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La retraite et l’espérance de vie

26 janvier 2013

espérance_de_vieLa plupart des pays parlent de rehausser l’âge de la retraite pour pouvoir diminuer leurs dépenses dans le contexte du vieillissement de la population. Pour justifier ce rehaussement, les politiciens et actuaires invoquent presque toujours l’augmentation de l’espérance de vie. Ils affirment par exemple :

«Hausser l’âge de la retraite serait «plus équitable pour les futures générations» dans la mesure «où l’espérance de vie a augmenté de 10 ans pour les hommes et de 8 ans pour les femmes depuis 1966, année à laquelle a été introduit le régime de pension du Canada».» Pierre Courcy, actuaire

Bref, ils voudraient rehausser l’âge de la retraite par souci d’équité. Mais, est-ce vraiment équitable?

Espérance de vie à la naissance et à 65 ans

Il est vrai que l’espérance de vie au Canada a augmenté de 10 ans au cours des 50 dernières années. Ce graphique montre en effet que l’espérance de vie au Canada est passée de 71,1 ans en 1960 à 80,8 ans en 2010. Comme le dit bien Éric Desrosiers dans cet excellent article sur la retraite :

«Cet argument trahit une mauvaise compréhension des statistiques sur l’espérance de vie qui englobent aussi la mortalité infantile et toutes les autres formes de décès précoces. Ce qui compte, en la matière, c’est la longévité une fois arrivé à l’âge de la retraite.»

Le graphique qui suit, tiré d’un document de l’Institut de la statistique du Québec intiltulé La mortalité et l’espérance de vie au Québec, 2011 et tendance récente, illustre bien ce que dit Éric Desrosiers.

espérance_de_vie1

On peut voir que l’évolution de l’espérance de vie au Québec à la naissance (les deux lignes du haut, avec l’âge indiqué à l’axe de gauche) et après 65 ans (les deux lignes du bas, avec l’âge indiqué à l’axe de droite) ont connu des trajectoires bien différentes. Par exemple, l’espérance de vie à 65 ans des hommes n’a pas du tout augmenté entre 1921 et 1971, tandis que leur espérance de vie à la naissance est passée de 52 ans à 68 ans, un gain de 16 ans! Chez les femmes, l’espérance de vie à 65 ans a légèrement augmenté (elle est passée d’un peu plus de 13 ans à un peu plus de 16 ans, soit un gain de trois ans), mais beaucoup moins que leur espérance de vie à la naissance (de 54 ans à 75 ans, un gain de plus de 20 ans!)

Comme l’expliquait Éric Desrosiers, ce gain ne peut provenir que de la diminution beaucoup plus importante de la mortalité avant 65 ans (mortalité infantile et autre) qu’après. L’incidence sur les régimes de retraite de la hausse de l’espérance de vie à la naissance n’est donc pas nécessairement forte.

Si on reprend l’argument de l’actuaire Pierre Courcy au début de ce billet, on voit que, de fait l’espérance de vie à la naissance a augmenté de 10 ans chez les femmes (de 74 ans à 84 ans) entre 1966 et 2011, et de 12 ans chez les hommes (de 68 ans à 80 ans). Et l’espérance de vie à 65 ans? Elle a augmenté de six ans chez les femmes (de 16 à 22 ans) et chez les hommes (de 13 à 19 ans), soit, grosso modo, la moitié de la hausse de l’espérance de vie à la naissance.

En utilisant l’espérance de vie à la naissance, on pourrait en conclure que, celle-ci étant passée chez les hommes de 68 ans à 80 ans, la durée de la retraite à 65 ans est, elle, passée de 3 (68 – 65) à 15 ans (80 – 65), soit cinq fois plus qu’avant. Ce serait bien sûr, comme le dit Éric Desrosiers, «une mauvaise compréhension des statistiques sur l’espérance de vie». L’important pour les régimes de retraites est l’augmentation de l’espérance de vie à 65 ans, qui est passée de 13 à 19 ans chez les hommes, soit une hausse d’environ 45 %, et de 16 à 22 ans chez les femmes, une hausse de 35 % à 40 %. On est bien loin d’une hausse de 400 %! Bref, oui la hausse de l’espérance de vie à 65 ans a un impact important, mais bien moins que lorsque qu’on utilise la hausse de l’espérance de vie à la naissance, comme le faisait l’actuaire cité au début de ce billet.

Là encore, la hausse de 35 à 45 % de l’espérance de vie à 65 ans pourrait sembler un argument suffisant pour augmenter l’âge donnant droit à la pension de la vieillesse. Mais, cette hausse touche-t-elle tous les citoyens également?

Durée de la retraite

Dans un précédent billet, j’ai présenté une étude de Statistique Canada sur l’âge de la retraite, ou plutôt sur la durée anticipée en emploi des travailleurs âgés de 50 ans, qui montrait une forte hausse de cette durée. Statistique Canada a poussé un peu plus loin son étude de cette question en décembre dernier, dans un document intitulé Combien d’années avant la retraite?.

