Aller au contenu principal

Les organismes de bienfaisance et l’impôt

27 septembre 2014

charitéJe viens de réaliser que cela fait plus d’un an que je n’ai pas écrit de billet sur les organismes de charité. Avant ce trou inexplicable, j’en avais écrits huit en trois ans! Pourtant, ça me démangeait de revenir sur ce sujet depuis les premiers échos que nous avons entendus à propos des enquêtes de l’Agence du revenu du Canada (ARC) sur des organismes qui, ô scandale, ont comme objectif de prévenir la pauvreté, comme Oxfam, ou encore sur des organismes environnementaux, mais surtout pas sur des organismes qui appuient l’idéologie du gouvernement comme l’Institut économique de Montréal (IÉDM) ou l’Institut Fraser.

Ça me démangeait, mais je me retenais. Pourquoi? Parce que, comme je l’ai expliqué dans ces nombreux billets, j’ai toujours eu des réticences envers les crédits d’impôt pour bienfaisance. Ne voilà-t-il pas que, par un hasard qui fait bien les choses, que j’ai pris connaissance récemment d’une chronique de Andrew Coyne paru dans le National Post, intitulé Problem with charities isn’t their politics, it’s their generous tax credit (Le problème avec les organismes de bienfaisance n’est pas qu’ils fassent ou non de la politique, mais c’est leur généreux crédit d’impôt).

L’article d’Andrew Coyne

Au début de sa chronique, Coyne émet des doutes sur l’aspect partisan des enquêtes de l’ARC, affirmant connaître au moins trois organismes de droite aussi sur enquête (organismes qu’il ne nomme pas). Mais, peu importe. Il reconnaît que le critère qu’applique l’ARC dans ses enquêtes, soit que les organismes ne consacrent pas plus de 10 % de leurs dépenses à des causes politiques, est inapplicable. Quelle que soit la cause que défend un organisme, elle aura presque toujours une dimension politique. C’est de façon manifeste le cas de tout organisme environnemental, comme de tout institut de recherche en matière socio-économique. Même les organismes de santé ou d’éducation font des pressions politiques pour que le gouvernement dépense plus dans leur domaine. Et c’est normal, c’est leur raison d’être! Si un organisme qui lutte contre la pauvreté ne milite pas pour faire baisser la pauvreté, il ne fera simplement pas son travail!

Le problème de ces organismes est que leur privilège de pouvoir remettre à leurs donateurs des reçus qui serviront à faire diminuer leurs impôts risque de les forcer à mal faire leur travail pour se conformer aux règles de l’ARC. En outre, toute définition de la «charité» ou de la «bienfaisance» comporte sa part d’arbitraire au mieux, et est plus probablement carrément biaisée.

La seule solution que voit Coyne (lui-même membre de deux conseils d’administration d’organismes de bienfaisance, tient-il à préciser) est de cesser d’appliquer des critères inapplicables et de simplement cesser de donner des crédits d’impôt pour dons à des organismes supposément de bienfaisance. Cela ne veut pas dire que les gens cesseront de donner, mais qu’ils cesseront de le faire aux frais de l’État, soit de nous tous (dans ce billet, j’ai montré que ce crédit a coûté 200 millions $ au Québec en 2013, et que, en 2011, la moitié de cette somme a bénéficié aux 5 % les plus riches et le tiers au 0,6 % le plus riche). Il conclut d’ailleurs en disant «Pourquoi les millionnaires devraient être indemnisés pour renoncer à quelque chose dont ils n’ont pas vraiment besoin?».

