La syndicalisation au Québec et dans le reste du Canada
N.B. Ce billet a été mis à jour en avril 2021.
Statistique Canada a publié récemment une courte étude intitulée Les tendances à long terme de la syndicalisation. L’agence fédérale annonçait par la même occasion la parution «de nouveaux tableaux CANSIM sur l’adhésion syndicale et la couverture par une convention collective selon diverses caractéristiques clés, basées sur les données de l’Enquête sur la population active». Ce billet présentera quelques-unes des données fournies par un seul de ces tableaux (282-0078). Il n’est pas dit que je n’exploiterai pas les données des autres tableaux dans de prochains billets…
Évolution de la présence syndicale
– dans tous les secteurs
Le graphique qui suit illustre l’évolution de la présence syndicale au Québec et dans le reste du Canada selon le sexe.
Le portrait est tout de même saisissant! On peut en effet voir que le taux de syndicalisation est beaucoup plus élevé au Québec que dans le reste du Canada, tant chez les hommes (ligne bleue par rapport à la ligne jaune) que chez les femmes (ligne rouge par rapport à la ligne verte), avec des écarts respectifs de 13 et 9 points de pourcentages en 2012. Le graphique montre aussi que ce taux a diminué chez les hommes du Québec (de 3,5 points de pourcentage) et du reste du Canada (de 5,3 points), mais qu’il a augmenté légèrement chez les femmes du Québec et du reste du Canada (de 0,7 point dans les deux cas). Ces changements ont fait en sorte que le taux de syndicalisation des femmes du reste du Canada est rendu plus élevé que celui des hommes, alors qu’il lui était plus faible en 1997 (et encore plus avant, selon l’étude de Statistique Canada). Au Québec, les taux sont rendus à peu près égaux.
Globalement, le taux de syndicalisation a diminué de 1,5 point au Québec (de 41,4 % à 39,9 %) et de 2,4 points dans le reste du Canada (de 31,4 % à 29,0 %). À la page numérotée 2 de l’étude de Statistique Canada, on montre que la baisse du taux de syndicalisation fut encore plus forte avant cela. En effet, on peut y lire que :
«De 1981 à 2012, le taux de syndicalisation a diminué de 38 % à 30 % [au Canada], soit un déclin de 8 points de pourcentage. Le taux a perdu 2 points de pourcentage au cours des années 1980, et en a perdu 6 de plus au cours des années 1990, pour ensuite demeurer stable au cours des années 2000.»
On y apprend plus loin sur la même page que le taux de syndicalisation a aussi diminué au Québec, passant de 44 % en 1981 à 40 % en 2012. Notons également que, si le taux du Québec était le plus élevé du Canada en 2012 avec ces 40 %, il lui était bien près à Terre-Neuve (39 %), et que ce taux était à son minimum en Alberta (23,5 %). Qui l’eut cru?
– dans le secteur privé
Si ces données ont un certain intérêt, elles nous laissent un peu sur notre faim. En effet, ces données ne nous disent pas d’où viennent ces écarts. On tente souvent de les expliquer par l’importance plus grande du secteur public au Québec. Voyons voir ce qu’il en est…
De façon peut-être étonnante pour certains, ce graphique montre que l’écart du taux de syndicalisation entre les Québécois et les salariés du reste du Canada est très semblable dans le secteur privé à celui observé pour l’ensemble des salariés. Il est en effet passé de 11 à 14 points de pourcentage entre 1997 et 2012 chez les hommes (31,9 % au Québec par rapport à 17,8 % en 2012) et est resté assez stable entre 6 et 7 points chez les femmes en faveur des salariées québécoises (18,6 % par rapport à 12,3 % en 2012). Par contre, on voit clairement que les femmes qui travaillent dans le secteur privé ont un taux de syndicalisation bien inférieur à celui des hommes, en moyenne de 13 points au Québec et de 7,5 points dans le reste du Canada.
– dans le secteur public
Le graphique qui suit montre que l’écart du taux de syndicalisation entre les Québécois et les salariés du reste du Canada dans le secteur public, quoique un peu inférieur que celui observé dans le secteur privé, est tout de même fort important.
Il fut en effet assez stable, en moyenne de près de 8 points de pourcentage chez les hommes et de près de 10 points chez les femmes entre 1997 et 2012. Par contre, contrairement à ce qu’on a vu dans le secteur privé, il fut plus élevé chez les femmes que chez les hommes, de 4,3 points de pourcentage en moyenne au Québec (83,1 % par rapport à 78,8 %) et de 2,6 points dans le reste du Canada (73,6 % par rapport à 71,0 %), écart qui tend à augmenter dans ce cas, ayant été nul en 1997 et ayant atteint plus de trois points de pourcentage en 2011 et 2012.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la présence des salariés du Québec et du reste du Canada dans les secteurs public et privé est relativement semblable. Ainsi, 82,0 % des hommes salariés du Québec et du reste du Canada travaillaient en 2012 dans le secteur privé. Chez les femmes, l’écart était tout de même assez mince, de moins de trois points de pourcentage entre les salariées québécoises (67,4 %) et celles du reste du Canada (70,0 %). Il demeure que les femmes sont bien plus présentes que les hommes dans le secteur public, au Québec (33,6 % par rapport à 18,0 % en 2012 ) et dans le reste du Canada (30,0 % par rapport à 18,0 %), ce qui explique que le taux de syndicalisation global des femmes du reste du Canada est rendu plus élevé que celui des hommes et que ces deux taux soient rendus presque égaux au Québec.
