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L’absentéisme et le présentéisme

3 octobre 2013

absencesJe ne sais pas ce qui se passe, mais les études sur l’absentéisme et le présentéisme se multiplient depuis quelques semaines. Qu’on étudie ces phénomènes, je n’ai rien contre, bien au contraire, mais qu’on cherche toujours à mettre un signe de piastre à côté de tout phénomène me tape sur les nerfs… Il me semble que la perte de qualité de vie des personnes qui doivent s’absenter du travail ou qui ne peuvent faire autrement que de s’y présenter sans être capable de se concentrer est déjà un argument suffisant pour se pencher sur ces questions. Mais, on dirait que ça prend absolument des évaluations en dollars pour attirer l’attention sur un problème…

Mais, commençons par le commencement, ou plutôt par la fin dans ce cas-ci, car je vais tout à bord parler de l’étude la plus récente.

Absentéisme

«L’économie canadienne a perdu 16,6 milliards de dollars l’an dernier en raison du taux d’absentéisme des employés, selon une étude publiée lundi par le Conference Board du Canada.» apprenait-on la semaine dernière. J’ai bien essayé de mettre la main sur cette étude, mais elle coûtait très cher (299 $ pour 12 pages…). Je me suis donc contenté du résumé gratuit! On y apprend tout de même que ce calcul est basé à la fois sur «les données d’un sondage fournies par des organisations au Conference Board» et sur celles de Statistique Canada.

Ces données indiquent que, malgré le vieillissement de la main-d’œuvre, le nombre de «jours perdus par travailleur dans l’année» au Canada fut en 2011 de 9,3 jours, soit moins qu’en 2007 (9,9 jours). Cela peut étonner, car ce nombre avait auparavant fortement augmenté (8,5 jours en 2001). Et si cela voulait dire que de plus en plus de personnes sentent qu’ils doivent se présenter au travail même s’ils devraient plutôt s’absenter?

L’écart des absences du travail entre les secteurs public et privé

Quelques jours auparavant, Statistique Canada publiait une autre étude sur l’absentéisme, Comprendre l’écart des absences du travail entre les secteurs public et privé. Là, on y apprenait que l’écart du nombre de «jours perdus par travailleur dans l’année» entre le secteur public (12,4 jours) et le secteur privé (8,3) s’explique à 80 % par deux facteurs : les différences d’âge et de sexe, et la syndicalisation. Cela permet de défaire un mythe courant voulant que les fonctionnaires sont plus portés à être malades.

La dépression et les absences

Plus tôt en septembre, le Conference Board publiait une étude sur la dépression en milieu de travail. Basée sur un sondage, cette étude est d’un intérêt moindre que les deux précédentes. On rapportait tout de même quelques constats pertinents, justement pas tirés de ce sondage, mais d’études antérieures!

  • «Au Canada, environ 16 p. 100 des femmes et 11 p. 100 des hommes souffriront d’une dépression majeure au cours de leur vie»;
  • la principale cause d’invalidité de courte et de longue durée (les deux) est la santé mentale ou comportementale, suivie pas les problèmes musculosquelettiques ou de dos;
  • «Il devient de plus en plus évident que l’absentéisme n’est pas le principal facteur associé à la perte de productivité, mais plutôt le présentéisme, «lorsqu’un employé est présent physiquement au travail, mais que son efficacité est réduite en raison de problèmes de santé physique ou mentale». En outre, des études antérieures ont montré qu’un épisode dépressif, en particulier une dépression majeure, était l’un des facteurs de risque les plus sérieux du présentéisme en milieu de travail»

Ah oui, j’oubliais… Cette étude nous apprend aussi que «Les problèmes de santé mentale coûtent 20 G$ à l’économie», élément principal qu’a bien sûr retenu le titreur du Soleil pour l’article qui a parlé de cette étude, soit plus que le coût des absences dont la première étude parlait (16,6 milliards $). Le titreur a toutefois dû sauter le bout où l’étude dit que «Même sans tenir compte du présentéisme, le coût total des maladies mentales pour l’économie canadienne est d’environ 51 milliards de dollars». Un chiffre plus gros, il aurait sauté dessus! Plus sérieusement, là, on est rendu au triple du coût des absences…

