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Le fruit n’est pas mûr

22 juin 2013

fruit_mûrJ’écoutais les nouvelles à la télé l’autre soir. En réponse à une question d’un journaliste sur le fait que sa nouvelle Loi sur les mines ne respecte pas le programme du PQ à bien des égards, notamment en imposant des redevances bien moins élevées que prévues et en maintenant la préséance des droits miniers (ou «free mining»), Nicolas Marceau, ministre des Finances a expliqué qu’il aurait bien voulu respecter le programme de son parti, mais qu’il ne le pouvait pas parce que le fruit n’était pas mûr…

Quelle «belle» façon de ne pas répondre à une question! Cela vaut à cette expression d’esquive le privilège de s’ajouter à ma liste d’expressions qui me tapent sur les nerfs.

La constitution

Le sujet sur lequel j’ai trouvé dans mes longues recherches le plus d’exemples de l’utilisation de notre expression vedette du jour est sans contredit dans le domaine constitutionnel. Et dans ce domaine, le fruit n’est mûr pour personne, quelque soit le sujet, le parti ou l’acteur.

  • ici, c’est aux yeux des Canadiens que «le fruit constitutionnel n’a pas encore fini de mûrir»;
  • cette opinion était aussi partagée par le dernier ministre des Affaires intergouvernementales du gouvernement Charest, Yvon Vallières qui jugeait en mars 2012 préférable de «travailler très fort sur l’économie»;
  • son chef, Jean Charest, considérait même lors de la dernière campagne électorale qu’un mandat complet ne suffirait pas pour que le «fruit constitutionnel» ne mûrisse;
  • , c’est Mme Payette qui est excédée d’entendre les dirigeants péquistes répéter à propos de l’indépendance que «le fruit n’est pas mûr» alors qu’elle trouve que le contexte de la commission Charbonneau se prête justement bien à l’élimination d’un palier gouvernemental;

Or, à force de ne rien faire sur le plan constitutionnel, le fruit a non seulement eu le temps de mûrir, mais est maintenant complètement pourri (comme la jolie poire qui accompagne ce billet…). Pour l’indépendance, c’est un peu plus compliqué.

Dire qu’un fruit n’est pas mûr suppose qu’on s’attend à ce qu’il le soit un jour. Mais quand le sera-t-il? Que fait-on pour l’aider à mûrir? Ne compte-t-on comme engrais que sur la pourriture qui empeste la Commission Charbonneau pour le faire mûrir? Personnellement, j’aimerais tant qu’on accède à l’indépendance pour ses qualités plutôt qu’en réaction à de la pourriture…

Les pensions

Si le domaine constitutionnel est le terrain le plus fertile pour que des fruits ne mûrissent pas, il n’est pas le seul… Face au vieillissement de la population et à la pauvreté d’un trop grand nombre de nos personnes âgées, les études, comités et autres rencontres se multiplient pour tenter de trouver des moyens pour améliorer le financement de la retraite, notamment en réformant les régimes de pensions gouvernementaux (Régime de pension du Canada, RPC, et Régime de rente du Québec, RRQ). Mais, malgré ce contexte des plus favorables pour mettre en branle des solutions concrètes à ce problème, et même si la majorité des provinces, dont les plus grosses, s’entendent pour dire qu’il faut améliorer le régime, d’aucuns prétendent, on le devinera, que le fruit n’est pas mûr…

En effet, selon le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, le fruit n’est pas mûr car «plusieurs provinces étaient encore inquiètes de l’impact de tels changements sur l’économie». Et quand pense-t-il que les provinces ne seront plus inquiètes? Lors de la prochaine rencontre qui doit avoir lieu bientôt? Et pourquoi ne serait-elles plus inquiètes? Par contre, nos gouvernements semblent plus pressés de créer des nouveaux outils de retraite qui avantagent surtout les banques, soit le Régime de pension agréé collectif (RPAC) au fédéral et le Régime volontaire d’épargne-retraite (RVER).

Pourtant, cela presse. La population vieillit, les employeurs s’attaquent les uns après les autres aux régimes à prestations déterminées pour les remplacer par des régimes à cotisations déterminées où ce sont les travailleurs qui assument seuls le risque. On l’a encore vu récemment dans les négociations chez Via Rail où l’employeur a obtenu que le régime de pension des nouveaux employés soit moins avantageux que le régime des employés actuels (une autre clause de disparité de traitement, appelée couramment «clause orphelin»…). Alors, si le fruit n’est pas mûr maintenant, il ne le sera jamais!

