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À qui la rue?

30 septembre 2013

À qui la rueVoici un livre qui m’intriguait depuis qu’on a annoncé sa sortie. À qui la rue ? Répression policière et mouvements sociaux (sous la direction de Francis Dupuis-Déri) réunit huit textes sur différents aspects de la répression policière des mouvements sociaux.

Par respect pour les auteurs, je ne vais ici présenter que le premier de ces textes et me contenterai de mentionner le sujet abordé par les sept suivants.

Répression policière et mouvements sociaux, Francis Dupuis-Déri 

Le premier texte est une introduction aux sujets abordés par ce livre. Il débute en observant que les affrontements entre les mouvements sociaux et les forces policières sont de plus en plus brutaux depuis les années 1990, et encore plus depuis les attaques du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. L’auteur en donne quelques exemples éloquents.

Cette plus grande brutalité de la répression policière ne découle pourtant pas d’une plus grande violence des contestataires. Leurs actes les plus violents ne sont que des gestes contre des objets (vitrines brisées, véhicules de police vandalisés, etc.) ou encore des projectiles lancés aux policiers.

«Malgré une certaine turbulence, la représentation de l’esprit de révolte n’est plus la mitraillette Kalashnikov, comme à l’époque des guerillas marxistes-léninistes, mais le masque à gaz.»

Malgré cette relative baisse de la violence du côté des protestataires, les moyens utilisés par les forces policières sont de plus en plus étendus et violents. Pire, les policiers ne cherchent pas seulement à maintenir l’ordre, mais prennent position politiquement :

«la police constitue une force politique qui prend parti et ne fait pas que maintenir l’ordre : elle casse la dissidence et la contestation.»

Cette tendance relativement récente à l’augmentation de la force utilisée pour réprimer les contestations de l’ordre établi va à contre-sens de celle observée au cours du XXème siècle. Alors que la répression des manifestations était confiée aux forces armées à la fin du XIXème siècle et entraînaient trop fréquemment des décès, cette responsabilité a de plus en plus été donnée aux forces policières au XXème siècle. De même, les manifestations devenaient de plus en plus acceptées par les autorités politiques «relevant d’un droit démocratique et du principe de la liberté d’expression».

Cette tendance à l’adoucissement de la répression s’est inversée par la suite. On interdit maintenant ce droit de manifester dans les endroits où, justement, les manifestants veulent montrer leur désaccord (zones rouges lors des réunions des décideurs mondiaux, par exemple) et les autorités remettent en question ce droit, surtout pour certains groupes d’activistes en les dénigrant en les présentant comme de dangereux casseurs, sans opinion politique, qui ne veulent qu’assouvir leurs instincts destructeurs…

On a vu aussi la multiplication des arrestations dites préventives qui ne reposent sur aucune accusation concrète, des arrestations de masse (seule une faible proportion de ces deux types d’arrestations, plus que douteuses sur le plan juridique, débouchent sur des condamnations) et de l’utilisation de moyens de plus en plus agressifs pour «mâter» les manifestants : canons à eau et soniques, balles de plastique, gaz irritants, etc. La stratégie policière vise vraisemblablement plus à décourager l’exercice démocratique de la manifestation qu’à son encadrement, et ce, en distinguant entre les «bons» manifestants (les citoyens respectables, pères et mères de famille, salariés, appuyant des revendications «respectables») et les «mauvais» manifestants (jeunes «irresponsables», anarchistes «casseurs», avec des revendications qui remettent en cause le système et le régime économique actuels).

«les arrestations ne sont pas nécessairement liées à ce que les contestataires font, mais très souvent à la cause défendue ou à leur identité politique et idéologique réelle ou perçue»

Malgré la turbulence des manifestations des anarchistes ou des altermondialistes, leur violence est bien moindre que celle des militants anti-avortement qui ont incendié des cliniques et même tué des médecins. Pourtant, les autorités présentent les premiers comme bien plus dangereux que les deuxièmes. L’auteur donne aussi l’exemple d’actes illégaux posés par les professeurs de l’UQAM lors d’une grève (blocage de portes, sifflets et trompettes dans les locaux de l’université, manifestations dans la rue sans trajet ni avis à la police, etc.) où les policiers demeuraient polis et laissaient passer des actes qu’ils répriment violemment lorsqu’ils sont accomplis par des jeunes qui s’habillent en noir ou portent un carré rouge…

«l’identité sociale (le statut) des contestataires semble avoir une influence importante, car les policiers ne répriment pas toujours en fonction de ce qui est fait, mais de qui le fait».

L’affirmation des policiers qui prétendent souvent avoir été forcés à intervenir en raison des actes posés par les manifestants perd dans ce contexte toute crédibilité (si jamais elle en a déjà eu…).

Pour l’auteur et bien d’autres observateurs, la violence des policiers et les arrestations ne sont qu’une des formes de la répression. Parmi les autres formes de répression, il mentionne la surveillance vidéo, le dénigrement des groupes dans les médias, l’infiltration, la fausse propagande, le harcèlement, les lois d’exception et la manipulation des médias et de la population.

L’auteur donne de nombreux exemples de mensonges directs et flagrants des policiers : fausses preuves (parfois même absurdes, comme des supposés cocktails Molotov associés à des bouteilles de plastique…), liens avec des événements n’ayant aucun rapport avec la manifestation, armes présentés aux médias qui sont en fait des équipements de théâtre ou de simulation de combats médiévaux trouvés sur une personne (lors d’une fouille illégale…) n’ayant rien à voir avec la manifestation, des épices pour faire à manger présentées comme des armes chimiques, etc. Et même si les médias démentent par la suite ces mises en scène policières, celles-ci auront réussi à imprimer dans la population le sentiment que les manifestants sont vraiment violents, sentiment que les politiciens utiliseront pour les stigmatiser davantage, par exemple en associant le symbole d’une cause comme le carré rouge à la violence et à l’intimidation.

