L’AÉCG et les médicaments
Il s’écrit tant de choses sur l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne qu’il devient difficile d’en faire le tri et de départager ce qui relève de la propagande et ce qui est vraiment d’intérêt. Par exemple, Le Devoir a publié la semaine dernière une entrevue (article cadenassé) avec la nouvelle ambassadrice de l’Union européenne à Ottawa, Marie-Anne Coninsx, dans laquelle on pouvait la lire déclarer qu’elle était «impressionnée d’entendre, des deux bords de l’Atlantique, autant de commentaires positifs et aussi peu de critiques à l’égard de l’entente». Je me suis dit qu’elle n’écoutait vraiment que ce qui fait son affaire…
Ce billet portera en premier lieu sur une étude récente du Centre canadien de politique alternatives (CCPA) dont Mme Coninsx n’a manifestement pas entendu parler. Cette étude, intitulée CETA and Pharmaceuticals (L’AÉCG et les entreprises pharmaceutiques) aborde, comme son titre l’indique, la question d’un des aspects les plus critiqués de cet accord, soit la prolongation des brevets pharmaceutiques. Mais, tout d’abord, il serait bon de mesurer l’impact réel de cet accord sur le commerce entre l’Europe et le Canada.
Impact de l’AÉCG sur le commerce
L’AÉCG nous est présentée dans les documents officiels du gouvernement comme «l’initiative commerciale la plus ambitieuse du Canada, plus vaste et plus approfondie que l’Accord de libre-échange nord-américain, qui était sans précédent». Cette affirmation fait comme s’il n’y avait pas déjà eu avant cet accord de nombreuses vagues de diminutions des tarifs d’importation et d’exportation, que ce soit par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et bien d’autres accords sectoriels ou régionaux. Ainsi, quand on nous dit dans le même document que «98 p. 100 de toutes les lignes tarifaires de l’UE seront exemptes de droits de douane pour le Canada», on omet de dire que ces droits ne s’appliquaient plus que pour une minorité de biens et services…
Un article récent du Vancouver Sun montre d’ailleurs que les droits de douane payés par les exportateurs canadiens à l’Europe s’élevaient à 225 millions $ et ceux payés au Canada par les exportateurs européens au Canada à 670 millions $ sur une valeur totale d’échange de 85 milliards $ (ordre de grandeur correspondant bien aux données montrées sur ce site d’Industrie Canada), ce qui représente un taux moyen de 1,05 %. C’est donc à l’intérieur de 9000 produits, dont de nombreux sont déjà exempts de tarifs, qu’on atteindra ce fameux 98 % qui est actuellement à on ne sait pas quel pourcentage! Et le niveau des tarifs qui seront abolis est parfois minime, par exemple de 2,7 % sur les maisons préfabriquées, de 6 % à 10 % sur les produits de l’aluminium (dont les producteurs disent d’ailleurs que cette baisse aura peu d’impact sur leur production…) ou de 3,1% à 9 % sur les métaux non ferreux. Et, le document gouvernemental nous parle d’«une affaire en or pour les producteurs de sirop d’érable» alors que leur tarif n’était que de 8 %. La hausse de la valeur du dollar canadien due en grande partie à la production pétrolière de l’Ouest canadien a nui drôlement plus à ces producteurs que ne l’aidera cette petite baisse!
Je ne veux surtout pas dire que cet accord aura finalement peu d’impact, car il contient bien d’autres mesures, dont l’accès aux marchés publics et l’octroi de droits aux entreprises, mais simplement qu’on nous inonde de données sans les mettre en contexte. J’y reviendrai en conclusion.
Les médicaments
Pour finalement signer cette entente, le Canada a dû plier sur deux enjeux majeurs : l’agriculture (enjeu qui touche au Québec surtout les fromages et que pseudovirtuose a déjà traité sur ce blogue) et la prolongation des brevets pharmaceutiques. Même si ce dernier enjeu a été abordé fréquemment dans les journaux, il est difficile de s’en faire une idée précise. Par exemple, les journaux ont bien rapporté les résultats d’une étude réalisée par des chercheurs de l’université York concluant que «le coût des médicaments sur ordonnance au pays pourrait augmenter de 850 millions à 1,65 milliard de dollars annuellement», mais nulle part on n’explique la logique derrière cette demande de l’Union européenne ni les raisons pour lesquelles le Canada a fini par l’accepter au grand bonheur des négociateurs européens qui ne cachent pas avoir obtenu plus de concessions que ce à quoi ils s’attendaient.
– trois clauses
L’étude du CCPA explique qu’il y a trois clauses de protection des droits de propriété intellectuelle dans l’AÉCG. La première est la plus connue. Il s’agit de prolonger les brevets pharmaceutiques d’un maximum de deux ans, supposément pour compenser le délai de traitement administratif entre le dépôt du brevet et l’autorisation de produire le dit médicament émise par Santé Canada. Or, les versions préliminaires de l’accord laissent entendre que la prolongation de deux ans pourrait être accordée même si c’est la firme pharmaceutique qui est responsable du délai!
L’étude montre aussi que le calcul des délais administratifs utilisé pour appuyer cette prolongation est erroné. On y prétend que ces délais sont plus longs au Canada qu’en Europe (433 jours par rapport à 281), mais une autre étude a découvert que les données utilisées pour faire cette comparaison ne sont pas compatibles. En utilisant des données vraiment comparables, cette étude arrive à la conclusion que les délais sont en fait plus longs au Canada de seulement 27 jours au lieu de 152 jours. Pour les médicaments approuvés à la fois au Canada et en Europe, la différence de délai fond à seulement 10 jours!
