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Les revenus de travail des hommes et des femmes

6 novembre 2014

gains cumulatifsDans un billet datant d’environ un an, j’ai utilisé les données de l’enquête Relance du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie sur la situation d’emploi des personnes diplômées universitaires pour illustrer la différence de revenus entre les hommes et les femmes. L’exercice était intéressant, mais partiel. En effet, ces données ne compilent que les salaires (pas les revenus du travail autonome) et seulement ceux des personnes diplômées qui travaillent à temps plein. En plus, comme le taux de réponse n’est que de 61 % (taux qui varie en plus passablement selon le domaine d’études, de 55 % à 66 %, voir la page numérotée 49), on peut se demander si la situation des personnes qui n’ont pas répondu est la même que celles des personnes qui ont répondu. Finalement, les salaires sont ceux du début de la carrière de ces personnes et ne permettent pas de savoir si les écarts se maintiennent, augmentent ou diminuent avec le temps.

Gains cumulatifs

Statistique Canada a justement publié la semaine dernière une étude intitulée Gains cumulatifs des diplômés postsecondaires sur 20 ans : résultats selon le domaine d’études qui fournit beaucoup plus d’information et de données sur l’évolution des revenus d’emploi des diplôméEs. Ces données sont beaucoup plus complètes que celles de la Relance et aussi plus fiables, puisqu’elles reposent sur un échantillon vaste et probabiliste. Elles ne fournissent toutefois pas de données par province. On peut lire à la page numérotée 1 (la troisième) de l’étude les sources des données utilisées.

«Les gains d’emploi comprennent les salaires et traitements versés, ainsi que le revenu net d’un emploi autonome. L’analyse est fondée sur un échantillon de 15 166 titulaires d’un diplôme collégial et d’un baccalauréat qui étaient âgés de 26 à 35 ans en 1991. Les données concernant leur domaine d’études et leur niveau de scolarité ont été obtenues à partir de leurs réponses au questionnaire complet du Recensement de 1991; les données concernant leurs gains d’emploi au cours des 20 années subséquentes ont été tirées de leurs déclarations T1 [déclarations de revenus].»

Je ne reproduirai pas ici l’analyse de l’étude (comme elle ne compte que six pages, j’invite les personnes intéressées à la consulter) mais m’attarderai plutôt sur les écarts de revenus entre les hommes et les femmes, ce que, assez bizarrement, les auteurs de l’étude n’ont pas discuté, se concentrant plutôt sur l’analyse des différences de gains entre le niveau des diplômes (secondaire, collégial et universitaire) et les domaines d’étude.

gains cumulatifs1Le premier tableau que je présente ici montre les écarts des gains cumulés de 1991 à 2010 entre les hommes et les femmes selon le niveau du diplôme obtenu avant le mois de juin 1991 (mois de la semaine de référence du recensement de 1991). On peut voir que les écarts de gains entre les hommes et les femmes sont importants (de 56 % à 92 %), mais diminuent en fonction du niveau d’études. Cela n’est pas surprenant, car on sait que les femmes peu scolarisées sont proportionnellement beaucoup plus nombreuses que les hommes dans les industries où les salaires sont faibles (comme le commerce de détail et la restauration) et dans des emplois au salaire minimum. Par exemple, les femmes du Québec occupaient en 2013 environ 61 % des emplois au salaire minimum (59 % pour celles du Canada), alors qu’elle ne représentaient que 49,1 % des salariéEs (49,6 % au Canada).

