Pourquoi les riches ont gagné
Pourquoi ai-je lu ce livre? D’accord, il n’a que 154 pages et un titre accrocheur… Pourquoi les riches ont gagné de Jean-Louis Servan-Schreiber est probablement un des livres que j’ai le moins apprécié depuis… longtemps! Pourquoi alors en parler? Pour vous éviter de faire la même erreur que moi!
Reproches
Je reproche en fait surtout trois choses à ce livre : il apporte souvent des arguments qu’il contredit quelques pages ou chapitres plus loin, il base trop souvent ses arguments sur des anecdotes plutôt que sur des données fiables et il présente la montée des inégalités et de la concentration de la richesse comme un phénomène inéluctable. D’un auteur qui se prétend de gauche, c’est pour le moins étonnant et décevant!
Par exemple, il affirme au début du livre que la richesse vient de moins en moins des héritages (sans présenter la moindre donnée allant dans ce sens, sinon quelques anecdotes), alors que, vers la fin, il endosse les conclusions du livre de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle (dont j’ai parlé dans quatre billets), qui, à l’aide de données fiables, dit qu’on assiste au contraire au retour de ce mode de transmission de richesse et que cette tendance s’accentuera à l’avenir!
Plus loin, il parle de la forte croissance de la classe moyenne dans le monde en utilisant une moyenne de revenu mondiale (4 000 euros par année), sans mentionner qu’un tel revenu ne permet même pas d’atteindre un niveau de subsistance dans les pays industrialisés. En fait, la notion de classe moyenne s’applique pays par pays. Or, les travaux du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC) en arrivent à la conclusion que la place de la classe moyenne (les ménages qui gagnent entre 70 % et 150 % du revenu médian) est plus souvent en déclin qu’en croissance en Europe (voir entre autres les pages 8 et 9). En appliquant la même méthode, on peut voir sur ce graphique qu’elle est aussi en déclin au Canada et au Québec (quoique, la baisse y soit moins forte qu’au Canada). Il en est de même aux États-Unis où la part des ménages de la classe moyenne est passée de 61 % à 51 % de la population entre 1971 et 2010. La situation est moins claire en Chine, où ceux qui parlent d’une forte croissance de la classe moyenne utilisent des données fixes (entre 2500 et 10 000 euros par année) plutôt que relatives, comme le CREDOQ.
Face à la croissance économique de la Chine, l’auteur compare la situation que sa population vit avec celle des Trente Glorieuses en Occident. En fait, Piketty l’a bien montré dans Le capital au XXIe siècle, si cette période fut de fait marquée par une forte croissance, elle le fut aussi par une baisse importante des inégalités de revenus. Or, tout indique (les données de la Chine ne sont pas toujours fiables) que les inégalités y sont au contraire en forte hausse. La comparaison que fait l’auteur entre les Trente Glorieuses et la croissance actuelle en Chine est donc bien imparfaite (soyons gentil…).
Dans un autre chapitre, l’auteur vante la créativité des riches qui finit par bénéficier à tous. Il donne en exemple les financiers qui, écrit-il, ont su inventer de nouvelles façons de créer de la richesse, sans mentionner que cette «richesse» ne repose que sur la confiance et que cette «créativité» est à la base de la dernière crise économique dont l’Occident ne s’est pas encore remis. Comme bénéfice, il y a mieux!
Dans le même ordre d’idées, il déplore que les gouvernements n’aient plus les moyens de combattre les inégalités, en présentant cette affirmation comme un constat et non pas comme le résultat de la sauvegarde des banques et de la concurrence fiscale, bref de choix politiques. Ce manque de moyens n’est donc pas inéluctable comme il le présente, mais bien la conséquence de choix politiques qui pourraient être modifiés.
J’ai noté bien d’autres éléments qui m’ont fait réagir, mais je vais me contenter d’en mentionner seulement un autre. Il répète certaines des idées zombies néolibérales, affirmant par exemple que les inégalités favorisent la croissance. Or, cette idée a été démolie à de nombreuses reprises, notamment par une étude récente d’économistes du Fonds monétaire international.
Et, il ne dit presque rien sur les conséquences environnementales de la croissance des inégalités et de la concentration de la richesse, si ce n’est pour mentionner une seule fois que seule la limitation des ressources sur Terre peut ralentir cette tendance…
En conclusion, il dit espérer une amélioration de la situation grâce aux actions des organisations non gouvernementales. Il faut savoir que Jean-Louis Servan-Schreiber préside la section française de Human Rights Watch, organisme voué «à la protection et à la défense des droits humains». S’il faut saluer le travail des organismes du genre, peut-on vraiment penser qu’ils ont les moyens de renverser une tendance aussi forte sans que l’ensemble de la population et des États s’y mettent? Leur travail consiste d’ailleurs en bonne partie à sensibiliser les populations et les gouvernements pour qu’ils agissent.
