250 000 emplois!
Quand Statistique Canada a publié son communiqué sur les estimations les plus récentes de l’emploi selon les données de l’Enquête sur la population active (EPA) vendredi dernier, je ne pensais pas publier de billet sur le sujet. Par contre, en prenant connaissance des réactions sur la baisse de l’emploi que ces estimations montraient (baisses en un mois de 14 200 emplois, mais de 30 000 emplois à temps plein, et en un an de 29 700 emplois, mais de 98 600 à temps plein) et surtout sur la promesse libérale de créer 250 000 emplois en cinq ans, je me suis dit que ça valait la peine de faire le point, même cinq longs jours après les faits…
Je vais d’abord tenter de mettre en contexte ces baisses avant de revenir sur la promesse des libéraux.
Mise en contexte
Comme je le fais toujours dans mes billets sur l’emploi, je vais comparer son évolution selon deux sources de données, l’EPA, enquête qui comporte une marge d’erreur importante (de 30 000 emplois à 95 % ), et l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH), dont les données sont beaucoup plus fiables, sans marge d’erreur car issues d’un recensement de toutes les entreprises à partir de leur liste de paye, mais disponibles avec près de deux mois de retard sur les premières.
Comme l’EERH ne tient pas compte de l’emploi agricole, ni des travailleurs autonomes (et de quelques autres secteurs de moindre importance), et que, en conséquence, les niveaux d’emplois de l’EERH et de l’EPA sont différents, j’ai dû faire partir les données à 100 (en divisant chaque donnée de chaque série par l’emploi de septembre 2010) dans les deux cas pour qu’on puisse mieux voir l’évolution relative des deux courbes.
On peut voir à la ligne bleue que la baisse de 14 200 emplois en octobre selon les estimations de l’EPA ne fait en quelque sorte que ramener le niveau de son estimation à celui de la tendance de l’EERH. En effet, la tendance de l’emploi selon les données de l’EERH (ligne rouge) est presque plate depuis plus de deux ans (si ce n’est une baisse soudaine en juin 2013 en raison de la grève dans la construction). En effet, selon l’EERH, l’emploi (en données désaisonnalisées) n’aurait diminué que de 0,3 % entre juillet 2012 et août 2014, alors que les données de l’EPA, beaucoup plus éparses, montrent une hausse de 1,6 % entre ces deux mêmes mois!
Comme je l’ai mentionné dans un précédent billet, les données de l’emploi de l’EPA semblent sous-estimer l’emploi en 2012 (la ligne bleue était sous la rouge tout au long de cette année-là), alors qu’elles le surestiment dans la majorité des mois de 2013. Cela explique que l’emploi ait augmenté en moyenne de 1,2 % entre 2012 et 2013 selon les données de l’EPA, alors que celles de l’EERH (ai-je dit qu’elles sont plus fiables?) montraient une hausse de seulement 0,2 %, en fait uniquement due à la hausse réelle de l’emploi dans les six premiers mois de 2012.
Or, quand on parle de la baisse de quelque 30 000 emplois entre octobre 2013 et octobre 2014, on compare en fait une estimation qui semble cohérente avec les données de l’EERH (octobre 2014) avec une donnée qui était surestimée (octobre 2013), car bien au dessus du niveau de la donnée correspondante de l’EERH. Et, cela risque d’être encore pire le mois prochain, car la donnée de novembre 2013 est encore plus surestimée! Bref, tout indique que ces baisses d’emploi (sauf celles de l’emploi à temps plein) sont en fait des baisses d’estimations et que l’emploi fait ce qu’il fait depuis au moins deux ans, il stagne…
250 000 emplois
Réagissant à ces annonces de baisses de l’emploi et aux demandes d’un plan de relance par le PQ et la CAQ, le premier ministre a dans un premier temps «attribué les résultats mensuels décevants à différents facteurs, dont le vieillissement de la population». Euh… il ne savait pas quand il a promis la création de 250 000 emplois en cinq ans que la population vieillissait? Puis, après que le ministre des Finances, Carlos Leitão, ait affirmé que la création de 250 000 emplois «n’était pas une promesse», que «c’était une cible, un objectif», M. Couillard a tenu à assurer la population que la création de 250 000 emplois est vraiment «un engagement électoral» et que «le gouvernement tient à le remplir». Oubliant cette fois que la population vieillit, il a justifié cet engagement en disant «être «persuadé» de pouvoir remplir la promesse de son parti, en additionnant aux 40 000 emplois créés bon an mal an au Québec l’effet escompté des mesures mises en place depuis l’élection du mois d’avril et le budget du mois de juin». Mais, si la population vieillit, le Québec sera-t-il en mesure de bénéficier de «40 000 emplois créés bon an mal an au Québec»? Bien sûr que non!