Cette étude montre que la durée anticipée en emploi à 50 ans dépend peu du niveau de scolarité. Elle rappelle que cette durée a augmenté fortement depuis la fin des années 1990 (en moyenne de 19 %, de 12 à entre 14,3 et 14,6 selon les niveaux de scolarité). Par contre, la durée anticipée de la retraite est beaucoup plus courte chez les travailleurs peu scolarisés :

«En effet, les moins scolarisés affichent une durée anticipée de la retraite de 18 années, comparativement à 20 et 21 années pour leurs homologues plus scolarisés. Autrement dit, les travailleurs moins scolarisés devraient s’attendre à avoir une retraite plus courte d’environ 3 ans par rapport à leurs homologues plus scolarisés.»

En outre , comme le souligne Éric Desrosiers, «Une autre étude de Statistique Canada réalisée auprès des personnes de 65 ans et plus rapportait, en juillet 2010, que 61 % des aînés les plus scolarisés pouvaient être considérés comme généralement en bonne santé. Cette proportion tombait à seulement 47 % chez les aînés les moins scolarisés. (voir la page numérotée 5)»

Ce genre d’observation n’est pas unique au Québec ou au Canada. Dans une chronique parue à peine un mois avant l’étude de Statistique Canada, Paul Krugman écrivait : «Aujourd’hui, l’espérance de vie lorsque l’on atteint 65 ans a également augmenté. Mais cette augmentation est très inégale depuis les années 1970, puisque ce sont seulement les personnes ayant fait des études supérieures et relativement aisées qui en bénéficient fortement.»

Krugman avait d’ailleurs montré les données appuyant cette affirmation dans un billet de son blogue quelques jours auparavant. On y voyait que l’espérance de vie des hommes de la moitié la plus pauvre n’avait augmenté que de 1,1 an entre 1986 et 2006 (de 15,0 ans à 16,1 ans), tandis qu’elle avait augmenté de 5 ans dans la moitié la plus riche (de 16,5 ans à 21,5 ans). On peut conclure de ces données que la situation est encore pire qu’ici aux États-Unis, mais que les tendances sont les mêmes.

Et alors…

Quand les promoteurs de la hausse de l’âge auquel on compte verser des prestations de retraite parlent de l’augmentation de l’espérance de vie, ils oublient non seulement que cette hausse est bien différente selon le niveau de scolarité, mais aussi que le nombre d’années de retraite en bonne santé varie aussi considérablement selon le statut social des citoyens. Bref, la hausse de l’âge auquel on compte verser des prestations de retraite toucherait en premier lieu les moins scolarisés, qui sont aussi les plus pauvres. Or, ce sont eux qui bénéficient le plus des programmes qui seraient accessibles à un âge plus avancé, soit le Programme de la sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti.

Et on ose parler d’équité pour justifier cette mesure on ne peut plus inéquitable!

12 commentaires leave one →
  1. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    27 janvier 2013 10 h 34 min

    Belle mise au point, darwin!

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  2. 27 janvier 2013 10 h 46 min

    Oui, une autre attaque contre la généralisation des moyennes!

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  3. 27 janvier 2013 13 h 06 min

    @ THE LIBERTARIAN BADASS

    Il y a un autre point dont je n’ai pas parlé dans ce billet, par manque de données précises. Je crois que c’est Krugman (et bien d’autres, de toute façon) qui a souligné que la remontée de 65 à 67 ans de l’âge auquel on compte commencer à verser des prestations de retraite risque de toucher beaucoup plus les travailleurs manuels et les membres des professions qui exigent de plus grands efforts physiques que les travailleurs intellectuels. J’imagine que tu serais d’accord avec cet ajout!

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  4. Yves permalink
    27 janvier 2013 17 h 33 min

    En tout cas moi je suis d’accord!

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  5. 27 janvier 2013 18 h 59 min

    Bien sûr! 😉

    Même moi, avec le nombre de livres que je traîne… 😉

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  6. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    28 janvier 2013 14 h 43 min

    J’imagine que tu serais d’accord avec cet ajout!
    Oui en effet, mais faut penser que pour un gars de refri, la retraite n’existe pas. L,industrie du frette, c’est comme la sciento tu ne sort pas de ça vivant! 😯

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  7. 28 janvier 2013 16 h 17 min

    Ouais, puis vous aimez ça le réchauffement climatique…

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  8. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    28 janvier 2013 17 h 52 min

    Ça dépend… L’hiver on fait tous un peu d’chauffage. pour se changer les idées! 🙂

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  9. 28 janvier 2013 21 h 47 min

    En utilisant l’espérance de vie à la naissance, on pourrait en conclure que, celle-ci étant passée chez les hommes de 68 ans à 80 ans, la durée de la retraite à 65 ans est, elle, passée de 3 (68 – 65) à 15 ans (80 – 65), soit cinq fois plus qu’avant. Ce serait bien sûr, comme le dit Éric Desrosiers, «une mauvaise compréhension des statistiques sur l’espérance de vie». L’important pour les régimes de retraites est l’augmentation de l’espérance de vie à 65 ans, qui est passée de 13 à 19 ans chez les hommes, soit une hausse d’environ 45 %, et de 16 à 22 ans chez les femmes, une hausse de 35 % à 40 %. On est bien loin d’une hausse de 400 %! Bref, oui la hausse de l’espérance de vie à 65 ans a un impact important, mais bien moins que lorsque qu’on utilise la hausse de l’espérance de vie à la naissance, comme le faisait l’actuaire cité au début de ce billet.

