Un autre institut de recherche de droite!
Combien y a-t-il d’instituts de recherche (think tank) de droite et de centre-droit qui commentent la politique et l’économie québécoises et canadiennes? Voici les plus connus :
- l’Institut Fraser;
- l’Institut économique de Montréal (IÉDM);
- le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO);
- la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke;
- le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal;
- l’Institut CD Howe;
- le Conference Board du Canada.
J’ai notamment omis tous les services de recherches économiques des banques et des organismes patronaux qui publient régulièrement des documents appuyant leur idéologie, mais ma liste serait interminable! Il est vrai que quelques-uns de ces instituts publient de temps en temps des études moins campées idéologiquement (exemple)… mais ce n’est pas la coutume!
À gauche, on peut compter sur quelques instituts du genre, oui, mais ils sont bien moins nombreux et bénéficient de budgets drôlement moins élevés! Je pense par exemple à :
- l’Institut de recherche et d’informations socio-économique (IRIS);
- l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC);
- le Centre canadien de politiques alternatives;
- le Laboratoire d’études socio-économiques de l’UQÀM.
Devant ce déséquilibre patent, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de créer un autre institut de droite. C’est pourtant l’œuvre qu’a accomplie notre ancien ministre des Finances, Raymond Bachand, en annonçant la diffusion de la première étude d’un nouvel institut, l’Institut du Québec. Voilà qui va permettre de rétablir l’équilibre! Cet institut est en fait né d’une association entre le Conference Board (qui héberge pour l’instant son site Internet) et HEC Montréal, comme si ces deux organismes ne disposaient pas déjà de suffisamment de couverture médiatique et d’écoute de la part de nos gouvernements…
Et que dire de son nom! Déjà que la droite avait accaparé le nom de Montréal, elle s’approprie maintenant le nom du Québec!
L’étude
Après cette longue entrée en matière, je dois bien dire quelques mots sur l’étude parue cette semaine, étude intitulée Choc démographique et finances publiques : pour un contrat social durable.
En fait, cette étude est un calque presque parfait de celle publiée par le CIRANO il y a quelques mois et que j’ai commentée dans ce billet. Elle a les mêmes qualités, soit de montrer que si rien ne se passe, cela va aller mal, et les mêmes défauts, soit de prévoir, comme je l’ai dit dans mon billet sur l’étude du CIRANO, des «taux de croissance des coûts structurels uniquement basés sur le passé sans se demander si les facteurs qui sont à la base de la hausse de ce passé sont encore pertinents», de ne regarder comme solutions possibles que des diminutions de services et de ne pas tenir compte des effets des compressions recommandées sur le taux de croissance.
– autres solutions et effets des compressions recommandées
Comme bien souvent dans ce type d’étude, on discrédite toute tentative de solutionner le problème par des mesures axées sur la hausse des revenus de l’État plutôt que sur la baisse de ses dépenses. Par exemple, on présente à la page 17 un beau graphique montrant les effets négatifs sur le PIB de différentes mesures de taxation (avec comme unique source et démonstration la mention que ces évaluations viennent du «ministère des Finances du Québec», sans plus de précision, ni sur le document d’où provient cette évaluation, ni sur les méthodes utilisées pour y parvenir), où les effets des impôts des sociétés sont les plus dommageables et les taxes à la consommation le sont le moins, cela va de soit…
Déjà que l’absence de démonstration est frustrante, mais, en plus, on ne présente aucune analyse des effets de l’utilisation d’autres sources de revenus comme la baisse des subventions et des dépenses fiscales à l’intention des entreprises et des plus riches. Pire, on ne tente même pas d’évaluer la baisse du PIB qui découleraient de leur proposition, soit la diminution de la croissance des dépenses en santé (moins de travailleurs et travailleuses, par exemple). Et pourtant, effets à la baisse il y aurait! Et, cet institut se prétend indépendant…
– causes de la hausse des coûts des soins de santé
Je dois reconnaître que cette étude aborde davantage la source de la hausse des coûts de santé que celle du CIRANO, mais elle ne les explique pas du tout! En fait, l’étude aborde cette question à deux endroits.
1. Facteurs de croissance des dépenses de soins de santé
À la page 26 de l’étude, les auteurs, se basant sur les prévisions du Conference Board (en fait l’un des deux partenaires de cet institut), répartissent ainsi la croissance des dépenses de soins de santé de 2014 à 2035 :
- changements technologiques et amélioration de l’accessibilité : 1,0 %;
- croissance de la population : 0,7 %;
- vieillissement de la population : 1,1 %;
- inflation associée aux frais de santé : 2,4 %
- total : 5,2 %.
