Une vidéo sur l’assurance-emploi
L’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), le syndicat qui représente le plus grand nombre de fonctionnaires fédéraux, a publié cette cette semaine une vidéo (voir au bas de ce billet) et des fiches d’information (ça, c’est moins connu…) sur la diminution de la proportion de chômeurs qui sont couverts par le programme d’assurance-emploi, le tout regroupé dans le site Non aux coupes.
Il est impossible de résumer un tel sujet en deux minutes et demie. Inévitablement, on doit tourner les coins ronds. Je vais donc faire le tour des propos contenus dans cette vidéo pour voir si les coins sont bien tournés! Je commenterai ensuite brièvement le contenu des fiches d’information.
La vidéo
– moins de 40 % des chômeurs ont touché des prestations d’assurance-emploi :
En fait, ces 40 % sont le ratio (ou la proportion) entre le nombre moyen de prestataires de l’assurance-emploi selon les données administratives de Service Canada et le nombre de chômeurs selon l’Enquête sur la population active (EPA), et non le pourcentage de chômeurs qui touchent des prestations comme le prétend le narrateur de la vidéo. On peut en effet être chômeur sans être prestataire, mais aussi être prestataire sans être chômeur. En fait, en 2012, comme on peut le voir grâce au graphique reproduit à droite, seulement 338 900 chômeurs sur 1 310 000 en touchaient, soit à peine 26 %, beaucoup moins qu’on ne le dit dans la vidéo! Par contre, comme il y avait 509 000 personnes qui touchaient des prestations, on peut conclure que 170 100 prestataires de l’assurance-emploi n’était pas des chômeurs. Ils pouvaient être, comme je l’ai expliqué dans ce billet, soit des personnes qui «qui ont touché à la fois des prestations et un revenu d’emploi au cours d’une semaine donnée», soit des prestataires qui ont répondu à l’EPA qu’ils ne cherchaient pas d’emploi… Cela dit, on ne peut bien sûr pas présenter toutes ces nuances dans une vidéo. Il s’agit donc d’un péché véniel…
– ça, c’est du jamais vu en 40 ans :
Vrai!
– graphique sur l’évolution des chômeurs avec prestations :
Mis à part la nuance apportée plus haut (c’est l’évolution du ratio prestataires/chômeurs, et non pas du pourcentage de chômeurs qui touchent des prestations), ce graphique est impeccable! D’ailleurs, ce même graphique qui est fourni dans la documentation donne le bon titre.
– il y a eu les réformes des années 1990 :
Rien à redire! C’est de loin le facteur le plus important dans la baisse du ratio prestataires/chômeurs au cours des 25 dernières années. De même, les trois changements décrits par après (augmentation de la période requise pour obtenir des prestations, durée des prestations réduite et exclusion pour départs volontaires et congédiements pour inconduite) sont exacts, le troisième étant celui qui a eu l’impact le plus important.
– hausse du temps partiel, du travail à contrat et du nombre de chômeurs sans emploi depuis plus d’un an :
Vrai! Le dernier facteur (nombre de chômeurs sans emploi depuis plus d’un an) est celui qui explique le plus la baisse de 2009 à 2012 du ratio prestataires/chômeurs, comme je l’avais montré l’an dernier.
– rôle de la réforme de 2013 sur la baisse du ratio prestataires/chômeurs :
Il est difficile de ne pas arriver à cette conclusion, car rien d’autre ne peut expliquer cette baisse de 2013, puisque le nombre de chômeurs sans emploi depuis plus d’un an n’a pas augmenté entre 2012 et 2013. Il est tout aussi difficile de préciser avec certitude les aspects de cette réforme qui peuvent avoir entraîné cette baisse, comme le dit bien la vidéo (un autre point positif pour elle!). Personnellement, je pense que cette baisse s’explique par l’augmentation du nombre de personnes qui décident volontairement de ne pas présenter de demande d’assurance-emploi pour ne pas se faire harceler. Mais, il faudra attendre le rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi qui couvrira l’année 2013 pour voir si cette hypothèse est la bonne. Dans ce sens, il était préférable que la vidéo ne suggère pas de raisons, même pas la mienne, car elle est impossible à prouver!