En fait, je le répète, je regarde ces «coûts» avec un brin de scepticisme et un bol d’indifférence. Il s’agit de toute façon de sommes qui n’existeront jamais et qui n’auraient jamais existé. Ce n’est qu’une évaluation pour illustrer l’importance d’un phénomène. Il demeure que, même sans me préoccuper de ces sommes, ces études m’ont incité à regarder de plus près la question du présentéisme, phénomène dont on ne parle que depuis quelques années et à propos duquel on commence à peine à se poser des questions dans nos milieux de travail.

Présentéisme

Après avoir consulté ces études, j’ai donc cherché de la documentation sur le présentéisme. Sans trop de surprise, c’est sur les sites de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et de l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail (IRSST) que j’ai trouvé les documents les plus intéressants.

– Texte de la CSST

Le premier est un article de la revue Prévention de la CSST qui présente une entrevue avec Éric Gosselin, professeur en psychologie du travail et des organisations à l’Université du Québec en Outaouais. Il explique entre autres que «Une dépression (…) nécessite en moyenne 32 jours d’absence du travail, histoire d’en récupérer. En 2002, près de 500 000 Canadiens ont souffert de dépression, selon Statistique Canada. Or, 40 % de ces travailleurs (200 000 personnes) n’ont pas manqué un seul jour de travail». Il en conclut que le présentéisme existait bien avant qu’on ne lui ait donné un nom! Le reste de l’article est très intéressant, mais cite en grande partie le prochain texte dont je compte parler. Oh, et il mentionne plein d’autres évaluations du coût de ce phénomène… 150 milliards $ aux États-Unis en 2004, 180 en 2005… J’aurais dit 500 milliards $ ou 50 milliards $ que je ne suis pas certain qu’on aurait vu la différence! Bon, OK, ça «coûte» cher, on a compris…

Il termine toutefois son entrevue avec une réflexion intéressante : «Selon lui, de grandes questions restent encore en suspens, par exemple à savoir si le présentéisme peut aussi avoir des incidences positives pour le travailleur et l’organisation, et si l’absentéisme et le présentéisme sont des comportements complémentaires ou compétitifs». Bref, plutôt que de rester à la maison, est-il mieux ou pire d’aller au travail même si son rendement est insatisfaisant? Je crois aussi que la question mérite réflexion… et que la réponse dépend en grande partie du milieu de travail!

– Texte de l’IRSST

Le deuxième document date de 2011, mais est beaucoup plus complet. Il examine entre autres les situations qui peuvent mener au présentéisme : réorganisations, stress, insécurité d’emploi, harcèlement, charge de travail, peur de perdre sa réputation, voire son emploi, ou simplement de prendre du retard ou de perdre une prime à la performance, pression de l’employeur ou même des collègues, sentiment de culpabilité, de laisser tomber ses collègues, etc. Et, ce type de situation est relativement fréquent :

«L’étude de M. Brun [Jean-Pierre Brun, titulaire de la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail de l’Université Laval] montre que les personnes interviewées dans le cadre de la recherche [4000 répondants] s’absentent en moyenne six jours par année et font du présentéisme 10 jours par année»

M. Brun souligne ensuite l’importance d’améliorer la qualité de vie au travail. Il mentionne sept catégories de problèmes de gestion à cet égard :

  1. la rareté des marques d’appréciation;
  2. le manque de soutien;
  3. le manque de respect;
  4. la difficulté de concilier travail et vie personnelle;
  5. la surcharge de travail;
  6. l’absence de participation aux décisions;
  7. l’ambiguïté des rôles.