En conséquence, les écarts entre les gains selon le niveau des diplômes est plus élevé chez les femmes que chez les hommes, comme on peut le voir aux trois dernières lignes du tableau. On notera aussi que les écarts de gains entre les titulaires d’un baccalauréat et ceux d’un diplôme collégial sont environ deux fois moins élevés que les écarts entre les titulaires d’un baccalauréat et ceux d’un DES, et cela, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Cette observation vient appuyer une remarque que j’ai faite à propos des calculs de Pierre Fortin pour évaluer l’avantage des études universitaires. J’ai en effet noté que «ce calcul est basé sur la différence entre le revenu moyen d’un finissant du diplôme d’études secondaires et celui d’un titulaire d’au moins un baccalauréat (y compris une maîtrise ou un doctorat); [or,] pour aller à l’université, il faut en général avoir un diplôme d’études collégiales (DEC) : c’est donc avec le revenu de ces diplômés qu’il faudrait comparer, mais l’avantage serait moins grand». Honnêtement, je ne pensais pas que cet écart (entre les gains d’un titulaire d’un DES et d’un titulaire d’un DEC) était aussi grand. Mais, bon, revenons au sujet de ce billet…

Évolution des revenus de travail

Le tableau qui suit montre l’évolution des écarts de revenu de travail entre les hommes et les femmes lors de la première et de la dernière année des données présentées dans cette étude.

gains cumulatifs2

Ce tableau présente à la fois les différences de revenus du travail par domaines d’études en 1991, peu de temps après l’obtention d’un diplôme universitaire ou collégial, et en 2010, bien après, et l’écart de ces revenus entre les hommes et les femmes.

Dans l’ensemble (voir les lignes «Tous les domaines d’études»), les écarts de revenus entre les hommes et les femmes étaient plus élevés chez les titulaires de diplômes collégiaux qu’universitaires, à la fois en 1991 et en 2010. Par contre, l’ampleur de ces écarts a diminué entre le début et la fin de la période, tout en demeurant important. On peut attribuer cette amélioration à de nombreux facteurs, dont une hausse de revenus de même ampleur, ce qui représente une hausse plus importante en pourcentage pour les femmes, car leurs revenus de départ sont plus faibles. Il est aussi fort possible que les femmes s’absentaient moins du marché du travail en 2010 pour avoir des enfants, alors qu’elles étaient âgées de 45 à 54 ans, qu’en 1991, alors qu’elles étaient âgées de 26 à 35 ans. Les données du tableau cansim 282-0002 nous montrent toutefois que la proportion d’entre elles qui travaillent à temps partiel est très semblable entre les femmes âgées de 25 à 34 ans et celles âgées de 45 à 54 ans. Ce facteur (la fréquence du temps partiel) ne joue donc aucun rôle dans cette amélioration.

Ce qui m’a le plus troublé dans ces résultats est que l’écart entre les revenus des hommes et des femmes chez les diplôméEs universitaires était en 1991 (49,1 %) et en 2010 (37,0 %) moins élevé que celui de l’ensemble de la période (voir le premier tableau, 56 %). Cela montre probablement que les femmes ont davantage quitté leur emploi pour avoir des enfants dans les années intermédiaires que dans la première et la dernière. Mais, le plus étrange est que ce phénomène ne s’observe pas chez les diplôméEs du collégial où l’écart est pour l’ensemble de la période (76,8 %) entre les écarts observés en 1991 (80,3 %) et en 2010 (61,4 %), ce à quoi je m’attendais davantage. Il faudrait avoir les données de chacune des années pour mieux comprendre ce phénomène étrange et, encore mieux, l’âge auquel les diplômées de chacun de ces deux niveaux ont le plus souvent des enfants (en supposant que c’est ce facteur qui explique le plus le bas niveau de revenu des femmes à certaines périodes).

Cette évolution est par ailleurs très différente selon le domaine d’études, comme le tableau l’illustre bien. En 1991, les plus gros écarts s’observaient chez les titulaires d’un diplôme collégial en beaux-arts et en sciences sociales (plus souvent en service de garde et moins en technique d’éducation spécialisée? L’étude ne le précise pas…) et en sciences sociales chez les titulaires d’un diplôme universitaire, tandis que, en 2010, elles s’observaient toujours en sciences sociales chez les titulaires d’un diplôme collégial, mais plus vraiment dans les beaux-arts, et en génie chez les titulaires d’un diplôme universitaire (les ingénieurs semblent obtenir davantage de promotions que les ingénieures), alors que l’écart en sciences sociales s’est réduit de façon significative (de 60 % à 44 %).