Et alors…
Affirmations gratuites, preuves par anecdotes, résignation, absence de prise en compte des réalités environnementales, inéluctabilité de l’augmentation des inégalités et de la concentration des richesses, ce livre avait tout pour me déplaire (sauf son titre). En plus, ayant beaucoup lu et ayant potassé bien des données sur ces questions, je n’y ai strictement rien appris (sauf peut-être à maîtriser ma colère…).
Alors, lire ou ne pas lire? Surtout pas! Si ce billet pouvait au moins servir à convaincre quelques personnes de ne pas perdre leur temps (et de ne pas risquer de se fâcher…) en lisant ce livre (même s’il est court), ce billet aura fait œuvre utile!
Ben moi contrairement à toi j’aime pas le titre. C’est certain que je ne le lirais pas, juste le titre me fâche.
Alors, si jamais je m’avise de le lire qui sait ce que je pourrais faire? 😉
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J’interprétais le titre comme : ils ont gagné, voici pourquoi et voici comment on va se rattraper!
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Si je commettais un livre (ou pire encore un billet), je l’intitulerais : «Pourquoi le concept de mode de production capitaliste a retrouvé une certaine valeur heuristique» (je ne mettrais pas de ?). Évidemment Louis Cornellier et Darwin trouveraient le titre abscons [1]
Pour décrire la société née dans les pores de la société féodale européenne, le concept était pertinent. Le réformisme (avec beaucoup de variantes : New Deal, fordisme, social-démocratie de type scandinave, keynésianisme) a donné de meilleurs résultats que la voie révolutionnaire. Le cercle vertueux de la redistribution des gains de productivité entre employeurs et employés a fonctionné [2] en Occident pendant les Trente Glorieuses. Il reposait, entre autres, sur de faibles coûts du pétrole et de traités commerciaux incluant des clauses sociales. Lorsque les pays producteurs de pétrole ont fermé les robinets, la panique fut totale. Les pèlerins du Mont-Pélerin ont réussi à prendre leur revanche, d’abord grâce aux gouvernements Thatcher, Reagan et Mulroney. La plupart des autres pays ont emboîté le pas sous prétexte qu’il n’y avait pas d’autres choix.
Et alors
Très mauvais plan pour un livre, un billet, voire un commentaire. Je pourrais me consoler en disant que c’est utile pédagogiquement, comme exemple à ne pas suivre. Ce serait mépriser les lecteurs de Jeanne Émard (entre autres Jean-François Lisée qui adhère peut-être à la théorie de «la pédagogie de la souveraineté»).
Excusez là! comme disaient Louis Bilodeau et ses invités à Soirée canadienne au Canal 7. Koval sera sans doute fière d’apprendre que l’on chantait de belles choses dans la région de Sherbrooke avant sa naissance http://en.lyrics-copy.com/albert-viau/dans-tous-les-cantons.htm .
[1] Antidote RX donne comme synonymes : cabalistique, caché, cryptique, énigmatique, ésotérique, hermétique, impénétrable, inaccessible, incompréhensible, inconcevable, inconnaissable, indéchiffrable, indécodable, inexplicable, inintelligible, insaisissable, insondable, mystérieux, nébuleux, obscur, opaque, secret, ténébreux, brouillé, brumeux, compliqué, confus, contourné, embarrassé, embrouillé, embroussaillé, enchevêtré, entortillé, flou, fumeux, incompréhensible, indéchiffrable, indigeste, inintelligible, nébuleux, obscur, tarabiscoté, vague, vaseux, abstrus, amphigourique, fuligineux.
J’ai maintenant Windows7, je m’achèterai Antidote HD à la coop de l’UQAM lorsqu’il y aura une promotion en septembre. Je comprends maintenant ce que l’ex-modératrice du blogue de Françoise David, Anne-Marie Provost voulait dire lorsqu’elle m’a répondu qu’elle trouvait Hegel «cryptique».
[2] En général. La sociologue du travail Mona-Josée Gagnon rappelle que bien des plongeurs et employés d’entrepôts seraient surpris d’apprendre qu’ils ont vécu «l’Âge d’or du salariat».
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Bonjour Darwin!
J’aimerais communiquer avec vous directement. Est-ce possible?
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@ Richard
Euh…
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@ Adam Mongrain
En haut à droite de la page d’accueil (et même des autres pages), il y a un lien vers le «Courriel de Jeanne»…
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@ Richard
« Le cercle vertueux de la redistribution des gains de productivité entre employeurs et employés a fonctionné [2] en Occident pendant les Trente Glorieuses. Il reposait, entre autres, sur de faibles coûts du pétrole »
Qu’on soit pauvre ou qu’on soit riche, le pétrole cher ou pas cher n’a rien à voir avec la redistribution des biens. Les riches aux états payaient 91% d’impôts dans les années 60. J’ai eu connaissance de 78% que mon cousin a payé. Je pense que c’était vers 1976.