Il rappelle finalement que nous vivons une part importante de notre vie au travail et qu’il est essentiel de s’y sentir bien. Il résume ainsi le grand problème de gestion des organisations :

« Cessons de faire la gestion des ressources humaines et pratiquons une gestion plus humaine des ressources!».

Et alors…

Malgré mon allergie aux évaluations monétaires de ce type de phénomène, il demeure que je trouve intéressant de constater que le présentéisme semble au bout du compte avoir plus d’ampleur et de conséquences sur les entreprises que l’absentéisme. Cela est un indicateur fort d’un des grands problèmes de la société moderne. Jacques Généreux dirait probablement que cela montre à quel point nous sommes dissociés, mais on peut tout simplement conclure que la société nous force de plus en plus à mettre notre travail sur un piédestal au détriment de notre qualité de vie.

Au delà des données précises sur le coût des absences et des présences au travail, ne devrions-nous pas voir le travail comme une composante importante de notre courte vie sur cette planète? N’est-ce pas mieux de s’y sentir bien? Et là, si l’employeur nous fournit un environnement de travail sain, il s’amusera à calculer combien il épargne grâce à la réduction de l’absentéisme et du présentéisme!

8 commentaires leave one →
  1. Gilbert Boileau permalink
    3 octobre 2013 7 h 53 min

    Difficile de mettre un coût financier aux drames humains. Merci de le rappeler.

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  2. 3 octobre 2013 12 h 30 min

    Trop souvent, les absences maladies pour cause de dépression sont interprétées comme des vacances déguisées. Pour éviter ce jugement, bien des travailleurs vont aller quand même au boulot, totalement incapables de se concentrer, craignant toujours des sanctions ou même une mise à pied.

    La dépression liée au travail est omniprésente dans les administrations publiques/privées, où les tâches sont souvent routinières et l’environnement désespérément stérile. Et la médication n’est qu’un baume. Elle ne règle pas le problème, elle soulage les symptômes.

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  3. 3 octobre 2013 12 h 53 min

    @ Cercle Vicieux

    «Pour éviter ce jugement, bien des travailleurs vont aller quand même au boulot, totalement incapables de se concentrer, craignant toujours des sanctions ou même une mise à pied»

    Tout à fait. Et c’est probablement ce genre de réaction que décrit Jean-Pierre Brun dans le texte de IRSST en parlant de «peur de perdre sa réputation, voire son emploi, (…), pression de l’employeur ou même des collègues, sentiment de culpabilité».

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  4. Oli permalink
    3 octobre 2013 16 h 19 min

    Certains emplois souvent considérés comme faciles, payés au salaire minimum, peuvent être assez rough au niveau des émotions et du stress, même lorsque tout est « normal » au travail. Je pense entre autres au télémarketing, que j’ai fait pendant près d’un an. Je travaillais pour une petite compagnie, dans des conditions probablement excellentes par rapport à d’autres emplois identiques, et pourtant, il m’était presque impossible de finir une journée sans me sentir découragé. Je n’ai jamais souffert d’aucun problême émotionnel ou psychologique notable, mais s’il y a un moment de ma vie ou je suis passé proche, c’était là!

    En télémarketing, une fois qu’on a une bonne voix, un bon ton, une bonne élocution et tout ça, qu’on pose les bonnes questions et qu’on dit ce qu’il faut dire, on ne contrôle rien. Mais on est essentiellement tenu responsable de la réponse du client. Si la liste de numéros tombe mal, ben ça va mal. (Dans mon cas, je devais demander le nombre de lignes téléphoniques que possèdent les entreprises, et ils devaient en avoir plus de trois pour qu’on puisse leur vendre nos services. Les listes de numéros étant organisées par code postal, bonne chance dans les régions rurales!) Une semaine de mauvais résultat, ça passe encore, si le nombre total d’appels est bon. Deux semaines de suite sans grande amélioration, t’es dehors. Comme les appels étaient courts (et beaucoup étaient des mauvais numéros ou des trucs du genre), on faisait normalement au moins 250 appels dans une journée, idéalement un peu plus de 300. Même en gardant ce rythme, il ne s’est jamais écoulé un mois sans que j’aie peur de perdre ma job. Je l’ai finalement perdue, mais j’aurais démissionné un peu plus tard de toute façon! Heureusement, cet emploi n’était pas absolument nécessaire à ma survie, sinon ça aurait été très, très laid.

