Une chose et son contraire
Ça fait un bon bout de temps que je n’ai pas commenté un texte d’un chroniqueur économique de La Presse. Se doutant que cela me manquait, Alain Dubuc m’a donné de la bonne matière mercredi dernier pour assouvir mon appétit de chroniques juteuses!
Un bon début…
Commentant une envolée du critique de la CAQ en matière de ressources naturelles, Gérard Deltell, qui aurait voulu que la réduction de 20 % des tarifs d’Hydro-Québec offerte aux entreprises par le gouvernement soit aussi accordée aux contribuables, M. Dubuc répond avec une certaine pertinence qu’il s’agit d’une proposition idiote, car «la comparaison entre les entreprises et les citoyens est boiteuse». Je dois ici lui donner raison, mais seulement sur le fait qu’on ne doit pas comparer des entreprises et des citoyens. En effet, mon approbation s’arrête là et ne s’applique pas à la suite de sa chronique…
Ça se gâte…
Il prétend que «Ce n’est pas un cadeau aux entreprises, mais un échange: on vous offre des rabais tarifaires, mais vous devez investir et créer des emplois» et ajoute que «le rabais industriel ne coûterait à peu près rien, en ce sens qu’on utilisera des surplus d’électricité qui, à l’heure actuelle, ne sont pas vendus, ou encore sont vendus à prix bas, par exemple pour les exportations.».
Bizarre, mais avec tous les contrats secrets d’Hydro-Québec, que ce soit avec les minières, les alumineries et on ne sait trop combien d’autres entreprises, on devrait s’attendre à ce que les investissements des entreprises explosent au Québec. Mais, c’est loin d’être le cas (voir le graphique 1 de la page numérotée 4 de ce document)… Mais, là, pense notre chroniqueur, c’est sûr que ça va aider! Et, sommes-nous certains que ces entreprises ne se verront pas accorder des crédits d’impôts, prêts garantis ou des subventions en plus de ces rabais? C’est pourtant rendu quasiment la norme au Québec (quand des entreprises ne laissent pas carrément aux citoyens du Québec le soin de réparer leurs dégâts…)! Bref, l’affirmation de M. Dubuc sur l’absence de coût lié aux rabais tarifaires d’électricité semble à tout le moins prématurée, sinon carrément naïve…
Contribuables et clients
«Une personne qui reçoit une facture d’Hydro-Québec n’est pas un contribuable, c’est un client. C’est un consommateur qui, à travers sa facture, paie pour un service. Comme il le fait pour Bell, Vidéotron ou Gaz Métro. Il est vrai qu’Hydro est une société d’État, mais cela ne change au rien au fait que chauffer sa maison, c’est la même chose, que ce soit à l’électricité, au gaz ou au mazout.»
Pas de problème ici. Mais, il faudrait qu’il maintienne cette observation et ses conséquences tout au long de sa chronique…
L’électricité la moins chère du continent…
«l’électricité est beaucoup moins chère qu’ailleurs, la moins chère du continent, deux fois moins qu’à Calgary, trois fois moins qu’à New York. Assez pour que l’on puisse dire qu’elle est carrément subventionnée.»
Ah oui? Pourtant, si Hydro-Québec a des surplus, c’est justement parce qu’il a plus de difficulté qu’avant à en exporter aux États-Unis, car le coût de production de l’électricité aux États-Unis a fondu en raison l’exploitation des gaz de schiste dans ce pays! M. Dubuc n’a-t-il pas dit plus haut que les surplus d’Hydro sont vendus à prix bas «par exemple pour les exportations»? Il ne devait plus s’en rappeler quatre paragraphes plus tard… Et, même si c’était le cas (que l’électricité québécoise soit la moins chère du continent, même si on doit accorder des tarifs spéciaux aux entreprises pour les attirer et même diminuer ces tarifs de 20 % par la suite…), comment comparer des marchés comme celui du Québec avec celui de Calgary où jamais l’électricité du Québec ne pourra se rendre? Si le pétrole peut voyager en bateau, par train ou dans des pipelines, ce n’est pas le cas de l’électricité! Désolé, mais on ne pourra jamais en exporter en Europe non plus!