Une perle…

L’exemple que j’ai trouvé qui m’a fait le plus rigoler provient du député libéral de Chomedey, Guy Ouellette. Parlant du projet de loi sur les enquêtes portant sur les corps policier, il a produit ce petit bijou :

«ça fait au-dessus de 20 ans qu’on entend parler de mettre en place un mécanisme, et, comme j’ai déjà entendu dans cette Chambre, le fruit n’était pas mûr, et je pense qu’en 2013 nous arrivons à un consensus et nous arrivons à un cheminement qui est le fruit d’une mûre réflexion au travers des années.»

Le fruit n’était pas mûr, mais il le devient, «fruit d’une mûre réflexion»! Cela aurait mérité un billet d’Antoine Robitaille dans son blogue Mots et maux de la politique.

Et alors…

Tous ces exemples ont en commun d’éviter d’aborder les véritables raisons qui expliquent une décision, ou plutôt, une absence de décision! Cela dit, je crois que ce billet est mûr pour se terminer!

13 commentaires leave one →
  1. youlle permalink
    22 juin 2013 15 h 21 min

    Pour faire du changement Legault dit « on verra »!

    Parlant changement: les gens veulent du changement mesdames et messieurs, le fruit est mûr pour voter pour le parti qui a les deux mains sur le volant et qui fera du changement, votez pour le changement et on verra.
    ++++++++++

    « Tous ces exemples ont en commun d’éviter d’aborder les véritables raisons qui expliquent une décision, ou plutôt, une absence de décision! »

    Le chemin des élections : rien que des mots.

    Quand j’étais petit, tout petit, j’entendais les grands parler de chemin. C’était mon rang, éloigné, celui du bas de la côte d’Arthabaska tout près du fleuve. C’était un petit chemin de campagne, étroit, recouvert de gravier de rivière.

    C’était en cinquante trois ou quatre. Mon oncle faisait signer des pétitions plus le chemin et allait à Québec pour faire bouger les choses en cinquante cinq. À un moment donné, j’ai réalisé que sa faisait longtemps qu’il était question des chemins au moins dix ans et plus. J’en déduis aujourd’hui que c’est sous Duplessis lors de son premier mandat qu’ont été faites les premières promesses électorales sur ce chemin, c’est-à-dire 1936.

    Et oui, mon bout de campagne était conservateur, excepté mon grand-père, libéral, qui avait tout perdu avec la loi du concorda des conservateurs. Comme les anglophone de Montréal, il ne pouvait voter que pour un seul parti.

    Plus vieux, une douzaine d’années plus tard, en 1966, c’était à mon tour d’avoir réellement connaissance des décisions du chemin. Clément Vincent alors ministre de l’agriculture, assis dans son gros Chrysler Le Baron bleu royal lors d’une visite, m’avait dit « grrradulement, grraduellement ». En deux ans le ministre avait fait faire seulement deux kilomètres de chemin sur sept pour étirer la sauce.

    Finalement le chemin fut pavé par les libéraux vers 1976. Ce fut Un des derniers du Québec. Comme la tradition en politique, l’Union Nationale en a pris crédit pour gagner ses élections dans le compté. Les libéraux qui ont fait en quatre ans trois fois ce que l’UN avait fait en 35 ans ont mordu la poussière. Que voulez vous les gens votaient Union Nationale les yeux farmés ben dur. Ça n’a pas changé. Ne vous demandez pas pourquoi la Pauline et le PQ renient leurs promesses électorales à tour de bras. Ça ne change rien.

    Tout cela pour dire que l’on a surfé sur des mots afin de rien rien faire, pour être élu de campagne en campagne électorale pendant quarante ans pour un petit bout de chemin.

    C’est une question de marketing, pas de politique.

    Ça l’équipe de Robert Bourassa l’avait compris.

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  2. Richard Langelier permalink
    22 juin 2013 19 h 17 min

    @ Youlle

    Je cherche sur Google earth ce rang et la côte d’Arthabaska. Par rapport à la rue qui mène à la marina et à Port-St-François, est-ce que c’est vers Baie-de-Febvre ou vers Bécancour?