– il n’y a pas un sous de fonds public là-dedans :
Vrai!
– si on additionne le nombre de chômeurs sans prestation en 2012 et en 2013, cela donne 1 700 000 personnes, presque la population de l’Île de Montréal :
C’est l’affirmation qui m’a fait le plus grincer des dents… D’une part, la moyenne de 850 000 chômeurs sans prestations en 2012 et 2013 (en fait plutôt 1 310 000 moins 338 900, soit 971 100 selon le graphique ci-haut) est une moyenne! Comme la durée du chômage fut dans ces années autour de 20 semaines (selon le fichier cansim 282-0048), on peut dire que le nombre de chômeurs sans prestation a pu atteindre environ 2,5 millions de personnes cette année-là (971 100/20 x 52 = 2 524 860), donc 5 millions sur deux ans… Mais avant de penser que la population complète du Canada aura été touchée en 14 ans (en comptant les enfants et les personnes âgées…), il faut réaliser qu’une bonne partie de ces personnes (proportion impossible à établir) peuvent être les mêmes d’une année à l’autre, et même connaître plus d’une période du genre au cours d’une même année… Je ne cherche pas à minimiser le problème (je l’ai au contraire accentué!), mais, même si cela fait une belle ligne à la fin de la vidéo, cette comparaison demeure démagogique!
Je ne dirai jamais assez qu’on ne doit pas confondre des flux (nombre de chômeurs qui, au cours d’une période, aussi courte soit-elle, n’ont pas touché de prestations) avec des stocks (la moyenne annuelle du nombre de chômeurs qui n’ont pas touché de prestations)…
Les fiches d’information
Je trouve dommage que, lorsqu’on regarde une vidéo du genre (qu’on apprécie souvent uniquement parce qu’elle correspond à nos perceptions), on ne se donne pas la peine de consulter les fiches d’information qui l’accompagne (quand il y en a!). Or, cette vidéo est complétée par deux séries de fiches d’information : une sur le contenu de la vidéo, et une autre sur la réforme de l’assurance-emploi qui est entrée en vigueur au début de 2013. Or, il y a beaucoup plus d’information dans ces fiches que dans la vidéo, et son contenu est presque irréprochable (avec des source fiables pour chaque affirmation)! On y précise même la distinction que j’ai faite entre le ratio prestataires/chômeurs et la proportion réelle de chômeurs touchant des prestations (différence illustrée clairement dans ce graphique).
En fait, cette documentation est tellement bonne que je n’y ai trouvé qu’une petite imprécision, imprécision qui amoindrit même le discours des auteurs! En effet, on indique dans ce tableau que les exclusions (période au cours de laquelle on ne reçoit pas de prestations) en raison de congédiement pour inconduite ou pour départ volontaire étaient en 1989 de six semaines. Il s’agissait en fait de la durée maximale de l’exclusion, réservée pour les cas où il n’y avait aucune circonstance atténuante. La loi prévoyait en fait une durée d’exclusion de une à six semaines. Bref, si le dossier de l’assurance-emploi vous intéresse, lisez ces fiches sans hésiter, cela ne demande pas vraiment beaucoup de temps et elles contiennent une foule de renseignements pertinents.
Et alors…
J’ai peut-être l’air sévère dans mes critiques, mais je sais bien qu’il est impossible de présenter clairement un sujet aussi complexe que celui-là en 150 secondes. Dans ce contexte, il faut souligner que les petits reproches que j’ai faits à cette vidéo sont bien mineurs, car ils ne travestissent nullement l’objet de la vidéo : oui, les changements à la loi et au marché du travail ont fait en sorte que la proportion de chômeurs qui touchent des prestations d’assurance-emploi a fondu en flèche. Au lieu d’adapter ce programme aux nouvelles réalités du marché du travail, le législateur a plutôt modifié la loi pour que ces nouvelles réalités fassent réduire la couverture de ce programme.
