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Statistique Canada et le vérificateur général

7 mai 2014

Statcan-vérificateurLe vérificateur général du Canada a publié un rapport portant sur un grand nombre de questions plus tôt cette semaine. Si les médias francophones ont assez bien couvert les chapitres sur les prisons fédérales et les régimes de retraite des fonctionnaires, cette couverture fut beaucoup moins adéquate sur les autres chapitres, notamment ceux qui ont étudié la planification fiscale abusive et les besoins en données statistiques. Ce billet vise à corriger en partie ces lacunes en élaborant un peu sur ce dernier sujet.

Les besoins en données statistiques

En fait, je n’ai trouvé qu’un seul article en français qui a porté sur ce chapitre du rapport, et encore, il n’a abordé qu’un seul des éléments qu’on y retrouve, soit «les données de Statistique Canada sur les emplois non comblés» (mauvaise traduction de «postes vacants»). Je vais tout d’abord commenter le contenu de cet article avant de glisser quelques mots sur le reste de ce chapitre.

– postes vacants

La question des postes vacants a été l’objet de nombreuses controverses au cours des derniers mois, le gouvernement s’étant servi de données non fiables à cet égard pour justifier la réforme de l’assurance-emploi, son programme de subvention canadienne pour l’emploi et le programme de travailleurs étrangers temporaires.

L’article prétend que le rapport du vérificateur affirme que «La vérification de ces données a permis de constater que l’exercice est peu utile». Ce n’est pourtant pas tout à fait ce qu’on y lit. Il mentionne plutôt que «les données de cette enquête sur les postes vacants comportent des limites» et que certains utilisateurs les trouvent peu utiles, car elles ne fournissent des données que pour les provinces, sans donner de détail par sous-région, ni par profession, seulement par industrie.

En fait, c’est pire que ça. Si les données canadiennes fournissent des données pour presque toutes les industries (17 ou 18 sur 20, selon les mois), elles en publient bien moins pour les provinces, en fait à peine quelques-unes pour les plus petites provinces (voir le fichier cansim 284-0001), ne diffusant quelques fois que le taux global de postes vacants pour la province.

Plus loin dans l’article, on peut lire le président du Conseil du Trésor, Tony Clement, affirmer que «Le vérificateur général a confirmé que ce n’est pas une question de ressources». Là, c’est carrément faux. Le rapport ne dit rien de tel, mais plutôt que Statistique Canada «doit atteindre un équilibre entre ces aspects de la qualité et les contraintes liées aux ressources financières et humaines» (voir à la page numérotée 2). À la demande de fournir davantage de données régionales, Statistique Canada répond qu’il aimerait bien, car il sait que cela répondrait à un besoin, mais il ajoute que «Statistique Canada a ouvert un dialogue plus intensif avec les gouvernements et organismes régionaux et municipaux, le secteur privé et les organisations non gouvernementales au sujet de leurs besoins et de la façon dont ces besoins peuvent être satisfaits tout en tenant compte des limites des ressources disponibles. Compte tenu des coûts élevés de la production de données régionales et de données sur de petits groupes de population à partir d’enquêtes, la plupart des enquêtes sont forcément conçues de manière à produire des données aux échelons national, provincial et territorial» (pages numérotée 15-16). «tout en tenant compte des limites des ressources disponibles», c’est pas mal différent que de dire que «ce n’est pas une question de ressources»! En langage clair, cette citation veut dire que si le gouvernement ne consacre pas plus de ressources, Statistique Canada va continuer à ne produire que des données pour le Canada et les provinces (et de temps en temps pour les territoires)!

En plus, et cela le rapport du vérificateur ne le mentionne pas, le gouvernement s’est engagé à faire diminuer ce qu’il appelle la «paperasse» que doivent remplir les entreprises. Or, Statistique Canada a conçu les Statistiques sur les postes vacants (SPV) très rapidement à la demande du gouvernement fédéral, pour justement disposer de données fiables sur les postes vacants, ce qui n’existait pas auparavant. Compte tenu de ses ressources limitées et de la demande du gouvernement de ne pas hausser le fardeau de «paperasse» des entreprises, il n’était pas question de concevoir une enquête indépendante coûteuse (par exemple, le vérificateur précise que l’Enquête sur la population active coûte plus de 20 millions $, voir la page numérotée 3).

