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172 000 emplois, 210 000, 250 000… qui dit mieux?

13 mars 2014

250000aLors de la dernière campagne électorale, j’ai écrit un billet pour montrer que la promesse de Jean Charest de créer 250 000 emplois en cinq ans n’avait qu’une très, très faible probabilité de se concrétiser compte tenu du vieillissement de la population, même si certains observateurs trouvaient cette promesse trop facile à réaliser.

Et c’est reparti, comme en 2012! Le Parti libéral a parti le bal (belle rime…) en réitérant sa promesse au même niveau, 250 000 emplois en cinq ans. Mme Marois s’est contentée de promettre 172 000 emplois (encore une rime!) sur la même période, reprochant aux libéraux que leur promesse ferait «augmenter les dépenses publiques et la dette». Ce n’est pas nécessairement faux, mais si elle pense que l’emploi augmentera autant avec des mesures d’austérité, c’est qu’elle n’a rien appris de l’expérience européenne… M. Legault, ne voulant pas se faire jouer dans le dos (bon, OK, celle-là est moins bonne…), a relancé la mise avec 210 000 emplois, mais pas en cinq ans, en quatre seulement, surpassant ainsi la promesse libérale de 2 500 emplois par année! J’espère seulement que QS ne jouera pas ce petit jeu, mais les campagnes politiques étant ce qu’elles sont, je crains un petit peu…

Et, bien sûr, il s’est encore trouvé un fin observateur de la vie économique pour répéter la même erreur que d’autres lors de la précédente élection, prétendant que 50 000 emplois par année, ça «n’a cependant rien d’extraordinaire». Un commentateur encore plus perspicace s’est permis d’ajouter «Les statistiques de l’emploi au Québec pour les dix dernières années démontrent une création d’emploi de 47000 emplois par an , bon an mal an». Bon, la moyenne est en fait d’un peu plus de 40 000, mais ne chipotons pas. Je le répète : ces gens n’ont jamais entendu parler du vieillissement de la population? On ne nous casse peut-être pas suffisamment les oreilles avec ça? S’imaginent-ils que ses conséquences arriveront toutes dans la nuit entre le 31 décembre 2029 et le premier janvier 2030?

J’ai montré dans un billet paru il y a deux ans que, même si son intensité est et sera moindre que nos annonciateurs de malheurs ne le prétendent, le vieillissement de la population aura, et a déjà commencé à avoir, des conséquences importantes. Je montrerai donc quelles hypothèses devraient être satisfaites pour que les promesses de nos politiciens se réalisent et qu’elles ont une très faible probabilité de se produire.

Hypothèses

En raison du vieillissement de la population, il faudrait que le taux d’emploi de chaque tranche d’âge augmente considérablement pour que les promesses de nos politiciens se réalisent. Pour savoir à quel point ces taux devraient augmenter, je suis parti des taux d’emploi pour chacune des 12 tranches d’âge (15 à 19 ans, 20 à 24 ans, jusqu’à 65 à 69 ans et finalement 70 ans et plus) en 2013 diffusés dans le fichier cansim 282-0002. J’ai ensuite appliqué pour les années allant de 2014 à 2018 les taux de croissance prévus dans les scénarios de prévisions démographiques fournis par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) à la population de chacune de ces tranches d’âge. Comme j’ai observé dans ce billet que la tendance la plus récente se situe entre le scénario de référence et le scénario fort de ces prévisions (et que les données plus récentes suivent toujours cette tendance), j’ai utilisé la moyenne des données de ces deux scénarios. Ensuite, j’ai calculé de combien il faudrait que ces taux augmentent pour que chacune des promesses de nos politiciens se réalise. J’ai finalement compilé le résultat de ces calculs dans le tableau qui suit.

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Ce tableau montre que pour que la promesse péquiste se réalise, il faudrait que le taux d’emploi de chacune des 12 tranches d’âge augmente de 2,12 points de pourcentage, soit de 0,42 par année. La hausse requise pour les promesses libérale et caquiste sont du même ordre, atteignant environ 3 points de pourcentage sur quatre et cinq ans selon le cas, soit un taux annuel très semblable se situant tous les deux entre 0,6 et 0,7 point par année.

À première vue, ces hausses, surtout celle du PQ, peuvent sembler raisonnables quand on sait que la hausse moyenne des 10 dernières années fut justement de 0,40 point par année. Mais, ce serait omettre au moins trois changements majeurs depuis cette époque…

Changements

– hausse du taux d’emploi des femmes

Le graphique qui suit montre l’évolution du taux d’emploi chez les hommes et les femmes depuis 1976.

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Malgré certaines variations, dues principalement aux périodes de récession, on peut voir que le taux d’emploi des hommes (ligne rouge) a diminué fortement entre 1976 et le milieu des années 1990 (de 70,5 % à 61,4 % en 1993), qu’il a remonté un peu jusqu’en 2002 et est demeuré assez fixe par la suite (63,7 % en 2013). La hausse du taux d’emploi total (ligne bleue) ne peut donc pas venir d’eux. En effet, on peut aussi voir la hausse spectaculaire du taux d’emploi des femmes (ligne jaune) entre 1976 (37,4 %) et 2007 (57,5 %), une hausse de 54 %! On voit aussi que ce taux n’augmente plus depuis (56,9 % en 2013), même qu’il a diminué un peu. Pourquoi? Parce que le mouvement d’une plus grande présence sur le marché du travail des femmes entamé au cours des années 1970 a maintenant rejoint toutes les tranches d’âge. Le graphique qui suit montre justement l’évolution de l’écart entre les taux d’emploi des hommes et des femmes selon les grands groupes d’âge.

