectif de cette stratégie.

Ensuite, une inflation plus élevée permet de faire diminuer davantage la valeur réelle de la dette des pays et des ménages. Avec une inflation de 2 %, la valeur réelle de la dette baisse d’un peu plus de 10 % en cinq ans, mais avec une inflation de 4 %, elle baissera de près de 22 %.

Le troisième avantage que Krugman voit à une inflation plus élevée se manifesterait surtout dans les pays du sud de l’Europe où les salaires sont proportionnellement beaucoup plus élevés que dans le nord (lire en Allemagne…). Cet avantage est qu’il est plus aisé de faire baisser des salaires avec une inflation plus élevée. En effet, on sait depuis Keynes que les salaires sont sujets à la «rigidité nominale à la baisse». Cela signifie qu’un travailleur acceptera plus facilement (même si ce n’est pas si facilement que ça) un gel des salaires avec une inflation de 4 % qu’une baisse de 2 % avec une inflation de 2 %, même si cela revient au même.

Attention, il ne préconise pas la baisse des salaires partout, pas aux États-Unis, par exemple, mais seulement dans le sud de la zone euro parce qu’il est là-bas impossible d’atteindre le même objectif qu’une baisse relative des salaires au moyen d’une dévaluation de la monnaie (comme l’a fait l’Islande, où la couronne islandaise a perdu près de 50 % face à l’euro entre janvier et octobre 2008 et où l’inflation a atteint près de 18 % en 2009 -mais seulement 4,2 % en décembre 2012 – lui permettant de retrouver le chemin de la croissance et de voir son taux de chômage diminuer sous les 6 % depuis quelques mois), puisque ces pays n’ont pas de monnaie nationale.

Et alors…

Et qui sont les plus grands perdants d’une inflation plus élevée? Les créanciers, dont les banquiers!

«Si l’on considère ce que réclament les austériens – une politique budgétaire focalisée sur les déficits plutôt que sur la création d’emplois, une politique monétaire obsédée par le combat contre le moindre soupçon d’inflation et pratiquant la hausse des taux d’intérêt même en période chômage massif – tout cela sert les intérêts des créanciers, de ceux qui prêtent contre ceux qui empruntent et/ou gagnent leur vie en travaillant. Les prêteurs veulent que le gouvernement fasse sa priorité de l’acquittement des dettes; et ils s’opposent à toute intervention dans le domaine monétaire qui prive les banquiers de retours en maintenant les taux d’intérêt à bas niveaux ou rogne la valeur de leurs créances à travers l’inflation. (pages 245 et 246)»

Dans le même sens, j’ai trouvé savoureux cet extrait d’un billet de Gilles Raveaud, du site Alternatives Economiques, intitulé L’inflation, une solution trop simple?

«si l’inflation est refusée, c’est sans doute aussi parce qu’elle redistribue les revenus, des prêteurs vers les emprunteurs, des propriétaires de logement et de titres financiers, vers les ménages endettés. Keynes souhaitait l’inflation, car elle permet de ruiner les rentiers, de les « euthanasier ». On peut se demander si ce n’est pas pour cette même raison qu’elle est refusée aujourd’hui.»

Si Jim Stanford, dans son Petit cours d’autodéfense en économie, énonce quelques désavantages de plus que Krugman, notamment pour les particuliers à revenus fixes (désavantage que souligne aussi Joseph Stiglitz dans son livre Le prix de l’inégalité), il considère aussi qu’une inflation modérée (moins de 10 %, selon lui) ne nuit pas à l’investissement, à la croissance ou à la productivité, et y voit les mêmes avantages que Krugman. Il conclut lui aussi que les coûts sociaux de l’inflation «sont souvent montés en épingle par ceux qui, tels les banquiers, tirent profit d’un contexte économique où elle est faible. Modérée, l’inflation peut pourtant s’avérer bénéfique pour l’économie en y jouant en quelque sorte un rôle de lubrifiant».

Plus besoin de se demander pourquoi on tente de nous faire peur avec le moindre soupçon d’inflation!

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11 commentaires leave one →
  1. Mathieu Lemée permalink
    14 janvier 2013 5 h 04 min

    Ces trois billets sur l’inflation sont riches d’enseignement et s’avèrent de très bonnes références, surtout contre ceux qui brandissent des épouvantails. Un gros merci.

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  2. 14 janvier 2013 6 h 28 min

    Tout le plaisir fut pour moi!

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  3. Gilbert Boileau permalink
    14 janvier 2013 9 h 15 min

    Ça complète bien la série. Merci pour ton travail de vulgarisation. On passe le message aux autres ….

    J’aime

  4. 14 janvier 2013 9 h 46 min

    L’une des nombreuses raison pour laquelle j’aime ce blogue, c’est qu’il n’hésite pas à provoquer et à surprendre tout en restant intelligent, érudit et sans chercher le spectaculaire! J’adore cette remise en question du dogme anti-inflationniste.

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  5. 14 janvier 2013 17 h 52 min

    «sans chercher le spectaculaire»

    Ce qui n’exclut pas de le trouver parfois par hasard!

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  6. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    15 janvier 2013 18 h 01 min

    J’arrive un peu tard, pour te remercier et te féliciter Darwin. J’ai vraiment appris avec cette petite série de textes, ce dernier étant d’ailleurs le plus instructif!

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  7. 15 janvier 2013 18 h 28 min

    @ THE LIBERTARIAN

    «J’ai vraiment appris avec cette petite série de textes, ce dernier étant d’ailleurs le plus instructif!»

    C’est en fait le premier que j’ai écrit (pas le choix, il fallait que je remette le livre de Krugman à la bibli…). Et ce n’est pas pour rien que je l’ai gardé pour la fin! En fait, c’est surtout une question de logique : il fallait expliquer ce qu’est l’inflation – et ce qu’elle n’est pas – avant de s’attaquer aux causes et aux conséquences.

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