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Youlle, j’aurais dû écrire : «il y avait consensus social pour ce cercle vertueux; le patronat était enclin à redistribuer les gains de productivité [1] pour pouvoir vendre ses produits». Vous avez raison, ce n’est pas parce que le prix de l’essence a augmenté que la Mustang Shelby est devenue une dinosaurette http://www.madness-us-cars.com/histoire-automobile-americaine/histoire-mustang-shelby.htm , c’est parce que les mâles ont découvert qu’il y avait des façons plus subtiles d’affirmer leur virilité (sauf le respect que je vous dois, Youlle) [2].
Ces gains de productivité à l’intérieur des pays industrialisés se faisaient dans un contexte où les matières premières, dont le pétrole, coûtaient des peanuts. Je me souviens qu’au premier choc pétrolier, les Américains (qui en produisent) disaient: «Dans 3 semaines, ils vont être à genoux». Les Japonais, eux, ont rapidement été prêts à payer plus cher. Le hasard faisant bien les choses, leurs petites cylindrées (Datsun) étaient, de loin, supérieures aux petites cylindrées qu’ont tenté de produire GM, Ford et Chrysler. Dans le cas du cuivre, la Noranda Copper Mines [3] a choisi de déstabiliser le gouvernement Allende, par manque d’intelligence?
Le «euh…» de Darwin m’avait découragé de pratiquer ma plume sur Jeanne Émard. Vos critiques fort judicieuses me convainquent de poursuivre, d’autant plus qu’il n’y a pas de ticket modérateur.
[1] Il y avait quelques exceptions, par exemple la Johns Manville à Asbestos en 1949.
[2] Des amis de Québec m’ont dit que c’étaient des young angry men qui écoutaient Jeff Fillion. Sophie Durocher a un autre point de vue : «S’il est intelligent, il a conservé sa fougue et sa volonté de défendre les valeurs du gars ordinaire, mais sans s’en prendre à la vie privée de femmes dont la tête ne lui revient pas.» http://blogues.journaldemontreal.com/sophiedurocher/societe/la-deuxieme-chance-de-jeff-fillion/
[3] La Caisse de dépôt et placement du Québec en possédait un bloc d’actions, comme le rappelle Richard Desjardins.
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«Le «euh…» de Darwin m’avait découragé de pratiquer ma plume sur Jeanne Émard. »
Désolé, je ne voulais qu’exprimer la difficulté que j’ai à suivre le fil, parfois. Je ne savais vraiment pas comment réagir. J’aurais dû simplement ne pas le faire, mais cela t’aurait peut-être offusqué davantage. Dilemme. Sache que j’apprécie toujours tes interventions. Il y a seulement que je ne sais pas toujours si je dois y répondre et surtout comment.
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Voyons don, Darwin, tu n’as pas à être désolé! Moi, je n’apprécie pas toujours mes interventions. «Pourquoi ai-je perdu 4 heures pour aboutir à de telles platitudes?».
Je relance la discussion: «crois-tu que la révolution néo-libérale est un complot ou un épuisement des Trente Glorieuses?»
P.-S. Y a-t-il un ? au titre du livre de Jean-Louis Servan-Schreiber?
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«Je relance la discussion: «crois-tu que la révolution néo-libérale est un complot ou un épuisement des Trente Glorieuses?»
Euh…
(trop facile…)
Ni un ni l’autre. Les néolibéraux attendaient leur heure et ont profité de l’occasion. Tu peux associer ça à un complot si tu veux, car de fait, ils se préparaient depuis longtemps (Mont Pèlerin et compagnie). Mais, c’est plus idéologique qu’autre chose. Ils pensaient bien faire…
«P.-S. Y a-t-il un ? au titre du livre de Jean-Louis Servan-Schreiber?»
Non, c’est vrai. Je corrige…
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Darwin, j’ose croire que lors du 7e match de la finale de la Stanley où nos Habitants aux bras meurtris tenteront de rapporter la Coupe sur la Catherine, tu ouvriras un machin. En attendant, je vais regarder le match ce soir pour apprendre le nom des joueurs. Ah! j’y pense, je connais le nom de Desharnais. Coderre l’a rendu célèbre sur sa page Facebook en proposant de le retourner à Hamilton avec un billet aller-simple.
Au début de mon message du 14 avril à 18:31, je t’avais fait savoir discrètement qu’on ne met pas un point d’interrogation lorsqu’on prétend démontrer pourquoi telle chose est arrivée.
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«Au début de mon message du 14 avril à 18:31, je t’avais fait savoir discrètement qu’on ne met pas un point d’interrogation lorsqu’on prétend démontrer pourquoi telle chose est arrivée.»
Je n’avais pas saisi l’allusion. Trop discrète pour moi! Désolé. Je comprends maintenant le message, mais pas en le lisant.
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