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Couverture et admissibilité des chômeurs aux prestations d’assurance-emploi (2)

28 novembre 2013

couverture_AEbisDans le premier billet de cette série de deux, j’ai tenté d’expliquer à fond le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre de prestataires à l’aide des données tirées de l’Enquête sur la couverture de l’assurance-emploi (ECAE) analysées dans le rapport de contrôle et d’évaluation de 2012.

Ce deuxième billet vise à analyser l’évolution de la proportion des différentes catégories de chômeurs présentées dans le premier billet et de peut-être trouver lesquelles de ces évolutions peuvent expliquer la baisse du ratio entre le nombre de prestataires et le nombre de chômeurs (soit la couverture de l’assurance-emploi) au cours des dernières années.

Ratio prestataires/chômeurs

couverture_AE2-ratioLe ratio entre le nombre de prestataires et le nombre de chômeurs (ratio P/C) est probablement la donnée la plus discutée pour évaluer la couverture de l’assurance-emploi. Pour le calculer, il s’agit simplement de diviser le nombre de personnes qui reçoivent des prestations régulières d’assurance-emploi (excluant les prestations spéciales, soit de maladie, de maternité, parentales et de compassion) par le nombre de chômeurs. On l’a vu dans le précédent billet, ce ratio compare des données provenant de sources différentes. En outre, on peut être prestataire sans être chômeur. Cela dit, il fournit tout de même une bonne approximation du niveau de couverture de l’assurance-emploi, même si on doit ensuite analyser les raisons de ses variations pour bien les comprendre.

Le graphique ci-haut ne vise qu’à montrer que le ratio P/C varie grandement d’une région à l’autre du Canada (avec les Maritimes, la ligne du haut, qui se distinguent par un ratio bien plus élevé que celui des autres régions et avec le Québec qui se situe entre cette région et les autres) et qu’il est demeuré assez stable jusque dans les années 1990. Dans le texte d’où est tiré ce graphique (je ne peux pas le reproduire, car les données sur les prestataires ne sont disponibles qu’à partir de 1997), on précise que «Pour l’ensemble du pays, le ratio P/C a chuté d’environ 50 p. 100 entre 1976 et 1998, puisqu’il est passé de 0,83 à 0,42». Celui des Maritimes, lui, est passé d’environ 1,3 à un peu moins de 0,8.

couverture_AE2-ratio2Le deuxième graphique montre cette évolution depuis 1997. Notons que les données (tirées des tableaux cansim 276-0022 et 282-0002 de Statistique Canada) sont un peu différentes de celles du graphique précédent pour 1997 et 1998, probablement en raison de révisions de données par Statistique Canada. Mais, les niveaux et les tendances sont très semblables. On peut voir que les ratios de toutes les régions sont demeurées étrangement stables entre 1997 et 2008 avant d’augmenter en 2009 et de diminuer par la suite. Ainsi, celui du Canada (ligne bleue) est demeuré entre 0,46 et 0,48 de 1997 à 2010, si ce n’est durant la récession de 2009 où il a monté à 0,51, avant de diminuer de façon importante pour atteindre 0,41 en 2012.

Dans le reste du billet, on va tenter de voir si les données de l’ECAE ne pourrait pas nous faire comprendre cette baisse récente et, peut-être un peu, la chute des années 1990.

Sources des données

Comme mentionné dans le billet précédent, les données de l’ECEA sont tirées d’un sous-échantillon de celui de l’Enquête sur la population active, sous-échantillon composé de «chômeurs (tels qu’ils sont définis dans l’EPA) et d’autres personnes qui, compte tenu de leur situation récente sur le marché du travail, étaient potentiellement admissibles au programme d’assurance-emploi» répondant à des questions portant sur leur situation au cours des mois de mars, juin, octobre et décembre. Il était par exemple formé de 11 244 personnes en 2012.

Statistique Canada ne produit pas de fichier cansim pour cette enquête (grrrrr…). J’ai donc dû consulter un par un les tableaux des communiqués de Statistique Canada sur cette enquête, en commençant par celui de 2012, puis, en cliquant sur le lien «communiqué précédent» au haut de cette page et en consultant les tableaux du communiqué précédent et ainsi de suite. J’ai pu ainsi compiler les données de 2002 à 2012. Par contre, comme ces tableaux présentent peu de données pour les provinces, j’ai dû utiliser les données pour l’ensemble du Canada.

Chômeurs

couverture_AE2-1Le graphique ci-contre montre que le nombre de chômeurs a diminué doucement en début de période, plus rapidement entre 2004 et 2007, pour ensuite augmenter légèrement en 2008 et plus fortement en 2009, année de récession, pour ensuite diminuer graduellement de 2009 à 2012, tout en demeurant cette dernière année à un niveau plus élevé qu’en 2002 et surtout qu’en 2007. On verra que cette évolution influencera les autres données, que je présenterai plutôt en pourcentage des chômeurs ou d’autres sous-catégories de chômeurs.