«Comment défendre cela [que l’électricité soit «subventionnée»)? Parce que l’électricité de nos vieux barrages est peu coûteuse? C’est un argument qu’aucun pays avancé n’utilise. Il n’y a pas de rabais sur le pétrole en Norvège. Parce qu’une richesse collective dont dispose un pays doit se traduire en bénéfice collectif. Par exemple un fonds souverain, des provisions pour la dette, un fonds de développement.»
Si Hydro était une entreprise privée, ce à quoi M. Dubuc associe Hydro en parlant de clients plutôt que de citoyens, il serait un monopole et ses prix seraient fixés en fonction d’un niveau «raisonnable» de profit, ce qui est d’ailleurs la raison d’être de la Régie de l’énergie. Bref, il ne pourrait pas augmenter ses prix uniquement pour améliorer le rendement des placements de ses actionnaires comme M. Dubuc voudrait qu’Hydro le fasse pour financer son actionnaire unique, le gouvernement du Québec! Et, utiliser une mesure environnementale comme la décision de la Norvège de garder le prix du pétrole élevé même dans son pays pour justifier un prix élevé d’une source d’énergie propre comme l’électricité de source surtout hydro-électrique, il faut le faire!
Le déplacement de la consommation
«Une réduction des tarifs à la consommation n’aurait pas un tel effet. Elle donnerait une petite marge de manœuvre aux citoyens, mais au plan économique, cela ne ferait que déplacer la consommation: un peu moins pour la facture d’Hydro, un peu plus d’achats ailleurs.»
Ce n’est pas faux… de façon globale! Il laisse de côté le fait que ce serait les consommateurs (et citoyens) les plus pauvres qui profiteraient le plus de cette baisse et que les achats supplémentaires amélioreraient leur bien-être. Mais, il y a pire en termes de raisonnement. Quand il recommande une hausse des tarifs, il n’utilise pas la conséquence de son argument, soit qu’une hausse des tarifs d’électricité signifierait moins d’achats ailleurs et donc une baisse de bien-être et d’emploi dans les secteurs qui seraient touchés par cette baisse d’achats!
Et alors…
Ce genre de chronique m’horripile au plus haut point. Au-delà des valeurs bien différentes des miennes que M. Dubuc affiche (ça, ça ne me dérange pas), c’est l’incohérence continuelle de ce genre de chroniqueurs qui n’utilisent que les conséquences des faits qui cadrent avec leur idéologie en laissant de côté celles des mêmes faits qui iraient à leur encontre qui me font grincer des dents… et écrire ce genre de billet!
Plutôt intéressant de répertorier les incohérences d’une chronique d’Alain Dubuc. Par contre vous avez vous même des arguments douteux.
Quatrième paragraphe sur les coûts des rabais qui ne serait pas élevé selon Dubuc puisqu’on a un shitload de surplus. Finalement votre point c’est que si le nouveau rabais encourage réellement des investissements, ces investissements vont peut-être obtenir d’autres crédit d’impôt qui eux sont coûteux. Au final, c’est pas le rabais qui va être coûteux, mais le shitload de crédits d’impôt et subventions qu’une entreprise peut obtenir. À la marge, si donner des rabais n’engendre pas d’hausses de coûts de l’électricité pour les autres ni une diminution d’exportation à un prix plus élevé – ça pas vraiment de coûts. Et même si on considérait ces coûts comme des coûts reliés aux rabais il faudrait alors considérer les rentrées fiscales supplémentaires générées par ces investissements (impôts des travailleurs, impôts de l’entreprise, taxes foncières, etc). Bref, analyse coûts-bénéfices. C’est un peu bizarre qu’il ne se soit pas dit: whatever s’il y a des coûts il va y avoir plus d’investissements (son hypothèse) donc de plus grandes rentrées fiscales.
Sur l’affirmation que l’électricité du Québec ne se rendra JAMAIS en Alberta. Si l’argument derrière l’affirmation se base sur la distance et bien il pourrait ne plus être exact. La ligne de Rio Madeira au Brésil fait 2375 km. Une nouvelle technologie reliée aux cables supraconducteurs (utilisée sur de très petites distances) permettrait de réduire les pertes associées à la distance. Ne jamais dire jamais. Mais c’est quand même étrange de comparer le prix de Calgary à celui du Québec.
