L’austérité et les ajustements structurels
Oxfam, un regroupement d’organisations non gouvernementales de coopération au développement bien connu, a publié récemment un document intitulé Le piège de l’austérité. Ce document, en plus d’illustrer les effets des politiques d’austérité en Europe, mentionnant entre autres que la poursuite de ces politiques risque de faire jeter dans la pauvreté «15 à 25 millions de personnes supplémentaires», entend montrer que ces politiques sont «étonnamment similaires aux politiques d’ajustement structurel onéreuses imposées à l’Amérique latine, à l’Asie du Sud-Est et à l’Afrique subsaharienne dans les années 1980 et 1990» et qui «se sont soldées par un échec; un médicament qui cherche à guérir la maladie en tuant le patient».
L’austérité européenne
Comme les conséquences de l’austérité en Europe sont bien connues, je me contenterai ici de faire ressortir les points saillants soulignés par cette étude. Par exemple, le graphique qui suit en bas à droite n’a pas besoin de grandes explications : le plan de relance européen conçu avec beaucoup de réticence n’a consacré que 200 milliards d’euros à «la création d’emplois, [au] renforcement de la sécurité sociale et [à] la hausse des investissements économiques», soit à peine 4 % des 4 500 milliards consacrés à l’aide au secteur financier.
Dès 2010, malgré le relatif succès de ce minuscule plan de relance, la plupart des pays européens «se sont lancés dans une série de mesures d’austérité», que ce soit volontairement ou sous la pression du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE). Qu’elles aient été concrétisées par des hausses régressives de taxes et de tarifs ou surtout (à 85 % en Grande-Bretagne, par exemple) par des baisses de dépenses, souvent dans des services publics comme l’éducation, la santé ou l’aide aux plus pauvres, ou encore par des privatisations d’actifs (au moment où leur valeur monétaire était à leur minimum) qui hypothèquent l’avenir et par «l’érosion des systèmes de négociation collective», ces mesures ont eu des effets dévastateurs :
- hausse du chômage, notamment celui des jeunes (avec un taux de plus de 50 % en Grèce et en Espagne) et celui de longue durée qui auront des effets négatifs pendant des années, voire des décennies;
- baisse des salaires;
- creusement des inégalités, car la plupart de ces mesures touchent en premier lieu les plus pauvres et la classe moyenne (la Grande-Bretagne a même diminué les impôts des plus riches);
- augmentation de la pauvreté qui atteint même les personnes qui travaillent;
- baisse de l’aide au développement des pays pauvres.
Malgré toutes ces mesures qui détruisent la vie de millions de personnes, celles-ci n’ont même pas permis d’atteindre leur objectif premier, soit de réussir à diminuer les déficits de ces États dus aux sommes consacrées au secteur financier, et surtout à faire baisser leur taux d’endettement. Le graphique qui suit montre qu’il a au contraire augmenté, non seulement par rapport à son niveau de 2008, ce qui n’est pas étonnant, mais aussi par rapport à son niveau de 2010, qui était justement celui qui devait diminuer «grâce» aux mesures d’austérité. Si le cas de la Grèce ne surprend pas, la hausse du ratio de la dette sur le PIB en Irlande et en Espagne est ahurissant, ce ratio ayant été bien plus bas que la moyenne avant la crise…
On pourrait à la limite comprendre ces pays d’avoir adopté ces mesures si de nombreux exemples de leur inefficacité et même de leurs effets destructeurs n’existaient pas. Mais ces exemples existent, de telles mesures ayant été appliquées dans de très nombreux pays pauvres avec des résultats similaires. Ces pays se plaignaient avec raison que jamais les pays industrialisés n’oseraient s’imposer ce qu’ils imposaient aux pays pauvres. Or, ils ont osé… avec les mêmes résultats!
Le document d’Oxfam se poursuit justement avec un survol des effets des mesures d’austérité qu’on appelait des «programmes d’ajustements structurels» sur les pays en voie de développement.
