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Libres d’apprendre

13 octobre 2014

libres d'apprendreLibres d’apprendre – Plaidoyers pour la gratuité scolaire regroupe, sous la direction de Gabriel Nadeau-Dubois, 14 textes portant sur la gratuité scolaire à l’université. Un des intérêts de ce livre est la grande variété des angles adoptés par les auteurs sur un sujet qu’on penserait avoir exploré sous toutes ses coutures.

Plutôt que de simplement mentionner les thèmes abordés par chacun des textes (on peut en avoir une idée en consultant la table des matières offerte par un lien en haut à droite de la page de présentation du livre), j’ai préféré présenter un seul de ces textes, mais plus en détail. Le choix n’était pas facile, car les bons textes affluent, mais j’ai choisi celui de Anne-Marie Boucher et Marie-Claude Goulet, principalement parce qu’il aborde certains des sujets qui me tiennent le plus à coeur.

Gratuité, reproduction sociale et ségrégation scolaire

Le titre me laissait craindre un contenu hermétique et ardu à lire. Ce n’est pourtant pas le cas, les auteures parvenant à bien communiquer les concepts qu’elles mettent de l’avant. Elles débutent leur texte en déplorant que, lors du printemps étudiant, tant de gens aient appuyé la vision marchande de l’éducation mise de l’avant par le gouvernement et ses alliés, et aient considéré la gratuité scolaire à l’université comme une idée farfelue et irréaliste. Elles abordent ensuite un thème trop peu souvent entendu, même dans les débats qui ont entouré ces événements, soit «l’aspect foncièrement reproducteur d’inégalités du système scolaire actuel, et ce, du primaire à l’université». Pour elles, quoique nécessaire, la gratuité scolaire est loin d’être suffisante pour assurer «des chances égales pour tous et toutes de poursuivre les études de leur choix».

– historique

Avant 1960, il était socialement accepté que les études supérieures étaient presque toujours réservées aux hommes (lire l’excellent texte de Lise Payette qui raconte son expérience pertinente à ce sujet) des classes sociales supérieures (encore plus chez les catholiques francophones, sauf pour les candidats à la prêtrise). La Commission Parent est venu chambouler cet état de fait, misant justement sur l’égalité des chances, entre autres grâce à la gratuité scolaire jusqu’à l’université. Cet objectif, même si jamais réalisé entièrement, demeurera largement partagé jusqu’aux années 1980. Le financement des écoles privées jumelé aux compressions budgétaires dans le secteur public a par la suite favorisé le développement d’écoles d’élites, privées et, par imitation, publiques, qui viennent «titiller le désir de distinction sociale de certaines familles de la classe moyenne». Ainsi, «la logique du privé s’installe au cœur même du réseau d’éducation public», faisant accepter le concept de «saine concurrence» entre les établissements, malgré, notamment, des avis du Conseils supérieur de l’éducation qui mettaient en garde contre les effets néfastes de la diversification des parcours scolaires au moyen de la sélection des élèves. Ce revirement des idéaux de la Commission Parent est venu réinstaurer «les dynamiques de reproduction sociale au sein de notre système d’éducation», au point où ce système participe dorénavant, comme avant, à créer et à légitimer les inégalités économiques et sociales.

– ségrégation scolaire

Après une présentation claire de la position de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron sur la question (je ne suis pas pour copier entièrement ce texte si je veux que vous le lisiez!), les auteures examinent comment les principes qu’elles viennent de présenter se manifestent au Québec. L’application des principes du néolibéralisme au monde de l’éducation tend graduellement à remettre en question les objectifs d’égalité des chances, d’accès à la connaissance et d’amélioration des conditions de vie qui faisaient consensus lors du dépôt du rapport Parent. Trop de gens voient l’éducation comme un moyen de se démarquer dans notre système capitalisme (entre autres en assimilant la poursuite des études à un investissement individuel), voire comme un outil pour satisfaire aux besoins des entreprises (voir l’excellent texte d’Éric Martin sur la confusion entre les moyens et les fins de l’éducation).

Cette évolution, ou plutôt cette régression, transforme graduellement l’éducation en un marché scolaire où les offreurs de formation cherchent à satisfaire la demande de leurs clients. Pas étonnant que de plus en plus de parents recherchent effrénément l’offreur de formation qui permettra à leur progéniture de se démarquer dans cette jungle néolibérale, acceptant non seulement de payer des sommes élevées pour se procurer un service qui devrait être gratuit et de même qualité pour tous et toutes (ce qui ne veut pas dire identique), mais aussi de payer des cours privés uniquement pour améliorer la probabilité que leur rejeton réussisse les examens de sélection des offreurs de formation les mieux cotés et de passer une nuit complète dans une file pour s’assurer qu’il reçoive le privilège de passer ces examens. Ce processus de ségrégation scolaire débute de plus en plus tôt, parfois même dans le choix du service de garde et plus souvent dès l’entrée à l’école primaire.

Cette logique néolibérale s’observe aussi du côté des offreurs de formation qui soignent plus que jamais leur réputation. Même dans les établissements publics «ordinaires», on offre de plus en plus de classes spéciales pour l’élite, accentuant la ségrégation scolaire en l’appliquant même à l’intérieur des écoles. Ce fonctionnement a un effet dévastateur chez les «non-élus» qui abaissent souvent leurs aspirations, influencés par leur rejet des classes réservées à l’élite. Cette ségrégation s’observe aussi dans la terminologie, alors qu’on étiquette sans retenue les élèves de «forts» et de «faibles», d’«enrichis» et de «réguliers», quand on ne parle par carrément de «bons» et de «mauvais» élèves. Ces étiquettes ne font pas que stigmatiser les «non-élus», mais on leur offre trop souvent moins de services (sorties, moins d’attention de la part des directions, enseignants moins motivés, etc.). Cette ségrégation devient un véritable engrenage «qui ne fait qu’accélérer et augmenter les clivages sociaux».

– que faire?

Si on veut mettre fin à cette ségrégation, on doit «remettre en question la société profondément inégalitaire dans laquelle nous vivons».

«Compétition, ségrégation, concurrence, distinction, élitisme, méritocratie ne sont que différentes façons de consacrer, légitimer et construire les inégalités sociales, sources de misère humaine et de passions tristes.»

La régression des principes à la base d’un système d’éducation ne se produit pas dans un vase clos. Elle est le résultat d’une régression similaire dans toute la société. C’est cette régression qu’il faut combattre et inverser!

Et alors…

Il est rare qu’un recueil de textes du genre puisse maintenir l’intérêt du lecteur d’un texte à l’autre. À part une exception ou deux, j’ai apprécié la grande diversité des thèmes choisis. La direction de la publication est impeccable, les textes se suivant de façon naturelle, sans qu’on sente le besoin de se remettre en contexte (quand même un peu…) en commençant le texte suivant.

Alors, lire ou ne pas lire? Lire, bien sûr!

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