Par contre, nulle part les auteurs n’expliquent pourquoi ces augmentations observées par le passé (sauf pour la croissance de la population qui se base sur les prévisions démographiques de l’Institut de la statistique du Québec) seraient les mêmes à l’avenir. Bref, ces prévisions reposent sur l’hypothèse qu’on assistera à l’avenir à une hausse de la couverture des soins de santé équivalente à l’implantation de l’assurance médicaments, au programme de procréation assistée et aux autres améliorations adoptées depuis 30 ans. J’en doute…
De même, si les tendances passées de l’«inflation associée aux frais de santé» se maintiennent, il faudrait par exemple adopter de nouvelles hausses de salaires aux médecins! Déjà qu’on tente d’amoindrir celles négociées par le passé, cette hypothèse semble à tout le moins douteuse (je l’espère!). Bref, les auteurs de l’étude n’examinent nullement les facteurs qui ont causé l’inflation passée, mais n’hésitent pas malgré tout à prévoir sans explication que ce taux se maintiendra.
2. Modèle prévisionnel des dépenses de santé
À l’annexe C de l’étude (page 54), les auteurs disent s’être basés sur l’évolution passée de ces neuf postes de dépense pour faire leurs prévisions :
- hôpitaux;
- autres établissements de santé;
- médecins;
- autres professionnels;
- médicaments;
- immobilisations;
- administration;
- santé publique;
- autres dépenses en santé.
Et qu’ont-ils fait avec les données passées? «Par la suite, nous avons fait une projection de ces tendances en nous appuyant en grande partie, mais pas complètement, sur la tendance historique». Mais, quelle est la justification d’avoir conservé les tendances passées? En quoi consiste le «pas complètement»? Et comment ont évolué chacun de ces postes de dépense par le passé? Oubliez ça, l’étude n’en parle pas…
– recommandations
En gros, l’étude recommande trois choses :
- effacer le déficit de 3 milliards $ calculé à partir de l’étude des «experts» Montmarquette et Godbout, même si l’ampleur de ce déficit semble clairement exagérée;
- limiter la hausse annuelle des dépenses de soins de santé à 4,2 % au lieu de 5,2 %;
- ne plus ajouter de nouveaux programmes sans en laisser tomber d’autres.
Étrangement, les auteurs ne mentionnent aucun moyen précis pour appliquer ces trois recommandations… Il est donc difficile de les commenter sans répéter ce que j’ai dit auparavant : il y a d’autres solutions et la limitation de la hausse des dépenses à 4,2 % semble à portée de main, notamment si on cesse d’augmenter les salaires des médecins de façon indécente…
Et alors…
Avec cette étude qui n’apporte rien de neuf et ne «pèche par excès d’audace ou d’originalité» (comme le dit si bien Michel David), on peut bien se demander à quoi servira ce nouvel institut de recherche sinon à répéter à outrance le même message éculé de la droite québécoise.
Dans toute cette étude, les auteurs ne parviennent même pas à mentionner que les médicaments sont le principal facteur de croissance des dépenses en soins de santé depuis 30 ans (voir entre autres la figure 17 de la page numérotée 26 de ce document produit pas l’Institut canadien d’information sur la santé). En faisant ce constat, on aurait peut-être eu l’idée d’envisager comme mesure de diminution de ces coûts l’adoption de Pharma-Québec, organisme qui, selon les mandats qu’il recevrait (achat, production de médicaments génériques et de vaccins, etc.), permettrait d’économiser entre 1 et 2 milliards $ par année. Que l’étude ne recommande pas cette mesure est déjà étonnant, mais qu’elle ne l’examine même pas est un reflet de son caractère foncièrement idéologique.
Bref, cet institut n’en est qu’un de plus qui a le mandat de vendre la vision néolibérale de ses pourvoyeurs.
Supplément : Les grands esprits se rejoignent! Ianik Marcil et Josée Legault ont publié cette semaine deux billets tout à fait complémentaires au mien.
Billet de Ianik Marcil : De l’utilité des catastrophes pour M. Bachand
Billet de Josée Legault : Déficit et le «monstre» de la santé
Avec l’iniquité qui s’accroit sans cesse depuis 30 ans, les plus nantis ont beaucoup d’argent a dépenser et certains « spécialistes » ont flairés la bonne affaire.
Et tant qu’à dépenser son trop plein d’argent, aussi bien de le faire dans son propre intérêt…. et c’est déductible d’impôt en plus!
