La corruption et l’autojustification
J’ai assisté récemment à une présentation de Alain Denault sur les paradis fiscaux. Je n’ai pas l’intention ici de la résumer (même si ce serait intéressant…), mais plutôt d’explorer un des sujets qu’il a abordés. Il a en effet à un moment donné élaboré sur la notion de corruption en politique, en insistant pour préciser que lorsqu’il parle de corruption, il ne se limite pas au sens courant du concept de corruption qui circule dans les médias, soit aux enveloppes brunes et aux jeux d’influence, mais plutôt à son sens premier.
Mon encyclopédie favorite définit en effet le mot corruption en premier lieu ainsi : «Action de changer l’état naturel d’une chose en la rendant mauvaise, généralement par décomposition». Ce n’est qu’aux sections II.B.1.a) et b) de la définition qu’elle aborde le sens le plus commun de la corruption en politique : «Action de pousser (quelqu’un) à agir contre son devoir, sa conscience, par des dons, des promesses, la persuasion» et «Faute de celui qui se laisse détourner de son devoir par des dons, des promesses ou la persuasion», soit les fautes du corrupteur et du corrompu.
Ce qu’Alain Deneault voulait dire, si j’ai bien compris, c’est que les instances politiques ont changé d’état en devenant mauvaises (et décomposées?). Elles ont perdu de vue leur rôle premier, soit de viser le bien-être général de la population. Dans le contexte des paradis fiscaux, cette corruption s’est manifestée en deux temps.
Dans un premier temps, alors qu’on s’imagine qu’il y a deux types de pays, les bons (nous) et les mauvais (les paradis fiscaux), il faut savoir que ce sont les bons pays qui ont créé les mauvais, que ce soit en rendant légal le secret bancaire, en acceptant que les entreprises locales puissent y créer des filiales pour y délocaliser leurs profits, ou par l’acceptation de mille et une entourloupettes du genre (que Alain peut bien mieux décrire que moi…).
Dans un deuxième temps, l’état corrompu des instances politiques se manifeste par son laisser-faire, par le manque d’initiatives pour régler ce problème qui est beaucoup moins difficile à solutionner qu’on tente de nous le faire croire. Il faut en effet que nos instances soient rendues bien mauvaises pour qu’elles acceptent la nuisance des paradis fiscaux alors que rien ne justifie objectivement leur existence. Cela dit, comme dans bien des domaines, cela ne veut pas nécessairement dire que nos politiciens ne tentent pas de s’autojustifier face à leur inaction…
Autojustification
On peut bien s’imaginer que l’existence des paradis fiscaux résulte d’un grand complot international, ce qui n’est pas entièrement faux, mais n’est pas une explication suffisante pour bien comprendre le problème. Il y aura toujours un politicien pour prétendre qu’on n’a pas le choix, que toutes nos entreprises s’en iront si nous sommes le seul pays à agir… Et il y a des chances qu’il se croit! Ce phénomène d’autojustification est loin d’être spécifique à la défense des paradis fiscaux…
Encore récemment, on a vu des grandes firmes d’ingénieurs s’entendre pour maximiser leurs profits sans corrompre (dans le deuxième sens) des politiciens ou des fonctionnaires. Cela est justement un signe de processus corrompu (dans le premier sens, celui d’un processus dénaturé et rendu mauvais) où les acteurs ne considèrent même pas leurs actes répréhensibles, ou en tout cas se justifient en prétendant que la fin justifie les moyens. Ce n’est qu’une décision d’affaires… «J’avais sous-estimé la gravité de l’infraction», a dit l’un des acteurs de ces fraudes. Cela est un exemple d’autojustification où on se convainc que la fraude est normale pour maximiser ses profits, donc pour faire des affaires. Et, il est loin d’être le seul à avoir dit des choses comme cela.
Il en est souvent de même dans les milieux politiques. De Margaret Thatcher, avec son TINA (there is no alternative – nous n’avons pas le choix), attitude copiée même par des gouvernements de centre-gauche, au ministre canadien des Finances toujours convaincu que la baisse des impôts aux entreprises entraîne automatiquement une hausse de leurs investissements, alors que cela ne s’observe nulle part, en passant par le gouvernement du PQ qui s’est fait convaincre qu’un taux maximal d’imposition supérieur à 50 % suscite automatiquement une angoisse fiscale telle chez les riches qu’ils seront nombreux à quitter, même si ce taux a déjà atteint 94 % aux États-Unis en 1944-1945 (voir la dernière page) sans une telle réaction (dans un contexte différent, il est vrai), nos politiciens parviennent toujours à se convaincre que leurs décisions sont pour le bien-être de la population, alors que depuis au moins 30 ans, elles favorisent trop souvent uniquement les plus riches et leurs entreprises.