    Entre Arthabaska et St-Paul-de-Chester, il y avait le pont du scandale (je ne me souviens pas s’il était en bois ou en métal). La rivière avait 5 pieds de large, mais il avait été fait entre 2 buttes super éloignées pour dédommager 2 cultivateurs et donner un bon contrat à l’entrepreneur. Comme c’est un ami d’une famille libérale qui m’a donné cette explication, je suppose qu’il avait été construit sous Duplessis plutôt que sous Taschereau.

    En ce qui concerne le sondage Léger mise en marché http://www.ledevoir.com/documents/pdf/sondage-provincial-220613.pdf qui accorde 38% des intentions de vote aux libéraux, j’observe, à la page 3 : 30% chez les francophones et 67% pour les autres langues. C’est une constante que le projet souverainiste attire peu de non-francophones. Les fédéralistes qui n’appuient pas les idées sociales du Parti libéral n’ont pas de véhicule. Pour moi, ça ne prouve pas que les électeurs sont niaiseux, mais que le fruit ne semble pas mûr pour la création d’un parti fédéraliste social-démocrate.

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  3. 22 juin 2013 19 h 35 min

    «mais que le fruit ne semble pas mûr pour la création d’un parti fédéraliste social-démocrate.»

    Le NPD pensait bien qu’il l’était (mûr, le fruit), mais c’est en fait une partie de fruit mûr (genre, une pelure de banane) sur laquelle il a trébuché!

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  4. Richard Langelier permalink
    22 juin 2013 19 h 42 min

    Darwin, est-ce que tu parles de la création d’un NPD-Québec ou de la prise de pouvoir au Parlement canadien?

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  5. 22 juin 2013 19 h 52 min

    NPD-Québec.

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  6. 22 juin 2013 19 h 53 min

    N’était-ce pas de ça dont tu parlais avec «un parti fédéraliste social-démocrate»?

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  7. Richard Langelier permalink
    22 juin 2013 20 h 20 min

    Tout-à-fait. Il semble que ce soit Mulcair qui a décidé que le fruit n’était pas mûr?

    De toute façon, mon explication des 38% des intentions de vote est très impressionniste. Le sondage (après répartition) l’est peut-être aussi.

    Quoi qu’il en soit, que 38% des votes puisse donner un gouvernement majoritaire, ça c’est scandaleux. Daniel Johnson avait pris le pouvoir avec moins de votes que les libéraux, il avait fait campagne contre ti-Jean-la-taxe, mais il a eu assez de grandeur d’âme pour poursuivre la démocratisation de l’éducation.

    Mulroney a signé l’ALE (sans clauses sociales ni environnementales) avec 39% des votes.
    Harper, ben!!!

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  8. youlle permalink
    22 juin 2013 20 h 50 min

    @ Richard

    La côte en bas d’Arthabaska c’est juste en bas de chez Anselme. Le reste, jusqu’au fleuve est comme une table de billard. 🙂

    Le chemin des élections est parallèle à la 132 à partir de Nicolet vers la Baie. Faut grossir beaucoup. Ça doit être pour pour tenir secret le champ de tir du fédéral.
    ***************

    Lui le parti libéral et le fédéral font de la promotion en grande pompe pour le fédéralisme et ils gagnent et les non francophones on prêté serment au Canada la terre qui les a accueilli.

    Il n’y a pas de promotion pour le Québec souverain.

    « …parti fédéraliste social-démocrate. »

    C’est pas pour demain la veille. On est en pays de croyant et la culture laisse à désirer. Ils n’écoutent même pas la TV canadienne.

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  9. 22 juin 2013 20 h 53 min

    «que 38% des votes puisse donner un gouvernement majoritaire, ça c’est scandaleux»

    Oui, mais c’est tellement plus efficace et moins de trouble que la démocratie…

    La démocratie, c’est ben du trouble…

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  10. youlle permalink
    22 juin 2013 20 h 54 min

    J’ai oublié!

    Avec trois partis principaux « pareils » le PLQ à un avantage certain.

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  11. Richard Langelier permalink
    22 juin 2013 22 h 24 min

    @ Youlle

    OK! La côte Stein de mon Arthabaska à partir de chez mon Anselme. C’est effectivement planche comme la servante du curé. J’espère que les féministes ne me traiteront pas de « sexiste ». J’utilise cette belle métaphore du Père Gédéon pour rappeler que dans la société canadienne-française, où les curés tentaient de réprimer la sexualité, les fidèles faisaient des jokes cochonnes de cet acabit.