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L’écart entre les taux d’emploi des hommes et des femmes âgés de 15-24 (ligne bleue) est presque disparu en 1990, avant de remonter légèrement et de devenir à l’avantage des jeunes femmes depuis maintenant 10 ans (2003)! Celui entre les personnes âgées de 25-54 (ligne rouge) a, lui, diminué de 93 % entre 1976 et 2009, passant de 46 points de pourcentage à à peine plus de 3 points! Par contre, on remarquera qu’il est assez stable depuis (4,0 points en 2013). La baisse de cet écart chez les personnes âgées de 55 ans et plus (ligne jaune) est presque aussi spectaculaire, celui-ci étant passé de 31 points en 1976 à 9 points en 2009 pour remonter légèrement à 11 points en 2013.

En conséquence, on ne peut plus guère s’attendre à un apport de l’évolution du taux d’emploi chez les femmes pour faire augmenter le taux d’emploi global. D’ailleurs, si 71 % de la hausse de l’emploi au Québec entre 1976 et 2008 est dû à l’augmentation de l’emploi chez les femmes, leur part ne fut que de 46 % entre 2008 et 2013, soit à peu près le niveau de leur part de l’emploi (48 %).

– immigration et résidents non permanents

Comme on le sait, le taux d’emploi des immigrants est beaucoup moins élevé que celui des natifs du Canada. Par exemple, selon le fichier cansim 282-0102, le taux d’emploi des immigrants âgés de 25 à 54 ans était en 2013 plus de 11 points de pourcentage inférieur à celui des natifs, et celui des résidents non permanents plus de 18 points plus bas! Or, ces personnes représentent une part sans cesse croissante de la population de cette tranche d’âge. En effet, cette part (immigrants et résidents non permanents) est passée de 14 % de cette population au Québec en 2006 à 19,0 % seulement 7 ans plus tard, en 2013. Et cette proportion ne pourra que croître encore à l’avenir… À moins d’améliorer grandement les mesures d’accueil des immigrants, ce facteur ne pourra que faire diminuer les taux d’emploi par tranche d’âge, pas les faire augmenter. Si en plus, on décide de leur interdire l’accès à une part importante des emplois disponibles, ça deviendra encore plus ardu de penser à une augmentation importante de l’emploi. Et, si on diminue le nombre d’immigrants que le Québec reçoit à chaque année, aussi bien prévoir des baisses d’emploi! Difficile alors d’expliquer des hausses de 172 000 et plus d’ici cinq ans!

– niveau des taux d’emploi actuels

Les taux d’emploi de sept des 12 tranches d’âge observés en 2013 représentent des sommets historiques depuis 1976 (et fort probablement de tous les temps). Comment alors penser que ces taux pourraient augmenter encore de 2 ou même 3 points de pourcentage dans chacune de ces 12 tranches d’âge en quatre ou cinq ans, comme les promesses du PQ, du PLQ et de la CAQ le prétendent, d’autant plus qu’on ne peut plus s’attendre à une contribution de l’augmentation du taux d’emploi de la part des femmes et que, au contraire, l’augmentation de la population immigrante tend plutôt à les faire diminuer?

Et alors…

Il est bien certain que, quand un politicien lance dans les airs une promesse de création d’emplois, il ne pense pas à ce que je viens de présenter. Il ne le sait probablement même pas. Je ne crois même pas que ça l’intéresse. Malheureusement, les citoyens qui l’entendent, même les éditorialistes supposément spécialisés en économie, ne le réalisent pas non plus. Et moi je rage tout seul dans mon coin… En souhaitant que ce billet me permette de me sentir moins seul!

13 commentaires leave one →
  1. Yves permalink
    13 mars 2014 5 h 48 min

    Entendus d’un journaliste du Devoir à RC tenant un propos qui disait sensiblement cela: Cette promesse de 250,000 emplois c’est bidon, pcq de toute manière promesse pas promesse ils se créent à peu près ce nombre d’emplois au Québec par tranche de cinq ans.

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  2. 13 mars 2014 7 h 12 min

    Un autre génie!

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  3. 13 mars 2014 9 h 17 min

    Réellement, quel estimation serait plus proche de la réalité, selon toi?

    Fort intéressant, ton article!

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  4. 13 mars 2014 10 h 14 min

    «Prévoir est un art difficile, surtout quand la prévision porte sur l’avenir»

    Quelque part autour de 100 000 sur cinq ans me semblerait plus réaliste. Cela correspond à une augmentation de 0,5 point de pourcentage par année pour les 4 tranches d’âge de 55 ans et plus et le maintien des autres. Ça reste optimiste, mais plus plausible.

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  5. Gilbert Boileau permalink
    13 mars 2014 11 h 38 min

    J’aime ton résonnement et je partage ta frustration envers les politiciens et certains journalistes à dossiers économiques. Répéter un mensonge n’en fait pas une vérité à la longue. Article fort intéressant. Merci de veiller au phare!

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  6. 13 mars 2014 16 h 18 min

    Merci!

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  7. youlle permalink
    15 mars 2014 16 h 15 min

    HS

    Darwin,

    http://www.lactualite.com/lactualite-affaires/les-leaders-croissance/des-entreprises-plus-innovantes-quon-ne-le-croit/

    Par youlle le 15 mars 2014 à 16 h 12 min

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  8. 15 mars 2014 16 h 54 min

    Merci, mais je ne vois pas vraiment le lien avec ce billet.

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  9. youlle permalink
    15 mars 2014 18 h 00 min

    C’est hors sujet, mais le « Par youlle le 15 mars 2014 à 16 h 12 min » n’est pas sorti. J’ai été trop vite. Ça ira à demain.

    Il est question dans les 2 précédentes interventions de la productivité du Québec.

    Merci!

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