Chômeurs ayant versé des cotisations

couverture_AE2-2Le graphique de gauche montre que le pourcentage de chômeurs qui cotisent à l’assurance-emploi est demeuré assez stable de 2002 à 2009, même cette dernière année, alors que le nombre de chômeurs a grandement augmenté, puis a soudain couverture_AE2-3chuté entre 2009 à 2012 (de 70,3 % à 61,7 %). Le graphique de droite, lui, nous révèle que la baisse du pourcentage de cotisants s’explique uniquement par l’augmentation importante de la proportion de chômeurs qui n’ont pas travaillé depuis au moins 12 mois, y compris ceux qui n’ont jamais travaillé, entre 2009 et 2012 (de 24,8 % à 33,9 %). Cette hausse correspond tout à fait à l’explication que j’avais fournie dans un précédent billet de la baisse du ratio P/C à l’aide d’autres données. Ce graphique nous apprend aussi que le pourcentage de chômeurs occupant un emploi non assurable (essentiellement des travailleurs autonomes) a même un peu diminué entre 2009 et 2012, de 4,9 % à 4,4 % (malgré une petite hausse en 2012), mais pas suffisamment pour atténuer de façon significative la trop forte tendance à la hausse du pourcentage de chômeurs qui n’ont pas travaillé depuis au moins 12 mois. On notera que je n’ai pas trouvé ces données pour 2008, mais cela ne changerait sûrement rien.

L’augmentation de la proportion de chômeurs n’ayant pas travaillé depuis au moins 12 mois est vraiment intrigant. J’ai fouillé pour voir si cette augmentation touchait plus les jeunes (ce qui voudrait dire qu’ils seraient plus nombreux à chercher un emploi pour la première fois ou que ceux qui en ont déjà eu un plus d’un an auparavant auraient plus de difficulté à en trouver) que les plus âgés (ce qui pourrait montrer un problème structurel, soit l’obsolescence de leurs compétences), les hommes que les femmes. En fait, ce phénomène s’observe dans tous les groupes d’âge inférieur à 55 ans, mais pas chez les plus vieux. Il s’observe aussi chez les hommes et les femmes, quoique un peu plus chez les femmes. Il est donc difficile de conclure sur cette question, sinon pour dire que cela ne semble pas relever d’aucune des deux hypothèses que je testais en faisant cette vérification.

Chômeurs potentiellement admissibles

couverture_AE2-4Le graphique ci-contre montre l’évolution du pourcentage des chômeurs cotisants qui ont un motif de cessation d’emploi qui les rend inadmissibles à recevoir des prestations. On a vu dans le précédant billet que les motifs de cessation d’emploi en question sont principalement les départs volontaires sans motif jugé valable et, dans une moindre mesure, les congédiements pour inconduite. Même si le graphique donne l’impression que cette proportion varie beaucoup, leur nombre est en fait assez stable. Au cours de ces 11 ans, leur nombre a varié de entre 150 000 (2005) et 195 000 (2008). La forte baisse qu’on peut voir sur le graphique en 2009 est en fait surtout dû au fait que le dénominateur (le nombre de chômeurs cotisants) était beaucoup plus élevé en raison de la récession. La hausse des années suivantes est due à la baisse du nombre de chômeurs cotisants, puisque le nombre de ceux qui avaient un motif de cessation d’emploi les rendant inadmissibles a en fait diminué un peu.

Le nombre de chômeurs cotisants qui ont un motif de cessation d’emploi qui les rend inadmissibles à recevoir des prestations a surtout augmenté durant les années 1990, alors que les pénalités pour les départs volontaires jugés sans motif valable et pour les congédiements pour inconduite ont été rendues beaucoup plus sévères. Ainsi, ces pénalités pouvaient varier selon le cas (circonstances atténuantes ou pas) de une à six semaines avant les années 1990, puis de sept à 12 semaines à compter de 1990, mais consistent depuis 1993 à une inadmissibilité complète. Même si les données comparables pour les années 1980 à 2001 ne sont pas disponibles, il n’est pas audacieux de penser que le durcissement de ces inadmissibilités fut un facteur important de la baisse du ratio P/C dans les années 1990. Les données du graphique montrent par contre que ce facteur n’a pas joué dans sa baisse plus récente.

– Chômeurs admissibles

couverture_AE2-5Le graphique ci-contre (c’est le dernier!) montre l’évolution de la proportion des chômeurs potentiellement admissibles (CPA) qui n’ont pas droit aux prestations d’assurance-emploi parce qu’ils n’ont pas accumulé suffisamment d’heures de travail. Encore ici, les variations qu’on peut voir sur le graphique peuvent être trompeuses. En fait, leur nombre s’est situé entre 95 000 et 120 000 dans 10 des 11 années illustrées sur le graphique, atteignant un étrange 150 000 en 2011. La baisse de 2009 est bien normale, car, lorsque le taux de chômage augmente, le nombre d’heures exigées pour obtenir des prestations diminue. De même, les niveaux de 2010 et 2012, sensiblement les mêmes que de 2002 à 2008, s’expliquent bien, mais pas la hausse anormale de 2011.

