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Questions et réponses sur l’économie

30 juin 2014

75_FillionComme mentionné précédemment dans un autre billet, je ne suis habituellement pas friand des livres d’économie qui présentent des concepts en une ou deux pages. À moins de connaître les sujets abordés, je ne crois pas que les quelques mots qu’on peut lire sur chacun d’eux peuvent vraiment permettre de les comprendre convenablement. Et si on les connaît déjà, il est inutile de les lire! J’ai quand même lu le livre Vos questions sur l’économie : 75 questions – 75 réponses de Gérald Fillion et François Delorme, notamment parce que j’aime bien l’émission RDI économie animée par Gérald Fillion et parce que je voulais pouvoir dire ce que j’en pense!

Dur départ… ou départ qui fait dur!

Le premier chapitre contient sept questions et réponses… et au moins quatre erreurs de faits ou d’appréciation!

À la page 18, dans le tout premier texte du livre, on lit que «votre dette de crédit à la consommation ne devrait pas dépasser 15 % ou 20 % de votre revenu mensuel brut, et (…) le total de votre dette (y compris l’hypothèque) ne devrait pas dépasser 35 % ou 40 % de votre revenu mensuel brut». Cela voudrait dire qu’un ménage qui gagne 120 000 $ par année ne devrait pas avoir une hypothèque de plus de… 4 000 $! Il est clair que les auteurs voulaient dire que les paiements liés à ces dettes ne doivent pas dépasser ce montant! Que ce soit une erreur d’inattention (probablement) ou de fond, ça part mal!

À la page 25, on lit que l’hyperinflation en Allemagne en 1923 fut la conséquence du déficit de l’État dû à la Première Guerre mondiale et du financement des dépenses publiques. Pourquoi alors ne s’est-elle manifestée que cinq ans après la fin de cette guerre? En fait, cette hyperinflation était plutôt la conséquence d’une série de facteurs dont le principal fut les paiements de remboursement exigés par les pays vainqueurs en fonction du traité de Versailles (comme Keynes l’avait craint). Bon, on peut dire que les auteurs ont tourné les coins ronds pour mieux vulgariser, mais je n’ai pu que grincer des dents en lisant qu’ils considèrent que le financement des dépenses publiques fut un des deux facteurs les plus importants pouvant mener à l’hyperinflation et que les obligations de paiements dictés par le traité de Versailles n’en furent pas un.

À la page 26, on prétend que le taux de chômage ne tient pas compte du travail souterrain; or, on n’en sait rien! Comment savoir ce que répondent les personnes qui travaillent au noir au questionnaire de l’Enquête sur la population active de Statistique Canada, surtout celles qui touchent des prestations d’assurance-emploi tout en travaillant au noir? Je le répète, on ne peut pas le savoir. Je trouve en plus tout à fait inopportun de parler de ce sujet dans un petit texte de deux pages sur le taux de chômage, comme si cela pouvait être un des principaux facteurs faisant en sorte que cet indicateur est imparfait. Par exemple, n’aurait-il pas été plus important de distinguer les chômeurs des prestataires de l’assurance-emploi ou de préciser que la proportion des chômeurs qui n’ont pas travaillé depuis plus d’an an est en forte hausse, tant au Canada qu’au Québec?

Presque toute la page suivante porte sur les «chercheurs découragés», laissant entendre qu’ils sont relativement nombreux (l’exemple donné fait baisser le taux de chômage de plus de deux points de pourcentage en raison du retrait du chômage des personnes qui cessent de chercher des emplois parce qu’elles sont convaincues de ne pas pouvoir en trouver); or, le fichier cansim 282-0085 nous montre que, si on considérait les chercheurs découragés, le taux de chômage augmenterait de seulement 0,1 ou 0,2 point de pourcentage selon les mois. S’il ne s’agit pas d’une erreur comme telle, c’est sans aucun doute une mauvaise appréciation et un signe de la méconnaissance de l’importance de ce phénomène (et des sources qui permettent de le savoir!).

La suite

Les chapitres suivants contiennent moins d’erreurs aussi flagrantes, mais effleurent à peine les sujets abordés, ce qui est le propre de ce genre de livre. Les textes sont très descriptifs et n’abordent presque jamais les conséquences politiques et sociales des sujets traités. Par exemple, on explique la mécanique des instruments de retraite, comme les régimes enregistrés d’épargne-retraite (RÉER) et les comptes d’épargne libre d’impôt (CÉLI), sans même dire un seul mot sur leurs effets sur les inégalités ou sur les personnes qui profitent le plus de ces dépenses fiscales. Désolé, mais l’économie n’est pas une technique, mais est profondément politique.

Si la plupart des textes ne développent pas suffisamment les sujets abordés, d’autres donnent parfois une importance démesurée à des phénomènes (comme on l’a vu au sujet des «chercheurs découragés») ou à des théories qui n’en méritent pas tant. Ainsi, un texte complet porte sur l’approche fumeuse de Gary Becker (dont j’ai parlée un peu dans ce billet) qui prétend qu’on prend plein de décisions, comme de se marier ou d’avoir des enfants, uniquement pour des raisons économiques. Bon, ce texte en est un qui se veut humoristique, mais son contenu est présenté comme si les thèses de Becker avait un grande importance et n’avaient jamais été réfutées. On lit par exemple que l’économie nous enseigne qu’on se marie aussi «pour partager le risque lorsque la date de notre mort est incertaine», car le mariage est une forme d’assurance grâce aux transferts de revenus qu’il permet (testament, polices d’assurances, etc.). Or, l’économie n’enseigne rien de tel. Il n’y a que Becker et ses admirateurs qui assimilent l’être humain à un homos œconomicus qui n’agit qu’en fonction de ses avantages égoïstes, alors que ce type de comportement n’existe pas dans la réalité. Que ces facteurs «rationnels» jouent un certain rôle dans nos décisions (plus pour certains, moins ou pas du tout pour d’autres), je veux bien, mais prétendre comme les auteurs le font un peu plus loin que son revenu est le premier facteur qui influence notre choix de partenaire et que «c’est l’amour qui vient tout compliquer», même sous le couvert d’un humour douteux, je trouve ça déplorable.