Dans cette optique, cette vidéo est une des bonnes que j’ai vues…
Je comprends que le gouvernement Harper coupe dans les fonctionnaires, certains fonctionnaires n’ont pas encore compris qu’ils doivent être au service du gouvernement Harper et non du citoyen!
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Je veux bien, mais je ne vois pas ce que les fonctionnaires viennent faire dans ce portrait. Ce n’est pas eux, mais les politiciens qui changent les lois et les règlements. Les fonctionnaires ne peuvent que les appliquer. Et, comme les données sur les pénalités et exclusions ne montrent pas de changements notables depuis l’entrée en vigueur de la réforme, on ne peut pas les accuser d’en faire trop (même si certains peuvent le faire…)!
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Évidemment, il aurait fallu lire:«Il est impossible de résumer un tel sujet en deux minutes et demie» et
«il n’y a pas un sou de fonds publics là-dedans».
J’ai déjà quitté un emploi, avant la réforme de 1989. Aux 2 semaines de carence, 4 semaines de pénalité se sont ajoutées (il y a eu des délais administratifs, mais bon, j’ai reçu mes chèques). Si j’avais su qu’on pouvait contester pour «circonstances atténuantes», je l’aurais fait. Le hic, c’est qu’à l’époque, quand on n’était pas syndiqué et qu’on était sur le bord de la dépression, on endurait la «jobine» et… on empruntait.
Je reprends mon dada : le fait que des gouvernements de droite aient déchiré le filet de sécurité sociale existant (au fédéral et au provincial) ne prouve pas qu’il faut tout reprendre à zéro. Je pense évidemment aux partisans du revenu de citoyenneté qui ne présentent jamais de propositions chiffrées.
Je répète aussi que tout est dans tout et inversement. Un chèque de sécurité sociale, c’est bien, mais s’il n’est pas accompagné de politiques de logement et de transport en commun, la personne sans-emploi pourra difficilement se payer un taxi pour aller porter un formulaire d’emploi dans le parc industriel.
Tasha Khereiddin du National Post http://fr.wikipedia.org/wiki/Tasha_Kheiriddin expliquait à Céline Galipeau, que le travailleur saisonnier du Québec et des Maritimes et le chômeur victime de la maladie hollandaise n’a qu’à prendre l’avion et aller travailler au McDonald’s à Edmonton. Mario Dumont, Bernard Landry et Martine Ouellet répondent que le Québec n’a qu’à exploiter le pétrole d’Anticosti. Quelque misanthrope pourrait-il m’aider à en rire sans que ça fasse mal?
@ Benton
Les ministres qui ont été responsables des programmes d’assurance-emploi et d’Aide sociale ont toujours nié qu’il y avait des quotas. Ce n’est pas nécessaire. L’agent qui en coupe moins que ses collègues ou moins que le mois précédent se fera demander par son superviseur :
– Comment se fait-il que vous soyez tombé sur des gens honnêtes, ce mois-ci?
Cela étant, vous avez sûrement observé des collègues à qui une petite promotion a fait gonfler la tête. Doit-on expliquer ce phénomène par le principe de Peter, le point de vue de Pierre Clastres dans «La société contre l’État» http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Clastres ? Contre la thèse de Clastres, j’avance candidement que les membres des sociétés de chasseurs-cueilleuses n’avaient pas d’hypothèques à payer. S’il n’y avait pas consensus après les palabres, le groupe dissident partait. Souvent, il rejoignait un autre groupe dissident et formait une nouvelle communauté. Les ethnologues ont observé que les communautés de chasseurs-cueilleuses dépassaient rarement une quarantaine de membres.
Sommes-nous condamnés à subir ce pouvoir des petits caporaux, de géants comme Rio Tinto Alcan et de l’économie casino?
http://www.cyberus.ca/~rg/ch_m003.htm
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