    Votre oncle faisait signer des pétitions pour avoir de la « vraie gravelle »? S’il voulait faire asphalter un rang dans les années 50, il voulait des privilèges.

    Si je comprends bien, c’est entre le rang Grand St-Esprit et la route entre Ste-Monique et la 132.

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  12. youlle permalink
    22 juin 2013 23 h 12 min

    @ Richard

    Le chemin des élections est parallèle à la 132 à partir de Nicolet, de la rivière vers la Baie vers Montréal. 1-c’est le lac St-Pierre, 2-la 132, 3-le chemin des élections.

    En 1965 presque tous les rangs de campagne étaient asphaltés. Fallait s’y prendre de bonne heure, dix ou quinze ans à l’avance pour la structure du chemin.

    « J’utilise cette belle métaphore du Père Gédéon pour rappeler que dans la société canadienne-française, où les curés tentaient de réprimer la sexualité, les fidèles faisaient des jokes cochonnes de cet acabit. »

    Les curés réprimants aussi…souvent en cachette. Un de mes employés 12 ans plus vieux que moi, mémère connaissait les maitresses des prêtres. Un jour il m’en a nommé pendant 15 minutes.

    La où il y a la religion, il y a l’hypocrisie et beaucoup de conservateur.

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  13. Richard Langelier permalink
    23 juin 2013 10 h 58 min

    Je vous rappelle, Youlle, que Duplessis a laissé la province sans dettes. Ça se bousculait au portillon pour acheter des obligations pour la nationalisation de l’électricité [1]. À toute chose, malheur est bon, disaient nos grands-mères. C’est sans doute ce que veulent nous faire comprendre Peter et Minarchiste lorsqu’ils viennent troller sur Jeanne Émard.

    Dans mes belles années de vélo, après 120 km, je mangeais un banana split à Pointe-Claire [2]. Un jour, j’ai dit à la jeune serveuse :
    – T’as pas de bananes moins noires? 
    – Non, non, c’est à ce stade qu’il y a le plus d’éléments nutritifs.
    15 minutes plus tard, j’ai battu mon record pour grimper de St-Henri à Summit circle.

    Les bananes passent généralement par Chiquita Brands International, « une entreprise du secteur de l’agrolimentaire, issue, en 1989 d’un simple changement de nom de l’entreprise United Fruit Company Ce changement de nom fait suite à la volonté de donner une nouvelle image à la marque dans le but de rassurer les investisseurs et les consommateurs suite à la série de scandales liés à la corruption, l’exploitation humaine et le trafic d’influence. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Chiquita_Brands_International . Peter a peut-être raison. Si je m’étais privé de banana split pour acheter des actions de Chiquita, il y aurait un richard de plus au Québec.

    Peter devrait relire « Éthique protestante et esprit du capitalisme » de Max Weber pour découvrir qu’il faut, cent fois sur le métier, repenser au concept d’idéal-type http://fr.wikipedia.org/wiki/Id%C3%A9al-type .

    Quant au paradoxe de l’épargne, http://www.peoi.org/Courses/Coursesfr/mac/mac8.html constitue une bonne introduction.

    [1] Les barrages des alumineries leur ont été laissés. Même le très droitiste Jacques Brassard rappelait qu’il était implicite que c’était pour produire de l’aluminium et non vendre de l’électricité à Hydro-Québec.
    Comme j’avais oublié son prénom, j’ai googlisé et suis tombé sur cet article http://blogjacquesbrassard.blogspot.ca/2013/06/la-voracite-fiscale-na-pas-de-limites.html . Je suis d’accord jusqu’à la citation de l’Institut économique de Montréal. L’expression « la journée de l’affranchissement de l’impôt » me tombe sur le gros narf!
    [2] On y parlait pas encore de la République de Pointe-Claire, comme le feront les partitionnistes au lendemain du référendum de 95. Les locaux du Suburban étaient tout près de ce bar glacé. Les joueurs des Expos achetaient des maisons à Pointe-Claire, se croyaient dans le Cuba du nord et ils avaient hâte d’être échangés.

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