Et même lorsqu’ils réalisent que leurs décisions favorisent trop les plus riches, ils s’inventent des lieux communs du type «il n’existe pas de richesse partagée qui ne fut d’abord créée» ou se cachent derrière des concepts aussi éculés que celui du ruissellement, même s’il a été démontré maintes fois qu’il n’est qu’un écran de fumée pour détourner la richesse de l’ensemble de la population vers ses riches. Et, s’ils se répètent assez souvent ces lieux communs et autres idées zombies, ils finissent par les croire…
Et alors…
Je pourrais multiplier les exemples… Qu’a déclaré l’ancien ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand, à propos de l’indemnité de départ allouée aux députés démissionnaires? «Ça fait partie de la rémunération». Et je suis certain qu’il se croit…
Que se disent les anciens députés et ministres quand ils sont embauchés par des entreprises directement liées à leurs anciennes fonctions? Qu’il est normal qu’un employeur s’intéresse à quelqu’un qui a des compétences dans leur domaine. Et, eux aussi se croient sûrement.
Voilà vraiment le sens profond d’une corruption des instances politiques. Ses principaux acteurs ne voient plus les objectifs d’un gouvernement juste et intègre, et s’autojustifient sans problème. Alain Deneault a bien raison de nous ouvrir les yeux sur cette corruption au bout du compte bien plus profonde et bien plus dommageable que l’acceptation d’une enveloppe brune!
haha c’est marqué « cédrire »! 🙂
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Merci! Un ajout de dernière minute pas bien relu…
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L’autojustification; l’excuse fataliste facile pour ne rien faire et ne rien changer. Ce genre d’attitude qui m’irrite le poil dans la main quand quelqu’un sous les feux de la rampe pour des raisons de corruption en fait usage.
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«quand quelqu’un sous les feux de la rampe pour des raisons de corruption en fait usage»
Corruption dans les deux sens! Écoute nos ténors péquistes qui corrompent leur rôle s’autojustifier quotidiennement avec des affirmations plus loufoques les unes que les autres. L’exemple sûpreme est l’affirmation de Bernard Drainville sur le fait que l’islamisation est une réalité …
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J’ai écouté Daniel Paillé tantôt. C’était trop drôle de le voir s’autojustifier d’avoir expulsé Maria Mourani parce qu’elle disait la même chose que lui disait il y a deux jours!
Même si son parti avait une position sur la question depuis 2007 qui correspond à celle de Mme Mourani, là, tout d’un coup, son parti fédéral n’avait plus le droit d’en avoir une, car il faut la laisser aux Québécois. Ouf! Et, bien sûr, il n’a eu de pression du PQ, ben non!
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Tut tut tut…
Les allusions subtiles, ça va faire là.
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«Les allusions subtiles, ça va faire là.»
Trouve moi alors la ou les raisons pour lesquelles il était hier répréhensible de défendre ce qui était la position du Bloc il y a trois jours, position qui n’a pas été modifiée par ses membres?
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« Corruption dans les deux sens! »
Qu’importe le sens, la manière, la corruption est mauvaise et elle est irritante. On est d’accord là-dessus. 😉
« Écoute nos ténors péquistes qui corrompent leur rôle s’autojustifier quotidiennement avec des affirmations plus loufoques les unes que les autres. »
Je ne les que trop écoutés, comme quoi l’autojustification m’irrite vraiment en tant qu’excuse pour ne rien faire, ne rien changer, et surtout faire la sourde oreille. Comme quoi la corruption n’est pas qu’une question d’argent dans la tête de certains.
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« Trouve moi alors la ou les raisons pour lesquelles il était hier répréhensible de défendre ce qui était la position du Bloc il y a trois jours, position qui n’a pas été modifiée par ses membres? »
La raison est que les politiciens sont des putains et qu’ils n’ont absolument pas le choix s’ils veulent être élus par la population. Aucun parti n’y échappe et encore moins si il veut être élu.
Les excuses, la justification, la morale, la péréquation, la privatisation, le mensonge, la vérité, tout y passe.
Nous avons élu les politiciens que l’on mérite, rien de moins rien de plus.
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« Nous avons élu les politiciens que l’on mérite, rien de moins rien de plus. »
Si je réside sur une rue qui a élu un libéral depuis la confédération, mon vote est perdu si je vote pour candidat d’un autre parti. Si je réside sur la rue voisine… La réforme du mode de scrutin ne serait pas une panacée, mais ce serait un début.
Tout n’est pas faux, dans ce vous écrivez, Youlle 😉 . La raison politique a ses raisons que le coeur ne connaît pas, me disait en substance mon voisin du dessus, un certain Blaise Pascal, mutatis mutandis. Heureusement, lorsque Gilles Duceppe a appuyé l’exportation de l’amiante pour conserver la circonscription de Richmond-Arthabaska, plusieurs souverainistes ont décroché du Bloc.