Il a donc simplement ajouté deux questions à l’Enquête sur la rémunération auprès des entreprises (ERE), qui fait partie de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH), «afin de recueillir de l’information sur la disponibilité et le nombre de postes vacants». Or, cette enquête ne touche que 15 000 des 900 000 entreprises visées. Comme ces questions touchent les postes vacants, qui représentent globalement seulement 2 % des postes (en fait seulement 1,3 % en janvier dernier), cet échantillon ne permet pas d’obtenir le niveau de précision désiré par les utilisateurs (par sous-région et par professions). Bref, pour satisfaire la demande de données précises, il faudrait un échantillon plus vaste, ajouter d’autres questions sur les professions et ensuite les coder. Bref, il faudrait que le gouvernement accepte d’investir davantage et exiger des entreprises de remplir plus de «paperasse»… Ce ne sera pas demain la veille!

– le reste

Le rapport du vérificateur a examiné quatre produits de données de Statistique Canada :

  • l’Indice des prix à la consommation,
  • l’Enquête sur la population active,
  • l’Enquête nationale auprès des ménages et
  • l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail.

Voici les principaux constats du rapport sur l’Enquête nationale auprès des ménages (qui a remplacé le formulaire long du recensement) :

  • le passage d’une enquête obligatoire à une enquête à participation volontaire a réduit la comparabilité des données par rapport à celles provenant du questionnaire détaillé du recensement de 2006;
  • Statistique Canada n’a pas diffusé les données provenant de 1 128 des 4 567 subdivisions de recensement (soit 25 %) pour des raisons de qualité. Les données de 686 autres subdivisions de recensement, soit 15 %, n’ont pas été diffusées pour d’autres raisons, notamment la confidentialité. Bref, 40 % des données par subdivisions de recensement n’ont pas été publiées, parce que ce gouvernement voulait supposément protéger la vie privée de la population, lui qui ne se gêne pas pour demander «à des sociétés de télécommunications canadiennes des renseignements personnels sur leurs clients environ 1,2 million de fois chaque année». Cherchez l’erreur…

Le rapport contient bien d’autres remarques pertinentes, par exemple sur l’élimination de la composante longitudinale de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu, mais ne fournit pas suffisamment de détails pour les apprécier vraiment. J’aurais par exemple aimé y voir une liste des produits de données abandonnées en raison des compressions budgétaires, mais, cela ne faisait malheureusement partie du mandat du vérificateur…

Et alors…

Il est dommage que les médias n’ait pas accordé l’importance que ce rapport mérite, Je déplore aussi que les journalistes ne possèdent pas les compétences pour pouvoir dénoncer toutes les inexactitudes que les politiciens fédéraux lancent à tout vent. Mais, bon, s’ils le faisaient, ce blogue perdrait une partie importante de sa raison d’être!

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5 commentaires leave one →
  1. Richard Langelier permalink
    8 mai 2014 15 h 22 min

    «Mais, bon, s’ils le faisaient, ce blogue perdrait une partie importante de sa raison d’être!»
    J’aime bien ce genre d’arguments pour persister à croire que la vie vaut la peine d’être vécue. Il y en d’autres : sur ma rue les feuilles sont sorties. Je sais que les lecteurs de l’extérieur de Montréal ne brûleront pas de pétrole pour venir vérifier. Bernard Landry a le droit de le faire (voir sa réponse à Jean-François Nadeau http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/407402/le-mauvais-train ). Je dois mettre de l’huile sur ma chaîne de vélo, je ne pourrai donc pas aller vérifier dans les autres quartiers.

    Tony Clement, lui, vient neutraliser mes arguments favorables à la vie. Comme je ne suis pas suicidaire, je dirai plutôt qu’il fait bouger mes plombages. Excellent! Une visite chez le dentiste fait grimper le PIB. Si j’attends d’avoir entendu plusieurs déclarations de Tony Clement, l’effet cumulatif fera peut-être grimper encore plus le PIB.