Sur la Norvège qui ne donne pas de rabais. J’ai l’impression que vous êtes de mauvaises foi ici. Dubuc fait clairement référence au fait que la Norvège ne fait pas comme le Venezuela. Les distributeurs norvégiens ne sont pas subventionnés pour baisser artificiellement le prix de l’essence pour faire plaisir à la population. Le côté environnementale n’est pas de ne pas subventionner le pétrole, mais de le taxer davantage. D’ailleurs si ne pas subventionner les distributeurs afin qu’ils offrent de plus bas prix est une mesure environnementale, on peut donc considérer que le gouvernement du Canada est hyper environnementale, il pourrait subventionner à un point tel que le prix à la pompe serait de 0,20$, mais il ne le fait pas.
De plus une augmentation du prix à la consommation pourrait très bien passer pour une mesure environnementale. Si la structure du chauffage au Québec change après l’augmentation vers une plus grande utilisation du gaz naturel (il faut continuer à lire) , comme en Ontario, Hydro pourrait très bien exporter l’électricité disponible vers des juridictions qui utilisent des centrales électriques au gaz naturel. Générer de l’électricité avec du gaz naturel est moins efficace que l’hydroélectricité. Donc, on peut réduire les émissions de GES de deux juridictions en augmentant celles d’une juridiction, mais en diminuant davantage celles de l’autre.
» Il laisse de côté le fait que ce serait les consommateurs (et citoyens) les plus pauvres qui profiteraient le plus de cette baisse et que les achats supplémentaires amélioreraient leur bien-être. »
Selon un critère relatif, clairement. Mais en absolu, la famille Desmarais profiterait en maudit d’une baisse de tarif (quoiqu’ils doivent avoir des systèmes de chauffage assez efficaces). Avec un système de chauffage identique ainsi que l’isolation, plus ta maison est grande (fort probablement corrélée positivement avec le revenu) plus tu vas sauver d’argent avec une baisse de tarif et plus tu vas payer avec une hausse.
On pourrait facilement défendre une hausse de tarif qui serait tout de même progressive (et qui pourrait enfin faire en sorte qu’on utilise plus des plintes électriques). Tu augmentes d’un montant x, et tu redonnes entièrement le montant payé de plus via des transferts (crédit TVQ p. ex.) entre un certain revenu (disons la classe moyenne) tu en redonnes plus aux moins nantis et les mieux nantis ne reçoivent rien de plus. Boom, hausse de tarif progressive. Surtout que les plus nantis (Dubuc) chiallent toujours avec des hausses d’impôt, mais réclame toujours des hausses de tarifs. Écoutons-les mais rajoutons des transferts.
Moi ce qui m’horripile au plus haut point, à gauche comme à droite, c’est de laisser entendre que si quelque chose avait un effet positif ou négatif on le verrai facilement, à l’oeil, dans un graphique. Déjà que déterminer la corrélation à l’oeil ce n’est pas fameux, il peut très bien y avoir des corrélations croisées (temps t par rapport à t-k) et même là ce serait seulement un indice qu’il y aurait peut-être un lien de causalité.
On devrait faire une expérience, on diminue les tarifs d’électricité pour les entreprises qui consomment de grandes quantités d’électricité, mais uniquement dans une région administrative et on regarde ce qui se passe (bon on s’arrange pur avoir une expérience avec le plus de contrôle possible). J’ai une petite idée, mais selon le graphique il va rien arriver.
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«Ne jamais dire jamais.»
Ouais, vrai que j’ai mis un jamais de trop. Mauvaise relecture de ma part. J’en ai enlevé un. Ce «jamais» s’appliquait à l’argument de M. Dubuc pour préciser que Calgary n’est pas actuellement dans le marché d’Hydro. Il ne parle pas de dans x années, mais de maintenant. Et, en écrivant «étrange de comparer le prix de Calgary à celui du Québec.» il est clair que vous l’avez bien compris. Si jamais notre électricité s’y rend un jour, les choses seront différentes et ne seront donc plus pareilles. Et son argument devra être réévalué.
«J’ai l’impression que vous êtes de mauvaises foi ici.»
C’est votre droit d’avoir une impression. Et je n’ai rien compris de l’argumentation qui suit cette impression.
«plus tu vas sauver d’argent avec une baisse de tarif et plus tu vas payer avec une hausse.»
Je vois que vous ne comprenez pas les concepts de régressivité et de progressivité. Le pourcentage des revenus de M. Desmarais en électricité sera toujours moins élevé que celui d’un pauvre. C’est donc une mesure régressive.
