L’effet des politiques familiales sur la fécondité
J’ai terminé mon billet sur les nouvelles prévisions démographiques de l’Institut de la statistique du Québec avec un clin-d’œil à l’actualité en écrivant «Comment savoir si les hypothèses du scénario plus récent se maintiendraient si, par exemple, les avantages du Régime québécois d’assurance parentale étaient diminués?».
Cela a amené Nomadesse à aborder la difficile question des effets des politiques familiales sur la fécondité. Elle m’a entre autres proposé de lire une étude sur la question. Cette étude de Sophie Mathieu (malheureusement réservée aux abonnés de ce site), intitulée Entre l’effet tempo et l’effet quantum : une analyse de l’effet des politiques familiales sur la fécondité dans les pays avancés, parue aux pages 255 à 276 du numéro 1 du volume 45 de la revue Sociologie et sociétés, mérite sans contredit le détour. Je vais donc en présenter dans ce billet certains éléments. Comme d’habitude, je précise que ce billet ne peut pas rendre toutes les nuances de cette étude et en dénature donc le contenu…
Les effets tempo et quantum
L’auteure distingue d’entrée de jeu deux types d’effets aux politiques familiales. Le premier, l’effet tempo, entraîne un devancement des intentions d’avoir un enfant. Parfois, ce devancement peut aussi faire augmenter le nombre de naissances, mais c’est loin d’être automatique. L’effet quantum, de son côté, est carrément associé à une hausse du nombre de naissances.
Il n’est pas toujours évident d’isoler ces deux effets et surtout de démontrer qu’une mesure spécifique cause directement un changement dans les naissances, que cet effet soit de type tempo ou quantum. L’auteure s’attarde ensuite à trois types d’effets qui peuvent influencer la fécondité :
- la «défamiliarisation» des soins se fait «en transférant une partie des coûts économiques et sociaux liés à la naissance d’un enfant à l’extérieur de la famille»; on pense ici par exemple aux services de garde (transfert de coût social) et aux congés parentaux (transfert de coûts monétaires);
- le devancement des intentions qui n’a souvent qu’un effet temporaire, surtout quand les parents craignent que les mesures adoptées «ne soient offertes que pour un temps limité»; les programmes de «bébé-bonus», comme celui implanté au Québec de 1988 à 1997 (on offrait «500 dollars à la naissance du premier enfant, 1000$ pour le deuxième et 8000 dollars pour le troisième enfant») ont souvent un effet temporaire;
- d’autres mesures (ou absence de mesures) peuvent influencer négativement la fécondité; par exemple, «la difficulté pour les femmes de concilier le travail et la famille aurait un impact négatif» en Allemagne, en Italie et en Espagne.
En plus des effets sur la fécondité, les politiques familiales peuvent aussi en avoir sur la qualité de vie des familles, principalement sur celles des femmes. Ce n’est pas rien!
Les politiques familiales
Sophie Mathieu fait ensuite le tour des politiques familiales en présentant leurs effets, tempo, quantum ou autres. Elle parle entre autres :
- des allocations familiales (en moyenne, elles ont un faible effet sur la fécondité, mais plus fort que les programmes de «bébé-bonus»);
- des congés parentaux (les études sont contradictoires sur ses effets);
- des services de garde (effet positif sur la fécondité, mais pas toujours);
- des programmes encourageant la conciliation travail-famille (idem).
Effets variables
La partie qui m’a le plus intéressé est celle où elle montre que des mesures semblables peuvent avoir des effets bien différents selon les institutions en place, la culture des populations et les régimes politiques. Je ne présenterai pas la typologie de l’auteure qui isole les effets des politiques familiales par types de pays, l’important pour moi étant le constat. D’un pays à l’autre, une politique sera plus ou moins populaire et aura des effets différents tant sur la fécondité que sur la qualité de vie des parents, notamment des femmes. Par exemple, dans un pays pourtant émancipé comme l’Allemagne, les services de garde influencent peu le comportement familial, la culture du pays favorisant que ce soit les mères qui s’occupent des enfants d’âge préscolaire à la maison. Pas étonnant que la fécondité des femmes de ce pays soit une des plus basses des pays industrialisés!
Cela dit, un des éléments qui favorise le plus la fécondité dans presque tous les pays est la participation des pères aux tâches domestiques. Alors, les politiques qui l’encouragent, comme les congés parentaux destinés aux pères, ont en général (même sur ça, on ne peut pas généraliser…) de bons résultats. Mais, encore là, des pays qui ont peu de politiques familiales, comme les États-Unis, ont des taux de fécondité plus élevés que la moyenne. Peut-être seraient-ils encore plus élevés s’ils en avaient des comparables à ceux des pays nordiques, mais on ne peut pas le savoir! Chose certaine, la qualité de vie des femmes de ce pays serait améliorée!
