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Pensions et aide sociale

17 avril 2013

cirano_pensionsLe Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) est généralement associé à la production d’études plutôt à droite, comme celle dont je parlais en janvier dernier dans ce billet. Par contre, comme ce centre regroupe un grand nombre de chercheurs, il lui arrive de diffuser des études moins alignées politiquement. C’est le cas de l’étude Réformer la sécurité de la vieillesse – Effets et alternatives, parue en mars dernier.

Cette étude vise à mesurer les impacts de la décision du gouvernement fédéral de porter de 65 ans à 67 ans l’âge de l’admissibilité aux prestations de la sécurité de la vieillesse (SV) et du Supplément de revenu garanti (SRG). Rappelons que cette décision a été annoncée lors du discours du budget de 2012.

Point saillant

Comme l’ont bien résumé deux articles récents parus dans Le Devoir et La Presse, le point saillant de cette étude est limpide :

«La hausse de 65 à 67 ans de l’âge d’admissibilité aux prestations de la Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti fera passer la proportion d’individus de 65 et 66 ans sous le seuil de faible revenu de 6 % à 17 %»

Pour mieux visualiser l’effet sur la pauvreté du report de deux ans de l’âge donnant droit aux prestations de la SV et du SRG, les auteurs ont construit un graphique éloquent qui présente l’évolution du taux de faible revenu chez les personnes âgées de 65 et 66 ans selon la mesure du panier de consommation (MPC) sans la réforme (trait continu) et avec la réforme (trait pointillé) :

cirano_pensions1

Comme la réforme est conçue pour s’appliquer graduellement entre 2023 et 2029, on voit que le taux de faible revenu chez les personnes âgées de 65 et 66 ans augmentera graduellement entre ces deux années. Graduelle ou pas, comment peut-on expliquer que cette hausse soit si brutale, leur taux de faible revenu triplant presque (de 6 % sans la réforme à 17 % avec elle)?

Le vieillissement et le taux de faible revenu

Le gouvernement prétend que le fait de reculer l’âge donnant droit à la retraite incitera davantage de personnes à trouver un emploi ou à le conserver plus longtemps. C’est sensiblement le même argument qu’il avance pour justifier sa réforme de l’assurance-emploi (en diminuant les avantages de ce programme, on inciterait les prestataires de ce programme à chercher plus activement un emploi) et que le gouvernement péquiste répète pour expliquer sa réforme de l’aide sociale.

Si les auteurs ne se prononcent pas sur les arguments des gouvernements à propos des réformes de l’assurance-emploi et de l’aide sociale (ce n’est pas l’objet de leur étude), ils réfutent cet argument de façon convaincante dans le cas de la réforme de la SV et du SRG. S’ils concèdent que, théoriquement, la diminution des revenus des personnes âgés de 65 ans et 66 causée par le fait qu’ils ne recevraient plus de pensions de la SV et du SRG devrait les inciter à travailler plus longtemps, ils montrent que ce ne serait probablement pas le cas. Leur raisonnement repose principalement sur les données illustrées sur le graphique qui suit.

cirano_pensions2

Ce graphique montre en effet que le taux de faible revenu tend à augmenter à chaque année après 50 ans, où le taux de faible revenu est de 7 %, pour culminer à environ 26 % à 62 ans, demeurant assez stable à 63 et 64 ans et diminuant à un niveau encore plus bas que chez les personnes dans la cinquantaine à partir de 66 ans. Les auteurs expliquent que le recul à 65 ans est à mi-chemin entre le taux de faible revenu des personnes âgées de 64 ans et celui des personnes âgées de 66 ans parce qu’elles n’ont droit aux pensions de la SV et du SRG qu’au moment de leur anniversaire.

Les auteurs se demandent donc comment un incitatif au travail aurait le moindre effet à 65 et 66 ans quand il en a de moins en moins chez les personnes âgées de 50 à 64 ans, et plus du tout chez celles âgées de 62 à 64 ans. Cela amène les auteurs à conclure ainsi, comme on peut le lire dans l’article du Devoir :

«Cela peut tenir à toutes sortes de facteurs, allant de problèmes de santé à la perte de son emploi et à l’incapacité de s’en retrouver un autre à cause d’un manque de compétence, d’un handicap et que sais-je encore. Les gens n’ont pas d’autres recours alors que l’aide sociale, jusqu’à ce qu’ils aient droit aux programmes de sécurité de la vieillesse. Il n’y a pas de raison de croire que cela changera en retardant de deux ans leur admissibilité à ces programmes.»