Les programmes d’ajustement structurel
«L’Amérique latine, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique subsaharienne ont connu des crises financières, économiques et monétaires difficiles pendant les années 1980 et 1990. Le FMI et la Banque mondiale leur ont prescrit le même remède : un package d’ajustement structurel, dans le cadre duquel ces pays ont reçu une aide financière de la part du FMI et de la Banque mondiale après avoir accepté d’adopter une série de politiques économiques, notamment la réduction des dépenses publiques, la nationalisation de la dette privée, des réductions salariales dans le secteur public, la décentralisation de la négociation collective et un modèle de gestion de la dette en vertu duquel les remboursements des créditeurs des banques commerciales l’ont emporté sur les mesures destinées à permettre le relèvement socioéconomique»
Le document donne par la suite des exemples précis des résultats de ces programmes dans différents continents.
– Amérique latine
Ces programmes ont pris différentes formes comme mentionné dans la citation précédente, mais les résultats furent similaires : hausse des inégalités et de la pauvreté, baisse des salaires, hausse du travail informel, etc.
«Au milieu des années 1990, la plupart des pays d’Amérique latine ont vu leurs revenus par personne chuter à des niveaux datant de 15 ans et, dans certains pays, ces chiffres sont retombés à des niveaux disparus depuis 25 ans. (…) De 1980 à 2000, les dépenses publiques en Amérique latine figuraient parmi les plus faibles (environ 20 % du PIB). Couplé à la privatisation de nombreux services sociaux essentiels, le manque de dépenses publiques a entraîné la soumission des services clés à des honoraires, qui les a rendus inaccessibles à de nombreux foyers»
D’autres résultats?
- Le pourcentage de personnes vivant dans la pauvreté est passé de 40,5 % en 1980 à 48,3 % en 1990;
- En 1997, plus de 200 millions de citoyens d’Amérique latine vivaient dans la pauvreté, malgré une reprise annuelle de la croissance par tête de plus de 2 %;
- Par la suite, il a fallu 25 ans pour retrouver un niveau de pauvreté équivalent à celui d’avant la crise.
– Asie du Sud-Est
«En 1997, le FMI a réagi à la crise en Asie du Sud-Est de la même manière qu’en Amérique latine dans les années 1980, malgré des circonstances régionales au début de la crise différentes de celles de l’Amérique latine 15 ans auparavant»
Résultats? Les mêmes qu’en Amérique latine!
- En Indonésie, le nombre de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour est passé de 100 millions en 1996 à 135 millions en 1999, le PIB a décliné de 15 % en un an. Il a fallu plus de 10 ans pour retrouver un niveau de pauvreté équivalent à celui d’avant la crise;
- Dans les pays dans lesquels les programmes d’ajustement structurel ont été introduits, les dépenses publiques ont été réduites d’1 % du PIB en moyenne dans les secteurs de la santé et de l’éducation.
Phénomène intéressant, un pays a refusé ces mesures, la Malaisie. Aucun malaise (scusez-là…) n’en est résulté, bien au contraire! «Au lieu de poursuivre l’ouverture de son économie, la Malaisie a imposé des contrôles des mouvements de capitaux dans un effort visant à éliminer les transactions spéculatives dans sa devise. Le pays a globalement souffert de problèmes économiques moins sévères que les autres pays frappés par la crise financière asiatique.» Non seulement cela montre que le refus des prescriptions du FMI est possible, mais qu’il est un bon choix! Cette expérience nous a aussi enseigné que le contrôle des capitaux est efficace, mais, pas plus que des expériences négatives, nous avons appris de cette expérience positive…
Afrique subsaharienne
Et dans ce continent? Même chose!
- Au Zimbabwe, les dépenses par tête dans les secteurs des soins de santé de premier recours et de l’éducation primaire ont été réduites d’un tiers entre 1990 et 1995;
- En Zambie, les dépenses dans le secteur des soins de santé ont été divisées par deux de 1990 à 1994 et les dépenses consacrées à l’éducation primaire des enfants étaient moins élevées en 1999 qu’au milieu des années 1980;
- En Tanzanie, les dépenses par tête dans les secteurs de la santé et de l’éducation étaient inférieures d’un tiers en 1999 par rapport au milieu des années 1980.
Et les résultats furent encore une fois les mêmes, sinon pires, car ces mesures ont aussi eu des répercussions négatives sur la sécurité alimentaire.
