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Le marché du travail des jeunes

19 février 2014

jeunesLe marché du travail des jeunes est probablement le plus complexe à analyser. Tout d’abord, il est composé de personnes âgées de 15 à 24 ans (on va parfois jusqu’à 29), une tranche d’âge de seulement 10 ans, bien petite par exemple par rapport à la population âgée de 25 à 54 ans. Ensuite, c’est la population la moins homogène qu’on peut imaginer. En effet, on y trouve des jeunes de 15 et 16 ans qui sont tenus par la loi de fréquenter l’école et des «grands» âgés de 23 et 24 ans qui ont pour la grande majorité terminé leurs études. Les données sur cette population peut donc varier grandement en fonction de la démographie. Par exemple, en 2013, 46 % des jeunes du Québec âgés de 15 à 24 ans avait entre 15 et 19 ans et 54 % entre 20 et 24 ans, selon le fichier cansim 051-0001 de Statistique Canada. On en trouvait 83 700 âgés de 15 ans, mais près de 113 000 âgés de 22 ans, 35 % de plus! On peut donc s’attendre à ce que cette composition démographique entraîne une sous-estimation du taux de fréquentation scolaire et surestime leur présence sur le marché du travail.

Et, ce n’est pas tout. On y retrouve une forte proportion d’étudiants qui ont des comportements sur le marché du travail très différents des non-étudiants. Finalement, tant leur taux de fréquentation scolaire que leur taux d’emploi ont grandement évolué dans le temps.

Je ne tenterai pas ici de présenter tous ces éléments. J’ai esquissé les caractéristiques principales de cette population tout simplement pour montrer qu’il faut se méfier des affirmations simplistes qu’on peut fréquemment lire ou entendre sur cette population, notamment sur leur fréquentation scolaire et sur leurs données sur le marché du travail (taux d’emploi, taux de chômage, taux de travail à temps partiel, etc,). Je compte ici ne commenter que deux de ces affirmations que j’ai lues récemment. Pour ce, j’utiliserai les données des tableaux cansim 282-0095 et 282-0002 de Statistique Canada. Le premier de ces tableaux présente les données sur les jeunes (population, emploi, etc.) en fonction de leur statut d’étudiant durant les huit mois où ils sont habituellement en classe (moyenne de janvier à avril et de septembre à décembre), et le deuxième les données moyennes pour tous les mois de l’année.

Fréquentation scolaire

Lundi dernier, Rudy Le Cours a fait une affirmation étrange. Je dis bien «étrange», car il est un des seuls chroniqueurs économiques à bien relativiser les données sur l’emploi de l’Enquête sur la population active (EPA), en les comparant même parfois à celles de l’Enquête sur la rémunération et les heures de travail (EERH) beaucoup plus fiables (ce que je fais tout le temps…). Mais là, il s’est planté…

«Dans la cohorte des Québécois de 15-24 ans, le taux d’activité et le taux d’emploi sont significativement plus élevés que pour les Canadiens de la même cohorte. Le corollaire de cette réalité, c’est sans doute qu’ils sont moins nombreux à étudier à temps plein puisque des droits de scolarité moins élevés les obligent moins à travailler pour boucler leur budget.»

Sans doute? On attendrait mieux d’un professionnel dont la fonction est de nous informer, genre vérifier son intuition! Ce n’est pourtant pas long, ça m’a pris cinq minutes pour voir qu’il avait tort! Non, M. Le Cours, les jeunes Québécois avaient au contraire un taux de fréquentation scolaire plus élevé que les jeunes Canadiens en 2013… Vrai, leur taux d’activité était plus élevé (63,8 % par rapport à 60,5 %), de même que leur taux d’emploi (55,5 % par rapport à 52,3 %), mais leur taux de fréquentation scolaire était quand même plus élevé que celui des Canadiens (60,0 % par rapport à 58,0 %), même si la proportion de jeunes âgés de 15 à 19 ans était plus basse au Québec (46,0 %) que dans l’ensemble du Canada (47,1 %).