On voit donc que l’évolution de la proportion des chômeurs potentiellement admissibles qui n’ont pas droit aux prestations d’assurance-emploi parce qu’ils n’ont pas accumulé suffisamment d’heures de travail n’a pas joué un grand rôle non plus dans la baisse récente du ratio P/C. Par contre, même si, encore une fois, il n’y a pas de données comparables avant 2002, il est clair que le changement apporté en 1996, année à partir de laquelle l’admissibilité a commencé à être calculée selon le nombre d’heures travaillées plutôt que selon le nombre de semaines, a joué un rôle important dans la baisse du ratio P/C à cette époque. Et il avait touché davantage les personnes qui travaillent à temps partiel, soit les jeunes et les femmes…

Et alors…

Cet exercice ne nous a pas donné toutes les réponses. Nous pouvons toutefois isoler un facteur qui a joué plus que tous les autres dans la baisse récente du ratio P/C, soit la hausse inexpliquée de la proportion de chômeurs qui ne cotisent pas, essentiellement celle des chômeurs qui ne travaillent pas depuis au moins 12 mois. Est-ce parce que plus de personnes veulent se joindre au marché du travail ou parce que celles qui veulent s’y joindre ont plus de difficultés à le faire? On ne sait pas…

Nous avons aussi pu voir que la chute du ratio P/C dans les années 1990 est due à deux changements dans les critères du programme, soit la plus grande sévérité des pénalités pour les départs volontaires jugés sans motif valable et pour les congédiements pour inconduite, et le passage d’un système d’admissibilité basé sur les heures de travail plutôt que sur les semaines de travail. En regardant le nombre de personnes touchées par ces deux facteurs (une moyenne de plus de 170 000 dans le premier – les pénalités – et d’un peu moins de 115 000 pour le deuxième – pas assez d’heures de travail pour avoir droit à des prestations), il semble que le facteur le plus important fut le premier. Mais comme nous ne savons pas combien de personnes étaient touchées avant l’entrée en vigueur de ces changements, on ne peut pas en être sûr…

J’ajouterai finalement que les données des neuf premiers mois de 2013 montrent une nouvelle baisse de ce ratio (de 0,41 à 0,39), même si la proportion de chômeurs n’ayant pas travaillé depuis au moins 12 mois a légèrement diminué (de 38,0 % à 37,3 %). Il semble donc que d’autres facteurs ont joué en 2013. Une certaine réforme, peut-être? Mais cela, nous ne pourrons pas en être certains avant un an, soit quand les données de 2013 de l’ECAE seront disponibles, ou pire encore, quand le Rapport de contrôle et d’évaluation de 2014 sera diffusé, soit en 2015

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6 commentaires leave one →
  1. 28 novembre 2013 5 h 51 min

    Tiens un graphique plus clair de l’évolution du ratio P/C à la page numérotée 20 (Figure 11) du rapport de la Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi qui est sorti hier, trop tard pour la rédaction de ce billet…

    Cliquer pour accéder à CNEAE_Rapport.pdf

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  2. Gilbert Boileau permalink
    28 novembre 2013 9 h 10 min

    Quel travail de moine! Merci. Marier l’univers des chômeurs et celui des bénéficiaires de l’AE demeurait un défi que tu relèves avec brio. Les entrées-sorties du marché du travail et particulièrement de la catégorie  »chômeurs » ont toujours été un sujet de discussions entre économistes dans ce domaine … et les données pour en étudier la composition ne font pas légion. Les liens Assurance-emploi/chomeurs sont beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord: ce n’est pas un simple ratio P/C qui peut en être la seule vitrine. Mais il semble bien que de moins en moins de Québécois reçoivent des prestations d’AE qu’ils soient chômeurs ou non.

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  3. 28 novembre 2013 10 h 06 min

    Entre 2010 et 2012, ça a baissé plus hors du Québec, car la hausse de la proportion de chômeurs qui ne travaillent pas depuis un an y fut beaucoup plus forte. Pour les neuf premiers mois de 2013, ça a baissé un peu plus au Québec, mais surtout dans les Maritimes (sauf Terre-Neuve, où il a augmenté un peu), notamment à l’IPÉ (de 0,95 à 0,80!) et au NB (0,89 à 0,77). Au Québec, c’est passé de 0,47 à 0,44.

    Le taux de chômeurs inexpérimenté à augmenté un peu au Québec, mais a diminué un peu dans le ROC. Je n’ai pas fait le calcul par province…

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