Les deux autres clauses de protection des droits de propriété intellectuelle sont plus complexes. La deuxième touche la protection des données fournies aux autorités réglementaires (ici, il s’agit de Santé Canada) par les firmes pharmaceutiques. Disons simplement que l’AÉCG renforcerait cette protection et pourrait même accorder une protection aux données touchant des médicaments à peine modifiés.
La troisième clause prolonge la période au cours de laquelle les firmes pharmaceutiques peuvent en appeler des décisions de Santé Canada sur l’acceptation d’un médicament générique («identique ou équivalent à celui d’une marque») de 45 jours actuellement à deux ans, ce qui aurait pour effet de prolonger encore la durée effective des brevets pharmaceutiques, d’autant plus qu’aucun produit générique ne pourrait être produit avant la décision d’une Cour. Et si la cause se rend en appel cela risque de durer des années…
– Impact financier
Avec toutes les incertitudes sur le contenu final de l’accord, sur la durée précise de la prolongation des brevets et sur le nombre et le type de médicaments qui seront produits à l’avenir, il est bien sûr impossible de calculer l’impact financier de ces clauses de façon précise. Les auteurs mentionnent tout de même (et expliquent) l’évaluation des chercheurs de l’université York (entre 850 millions $ et 1,65 milliard $) et en présentent une autre qui arrive à une estimation maximale de 2,8 milliards $. Mais, malgré les grands écarts dans ces évaluations, une chose est certaine : ça va coûter cher!
Le gouvernement fédéral a promis qu’il compenserait les provinces pour les coûts supplémentaires de ces médicaments. Cette promesse (et celle de compenser aussi les pertes des fromagers québécois) serait d’ailleurs la raison qui a porté le gouvernement provincial à appuyer l’accord. Mais, au bout du compte, que ce soit par nos dépenses (par exemple, l’augmentation de la «contribution de l’assuré» à l’achat de médicaments et la hausse des cotisations des régimes privés d’assurance-médicaments qui ne seront pas compensées, elles…), nos impôts provinciaux ou nos impôts fédéraux, il est clair que nous devrons nous taper la facture! Et ça pourquoi?
Lors de l’adoption de la loi prolongeant la durée des brevets pharmaceutiques en 1987 (projet de loi C-22) et des autres modifications adoptées par la suite (voir cet historique), les sociétés pharmaceutiques de produits d’origine avaient promis d’investir au moins 10 % de leurs ventes en recherche et développement (les entreprises du Québec ont promis encore plus pour bénéficier des avantages supplémentaires fiscaux et autres que donne le gouvernement du Québec) et pourtant ce taux ne fut que de 6,6 % en 2012, résultat de la délocalisation de nombreux laboratoires dans des pays à bas salaires. Dans ce contexte, comment croire les nouvelles promesses de cette industrie, même si ces promesses consistent uniquement à ne pas diminuer le niveau d’investissement actuel?
Et alors…
Ce billet montre à quel point nous sommes désinformés sur les conséquences de cet accord. On nous allèche en promettant une hausse des revenus des ménages de 12 milliards $ par année, soit une augmentation de 1 000 $ par ménage, et près de 80 000 emplois (voir page 6). Et bien sûr, il n’y aurait pas de pertes en raison des avantages que l’Europe en retirera, elle qui, je le répète, se vante d’avoir obtenu plus qu’elle demandait.
Pour cette illusion, on sait déjà que le Canada perdra 670 millions $ en frais de douanes, soit le triple de ce que perdra l’Union européenne (225 millions $), entre 1 et trois milliards $ en coûts de médicaments, on ne sait trop combien en perte par nos fromagers et autres produits. On sait aussi que le gouvernement du Canada pourra être poursuivi par des entreprises qui considéreraient que les politiques du pays nuiraient à leurs profits et que les grandes entreprises européennes pourront déloger les entreprises locales sur «80% de nos marchés publics municipaux et provinciaux, incluant près de la moitié des contrats d’Hydro-Québec».
L’énigme demeure encore de savoir comment il se fait qu’un gouvernement qui se dit souverainiste ait apporté «un appui sans réserve» à un accord qui lui fait justement perdre autant de souveraineté. À moins que la réponse ne soit dans l’énoncé de cette énigme!
Je ne m’y connais pas beaucoup en économie, mais il me semble que le PQ a invité Québecor dans le siège du pilote depuis quelques mois déjà. Ceci répondrais peut-être à votre dernière question…
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C’est sûrement un facteur, mais je me pose surtout des questions sur son véritable désir de faire un jour l’indépendance. Ses décisions, et pas que dans ce cas, visent beaucoup plus de garder le pouvoir, et idéalement (pour lui!) de façon majoritaire.
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Les accords sont des attaques contre la démocratie et la souveraineté des états qui visent à donner plus de pouvoir aux grosses entreprises. Cette fois, ça vient de la Grande -Bretagne!
http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/nov/04/us-trade-deal-full-frontal-assault-on-democracy
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Vous savez, les entreprises ne veulent que notre bien… et ils vont l’avoir!
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Cette expression n’a jamais été aussi appropriée!
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Bon texte dans Le Devoir de ce matin. Extrait :
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/392752/l-europe-un-marche-prometteur
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