    «Bref, pour satisfaire la demande de données précises, il faudrait un échantillon plus vaste, ajouter d’autres questions sur les professions et ensuite les coder. Bref, il faudrait que le gouvernement accepte d’investir davantage et exiger des entreprises de remplir plus de «paperasse»… »

    Effectivement, l’économie de marché régulée a donné de meilleurs résultats que l’économie planifiée. Le prix à payer, c’est entre autres, de demander aux entreprises de répondre à des questionnaires. Évidemment, je ne demande pas à l’électricien qui a 2 employés de passer ses soirées à répondre à ces questionnaires. Le prix à payer, c’est aussi que le gouvernement investisse davantage. Ce n’est pas dans l’air du temps. Les journalistes veulent bien critiquer le gouvernement Harper pour son penchant albertain, mais ils adhèrent au dogme «les revenus de l’État ne sont plus ce qu’ils étaient, la seule question qui se pose c’est où faire des coupes, les entreprises sont étouffées par la paperasse».
    P.-S. Je profite de Jeanne Émard pour ploguer mon commentaire à celui-ci http://www.ledevoir.com/politique/quebec/407705/le-ministre-francois-blais-met-de-cote-le-revenu-minimum-garanti#reactions . Je suis un vulgaire parasite, je le confesse. Darwin, je te conseille de m’imposer quelques chapelets à genoux sur les marches de l’Oratoire St-Joseph sans catalogues d’Eaton pour me protéger. Même le jeune Jean Dion (il a publié une photo de lui à l’ouverture d’Expo 67. Il avait 4 ans), se souvient d’avoir jouer au hockey avec ces catalogues.

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  2. 8 mai 2014 15 h 40 min

    Tant que c’est pour la bonne cause!

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  3. Richard Langelier permalink
    8 mai 2014 23 h 19 min

    Je replogue d’autant plus que cet article n’est pas directement sur le site du Devoir. Jeanne Émard aura la primeur:

    Lors de la commission parlementaire sur le projet de loi 112 intitulé «Loi pour contrer la pauvreté et l’exclusion sociale», Christos Sirros demandait aux personnes qui présentaient un mémoire : «Que pensez-vous de la proposition du parti libéral d’un barème plancher au niveau des personnes aptes au travail à ne pas couper, sauf en cas de fraude?»
    Un animateur d’un groupe d’aide à d’ex-patients psychiatriques avait répondu : «J’ai vu des personnes diagnostiquées inaptes au travail administrer des budgets, avec un encadrement minimal. J’en ai vu d’autres diagnostiquées aptes au travail, incapables de prendre une décision si on ne les tenait pas par la main. Pour moi, c’est une catégorisation artificielle». Pour ma part, je dirais qu’il s’agit d’une loterie médicale. Si le médecin écrit : «difficultés majeures à l’emploi», la personne reçoit un chèque qui s’approche de la couverture des besoins essentiels, «difficultés temporaires», elle s’en éloigne et «sans difficultés», elle se retrouve au niveau de la survie (604$ par mois pour une personne seule http://www.aidesociale.ca/montant-des-prestations-daide-sociale.php.) Cette catégorisation est basée sur des valeurs qu’épousent le PLQ, le PQ et la CAQ. Vous allez un cran plus loin. Vous voulez condamner les personnes diagnostiquées «sans difficultés majeures à l’emploi» à choisir : plongeur dans un restaurant ou mendicité. Nous n’avons pas les mêmes valeurs. Ma conception de l’humanisme me conduit plutôt à proposer un bon filet de sécurité sociale et des mesures d’emploi permettant aux membres de la société en âge de travailler de pouvoir le faire selon leurs capacités. Je sais que les valeurs des PLQ, PQ et de la CAQ sont admises par la majorité des électeurs. Je ne doute pas que vos valeurs soient acceptées par une bonne partie des électeurs, mais j’espère qu’un jour la situation changera.

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  4. 8 mai 2014 23 h 33 min

    Très bonne présentation du concept d’aptitude…

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  5. 12 mai 2014 11 h 16 min

    Dans ce billet, j’ai écrit qu’ «il faudrait un échantillon plus vaste, ajouter d’autres questions sur les professions» et que ça coûterait cher. Justement, le directeur de la division du travail de Statcan évalue ce coût à bien plus de 5 millions $ dans cet article (en anglais, je n’ai pas trouvé d’équivalent en français) http://www.theglobeandmail.com/news/politics/budget-cuts-blamed-for-statscan-data-gaps/article18594959/

    «In an interview with The Globe and Mail, Alison Hale, the director of Statscan’s labour statistics division, said launching a new survey that would capture vacancies by region and by specific skill would cost “well over” $5-million.»

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