À l’inverse, en 1991, les plus petits écarts s’observaient chez les titulaires d’un diplôme collégial en sciences biologiques et en mathématiques et sciences physiques, et en beaux-arts chez les titulaires d’un diplôme universitaire (la situation étant aussi mauvaise pour les hommes que pour les femmes), tandis que, en 2010, elles s’observaient en premier lieu en santé et en sciences humaines chez les titulaires d’un diplôme collégial, mais dans l’enseignement chez les titulaires d’un diplôme universitaire (probablement grâce à leur convention collective) alors que les titulaires d’un baccalauréat en beaux-arts arrivaient cette fois au deuxième rang, avec toujours les revenus les plus faibles (et de beaucoup) de touTEs les diplôméEs.

Et alors…

Si preuve supplémentaire était nécessaire, ces données montrent très clairement les écarts énormes entre les revenus d’emploi des hommes et des femmes qui ont pourtant des formations semblables. On pourra dire que les femmes travaillent moins d’heures que les hommes, ce qui est vrai, mais, d’une part, cela n’explique pas l’ampleur des écarts et, d’autre part, cela n’explique pas plus pourquoi les femmes travaillent moins d’heures que les hommes. À cet effet, une note socio-économique récente de l’IRIS a probablement apporté une partie de réponse à cette question en montrant que les femmes consacrent en moyenne beaucoup plus d’heures que les hommes aux tâches dites domestiques. Non seulement cela ferait en sorte que les femmes travaillent moins d’heures que les hommes dans des professions similaires, mais expliquerait qu’elles bénéficient moins de promotions.

Quelles que soient les explications, cette étude de Statistique Canada ajoute une autre pierre à nos connaissances sur le sujet. Si elle ne fournit pas toutes les réponses, sa contribution est tout à fait appréciable.

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3 commentaires leave one →
  1. benton65 permalink
    7 novembre 2014 12 h 39 min

    Réponse du gouvernement Harper pour l’équité salariale: Le fractionnement du revenu!

    Aimé par 1 personne

  2. Robert Lachance permalink
    8 novembre 2014 9 h 35 min

    Ça me fait Raw’ler !

    Chez les humains, les femmes en l’occurence qui sont avantagées d’un utérus, en terme de capabilités au sens d’Amartya Sen, ne jouissent pas par contre d’ « un droit égal à un ensemble pleinement adéquat de libertés de base égales » à celui des hommes.

    En raison de leur anatomie différente les femmes et les hommes ne peuvent pas disposer du « même ensemble de libertés pour tous » sans mettre à mal l’éventualité de la survie de leur espèce. C’est inquiétant pour la biodiversité. Ça complique le travail des théoriciens et théoriciennes de la justice.

    Rawls a fait simple, Sen a trouvé mieux théoriquement avec son souci des capabilités et des accomplissements mais côté pratique, guère mieux.

    Je serais curieux de voir le premier tableau augmenté de la variable nombre d’enfants. Je m’attendrais à ce que le salaire des femmes sans enfant y soit encore inférieur à celui des hommes mais de moins. De combien moins.

    Sur ce, bonne fin de semaine !

    J’aime

  3. 8 novembre 2014 9 h 47 min

    «Je serais curieux de voir le premier tableau augmenté de la variable nombre d’enfants.»

    Oui, mais il y a des limites à ce que chaque source de donnes peut apporter. Comme je l’ai écrit, cette étude ne fait qu’ajouter une autre pierre à nos connaissances sur le sujet. C,est déjà ça, mais ça ne fournit pas une réponse finale.

    J’aime

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