– par industrie
En fait, s’il est clair que le taux de syndicalisation a été au moins deux fois plus élevé dans le secteur public que dans le secteur privé tout au long de cette période (et même six fois plus élevé en 2012 chez les femmes du reste du Canada, avec un taux de 73,7 % dans le secteur public par rapport à seulement 12,3 % dans le secteur privé), le taux de syndicalisation fut, quelque soit le secteur, toujours beaucoup plus élevé au Québec. Constat plus étonnant, il était en 2012 toujours plus élevé dans chacune des 16 industries pour lesquelles le fichier étudié (cansim 282-0078) fournit des données, comme on peut le voir dans le tableau qui suit.
On peut en effet constater que l’écart le plus élevé en points de pourcentage (quatrième colonne) s’observait dans la construction, en raison de la présence de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction au Québec. L’écart était aussi très fort dans les services publics, sûrement parce que plus des 90 % des emplois dans cette industrie au Québec se retrouvent chez Hydro-Québec. La différence la moins grande s’observait dans le secteur de l’hébergement et de la restauration, où les taux étaient très faibles, tant au Québec (8,9 %) que dans le reste du Canada (6,7 %). En pourcentage (cinquième colonne), l’écart le plus grand (près de 200 %, 21,8 % par rapport à seulement 7,3 %) se trouvait dans le secteur de la finance, des assurances, de l’immobilier et de la location, peut-être en raison de la présence de Desjardins au Québec. Il était le plus faible dans le secteur de l’enseignement, avec seulement 8 % d’écart, ce qui se traduit tout de même par une différence de 5,5 points de pourcentage (75,7 % par rapport à 70,2 %).
Et alors…
Ce billet est peut-être un peu fastidieux, mais sa préparation m’a permis de bien mieux comprendre les écarts historiques de syndicalisation entre nos deux solitudes. J’espère qu’il a eu le même effet sur vous.
Certes, le taux de syndicalisation a diminué au Québec depuis le début des années 1980 (de 44 % en 1981 à 40 % en 2012), mais notre société a tout de même su mieux résister aux sirènes du néolibéralisme que dans le reste du Canada, où ce taux est passé de 38 % à 30 %, et surtout qu’aux États-Unis où il a atteint en 2012 un creux de 11,3 %. Je me réjouis aussi d’apprendre que le taux de syndicalisation des femmes a enfin rejoint celui des hommes en 2012, mais me désole de le voir si bas dans le secteur privé, où leurs conditions de travail sont souvent bien moins bonnes que celle des hommes.
« …mais me désole de le voir si bas dans le secteur privé, où leurs conditions de travail sont souvent bien moins bonnes que celle des hommes. »
Bien oui, la couture et les madames plus ou moins contentes chez All-Marde. C’est sans compter le traditionnel; servir la bouffe dans les restaurants et les cafétérias.
Ça prend du temps changer une mentalité.
J’aimeJ’aime
«Ça prend du temps changer une mentalité.»
Ça aurait pu conclure ce billet!
J’aimeJ’aime
Excellent texte Darwin. Naturellement j’ai été longtemps pro-syndicat alors que maintenant, je le suis moins. Le fait d’être plus syndiqué au Québec qu’ailleurs est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Je me sens parfois incapable de répondre.
J’aimeJ’aime
Pour moi, il n’y a aucun doute. La force syndicale est un des facteurs les plus importants pour limiter les inégalités. Cela se fait bien sûr directement grâce à un meilleur rapport de force des salariés, mais aussi indirectement par l’influence des valeurs sociales des syndicats en politique.
Il faut par contre savoir différencier l’impact de l’institution syndicale des actes pas toujours au diapason des valeurs que je viens de mentionner de certains syndicats en particulier. Pas plus que toi je n’endosse les magouilles dénoncées récemment, souvent l’oeuvre de certains individus qui profitent de l’institution pour se créer des avantages personnel (mes réserves sur le Fonds de solidarité ne s’en trouvent que renforcées; voir https://jeanneemard.wordpress.com/2012/02/16/le-credit-dimpot-des-fonds-de-travailleurs/ ). Note qu’il en est de même chez les employeurs de la construction, du génie, des mines, du pétrole et de bien d’autres secteurs (et je ne parle pas de la finance). D’autres syndicats ont une attitude purement corporatiste (par exemple dans les débats sur l’amiante et les pipelines) qui nuit à l’avancement social.
