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Les masculinistes et la situation d’emploi des diplômées

9 novembre 2013

masculinistesÀ la suite d’un éditorial probablement ironique (qui sait?) de Mario Roy qui portait sur un panel qui débattra plus tard ce mois-ci à Toronto de l’obsolescence des hommes, sujet qui est, à sa face même, choisi pour provoquer, Richard Shearmur, professeur à l’École d’urbanisme de l’Université McGill, a réagi vertement dans une lettre publiée par La Presse. Lui, aucun doute cette fois, il était sérieux! Il en vient même à affirmer que, «la femme tend à être représentée comme victime et l’homme comme bourreau». Rien de moins! Et ce n’était qu’un début…

«Si c’étaient les femmes qui vivaient moins longtemps, qui avaient de moins en moins accès aux universités, qui avaient de moins en moins accès aux nouveaux emplois, alors toute l’idéologie et la machinerie administrative féministes se mettraient en branle, avec raison, pour souligner ces injustices et tenter de rééquilibrer les choses: on ne se permettrait certainement pas de dénigrer les femmes en remettant en cause leur existence même.»

Je n’ai absolument pas l’intention de répondre à ces affirmations, dont certaines sont carrément fausses et d’autres tout simplement non pertinentes. Je n’en ai pas besoin, car, dès le lendemain, La Presse a publié une réplique de Francis Dupuis-Déri, professeur au département de science politique et à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui a su bien démonter les arguments de Richard Shearmur.

Il montre tout d’abord que ce genre d’attaque ne date pas d’hier : «Par exemple, à la fin du 19e siècle, les hommes se disaient en crise d’identité aux États-Unis, en France et ailleurs alors que les femmes n’avaient ni le droit de voter ni d’être élues, et perdaient tous leurs autres droits quand elles se mariaient».

Des chiffres…

Mon objectif avec ce billet n’est pas seulement de souligner la qualité de la réplique de Francis Dupuis-Déri, mais aussi d’appuyer certains des exemples qu’il a utilisés avec des données fiables, chose qu’il ne pouvait bien sûr pas faire dans le cadre d’une lettre aux lecteurs. Il dit par exemple :

«Le collègue Richard Shearmur commet l’erreur si commune de laisser entendre que les hommes ont «de moins en moins accès aux universités», parlant sans doute des étudiants. Mais il devrait savoir que les universités sont encore très majoritairement sous le pouvoir masculin, dans l’administration et surtout dans le corps professoral»

De fait, les données du recensement de 2006 (tableau 13 de cette page, profession E111) et de l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011 (tableau 8 de cette page, profession 4011) nous montrent que la proportion de femmes dans la profession «professeur d’université» est passée de 38 % en 2006 à 40 % (un autre fichier me donnait 41 %…). On voit que le rattrapage des femmes est bien lent et que M. Dupuis-Déri a bien raison. Mais, il faut savoir que ces données des recensements et de l’ENM tiennent compte de toutes les personnes qui effectuent les tâches des professeurs d’université, aussi bien les professeurs réguliers (agrégés, titulaires, etc.) que les chargés de cours.

Or, on peut voir à la page 19 de ce document de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CRÉPUQ) que la proportion de femmes chez les professeurs réguliers des universités québécoises est bien plus faible. Elle est en effet passée de 25,5 % en 2000 à 33,6 % en 2010. L’écart se réduit, mais est encore du simple au double en faveur des hommes! Par contre, «le corps enseignant des chargés de cours est composé de femmes et d’hommes, en proportion à peu près égale». Elles sont donc fortement minoritaires dans les meilleurs emplois et en proportion égale dans les emplois les moins bien rémunérés. 1-0 pour M. Dupuis-Déri!

Il continue : «Certes, les femmes y [dans les universités] sont majoritaires, peut-être, sur les bancs d’école, dans le secrétariat et les cafétérias, mais là n’est pas le pouvoir. Et quand les jeunes sortent diplôme à la main, les hommes décrocheront généralement des emplois mieux payés que ceux des femmes».

Le tableau qui suit montre justement le salaire hebdomadaire des diplômés et des diplômées travaillant dans un emploi à temps plein en rapport avec leur formation un an et demi après l’obtention de leur diplôme. Les données de ce tableau sont tirées des tableaux 3.1 et 3.2 des pages 55 à 58 (non numérotées) de l’enquête Relance la plus récente du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie sur la situation d’emploi des personnes diplômées universitaires, soit celle des diplômés de 2009 en janvier 2011.

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Il faut tout d’abord noter que, selon le tableau 1.2 de la page 52, le pourcentage de ces personnes diplômées qui travaillaient à temps plein était plus élevé chez les hommes tant chez les titulaires d’un baccalauréat (91,5 % par rapport à 84,7 % chez les femmes) que d’une maîtrise (94,3 % et 89,4 %).

Même en prenant cette proportion plus faible de femmes, on peut voir que leur salaire hebdomadaire fut en moyenne 7,2 % plus faible que celui des hommes chez les titulaires d’un baccalauréat et 10,9 % chez les titulaires d’une maîtrise. J’ai cru bon de montrer aussi ces salaires par domaine d’études, pour voir si ces écarts étaient dus au choix de programme, souvent bien différents chez les hommes et chez les femmes : on peut voir que, pour les dix domaines présentés à ces deux niveaux universitaires, les femmes ont un salaire plus élevé que celui des hommes dans seulement un de ces vingt cas, soit à la maîtrise en droit, qu’il n’est égal que dans un seul autre cas, au baccalauréat en lettres, et qu’il est plus faible dans les 18 autres cas!