Les autres textes

– Les effets du 11 septembre 2001 sur le mouvement altermondialiste, par Jean-Pierre Masse et Nathalie Bayon 

On y parle de pénalisation et de criminalisation des mouvements sociaux et de l’utilisation de la lutte anti-terroriste pour justifier encore plus la répression.

– La police des foules en Europe par Olivier Fillieule 

Ce texte présente le même phénomène en Europe. C’est intéressant, mais répétitif. Ce chapitre ajoute au bout du compte peu de choses aux textes précédents.

– La délicate violence du policier sans uniforme par Marc-André Cyr 

L’auteur analyse le travail des infiltrateurs et provocateurs dans les années 1960 et 2000 auprès des mouvements sociaux : passionnant!

– Broyer du noir. La répression policière de la « déviance politique » au Québec par Francis Dupuis-Déri 

L’auteur élabore sur la notion de profilage politique abordée dans le premier chapitre. Un texte essentiel…

– Le droit de manifester en péril? Le cas du Sommet du G20 à Toronto par Francis Dupuis-Déri 

Je connaissais assez bien les faits présentés dans ce texte, mais il demeure que cet exemple est incontournable, car il contient tous les éléments abordés auparavant : infiltration, mensonges, profilage, répression, violence policière, arrestations préventives et de masse, collaboration des médias, etc.

– « Printemps érable » ou « Printemps de la matraque »? Profilage politique et répression sélective pendant la grève étudiante de 2012 par Francis Dupuis-Déri 

Un autre exemple qu’on connaît bien ou qu’on pense bien connaître et qui contient tous les éléments présentés auparavant. Un autre incontournable!

– Contre l’apitoiement. L’auto-organisation face à la répression politique par Alexandre Popovic 

Un témoignage de l’intérieur du milieu anachiste et un regard sur l’aspect judiciaire de la répression, voilà justement ce qui manquait à ce livre! Ce texte le termine très bien, bouclant la boucle. J’aurais toutefois voulu en savoir plus sur les mouvements dont parle l’auteur…

Et alors…

Je craignais que, comme dans bien des livres qui regroupent des auteurs différents sur un même thème, le tout soit répétitif. Je n’ai eu en fait ce sentiment que dans un seul texte, qui contenait tout de même une bonne valeur ajoutée en montrant que le modèle de répression présenté dans ce livre s’observe un peu partout dans le monde. Il y a bien d’autres répétitions dans les autres textes, mais chacune approfondit un ou des concepts présentés auparavant. La lecture de ce livre n’est donc jamais fastidieuse, on y apprend toujours quelque chose de plus.

Finalement, ce livre est le meilleur antidote contre la désinformation policière et médiatique, qu’on la croit ou pas!

6 commentaires leave one →
  1. 3 octobre 2013 19 h 57 min

    J’ai écrit dans ce billet :

    «J’aurais toutefois voulu en savoir plus sur les mouvements dont parle l’auteur…»

    Voici un billet-entrevue de Marc-André Cyr avec Youri Couture qui fut arrêté à Toronto lors du Sommet du G20 à Toronto qui répond en partie à mes questionnements.

    http://voir.ca/marc-andre-cyr/2013/10/03/six-mois-de-prison/

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  2. Richard Langelier permalink
    5 octobre 2013 3 h 14 min

    « Finalement, ce livre est le meilleur antidote contre la désinformation policière et médiatique, qu’on la croit ou pas! »

    Je ne conteste pas l’intelligence de Francis Dupuis-Déry ni celle de Youri Couture. Je suis sensible à ce qu’a vécu Youri Couture. Je ne peux cependant pas adhérer à leur anti-électoralisme. Je l’ai fait à 20 ans. Je ne comparerai pas le manifeste du FLQ, qui pour faire « peuple » parlait de « la tapette à Trudeau » et du « serin à Bourassa » à leur discours. Je confesse avoir applaudi au manifeste : « Eux, ils savent comment parler au peuple! ».

    Alors, qu’est-ce que je leur reproche? Cette nécessité de la table-rase. Cesser de s’impliquer dans Québec solidaire, je l’ai fait lorsque la rigueur intellectuelle me semblait interdite dans mon assemblée locale et dans la commission thématique dont j’étais membre. Je ne reprocherai pas à Youri Couture d’avoir quitté Québec solidaire pour des raisons différentes, selon l’entrevue.

    La moindre proposition d’augmentation du salaire minimum et des barèmes d’aide sociale interdisent la table rase. Voilà pourquoi, je n’emprunte jamais un livre de Francis Dupuis-Déry à la bibliothèque. L’anarchisme me semble trop facile, même si dans mon appartement, j’applique le principe  de Léo Ferré lorsqu’il est devenu soixante-huitard: le désordre, c’est l’ordre moins l’pouvoir!

    Je rappelle cependant que Daniel Cohn-Bendit précisait que Sarko était un produit de 68. « De Gaulle divorcé n’aurait jamais été réélu!  »

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  3. 5 octobre 2013 9 h 16 min

    «Je ne peux cependant pas adhérer à leur anti-électoralisme.»

    C’est plus clair dans le cas de Youri Couture que dans celui de Francis Dupuis-Déry, mais cela ne m’étonne pas.

    «Voilà pourquoi, je n’emprunte jamais un livre de Francis Dupuis-Déry à la bibliothèque.»

    Comme il parle peu d’anarchisme, tu n’aurais pas le même problème avec ce livre!

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