La causalité
«le sens de la causalité entre les politiques et les situations sociales est souvent difficile à évaluer.»
Par exemple, l’auteure mentionne la difficulté de déterminer si c’est la présence de politiques familiales qui causent une plus forte fécondité ou si ce n’est pas cette fécondité qui porte des sociétés d’exiger plus de politiques de ce genre. Il est aussi possible que certaines mesures ne fonctionnent qu’à partir d’un certain niveau. Par exemple, une somme trop chiche pour les congés parentaux pourrait n’avoir aucun effet, alors qu’une somme plus élevée, pas nécessairement de beaucoup, aurait un impact important. La rehausser encore pourrait n’avoir plus aucun effet. Mais, encore là, il est impossible de mesurer ces effets de façon précise, car trop de facteurs jouent un rôle de façon concomitante.
Dans sa conclusion, l’auteure avance que, finalement, ce sont les mesures, les cultures, les institutions et les régimes politiques qui favorisent le plus le transfert du «fardeau des tâches liées à la reproduction» de la mère à la société ou aux autres membres de la famille, notamment aux pères, qui ont les effets les plus souvent positifs sur la fécondité. Ce ne sont donc pas seulement les mesures qui permettent la défamiliarisation des coûts monétaires et sociaux qu’on doit favoriser, mais aussi celles qui encouragent la dématernisation des tâches domestiques, notamment les services de garde et les congés de paternité.
Et alors…
Ce genre d’étude peut sembler décevant. En effet, aucune mesure ne semble garantir le résultat souhaité. Dans mon cas, j’apprécie au contraire ce type d’analyse où aucune solution universelle ne ressort, mais où on nuance les effets des mesures présentées en fonction d’une foule d’autres facteurs, notamment institutionnels, politiques ou culturels. C’est ça, la vraie vie!
Ce dont cette étude ne parle pas, c’est de la pertinence d’encourager une plus grande fécondité des femmes. Ce n’est pas un reproche, car ce n’était pas son objet. Moi, je me le demande. Avec la raréfaction des ressources, doit-on vraiment encourager une plus forte fécondité? On pourrait aussi bien favoriser davantage l’immigration qui permet de mieux répartir les humains aux endroits où ils peuvent vivre décemment. L’impact est peut-être mineur, mais non négligeable. Et il augmente moins le fardeau sur l’environnement associé à cette qualité de vie. Cela ne veut pas dire que je suis contre le fait d’avoir des enfants (j’en ai deux et ne le regrette pas!), mais qu’on peut aider les personnes qui en veulent sans faire de la hausse de la fécondité un objectif politique incontournable.
Cela dit, j’appuie sans réserves les programmes sociaux présentés dans cette étude. Qu’ils aient ou non des effets sur la fécondité, ils permettent d’équilibrer les tâches entre les hommes et les femmes, et entre les familles et le reste de la société. Cela est beaucoup et me satisfait entièrement!
J’aime moi aussi ces études qui n’hésitent pas à nuancer quant aux impacts sur la NATALITÉ, mais qui sont très claires sur les impacts quant à l’égalité entre les sexes et la qualité de vie. Il me semble que ce sont des éléments qui devraient compter davantage quand on décide de l’efficacité ou non d’un programme public.
Tu parlais de « conditions minimales » pour que les programmes fonctionnent. En effet, certaines études ont avancé que, pour qu’un père fasse usage d’un congé paternel, deux conditions doivent être remplies: que le salaire soit remplacé à plus de 50 % et que le congé excède 14 jours. Dans le cas contraire, on assiste plutôt à une augmentation du nombre d’heures de travail des pères, afin de combler la perte du salaire féminin.
Bref, on n’a pas fini de parler du sujet. Et moi, j’ai terminé mes entrevues avec les pères hier soir! Je vais me lancer dans l’analyse de tout cela au début de l’année prochaine.
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Merci des précisions!
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Je n’ai pas mémoire qu’au cours de la récente campagne électorale le PLQ y aurait avancé un projet de coupure au RQAP pour que le Québec se rapproche de l’Ontario en gros bon sens économique.
Le 7 avril dernier, moins de 50% + 1 d’électeurs ont porté le PLQ à la charge, ce que d’autres appellent le pouvoir. Avant de modifier le RQAP, ce serait démocratique qu’il profite de l’élection partielle prochaine dans Lévis pour sonder un peu de Peuple québécois sur cette question.
C’est sûr comme a dit Mme Kim Campbell que ce n’est pas le temps au cours d’une campagne électorale de parler des vrais affaires.