Et pour l’aide sociale?

Ce graphique montre aussi que le taux de faible revenu est plus élevé dans la cinquantaine qu’à partir de 66 ans. Cela indique entre autres que les problèmes d’insertion au marché du travail commencent fort probablement dès cet âge pour une proportion non négligeable de la population. On remarquera que ces problèmes augmentent légèrement jusqu’à 55 ans, le taux de faible revenu passant toute même de 7 % à 10 %, et connaissent un saut soudain à 56 ans (en fait l’année où ces personnes atteignent 56 ans, soit donc chez des personnes âgées de 55 et 56 ans), le taux de faible revenu passant tout d’un coup d’environ 10 % à 14 %.

Ce n’est sûrement pas par hasard que c’est justement à 55 ans qu’on considère que les personnes bénéficiant de l’aide sociale ont des «contraintes temporaires» (en fait permanentes pour ces personnes!). Par contre, ce graphique montre aussi que la décision de la ministre Maltais de rehausser de 55 ans à 58 ans ne repose sur aucune donnée factuelle, ni sur des analyses approfondies, la grande majorité des intervenants jugeant que le caractère punitif (diminution de prestations déjà plus basses que le seuil de faible revenu) de cette décision ne donnera aucun résultat. «La méthode du bâton, ça ne fonctionne pas» comme le dit bien Richard Massé, directeur de santé publique de Montréal. «Ce qu’il faut faire, c’est aider les gens, pas les couper» complète Gaétan Châteauneuf, président du Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN.

Et alors…

L’étude du CIRANO explore trois autres mesures qui permettraient au gouvernement d’atteindre son objectif de diminution des dépenses, soit commencer à réduire les pensions de la SV à des revenus moins élevés, diminuer le montant de la SV et augmenter graduellement les pensions de la SV et du SRG (soit les diminuer de 65 à 69 ans). Mais toutes ces solutions entraîneraient des baisses de revenus soit pour les plus pauvres ou la classe moyenne, et coûteraient entre 600 millions $ et un milliard $ au gouvernement provincial en raison de l’augmentation des prestations de l’aide sociale et de la baisse des revenus d’impôts (l’étude ne mentionne pas de baisse de revenus provenant de la taxe de vente, mais il y en aurait fort probablement compte tenu de la baisse du revenu personnel des personnes âgées). De toute façon, le directeur parlementaire du budget (DPB), Kevin Page a démontré que les programmes sociaux à l’intention des personnes âgés sont tout à fait viables, confirmant ainsi les conclusions de l’actuaire en chef sur le programme de la sécurité de la vieillesse, comme je l’ai expliqué dans ce billet. Alors, le plus simple et surtout le plus équitable n’est-il pas de laisser les critères de la SV et du SRG comme ils le sont?

Quant à la réforme de l’aide sociale, cette étude, en fait les données qu’elle utilise sur le taux de faible revenu selon l’âge, vient apporter un autre argument sur son iniquité et sur l’inanité des arguments utilisés par la ministre (et aussi par le ministre de la Santé) pour justifier sa réforme injustifiable.

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3 commentaires leave one →
  1. Richard Langelier permalink
    17 avril 2013 21 h 23 min

    J’ai d’abord sursauté en lisant cette étude, puis je me suis rappelé que le groupe de chercheurs du CIRANO était hétérogène et que le CIRANO n’est pas l’Institut économique de Montréal.

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  2. 17 avril 2013 21 h 56 min

    «et que le CIRANO n’est pas l’Institut économique de Montréal.»

    Je dois t’avouer que ça faisait un bout de temps que je n’en avais pas trouvé une qui ne ressemble pas à celles de l’IÉDM. Si tout va bien (c’est bien du boulot et tellement de choses peuvent survenir…), je vais parler d’une autre que j’ai lue cette semaine dans une semaine ou deux, et ça va être différent!

    J’aime

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  1. Faible revenu et inégalités chez les personnes âgées |

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