Les immigrants et les données sur l’emploi
On dirait que les données de l’Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada nous réservent toujours des surprises… J’en ai expliquées de nombreuses dans de précédents billets, mais il y en a une apparue il y a un peu plus d’un an qui m’a échappé. Croyez-le ou pas, je l’ai découverte grâce à une vidéo du PQ (et à Ianik Marcil qui me l’a fait connaître)!
Même si l’élection est passée, les éléments soulevés dans cette vidéo me semblent encore d’intérêt. Je vais donc commenter certains éléments qui y sont présentés et compléter avec des données encore plus récentes.
La vidéo
Dès le début de cette vidéo (à 23 secondes), on nous dit que 42 000 Néo-Québécois (lire immigrants) ont trouvé un emploi en 2013. Même si cette expression est trompeuse (elle confond les flux et les stocks, mais je vais passer pour cette fois…), il demeure vrai que les données de l’EPA (tableau cansim 282-0102) montrent que l’estimation du niveau d’emploi des immigrants était en 2013 plus élevé de 42 400 emplois qu’en 2012. Mais, cela veut aussi dire que 89 % de l’augmentation de 48 000 emplois (l’EPA estime de fait que le niveau d’emploi en 2013 était plus élevé de 47 800 emplois qu’en 2012) dont se vante le PQ s’est concrétisée chez les immigrants, pas chez les natifs du Canada! En fait, l’emploi chez les natifs aurait été plus élevé en 2013 qu’en 2012 que de 10 000 emplois et moins élevé de 4600 chez les résidents non permanents.
En fait, tout cela est bien artificiel. En effet, si on regarde les données de l’EPA sur la population âgée de 15 ans et plus, on peut constater que la population adulte immigrante aurait augmenté de 66 200 personnes en moyenne entre 2012 et 2013! Quand on sait que les données du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) montrent que environ 21 % des immigrants de 2013 (données pour les neufs premiers mois de 2013, voir page 7) ont moins de 15 ans, taux identique à la moyenne observée de 2008 à 2012 (voir page 9), cela voudrait dire que la population totale immigrante aurait augmenté d’environ 84 000 en 2013 (66 200 / (100 % – 21 %) = 83 797) ! Or, cela est impossible… D’ailleurs, ces mêmes estimations montrent que la population native adulte n’aurait augmenté que de 0,02 % cette année-là, et que le nombre de résidents non permanents aurait diminué de 13,6%! Pourtant, les données même de Statistique Canada montrent que le total d’immigrants au Québec s’est élevé à environ 52 000 en 2013, donnée qui ne tient pas compte des immigrants qui ont quitté soit vers d’autres pays, soit vers d’autres provinces. D’ailleurs, les études du MICC montrent qu’environ 24 % des immigrants quittent le Québec au cours des 10 années suivant leur arrivée au Québec.
Le graphique ci-contre, qui présente les taux d’augmentation du nombre d’immigrants adultes au Québec selon l’EPA, montre à quel point la hausse de 2013 (ainsi que celle de 2007) semble anormalement élevée et celles de certaines années anormalement basses. Bref, ces données n’ont aucun sens. Mais, n’ayez crainte, j’expliquerai ce qui s’est passé avant la fin de ce billet. Pour l’instant, je vais commenter quelques autres éléments de la vidéo du PQ.
À 31 secondes, la vidéo prétend que le taux de chômage des Néo-Québécois a diminué de 35 %. Là, je n’ai rien vu de tel, leur taux étant passé de 11,5 % à 11,6 %! Il est vrai que celui des immigrants récents (au Québec depuis 5 ans et moins) a fortement diminué (de 30 %, soit de 20,8 % à 14,6 %), mais il faut faire attention, car la marge d’erreur de ces données est proportionnellement très élevée compte tenu des petits chiffres en cause. Pire, le nombre de chômeurs chez l’ensemble des immigrants a augmenté de 9,4 % : cela n’est pas dramatique, car, comme pour la hausse de l’emploi, cela découle aussi de l’augmentation insensée de leur nombre.
La vidéo se poursuit en vantant les actions prises par le PQ et en montrant des données partielles qui jouent à l’avantage du PQ et négligeant celles qui les désavantagent (genre taux d’emploi des immigrants arrivés depuis cinq ans, mais pas les autres!). Je passe…
Le graphique qui suit (à 2 minutes), et que j’ai reproduit à droite est plus intéressant… La vidéo prétend que le taux d’emploi des Néo-Québécois est rendu plus élevé que celui des immigrants de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. Les données de ce graphique sont exactes, mais elles sont trompeuses. D’une part, cette comparaison néglige les provinces où le taux d’emploi des immigrants est plus élevé qu’au Québec, et de beaucoup (Manitoba, Saskatchewan, Alberta et Terre-Neuve). Ensuite, il ne tient nullement compte des différences démographiques entre ces provinces. En effet, la structure démographique des immigrants est toujours très différente de celle des natifs, notamment parce que les enfants des immigrants qui naissent ici ne sont pas des immigrants, mais des natifs! Leur naissance contribue donc à faire baisser la moyenne d’âge des natifs, mais pas celle des immigrants. Ensuite, l’immigration de masse existe depuis bien plus longtemps en Ontario et en Colombie Britannique qu’au Québec. Cela fait en sorte qu’elle est beaucoup plus âgée.