Pire, les écarts les plus élevés se retrouvent dans les seuls domaines d’études où les hommes sont majoritaires, soit en sciences pures (18,0 %) et en sciences appliquées (17,7 %) au baccalauréat, et uniquement en sciences appliquées à la maîtrise (17,3 %). 2-0 pour M. Dupuis-Déri!

Et alors…

Malgré cette réponse convaincante et bien appuyée par les faits de M. Dupuis-Déri, M. Shearmur n’a pourtant pas lâché le morceau. Dès le lendemain du lendemain de sa première lettre, il tenait à répliquer et La Presse lui a accordé ce privilège (voir la quatrième lettre sur cette page). Il y récidivait en s’opposant à ce que la poursuite de l’égalité entre les hommes et les femmes «consiste à identifier et corriger toutes les injustices dont souffrent les femmes, en omettant que certaines injustices structurelles désavantagent les hommes».

Premièrement, il n’a toujours pas pu présenter d’exemples crédibles d’injustices structurelles qui désavantagent les hommes et dont la société ne se préoccupe pas. D’autre part, M. Dupuis-Déri n’a jamais nié que les hommes puissent avoir des problèmes. Il constate simplement, comme toute personne sensée peut le faire, que l’ampleur des problèmes vécus par les hommes est sans commune mesure avec ceux vécus de façon systémique par les femmes. Mais, on ne devrait pas s’étonner de ce manque d’objectivité de la part de M. Shermur. N’a-t-il pas déclaré dès 2007, dans le Devoir, cette fois «Il est vrai que la majorité des cas déclarés de violence ont pour victimes des femmes, car elles sont plus prêtes à se plaindre – avec raison – et mieux accueillies lorsqu’elles le font. Mais vers qui un homme violenté peut-il se tourner?».

On voit bien que l’égalité hommes-femmes est loin d’être acquise, quoiqu’en pense les masculinistes… et les chartistes!

7 commentaires leave one →
  1. Gilbert Boileau permalink
    9 novembre 2013 8 h 42 min

    Y a comme ça des êtres frustrés qui ne savent pas comment exprimer leur rage et qui sont peu enclins à soumettre des solutions valables. Merci de veiller au grain.

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  2. Nick permalink
    9 novembre 2013 8 h 51 min

    Si je peux me permettre, je crois que c’est vrai, que les hommes sont moins enclins à déclarés des actes de violence qu’ils ont subits et qu’ils sont moins bien accueillis, du moins par leurs confrères masculins, que les femmes. Cependant, je suis entièrement d’accord avec tout le reste de votre propos!

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  3. 9 novembre 2013 9 h 21 min

    @ Gilbert Boileau

    «Y a comme ça des êtres frustrés »

    Je l’ai déjà entendu déblatérer contre les babyboomers et se plaindre d’être un X qui ont, selon lui, bien plus souffert. Il prétendait aussi que les X auraient de bien moins bond régimes de retraite. Tout cela sans jamais citer la moindre source. J’en avais de fait conclu qu’il était frustré. Je vois que cela est plus généralisé que je ne le pensais!

    @ Nick

    Il était difficile de sélectionner une partie de sa lettre de 2007 qui ressorte du lot. Mais, si vous la lisez en entier, vous verrez que ce n’est qu’une négation du fait que les femmes subissent davantage la violence conjugale que les hommes, sujet qui a déjà été abordé dans ce blogue à https://jeanneemard.wordpress.com/2011/06/04/ce-printemps-qui-naime-pas-beaucoup-les-femmes/ . Pourtant, les données, et pas seulement celles des déclarations à la police, sont claires.

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  4. 9 novembre 2013 21 h 57 min

    Beau texte, merci! C’est super d’avoir des données à servir aux gens qui traversent une sorte de phase de négation (ou de délire).

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  5. 9 novembre 2013 22 h 10 min

    Merci!

    J’essaie toujours d’ajouter un petit quelque chose, en général chiffré, dans mes textes!

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  6. 11 novembre 2013 9 h 58 min

    Une chronique intéressante de Marc Cassivi sur une cote «visant à encourager une meilleure représentation de la femme au grand écran.». On y trouve certaines données intéressante sur la présence des femmes dans les postes de direction au cinéma ainsi qu’un lien avec le sujet de ce billet :

    «Les femmes sont aussi largement sous-représentées derrière la caméra, ici comme aux États-Unis, où seulement 7% des réalisateurs, 13% des scénaristes et 20% des producteurs sont des femmes (toujours selon le Geena Davis Institute). Le ratio à Hollywood est de cinq hommes pour une femme, dans ces métiers. Le plafond de verre est intact.

    Tout ça pour rappeler une évidence: le combat pour l’égalité des sexes est loin d’être gagné, au cinéma comme ailleurs. N’en déplaise à ceux qui clament ces jours-ci, en adoptant une position victimaire qui fait autant rire que soupirer, que l’homme – que certains décrivent comme «obsolète» – est ostracisé, écrasé et discriminé dans nos sociétés matriarcales. Ah bon? Vraiment?»

    http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/marc-cassivi/201311/09/01-4708977-la-cote-des-valeurs-suedoises.php

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