Il n’en demeure pas moins que l’institution syndicale sert de contrepoids aux lobbys de l’entreprises privés et redonne de la dignité aux travailleurs.
J’aimeJ’aime
@ frequency.
«maintenant, je le suis moins«
Dans l’état du monde que nous vivons ya pas plus important que le syndicat. Tout simplement pcq je crois sincèrement que sans eux tu ne pourrais pas faire le métier que tu fais, faute d’avoir assez de personne qui a les moyens pour demander de tes services. Je pense vraiment que sans eux ça serait l’enfer, comme dans le livre la jungle d’Upton Sinclair.
Et n’oublie pas que le syndicat c’est ton père, ton frère, ta mère, tes cousins, tes voisins qui l’ont créé.
Comme le dit si bien Darwin, ce n’est pas pcq il y a des pommes pourries dans le panier qu’il fasse jeter le panier au complet.
Ne jette pas le panier si tu veux avoir assez de monde pour être en mesure d’exercer ton métier.
J’aimeJ’aime
Yves, tu exprimes parfaitement ma pensée! 😉
J’aimeJ’aime
Toi aussi Darwin! 😉
J’aimeJ’aime
Et il y a le gouverneur du Texas, Rick Perry, qui affirme que les problèmes de déficits du Texas sont en bonne parti dû aux syndicats alors que moins de 4% des employés sont syndiqués! (L’état américain ayant d’ailleurs le plus bas taux.)
Comme quoi les syndicats ont le dos large….
J’aimeJ’aime
«Comme quoi les syndicats ont le dos large….»
Et comme quoi Rick Perry n’est pas très brillant!
J’aimeJ’aime
Tes propos rejoignent le fond de ma pensée. Enfin on peut mettre des chiffres sur une réalité fort complexe. En effet, les syndicats ont le dos large quand vient le temps d’excuser les dérives du libéralisme sauvage.
J’aimeJ’aime
J’ai l’habitude de dire lorsque la rivière déborde dans la maison, la droite accuse le robinet ouvert!
J’aimeJ’aime
… et que c’est le syndicat qui l’a ouvert? 😉
J’aimeJ’aime
@ frequency
« Le fait d’être plus syndiqué au Québec qu’ailleurs est-ce une bonne ou une mauvaise chose? »
Sincèrement posez-vous la question?
Le Québec un ou est le pays le plus syndiqué en Amérique du Nord et le plus prospère ou, le moins touché par la crise de 2008.
Ç’a vous dit quelque chose?
Mon épouse, une enseignante, était protégée par un syndicat de boutique dans une école privée. Autrement dit pas de protection syndicale. Mais ce syndicat de boutique adoptait les normes du vrai syndicat de l’école en face de la rue et donc le salaire, sinon les enseignants auraient traversé la rue.
Autrement dit les gens non syndiqués qui travaillent dans l’air conditionné « sul la slide » chargent le même le même prix que les gens qui ne sont pas « sur la slide » parce que sa fait partie de la construction. Bon à quelques cennes près.
Mais les ébénistes non syndiqués ne peuvent jouir du même pouvoir. Quand le climatiseur casse le 13 juillet le réparateur possède de pouvoir de charger le total que les syndicats appliquent. Imaginez maintenant en Floride. L’ébéniste lui on peut le faire crever de faim en le faisant attendre. Pourtant un travailleur de 5 ans dans l’air conditionné peut agir en professionnel et l’ébéniste lui, à 5 ans est à l’apprentissage. Ceci est un rapport de force que les syndicats comprennent.
Bon revenons au principal.
Étant donné que la nature a horreur du vide, si les syndicats abandonnent ce pouvoir qu’ils ont présentement, il sera récupéré par nuls autres que les employeurs. Ils pourront alors payer leur 50 salariés à 9,97 de l’heure en travaillant pour les riches. Et vous frequency vous avez 0 à 5 employés? Et bien vous tomberez au même salaire que vos employés en plus d’aller chercher un deux ou trois piasses par employé.
Finalement si tous font pareil dans tous les domaines, personne n’aura le moyen de se payer l’air climatisé à part bien sûr que les très riches, mais ils ne s’en payent qu’un. Donc vous serez mûr pour aller laver la vaisselle pour les riches étant donné que votre entreprise ne sera plus viable et que laver la vaisselle sera plus payant que l’air conditionné « la job » étant plus en demande.
Autrement dit c’est à cause des syndicats que votre entreprise CHARGE très CHER.
C’est facile d’apprendre l’air conditionné et ça ne coûte pas cher d’équipement.
Ce sont les syndicats qui maintiennent votre niveau de vie et votre entreprise.
J’aimeJ’aime
Youlle, tu exprimes, mais surtout tu élabores mieux que moi ma pensée. 😉
J’aimeJ’aime
@ Yves
Vous m’avez inspiré ce texte. 😉
J’aimeJ’aime