Les données de l’Enquête nationale auprès les ménages (fichier 99-010-X2011026, entre autres) nous montrent d’ailleurs que 18,4 % des immigrants québécois âgés de 15 ans et plus ont 65 ans et plus, proportion qui atteint 22,2 % en Ontario et 23,0 % en Colombie-Britannique. Les données de l’EPA, elles, montrent que 60,2 % des immigrants québécois âgés de 15 ans et plus ont entre 25 et 54 ans, proportion qui n’atteint que 51,4 % en Ontario et 49,8 % en Colombie-Britannique. D’ailleurs, les études de Statistique Canada sur le marché du travail des immigrants utilisent presque toujours le principal groupe d’âge actif , soit la population âgée de 25 à 54 ans (voir par exemple cette étude) pour éviter les distorsions dues aux écarts démographiques importants entre les provinces.
Le graphique ci-contre montre justement l’évolution du taux d’emploi des mêmes provinces pour les mêmes années, mais seulement pour les immigrants âgés de 25 à 54 ans. Il montre éloquemment la tricherie évidente du dernier graphique de la vidéo du PQ. S’il est vrai que le taux d’emploi des immigrants québécois âgés de 25 à 54 ans a augmenté de façon significative, ce dont il faut se réjouir, on voit aussi que l’écart entre ce taux au Québec et ceux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique est encore immense.
La vidéo se termine avec une auto-gratification déplacée des mesures d’aide aux immigrants qui sont encore bien insuffisantes…
Données plus récentes
Les données désaisonnalisées de l’EPA diffusées vendredi dernier montraient que l’emploi estimé avait augmenté de 15 100 entre février et mars 2014, et de 31 400 entre mars 2013 et mars 2014 (hausse gonflée par le niveau d’emploi faible en mars 2013, mais passons…). La vidéo du PQ m’a donné l’idée de regarder les données sur les immigrants (tableau cansim 282-0101). Ces données sont des moyennes mobiles de trois mois (par exemple les données de mars 2014 sont en fait la moyenne des données de janvier, février et mars 2014), non désaisonnalisées. Ainsi, plutôt qu’une hausse de 31 400 emplois, ces données montrent une augmentation de seulement 13 400 emplois entre la moyenne mobile de trois mois de mars 2013 et celle de mars 2014. Mais, oh surprise, cette hausse de 13 400 emplois seraient décomposée en une hausse de 68 000 emplois chez les immigrants et des baisses de 44 600 chez les natifs et de 10 000 empois (baisse de plus de 20 %!) chez les résidents non permanents! Pourtant, malgré cette hausse de 68 000 emplois, l’estimation du taux d’emploi chez les immigrants aurait diminué de 0,2 point de pourcentage, soit de 56,5 % à 56,3 %! Comment est-ce possible? En raison d’une hausse de 115 600 de leur population adulte. Cette hausse correspondrait à une hausse de plus de 145 000 de leur population totale (115 600 / (100 % – 21 %) = 146 329), ce qui a encore moins de sens que la hausse estimée à 83 800 en 2013 dont j’ai parlé plus tôt.
Le graphique qui suit montre la hausse pour chacun des mois (en fait, des moyennes mobiles de trois mois) d’une année à l’autre entre mars 2007 et mars 2014.
Cette image est saisissante. Alors que la population adulte immigrante n’aurait augmenté en moyenne d’à peine 16 000 personnes par année entre juillet 2008 et mai 2013, elle aurait augmenté de près de 110 000 par année entre octobre 2013 et mars 2014! Comment est-ce possible?
Et alors…
En fait, il faut savoir que les estimations démographiques de la population adulte utilisées dans l’EPA ne viennent pas de l’enquête comme telle, mais de la Division de la démographie de Statistique Canada (information provenant du Guide de l’EPA et confirmée par courriel par un analyste de Statistique Canada à qui j’ai écrit pour ce billet…). Les écarts que j’ai indiqués (hausses de la population adulte) ne sont pas des estimations de la croissance de cette population, mais le résultat de la différence entre les estimations de chacune de ces années (je sais, ce n’est pas clair…). Or, Statistique Canada a probablement commencé en 2013 à baser ses estimations de la population sur les données du recensement et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 plutôt que sur le recensement de 2006. C’est ce qui explique les grand écarts que j’ai montrés dans la croissance de la population immigrante. Je dois avouer que, même avec cette explication, j’ai un peu de difficulté à comprendre les faibles niveaux de hausse de cette population entre 2008 et le milieu de 2013. Mais bon, c’est comme ça…
Si Statistique Canada révise à chaque année les données désaisonnalisées de l’EPA, il ne révise qu’au cinq ans les données démographiques qu’il utilise pour pondérer les réponses à son questionnaire. Or, cette révision sera faite l’an prochain. On peut s’attendre à de grands changements dans les données sur les immigrants, notamment un équilibrage de la hausse de la population adulte entre 2007 et 2014! Si j’y pense, je vérifierai ça l’an prochain…
De leur côté, les auteurs de la vidéo du PQ ont-ils réalisé que les données qu’ils comparaient n’étaient en fait pas vraiment compatibles? Je n’en sais rien! Mais, à voir la sélection des données qu’ils ont retenues, je ne peux jurer de rien!
Toujours bon d’aller au fond des choses, surtout dans le domaine des statistiques. Mais L’EPA et les données démographiques des recensements habitent des univers qui obéissent à leur propre univers de définitions, pas toujours compatibles, d’où les révisions aux 3 ou 5 ans selon … Encore un fardeau pour les immigrants au Québec que le PQ a le don de diaboliser.
J’aimeJ’aime
«Mais L’EPA et les données démographiques des recensements habitent des univers qui obéissent à leur propre univers de définitions, pas toujours compatibles»
Je dois avouer que j’ai dû mêler beaucoup de monde avec ce billet… mais mieux vaut mêler le monde que de les tromper comme la vidéo du PQ le fait!
J’aimeJ’aime