    J’ai quelques amis (dont ma blonde) qui se sont déjà tapés une dépression ou un burn-out, qui sont (ou qui me semblent, en tout cas) plus à risque de ce côté là, et pour la plupart d’entre eux, travailler en télémarketing est un dernier recours qui n’est jamais trop loin. Travailler dans ce secteur serait probablement dévastateur pour eux.

    Bref, anecdote personnelle sans réelle importance, mais c’est à ça que je pense quand on parle de santé mentale et de « présentéisme ». Moi, tout allait bien, psychologiquement et physiquement, mais ça drainait quand même toute mon énergie. La seule partie positive de l’emploi, c’était la paye et les collègues. Je n’avais même pas strictement besoin de cet emploi pour vivre, c’était plutôt par obligation envers ma famille (qui me logeait) que je travaillais. Je m’imagine facilement la situation de quelqu’un de plus vulnérable, et ce n’est pas beau du tout!

    On aime bien montrer l’image de l’homme ou de la femme qui a du succès financièrement, mais qui souffrent du stress ou de dépression. Ça soulève la question du stress et des responsabilités, et ça montre qu’on peut tous en souffrir, que personne n’est au-dessus de ça. Mais il ne faut pas oublier que personne n’est en-dessous non plus. Y’a pas que les cadres et les gestionnaires qui ont de la pression et des responsabilités, à la job!

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  5. 3 octobre 2013 16 h 41 min

    @ Oli

    Merci pour ce témoignage! L’univers du télémarketing ne convient pas à grand monde! C’est un des secteurs avec le plus de roulement.

    «Y’a pas que les cadres et les gestionnaires qui ont de la pression et des responsabilités, à la job!»

    J’ai vu des études faites en Grande-Bretagne qui démontraient, à la surprise des chercheurs, que c’est au contraire les employés subalternes qui vivent le plus de stress, pas les patrons! Ils sont en moins bonne santé et meurent plus jeunes. En fait, cela serait lié au statut social.

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  6. 5 octobre 2013 13 h 33 min

    «La proportion de cadres du gouvernement fédéral qui disent avoir un problème de santé mentale diagnostiqué est passée de 6 à 11% de 2007 à 2012, selon l’étude réalisée auprès de quelque 2300 fonctionnaires pour le compte de leur association professionnelle»

    « Et 20% de ses membres consomment des médicaments pour traiter la dépression, l’anxiété ou l’insomnie.»

    Dépression, anxiété et insomnie chez les hauts fonctionnaires fédéraux
    http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201310/05/01-4696774-depression-anxiete-et-insomnie-chez-les-hauts-fonctionnaires-federaux.php

    Cela va dans le sens de ce que j’ai présenté dans ce billet…

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  7. 5 octobre 2013 18 h 41 min

    J’ai été au milieu des années 2000 sur le comité des gestion de l’assurance collective. L’on avait un rapport sur le pourcentage des types de prescriptions. C’est sans trop de surprise que les anti-inflammatoires étaient au haut de la liste avec 35% des prescriptions.
    La surprise était les antidépresseurs à 16%.

    Évidemment, il faut mettre en perspective que les prescriptions d’anti-inflammatoire c’est de conjoncture et que la consommation d’antidépresseurs sont sur une longue période mais cela reste élevé.

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  8. 5 octobre 2013 20 h 06 min

    «mais cela reste élevé»

    Et en croissance!

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