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«et c’est déductible d’impôt en plus»
Je ne crois pas. Je ne le trouve pas à http://www.cra-arc.gc.ca/chrts-gvng/lstngs/menu-fra.html . J’ai aussi lu que ce genre d’organisme est dorénavant refusé. Ceux qui ont obtenu le statut d’organisme de bienfaisance avant le changement de règles le conservent comme un droit acquis…
Pour le reste, on s’entend!
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Les revenus d’IEDM ont augmentés de 22.6% en 2011 et 10.6% en 2012. Par contre, la somme des reçus délivrés pour dons est passé de 36% des revenues à 22% entre 2011 et 2012…
Comme quoi c’est de plus en plus idéologique les dons.
En passant, bien que c’est un « droit acquis », toujours bizarre le voir que l’IEDM est enregistré comme oeuvre de bienfaisance….
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N’étant pas connaisseur en économie de la santé, je vais partir de «mon vécu».
En ce moment, les interventions pour l’implant cochléaire ne se pratiquent qu’à l’Hôtel-Dieu de Québec. J’y ai passé des tests. L’équipe médicale d’ORL prendra une décision lorsqu’elle aura mon dossier au complet. On m’a remis une référence pour l’imagerie médicale. Je me suis inscrit au CHUM (Notre-Dame). Je voulais avoir une idée du temps d’attente. «En ce moment, il n’y a qu’un appareil sur trois qui est fonctionnel. Les médecins y vont selon les urgences». Je ne sais pas si c’est un bris temporaire, un déplacement de locaux à cause de la vétusté de Notre-Dame. Je ne résiste pas à la tentation de faire le lien avec la saga de l’emplacement du nouveau CHUM, ni de la décision d’avoir 2 Centres hospitaliers universitaires à Montréal. Le nouveau CHUM pourrait être ouvert depuis longtemps. Pauline Marois avait choisi St-Denis-Rosemont. L’U de M qui a quitté le centre-ville dans les années 50 pour aller sur le Mont-Royal prétendait que les patients devraient se déplacer jusqu’à elle pour que ses étudiants n’aient plus à se déplacer jusqu’au Centre-Ville. Par la suite, Couillard est devenu ministre de la Santé. Le rapport du comité dirigé par Daniel Johnson a suggéré l’emplacement de l’Hôpital St-Luc.
Je ne prétends pas que ce cafouillage pourrait avoir engendré des coûts pour la société à cause de ma situation. On ne fait pas de science du singulier. Je pose candidement la question : «Est-ce que l’IdQ s’est posé la question : quelles ont été les conséquences de ce cafouillage?»
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Il ne pose pas beaucoup de questions, il ne fait que déclamer!
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C’est très nouveau de la part de cet ex-ministre des Finances qui affirmait qu’un Québécois sur deux plutôt qu’un contribuable sur deux ne payait pas d’impôts pour justifier la taxe santé.
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En général, ces gens parlent de 40 % qui ne paient pas d’impôt… et c’est en fait un peu moins que ça.
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Gilbert Rozon, lui, affirmait qu’un Québécois sur deux se faisait vivre par l’autre alors que son festival Juste pour rire est subventionné jusqu’aux oreilles. Cependant, il n’a jamais été ministre des Finances. J’aurais dû faire des fiches sur les déclarations de Raymond Bachand justifiant la taxe Santé.
On verra dans quelques jours ce qu’il adviendra de la taxe Santé. En toute logique, le gouvernement libéral devra tenir compte de l’angoisse fiscale des contribuables aux revenus les plus élevés. Je pressens qu’on coupera dans le gras, c’est-à-dire dans le panier de services. C’est tellement facile de ne pas remplacer une auxiliaire familiale sur deux qui prend sa retraite du CLSC et d’accorder un crédit d’impôt à l’aidant naturel qui devra prendre un congé sans solde. La personne seule qui doit se laver avec la débarbouillette pendant 2 mois, appuyée sur la marchette, après une intervention chirurgicale pour une prothèse de la hanche, who cares? Ce n’est pas écrit dans le journal. De toute façon, le gouvernement Couillard ne pourra pas couper dans ce gras. C’est déjà fait, je le sais, je l’ai vécu.
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Cruel, mais malheureusement trop vrai…
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On parle de moins 40% des particuliers qui ne paient pas d’impôts (Mais ils paient des taxes!) sauf qu’en retirant les étudiants, les conjoints/conjointes et membre de la famille sur le « payroll » de la PME, l’on descends à moins 20%.
Par contre, sur les 300 000 entreprises au Québec, 150 000 ne paient pas d’impôt, c’est réellement 50%… et les dretteux en parle jamais! (D’autant plus que le but premier d’une personne est de vivre alors que le but premier d’une personne « morale »… c’est de faire de l’argent!!!)
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