Je mange un sandwich, je m’achète une bière 😳 et je tente d’écrire un commentaire songé sur l’autojustification, d’un doigt et sur l’unionalisation du PQ, de l’autre.
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J’ai d’abord écrit, par mon traitement de texte, un commentaire « songé » sur l’unionalisation du PQ pour le blogue de Françoise David. Quand j’ai copié, ça ne fonctionnait pas. J’ai retapé à 2 doigts. Échec! Je l’ai refait paragraphe par paragraphe. Icitte, ça devrait fonctionner, mutatis mutandis. Pour le thème de l’autojustification, ça ira à demain.
Dans la série « Duplessis », Denys Arcand faisait dire à l’organisateur en chef de l’Union nationale, alors dans l’opposition, Jos-D. Bégin (interprété par Marcel Sabourin) : « Le nationalisme, c’est 10% des votes en partant. Avec la carte électorale, il suffit de se concentrer sur certains comtés pour avoir le pouvoir jusqu’à la fin de nos jours ». Il me semble que le Parti québécois est en train de jouer la même carte. Le terrain avait été bien labouré par Mario Dumont. Certains médias avaient laissé entendre des faussetés sur des cabanes à sucres, les vitres givrées du YMCA, etc. Alors que le rapport de la Commission Bouchard-Taylor avait clarifié ces non-événements, Bernard Drainville a repris le bâton du pèlerin, sans preuves à l’appui. Qui plus est, Jean-François Lisée [1] a comparé le combat de Bernard Drainville à celui de Camil Laurin, alors qu’en 1976, le danger de l’anglicisation de Montréal était un fait bien documenté. Le plus triste, c’est que ça peut fonctionner. Je considère que le site « Si la tendance se maintient » est d’abord un travail mathématique intéressant, mais http://www.tooclosetocall.ca/2013/08/31-aout-2013-malgre-4-pts-de-retard-le.html m’incite à pencher vers cette hypothèse.
Comme l’écrit Françoise David, « il est pertinent de mettre par écrit les balises qui devront encadrer les demandes d’accommodements religieux ». Si des parents demandaient qu’il n’y ait pas de cours le mercredi, parce que leurs enfants jeûnent, d’autres parce que tel lundi que c’est un jour de fête religieuse, il n’y aurait pas d’horaire possible.
Je vais rester calme dans ma chaumière, d’autant plus facilement que je vis seul. Lorsque j’ai entendu Maria Mourani affirmer, sur les ondes de RDI, que des membres de communautés culturelles favorables à la souveraineté avaient de plus en plus l’impression que le projet souverainiste reposait sur un nationalisme ethnique, j’ai eu le goût de sombrer dans le cynisme de Denys Arcand. Wiki m’apprend qu’il a sept ans de plus que moi. Mon déclin est encore loin!
[1] Lors de la dernière campagne électorale, Jean-François Lisée a écrit, sur son blogue, qu’un vote pour François Saillant risquait de faire passer le candidat libéral. Pour la rigueur intellectuelle, on repassera.
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«Je l’ai refait paragraphe par paragraphe»
Oui, je l’ai vu. Ça rend plus difficile à suivre. Une chance qu’aucun commentaire ne s’est glissé entre les tiens, sinon ce serait pire!
«il est pertinent de mettre par écrit les balises qui devront encadrer les demandes d’accommodements religieux»
Pertinent, mais pas tant que ça. La jurisprudence et les cadres se sont placés avec le temps. Ton exemple ne passerait jamais, avec ou sans ces balises. Ce n’est pas pour rien que ces balises ne suscitent aucun débat : elles ne changent rien. Au moins, elles ne nuisent pas!
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Épouvantable le renvoi de la magnifique Maria, quelle femme intelligente d’ailleurs. La charte, je veux bien, mais pas à ce prix là… Je hais le bloc… 😡
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«La charte, je veux bien, mais pas à ce prix là…»
Ça rejoint tout à fait ce que je disais dans un précédent billet :
https://jeanneemard.wordpress.com/2013/08/26/la-politique-de-la-division/
Michel David et Josée Legault, notamment, ont déjà soulevé le même danger.
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Michel David va encore plus loin ce matin dans Le Devoir :
Puis :
Je ne peux qu’appuyer cette analyse…
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Comme pour tous les partis, pour le PQ l’indépendance n’est absolument pas une priorité.
Nous sommes pris avec trois partis majeurs qui sont tous pareils.
La souveraineté oubliez ça!
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Richard,
« Je mange un sandwich, je m’achète une bière et je tente d’écrire… »
Vous devriez voir l’écran quand j’écris d’un doigt et que le mange un « spaghatt ». 🙂
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