Réaction de Imagine

Imagine, un lobby des organismes de bienfaisance (qui en est lui-même un!) n’a pas aimé, on l’imagine! Cet organisme a donc cru bon de répliquer au brûlot de Coyne. Ce texte est d’une pauvreté inattendue pour un organisme qui représente des organismes dont un certain nombre luttent justement contre la pauvreté! Son argumentaire est essentiellement comptable : le gouvernement en aurait pour son argent, car en plus de faire de bonnes choses, les dépenses des organismes de bienfaisance entraînent plein de retombées économiques… Le gouvernement jetterait par terre les 400 millions $ que lui coûtent ces dépenses fiscales (200 pour le provincial, donc environ 200 pour le fédéral, et ce, uniquement pour le Québec, probablement plus, car on estime à 2,2 milliards $ ce coût pour le Canada en 2013) qu’il y aurait des retombées économiques. Cela ne veut pas dire qu’il doit le faire! Imagine, comme tout bon lobby, conclut en demandant que les crédits d’impôts soient plus généreux.

Et si ce n’était que ça…

Je dois ici répéter des choses que j’ai mentionnées dans mes billets précédents. Par exemple, qui sait que 40 % des dons faits en 2010 au Canada (l’enquête la plus récente) et 46 % en 2007 sont allés à des organismes religieux? Bon, ce n’était le cas «que» de 20 % des dons faits au Québec, mais, ne pourrait-on pas proposer d’annuler les crédits d’impôts pour ces dons avant de stigmatiser le port du voile si on avait vraiment l’intention d’avoir une société laïque au Québec? Bizarre, même si ces dons aux organismes religieux sont de loin les plus importants, Imagine ne fait que mentionner le soulagement apporté par les religions sur le même pied que l’encouragement à la pratique du sport amateur (2 % des dons!) dans son texte qui vante le «bon retour sur investissement» des dons de bienfaisance! Et je ne parle des pasteurs qui font des affaires (beaucoup d’affaires…) avec le privilège qu’ont les églises d’émettre des reçus d’impôt!

Et si ça n’était que ça…

Dans ce billet, je montrais (grâce à Brigitte Alepin) l’influence abusive d’organismes supposément de bienfaisance comme la Fondation Chagnon qui, à l’aide de l’argent de l’État, décident une grande partie des politiques gouvernementales et entraînent même le réalignement des objectifs d’organismes communautaires! Et, ce n’est pas différent aux États-Unis, où, comme on l’explique clairement dans cet article, les dons de «charité» contribuent carrément à accentuer les inégalités (cet article mériterait un billet à lui seul!)! Pas de problème, ces organismes ne cherchent pas à prévenir la pauvreté!

Et je ne parle pas des organismes qui «dépensent moins sur leur raison d’être que dans l’administration, les salaires et les activités politiques». Et ce ne serait pas si rare… Si le travail de ces organismes est essentiel, pourquoi ne pas plutôt les subventionner? Ils perdraient moins d’énergie à chercher de l’argent de façon inefficace et pourraient davantage concentrer leurs activités sur leur mission! Avec l’économie d’au moins 400 millions $ par année des dépenses fiscales pour les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance (sans compter les salaires des employés de l’ARC qui enquêtent sur le respect des règles…), il y aurait moyen de même mieux les financer selon des objectifs établis démocratiquement, et non pas par les membres de conseils d’administration d’organismes privés!

Et alors…

Alors, en avons-nous vraiment pour notre argent? Celui de nos dons et celui des crédits d’impôt? Et, question fondamentale, donnerions-nous moins sans reçu d’impôt? Sûrement, mais à quel point? Les bénévoles de la guignolée des médias ne donnent aucun reçu d’impôt, et pourtant les dons affluent! Je donne personnellement entre autres à l’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS) (et vous invite à le faire) qui n’est pas considéré comme un organisme de bienfaisance, même si je trouve qu’il fait beaucoup plus de bien que l’Institut Fraser, l’IÉDM et l’Institut CD Howe. Mais, mon opinion est aussi biaisée que le sont les critères de l’ARC!

11 commentaires leave one →
  1. Richard Langelier permalink
    27 septembre 2014 17 h 27 min

    Tu te vois Darwin faire du porte-à-porte : «Je suis le candidat de … si vous nous élisez, vous n’aurez plus droit à un crédit d’impôt pour les dons que vous faites, en tant que catholiques, témoins de Jéhovah, membres du regroupement des bakouniens scandant : si Dieu existait, il faudrait le combattre, etc.»?