J’imagine comme Carl Renaud que l’idée de couper dans le RQAP ferait l’affaire à courte vue du Conseil du patronat du Québec. Par courte vue, je parle de moins d’une génération; moyenne vue serait 2 générations, longue vue, 3. Pour s’enrichir, ça prends le dos de quelqu’un, pas besoin d’avoir fait les HEC ou lu L’autre journal pour savoir ça !
Cessons d’écrire ou de parler de fécondité, écrivons et parlons de régénération. C’est connu, nous sommes en perte de vitesse en cette matière depuis plusieurs générations, en dégénération en cascade depuis une dizaine d’années, je dirais, sans chiffre à l’appui cependant. Je me fie pour l’instant à Mes Aïeux !
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«Je n’ai pas mémoire qu’au cours de la récente campagne électorale le PLQ y aurait avancé un projet de coupure au RQAP pour que le Québec se rapproche de l’Ontario en gros bon sens économique.»
Non, mais il parle de tout ces temps-ci!
«Je me fie pour l’instant à Mes Aïeux !»
Moi, je déteste cette toune, surtout les paroles que je trouve profondément sexistes et âgistes.
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Aimez-vous mieux Dégénération de Mylène Farmer ?
C’était sans publicité à deux visualisations ce matin.
Trouvez-vous les images moins âgismes et sexistes ?
Sans vouloir m’éloigner du sujet en titre.
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Est-ce la même toune? J’ai écrit hier : «Moi, je déteste cette toune, surtout les paroles que je trouve profondément sexistes et âgistes.». Si ce sont les mêmes paroles…
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Ce ne sont pas les mêmes paroles, ni les mêmes images. C’est très contraste. Je trouve plus sexy que sexiste, plus culturel et esthétique qu’âgiste.
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Je me le demande aussi.
Je dirais plus grande régénération d’espèce, comme pour les bélougas que plus grande fécondité. Des femmes, c’est l’évidence. Je n’ai pas d’objection à ce qu’on pose un utérus à un nombre expérimental d’hommes, au cas ou un trop grand nombre de femmes se refuseraient à se valoriser à investir dans leur utérus, faute de contrepartie certaine. C’est pas demain la veille en Afrique et Asie que l’opportunité de recherche se fait sentir là.
Plus grandes fécondité fait Engrais Lévis, de mémoire de télé communautaire. Régénération suffisante ou mieux ferait plus patriotique dans un contexte d’équité plurinationale.
Je n’ai pas trouvé dans la Charte canadienne des droits et libertés en première partie de la Loi constitutionnelle de 1982 d’indication en rapport avec la pertinence d’encourager une plus grande fécondité des femmes ou non. Vous connaissez mieux que moi ma rigueur. La question me semble laissée ouverte aux préférences citoyennes qu’à celle de la Reine et de sa cour d’alors. Qu’en est-il de la présente qui sera remise en question en automne 2015 ?
En section Droits à l’égalité, l’article 15.1 mentionne que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, … indépendamment de toute discrimination. L’article 15.2 précise que l’article 15.1 n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer les particularités d’un sexe ou l’autre. (Acception a acceptation comme synonyme)
Que faire avec l’indéniable inégalité dont les protagonistes sont dotée en matière de régénération de l’espèce animale humaine, maintenant que la Cour suprême, je n’ai pas vérifié mais entendu aux nouvelles, a statué quelque chose comme une femme est propriétaire de son utérus. Sen s’est penché un peu sur la question avant 1992. Il en a fait la section d’un chapitre dans Repenser l’inégalité. Son souci n’était pas la régénération mais la justice.
La Charte québécoise des droits et libertés de la personne a aussi une section Droit à l’égalité pour les matières qui sont de la compétence législative du Québec. L’article 10 mentionne la grossesse comme sujet ne devant pas faire l’objet de discrimination.
Il pourrait être vertueux d’encourager une plus grande fécondité par souci d’équité intergénérationnelle, interrégionnale et même interpersonnelle. Les allocations familiales ont servi substantiellement je crois en ce sens entre hauts rémunérés et moins rémunérés, entre l’urbain et le rural, entre célibataires et mariés.
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Bon, je l’ai écouté. Je déteste ce genre de musique syncopée… Quant au côté sexy, bof, c’est un classique des vidéos accrocheurs qui me laisse indifférent!
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Une lettre intéressante de l’auteure du texte que je présentais dans ce billet…
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/420384/a-t-on-les-moyens-de-sabrer-dans-le-rqap
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Je n’avais pas lu ce texte et c’est fort intéressant! Bon, c’est normal, j’étais à l’hôpital pour la naissance de mon 2e, j’avais l’esprit un peu occupé. 🙂 Merci d’avoir partagé!
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