La suite du livre aborde beaucoup (trop) de sujets liés à la finance, notamment à la bourse, encore là avec peu de critique sociale (un peu, quand même). La série de textes sur les finances publiques (dette, propriétaires de la dette, agences de notation, etc.) est de meilleure tenue, décrivant même le fonds consolidé, sujet rarement expliqué. J’aurais aimé que les auteurs donnent plus d’exemples sur les finances des organismes non budgétaires (dont le manque de transparence a été maintes fois critiqué, notamment par le vérificateur général du Québec), mais c’est déjà bien d’en avoir parlé.

Et alors…

Et alors, lire ou ne pas lire? Compte tenu de mes nombreuses critiques, on pourrait penser que la réponse coule de source. Je dois toutefois concéder que j’ai été ici plutôt sévère. J’ai davantage insisté sur les erreurs, les manques et les raccourcis que sur les bons points qu’on trouve tout de même dans de nombreux textes (comme ceux sur le Supplément de revenu garanti et les régimes de retraite à prestations ou cotisations déterminées). Mais, il demeure que ce livre m’a déçu. Comment peut-on, dans un livre qui vise à expliquer les rouages essentiels de l’économie, accorder si peu d’importance aux inégalités et à l’environnement (on en glisse quelques mots, mais vraiment pas assez et surtout pas de façon assez critique), ou aux choix entre les politiques d’austérité, de croissance, ou de décroissance, quand ces questions sont au cœur des enjeux actuels? Comment ne pas parler des différentes écoles théoriques qui ont tellement d’influence dans le développement des politiques économiques? Et je n’ai pas parlé du fait que, comme trop souvent, les notes explicatives sont à la fin du livre…

Bref, lisez-le si ça vous tente, mais n’ayez pas trop d’attentes!

8 commentaires leave one →
  1. Boileau permalink
    30 juin 2014 8 h 53 min

    Je vais y jeter un coup d’oeil sans trop d’attentes comme tu nous le suggères. Merci de bon travail de révision. L’erreur est humaine mais certains sont plus humains que d’autres.

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  2. 30 juin 2014 9 h 02 min

    Il faut aussi savoir qu’on est humains et agir en conséquence : relire ses textes et les faire relire par d’autres! Surtout pour un livre…

    Aimé par 1 personne

  3. 30 juin 2014 11 h 48 min

    Je dois avouer que M. François Delorme m’a fait « siller » les oreilles à une couple de reprise en l’écoutant comme spécialiste économique à la radio de Radio-Canada et faisant continuellement la promotion de la privatisation et de la sous-traitance dans ses « analyses ». (D’autant plus que sur le sujet de Poste Canada où il conseillait une privatisation des postes, l’animateur lui-même l’a un peu embêté en parlant de coût de service plus élevé en région éloignée, sa réponse étant en gros que la loi du marché doit s’appliquer… tout comme la notion d’utilisateur/payeur!)

    Après vérification, ce n’est guère surprenant, étant lui-même en autre sous-traitant pour les entreprises!

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  4. 30 juin 2014 14 h 35 min

    Bizarre, sa conjointe le présente toujours comme un économiste de gauche… Peut-être l’est-il privément, mais publiquement, le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas évident!

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  5. Richard Langelier permalink
    4 juillet 2014 20 h 39 min

    Elle a aussi écrit qu’il lui avait expliqué qu’il y avait consensus chez les économistes: «le palier supérieur d’imposition des particuliers ne doit pas dépasser 50%». Il est plus à gauche que Marceau qui a décidé que le taux combiné d’imposition (fédéral et provincial) serait à 49,75%.

    Est-ce que Léo Blouin-Bureau pense à Marceau lorsqu’il veut permettre la dissidence au sein du Parti québécois? J’ai l’air obsédé, mais les «cools» qui ne disent pas clairement que les baisses d’impôts du gouvernement Bouchard-Landry qui ont profité surtout aux contribuables aux plus hauts revenus et les coupes dans l’Aide sociale aux personnes de 55 à 57 ans n’étaient pas des erreurs dramatiques, je ne peux les prendre au sérieux.

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  6. 4 juillet 2014 21 h 24 min

    «Il est plus à gauche que Marceau qui a décidé que le taux combiné d’imposition (fédéral et provincial) serait à 49,75%.»

    Pas vraiment. Marceau voulait le monter à 55 %, si tu te souviens bien. C’est la campagne de l’angoisse fiscale (et les pressions de la première ministre, sûrement) qui l’a fait reculer.

    En tout cas, cela confirme que le monsieur n’est pas très à gauche!

    « les baisses d’impôts du gouvernement Bouchard-Landry qui ont profité surtout aux contribuables aux plus hauts revenus »

    Landry avait aussi fait un transfert sans coût de baisse des impôts contre une hausse de la taxe de vente, exactement ce que Godbout (et Bachand et Coiteux, et Laitao…) recommande avec comme justification la théorie zombie de l’équilibre général dynamique stochastique… Comment contredire une théorie remplie d’équations? 😉

    Les taxes et les impôts

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