- Au Malawi, la suppression des subventions versées pour les semences et engrais a contribué à quatre années de crise alimentaire (de 2001 à 2005).
- Au Mali, la suppression du mécanisme appuyé par l’État visant à lutter contre la grande volatilité du secteur du coton à l’international (…) a résulté [en] une chute de 20 % du prix perçu en 2005 par les trois millions de producteurs de coton maliens, à l’origine d’une augmentation de la pauvreté estimée à 4,6 % dans tout le pays.
Et les exemples se multiplient sans que les institutions internationales n’en retiennent la moindre leçon. Sur papier, les ajustements structurels et l’austérité donnent tellement de bons résultats…
Et alors…
Le document se poursuit par des recommandations précises pour résoudre la crise en Europe et éviter de faire et de refaire constamment les mêmes erreurs. Ces solutions ressemblent à celles que j’ai déjà écrites ailleurs :
- investir dans l’humain et la croissance économique (tout dépend du type de croissance…);
- investir dans les services publics;
- renforcer la démocratie;
- établir des systèmes fiscaux justes.
Rien de neuf, ces solutions sont connues et possibles. Mais, les idéologues ne se satisfont jamais des constats pourtant nombreux de la faillite de leurs prescriptions. Cela est symptomatique des économistes qui sont à la base du consensus de Washington mis en application dans les programmes d’ajustement structurel : peu importe le problème, les solutions sont les mêmes : baisser les impôts, réduire les services publics et laisser les forces du marché tout régler grâce à la main invisible. Si la première saignée ne fonctionne pas, on en appliquera une deuxième! Et le résultat sur les pays qui subissent cette médecine est immanquablement le même que celui des patients de la Renaissance qui subissaient la saignée : l’opération réussit, mais, comme le dit le document d’Oxfam, le patient est de plus en plus malade, et cela, c’est quand il survit…
Il faut bien maintenir les prérogatives du 1%, voire du 0.01% de la population!
Certains, et non les moindres, n’ont pas intérêt a ce que le système change et qu’ils continuent a faire de l’argent facile sur le dos de l’ensemble de la population! (Et d’autres qui croient qu’ils ne faut pas se mettre a dos les investisseurs… étant pas capable de faire la différence entre un investisseur et un spéculateur!)
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La protectrice du citoyen Raymonde St-Germain abonde dans le même sens à propos des coupures budgétaires exercées suite aux mesures d’austérité de nos gouvernements récents.
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/388433/compressions-les-services-a-la-population-ecopent
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Oui, j’ai vu. Mais étrangement, je n’avais pas fait le lien avec ce billet! Merci!
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Un autre article sur l’efficacité de l’austérité! «Le retour de l’Espagne», titre-t-on. À quoi est dû ce «retour»?
Mais encore?
Conclusion?
Wow, un taux de chômage de peut-être 25,9 %, peut-on imaginer des fruits… plus fructueux?
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/388631/le-retour-de-l-espagne
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L’article partage l’optimisme du gouvernement espagnol… Tout ça parce que celui-ci est enthousiaste pour 2014. Étrange pour le devoir.
Chute de 30% du pouvoir d’achat des employés de l’État PIB en baisse de 1,3 % en plus du taux de chômage ça fait peur.
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«Étrange pour le devoir.»
En fait, il s’agit d’un article d’agence (Agence France-Presse). Cela dit, c’est bien le Devoir qui a choisi de le diffuser ainsi!
«ça fait peur»
C’est tout simplement horrible! L’article ne le mentionne pas, mais le taux de chômage chez les jeunes atteint 56,1 %! Et cela ne tient pas compte de ceux qui ne cherchent même plus d’emplois! On condamne tout simplement une génération. Ils sont d’ailleurs nombreux à quitter le pays.
http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/jeunes-espagnols-diplomes-l-exode-de-la-generation-perdue-1978/
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«cette génération, si elle n’est pas perdue est en tout cas sacrifiée«
«C’est tout simplement horrible! «
Ouai, c’est bien le mot pour décrire cette situation.
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Et certains on le culot de se réjouir de la fin de la récession, qui n’est rien d’autre qu’une stabilisation de l’horreur…
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