    Même si l’espérance de vie à 65 ans n’avait pas augmenté d’une seule journée, une forte hausse de l’espérance de vie à la naissance aurait quand même eu un impact important sur les régimes de retraite, dont celui de la Pension de vieillesse et du Supplément de Revenu Garanti (SRG).
    C’est qu’une forte hausse de l’espérance de vie à la naissance, portant cette espérance à bien au delà de 65 ans, signifie qu’une proportion bien plus grande de citoyens qu’avant vivent (ou vivront) au delà de 65 ans et en retirent (ou retireront) des prestations.
    Ainsi, même si les personnes qui atteignent 65 ans avaient une espérance de vie qui n’augmentait pas, il ferait quand même toute une différence sur les régimes de retraite selon que seulement 10 % des citoyens se rendent à 65 ans, ou si c’est 50 % ou 90 % des citoyens qui ne meurent pas avant d’atteindre cet âge.

    Quant à l’équité ou non envers les moins bien nantis du rehaussement de 65 à 67 ans de l’âge du début du versement de la pension de vieillesse et du SRGi; Il ne faut pas se limiter à une analyse partielle qui ne fait que considérer leurs pertes de ces pensions à 65 et 66 ans. Il faut considérer aussi les autres politiques instaurées en parallèle et considérer l’impact global. Ainsi, il semblerait que des politiques compensatoires sont prévues:
    « […] M. Bachand [Raymond, ministre des Finances] s’est dit «très heureux» de lire dans le budget de son homologue fédéral, Jim Flaherty, que celui-ci avait l’intention de donner une compensation aux provinces pour la clientèle que ces dernières devront soutenir financièrement, lorsque les changements annoncés [dont le report de 65 à 67 ans de l’âge d’admissibilité à la pension de vieillesse et au SRG] entreront en vigueur ».
    (Le Devoir, 3 avril 2012, A3, Lia Lévesque, « Sécurité de la vieillesse : Québec va s’asseoir avec Ottawa »).

    Les sommes qui seront économisées en ne versant pas de pensions de vieillesse à 65 ans et à 66 ans aux personnes qui ne sont pas peu nanties dégageront des marges de manoeuvre qui devraient favoriser l’obtention de tels transferts compensatoires (et peut-être même, plus que compensatoires) pour les personnes démunies de 65 et 66 ans; et peut-être même des transferts additionnels pour les personnes peu nanties n’ayant pas encore atteint ces âges.

    Et à ceux qui croient que toutes les politiques qui, considérées isolément, défavorisent les moins bien nantis ne sont jamais accompagnées de mesures compensatoires à leur intention, je soumets cette analyse de leur amis de l’IRIS:
    « L’institut de recherche sans but lucratif [l’IRIS] décrit le crédit d’impôt pour solidarité comme une «mesure compensatoire» atténuant les impacts de la «révolution tarifaire» initiée par le Parti libéral du Québec, aux commandes de l’État de 2003 à 2012, plutôt qu’une «mesure de solidarité augmentant significativement le revenu » des personnes vivant en situation de pauvreté. […] le crédit d’impôt pour solidarité «s’en tient à maintenir le pouvoir d’achat» de certaines familles. »
    (Le Devoir, 14 déc. 2012, A5, Marco Bélair-Cirino, « Étude de l’IRIS. Crédit d’impôt pour solidarité : pas assez pour lutter contre la pauvreté »).
    Ainsi, les chercheurs l’IRIS déplorent que les mesures compensatoires n’ont pas été plus que compensatoires et n’ont donc pas fait reculer la pauvreté. Mais ils soutiennent manifestement que des mesures compensatoires ont été instaurées pour compenser les moins bien nantis pour les hausses tarifaires qui leur ont été imposées comme aux autres citoyens.

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  10. 28 janvier 2013 23 h 36 min

    @Pierre

    Selon le premier paragraphe, c’est à croire que le versement d’une pension de vieillesse fait office de charité!

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  11. 29 janvier 2013 5 h 28 min

    @Pierre

    «signifie qu’une proportion bien plus grande de citoyens qu’avant vivent (ou vivront) au delà de 65 ans et en retirent (ou retireront) des prestations.»

    Bonne remarque, mais il demeure qu’on ne peut pas seulement regarder l’espérance de vie vie à la naissance comme le fait l’actuaire dans l’article cité.

    Je préfère ne pas réagir au reste de votre commentaire.

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