«Tu augmentes d’un montant x, et tu redonnes entièrement le montant payé de plus via des transferts»
Ça fait des années que je lis et entends ce type d’argument, mais jamais Hydro n’a appliqué ces méthodes. Ses prix augmentent sans modulation du genre. Le jour où cela fera partie de ses propositions, on en reparlera.
Et je suis ravi que vous n’ayez rien trouvé à dire de positif à ce texte. Ça veut dire qu’il doit être assez bon!
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Je doute que contrairement aux plus pauvres, que la facture d’électricité de M. Desmarais lui cause problème a boucler ses fins de mois!
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Je suis tout à fait d’accord avec le fond de l’article. On a encouragé les québécois à changer leur système de chauffage pour l’électricité dans les années 90 en gelant les tarifs et aujourd’hui on en profite pour les saigner. Les hausses des tarifs vont mener les consommateurs à retourner à des sources de chauffage moins onéreuses.. et plus polluantes comme le gas naturel ou le mazout. Ce qui va occasionner une baisse de la consommation, une augmentation des surplus énergétiques (et donc du gaspillage), et par conséquent des nouvelles hausses de tarifs!
Il y a juste un raisonnement qui m’a agacé dans ton texte :
« Ce n’est pas faux… de façon globale! Il laisse de côté le fait que ce serait les consommateurs (et citoyens) les plus pauvres qui profiteraient le plus de cette baisse et que les achats supplémentaires amélioreraient leur bien-être. »
Les dividendes d’Hydro-Québec (à peu près 3 milliards) sont redonnées au gouvernement du Québec. Cet argent là sert à financer les services publics, donc l’argent gagné par la hausse est redistribuée en santé, en éducation et dans d’autres programmes sociaux. Ça vaut pour les taxes également. On croit que c’est très inéquitable mais au fond l’impact est pratiquement nul si l’argent est redistribuée. Si les taxes étaient si inéquitables, alors comment expliquer que des pays comme le Danemark et la Suèdes soient si égalitaires alors qu’ils sont les champions de la taxation ? Comment expliquer que les États-Unis qui taxent très peu (voir pas du tout) sont si inégalitaires ?
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«Il y a juste un raisonnement qui m’a agacé dans ton texte :»
Ce qui est étrange est que les phrases citées ne sont pas un raisonnement, mais simplement un fait! Je ne prétends nullement qu’il faudrait abaisser les prix (ni les taxes, d’ailleurs), mais fait simplement observer que ce qui est vrai pour une hausse l’est aussi pour une baisse, et qu’une baisse profiterait davantage aux plus pauvres. Cela ne veut pas dire qu’il faut le faire!
«Comment expliquer que des pays comme le Danemark et la Suèdes soient si égalitaires alors qu’ils sont les champions de la taxation ?»
Vous devez être nouveau sur ce blogue, car j’ai abordé à de nombreuses reprises ce paradoxe apparant, notamment à https://jeanneemard.wordpress.com/2013/06/01/les-milliardaires/
Il ne faut pas oublier que les pays nordiques ont eux aussi connu une forte augmentation des inégalités depuis 20 ans. Ils demeurent moins inégalitaires que la moyenne des pays industrialisés, mais cette hausse demeure inquiétante et est en partie le résultat de leur choix de baisser les impôts et de hausser les taxes.
«Cet argent là sert à financer les services publics»
À 75 %, le reste étant conservé par Hydro (c’était 50 %, il y a quelques années).
Bien entendu qu’il faut financer nos services publics et que ces services ont un grand impact sur les inégalités (voir entre autres https://jeanneemard.wordpress.com/2011/12/12/leffet-des-services-publics-sur-les-inegalites-et-la-pauvrete/ )! Mais, est-ce qu’une hausse des tarifs ou de taxes est le meilleur moyen de les financer? Je ne crois pas.
Cela dit, bienvenue ici!
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Sérieusement, je pourrais presque avoir rédigé ce billet moi-même…croyez-le ou non.
Pour avoir déjà été interviewé par M. Dubuc dans le cadre de mon travail, je peux vous assurer que « ça ne vole pas haut » si vous me permettez l’expression.
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Content qu’on puisse se rejoindre parfois!
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