Quand aux conséquences des droits de scolarité sur leur présence sur le marché du travail, elles ne semblent pas jouer, car l’écart du taux d’emploi est encore plus grand chez les étudiants à temps plein : 42,5 % au Québec par rapport à 36,2 % au Canada.

Emploi, chômage et inactivité

La deuxième affirmation que je veux commenter vient de David Macdonald du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA), Dans ce billet, il ne fait pas une, mais deux affirmations mal fondées :

«[traduction] Environ 20 % de la baisse du taux de chômage depuis le creux de 2009 s’explique par le fait que les Canadiens ont trouvé des emplois, ce qui est de toute évidence quelque chose de positif, mais 80 % de cette baisse est due au fait que les Canadiens ont abandonné leur recherche d’emploi. En fait, la situation est bien pire pour les jeunes où 100 % de la baisse de leur taux de chômage était dû à des jeunes qui abandonnent leur recherche.»

Comme l’auteur ne donne aucune source pour appuyer ses prétentions, il est difficile de commenter avec certitude son raisonnement. Il est toutefois clair qu’il confond des flux (ce qui est arrivé avec les personnes en chômage en 2009) et des variations de stocks (la différence entre le nombre de chômeurs et d’inactifs entre 2009 et 2013). Je vais illustrer cette erreur en expliquant l’évolution de la situation sur le marché du travail des jeunes et montrer que cette évolution n’a rien à voir avec son affirmation que ceux qui étaient en chômage au cours du «creux de 2009» ont abandonné leurs recherches d’emploi. Quand aux plus vieux, son erreur est du même type, mais davantage liée au vieillissement de la population. Mais, je vais seulement m’attarder sur la deuxième partie de son affirmation (c’est déjà assez compliqué!), celle qui parle des jeunes.

Pour tenter de comprendre ce qu’il veut dire, j’ai comparé les données de 2009 à celles de 2013. De fait, les données montrent que si le nombre de chômeurs âgés de 15 à 24 ans a baissé de 56 000, le nombre d’inactifs de cette tranche d’âge a augmenté encore plus, soit de 72 000. Par contre, ce ne sont pas les mêmes personnes! En effet, environ 40 % des jeunes qui avaient de 15 à 24 ans en 2009 avaient entre 25 et 29 ans en 2013! Entre ces deux années, le nombre de jeunes âgés de 15 à 19 ans a diminué de 130 000 (ou de 5,9 %) et le nombre de ceux âgés de 20 à 24 ans a augmenté de 126 000, soit de 5,5 %. En plus, toujours entre ces deux années, il est arrivé un bon nombre d’immigrants (et un certain nombre d’émigrants de ces âges ont quitté le Canada), ce qui fait qu’on ne parle vraiment pas du même monde. Comment alors dire que la baisse du nombre de chômeurs est due à ceux qui ont abandonné leurs recherches (ou ont quitté le marché du travail)? En fait, pour analyser la situation, il est nettement préférable de comparer les taux d’emploi.

jeunes1Le tableau à droite montre l’évolution du taux d’emploi des jeunes du Canada (et du Québec, pourquoi pas?) entre 2009 et 2013. On peut y constater qu’il est vrai que le taux d’emploi des jeunes a diminué au Canada à la fois chez les 15-19 (de 2,6 points de pourcentage) et les 20-24 (de 0,5 point). Par contre, quand on fouille un peu, on constate qu’il a en fait diminué uniquement chez les étudiants âgés de 15 à 19 ans (de 2,7 points), alors qu’il a augmenté chez les jeunes non-étudiants âgés de 15 à 19 ans (de quand même 1,2 point de pourcentage) et chez les étudiants et les non-étudiants âgés de 20 à 24 ans! Or (en laissant de côté les émigrants), de ces jeunes de cette tranche d’âge en 2009, il ne reste en 2013 que ceux qui avaient 15 ans en 2009 et 19 en 2013. Les autres faisaient partie de la tranche d’âge des 20-24 en 2013. Bref, cette baisse ne signifie nullement que, comme le prétend M. Macdonald, les jeunes chômeurs de 2009 ont cessé de chercher un emploi, mais simplement que les jeunes qui sont entrés dans cette tranche d’âge entre 2009 et 2013 (qui avaient donc entre 11 et 14 ans en 2009) et qui étaient étudiants travaillaient moins que ceux qui avaient cet âge en 2009! Est-ce si négatif?