    La Raison politique oblige à y aller par étapes. Réduire le maximum du crédit d’impôt en expliquant «que ce sont les contribuables que ce crédit a coûté 200 millions $ au Québec en 2013, et que, en 2011, la moitié de cette somme a bénéficié aux 5 % les plus riches et le tiers au 0,6 % le plus riche».

    J’aime

  2. Richard Langelier permalink
    27 septembre 2014 17 h 34 min

    Erratum: , le vers de Ferré c’est : «il faudrait s’en débarrasser» http://atheisme.free.fr/Citations/Si_dieu.htm .

    J’aime

  3. 27 septembre 2014 17 h 52 min

    «La Raison politique oblige à y aller par étapes.»

    Ce billet ne visait pas à proposer une nouvelle mesure au programme de QS (quoique, ce ne serait pas fou!), d’autant plus que les critères et l’acceptation des organises de bienfaisance relèvent du fédéral. Serait-ce possible de commencer avec les organismes religieux? Peut-être, mais je suis loin d’en être convaincu… Par contre, le taux du crédit québécois et même l’existence de ce crédit relève bien du gouvernement québécois.

    Cela dit, c’est la réflexion de Coyne qui m’intéressait ici, pas nécessairement son application immédiate!

    J’aime

  4. 3 octobre 2014 9 h 45 min

    Le Québec, terre fertile pour les dérives sectaires
    http://www.lapresse.ca/actualites/201410/03/01-4805934-le-quebec-terre-fertile-pour-les-derives-sectaires.php

    De bons organismes de bienfaisance dont nous finançons les dons… et qui ont droit à des exemptions de taxes foncières!

    Aimé par 1 personne

  5. Yves permalink
    4 octobre 2014 10 h 05 min

    – Quoi! Tu ne connais pas l’ordre des esséniens?

    – Ben voyons tu es sérieux! Non je ne les connais pas ceux-là, pourtant ils ne sont pas loin de chez moi.

    Extrait: Nous t’offrons les moyens de cultiver un savoir mais également de former un corps de sagesse à l’intérieur de toi de façon à ce que ta vie puisse devenir des œuvres en accord avec un monde supérieur et en harmonie avec les lois de la vie actuelle. De cette manière tu permets à ta religion de grandir et de fructifier pour les générations futures.

    Ouai, je deviens membre demain matin!

    http://www.ordre-des-esseniens.org/

    http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles

    J’aime

  6. 4 octobre 2014 11 h 06 min

    Je trouve ça triste…

    Et, oui, l’Estrie semble un lieu apprécié par ce genre de groupes…

    J’aime

  7. Yves permalink
    4 octobre 2014 11 h 15 min

    Fallait bien en trouver un autre, on a perdu notre beau Raël. Lui aussi avec sa soucoupe était à deux pas de chez moi!.

    Terre fertile en Estrie pour la récolte d’ âmes perdues.

    J’aime

  8. 4 octobre 2014 11 h 29 min

    C’est d’ailleurs à lui que je pensais en écrivant ça. Il n’est plus là?

    J’aime

  9. Yves permalink
    4 octobre 2014 13 h 22 min

    Pense pas! Son terrain était en vente en 2009.
    Et ça fait bien longtemps qu’il n’est pas venu souper chez-moi. 😉

    Aimé par 1 personne

  10. 13 octobre 2014 16 h 37 min

    Robert Reich nous montre aujourd’hui que, en raison des crédits d’impôt pour organismes de bienfaisance, le gouvernement des États-Unis consacre davantage d’argent par étudiant aux universités privées les plus chères qu’aux universités publiques! Disons que cela ajoute un argument à mon questionnement!

    http://robertreich.org/post/99923361875

    Aimé par 1 personne

Trackbacks

  1. Inégalités socio-économiques et islamophobie | Carnet de notes cliosophiques

Laisser un commentaire