On notera aussi un phénomène qui paraît étrange, même contre-intuitif : le taux d’emploi de tous les jeunes âgés de 20 à 24 ans a diminué entre 2009 et 2013 (de 0,5 point de pourcentage), tandis qu’il a augmenté à la fois chez les étudiants (de 0,1 point) et chez les non-étudiants (de 0,4 point) de cet âge! Comment est-ce possible?

Il s’agit de ce qu’on appelle un paradoxe de Simpsonun paradoxe statistique (…) dans lequel le succès de plusieurs groupes semble s’inverser lorsque les groupes sont combinés. Ce résultat qui paraît impossible est souvent rencontré dans la réalité (…)». En fait, il est assez simple à expliquer (mais dur à jeunes2comprendre!). On peut voir dans le tableau de droite à la quatrième ligne que le taux de fréquentation scolaire des jeunes du Canada âgés de 20 à 24 ans a augmenté de 2,7 points de pourcentage entre 2009 et 2013, passant de 40,0 % à 42,8 % (il a aussi augmenté chez les 15-19 et au Québec, mais je m’égare…). Or, si on revient au tableau précédent, on verra que le taux d’emploi des étudiants du Canada âgés de 20 à 24 ans (autour de 48 %, en 2009 comme en 2013) est beaucoup plus faible que celui des non-étudiants de même âge (autour de 78 %, 30 points de pourcentage de plus!). Or, comme le taux de fréquentation scolaire a augmenté, on retrouve proportionnellement plus de jeunes de cet âge en 2013 ayant des taux d’emploi autour de 48 % qu’il y en avait en 2009, et proportionnellement moins qui avaient un taux d’emploi autour de 78 %. Il est donc logique que la moyenne du taux d’emploi pour tous les jeunes, étudiants comme non-étudiants, ait baissé (oui, oui!). On notera aussi que le taux de fréquentation scolaire des jeunes âgés de 15 à 19 ans a aussi augmenté, faisant diminuer la proportion de non-étudiants au taux d’emploi autour de 63-64 % et augmenter celle de ceux qui ont un taux d’emploi entre 30 % et 35 %.

Voilà! Ce n’est donc pas parce que les jeunes chômeurs de 2009 ont cessé de chercher un emploi que leur taux d’emploi a baissé et que le nombre d’inactifs a augmenté, mais parce que les jeunes étudiants qui ont atteint l’âge de 15 à 19 ans entre ces deux années travaillent moins et parce que le taux de fréquentation scolaire de tous les jeunes a augmenté! Comme drame, il y a pire!

Et alors…

Comme je le disais au début de ce billet, le marché du travail des jeunes est un des plus complexes à analyser. Les gens qui ne connaissent pas toutes ses subtilités ne peuvent que se planter s’ils se laissent aller à conclure à partir de leurs premières impressions, qui reposent souvent sur leurs croyances, plutôt de droite dans le cas de monsieur Le Cours et pas mal à gauche dans le cas du CCPA… En tout cas, on ne pourra pas m’accuser de ne critiquer que les affirmations de la droite! Si je critique plus souvent les erreurs de la droite, c’est seulement qu’elle se trompe plus souvent!

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3 commentaires leave one →
  1. Gilbert Boileau permalink
    20 février 2014 7 h 20 min

    Derrière cette analyse il y a beaucoup de lectures, de discussions et d’expérience-terrain. Magnifique condensé de la situation des jeunes sur le marché du travail et de la façon d’en apprécier la présence et leur évolution au fil des ans. Espérons que les journalistes qui couvrent la scène économique liront ce texte de référence. Merci Darwin.

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  2. 20 février 2014 7 h 59 min

    Merci Gilbert. On peut toujours espérer en effet que les journalistres et autres intervenants pourront un jour dépasser leurs impressions et s’informer avant de se prononcer, mais il ne faut pas s’illusionner!

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