C’est d’ailleurs ce que j’ai démontré dans un billet écrit juste après que le PLQ, le PQ et la CAQ aient sensiblement promis le même niveau de création d’emploi. J’ai montré que, en appliquant pour les années allant de 2014 à 2018 les taux de croissance prévus dans les scénarios de prévisions démographiques de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) à la population de chacune des 12 tranches d’âge pour lesquelles l’EPA fournit des données (15 à 19 ans, 20 à 24 ans, jusqu’à 65 à 69 ans et 70 ans et plus), il faudrait que le taux d’emploi des membres de chacune de ces 12 tranches d’âge augmente de 3,24 points de pourcentage (ou de 0,65 point par année) pour que la prévision du PLQ se réalise, alors que les taux d’emploi de six de ces 12 tranches d’âge atteignaient un sommet historique en 2013!
Et où en sommes-nous jusqu’à maintenant? Le tableau à droite présente l’évolution des taux d’emploi pour les membres des 12 tranches d’âge au cours des 10 premiers mois de 2013 et de 2014, ainsi que l’écart entre les deux en points de pourcentage. Même si le niveau d’emploi estimé est demeuré le même (hausse moyenne de 300 emplois, soit moins de 0,01 %…), le taux d’emploi global (des personnes âgées de 15 ans et plus), lui, a baissé de 0,5 point, comme on peut le voir à la dernière colonne de la première ligne du tableau. Ce taux n’a pourtant diminué que dans sept des 12 tranches d’âge (de moins d’un point dans quatre de ces sept baisses et de seulement 0,1 point dans deux cas) et a augmenté dans cinq tranches d’âge. En moyenne, les taux d’emploi n’ont diminué que de 0,14 point de pourcentage dans chacune des tranches d’âge. Si cette tendance se maintient au cours des deux derniers mois de 2014, cela voudra dire que ces taux d’emplois devront augmenter en moyenne de 3,4 points de pourcentage en quatre ans (une moyenne de 0,85 point par année) pour que la promesse des libéraux se réalise, et cela dans un contexte où la croissance de la consommation devrait être faible en raison du fort endettement des ménages (qui devront aussi assumer les hausses de tarifs d’électricité et probablement de frais de garde et autres), où les dépenses gouvernementales fédérales et provinciales devraient aussi augmenter moins que par le passé en raison des mesures d’austérité que nos gouvernements ont adoptées et où les entreprises et les gouvernements réduisent leurs investissements… Un léger espoir demeure du côté du solde commercial international, si le dollar canadien veut bien rester au niveau actuel ou, encore mieux, continuer à diminuer. Bref, le premier ministre devra brûler bien des lampions s’il espère vraiment que sa promesse se réalise!
Et alors…
Pour analyser correctement les données sur l’emploi, la comparaison entre les données des deux enquêtes majeures du domaine, l’EPA et l’EERH, est essentielle, mais il est aussi préférable de regarder le plus d’indicateurs possibles. Par exemple, le dernier rapport des opérations financières du gouvernement montre une croissance des revenus autonomes de 4,0 % d’avril à juillet 2014 par rapport aux mois correspondants de 2013, soit un peu plus que la croissance prévue de 3,6 %. Cela cadre mal avec une baisse de l’emploi, mais ne montre pas non plus une forte croissance, les prévisions du gouvernement ayant été bien prudentes. Avec des niveaux de 0 % et de 0,5 % aux deux premiers trimestres de 2014, et de zéro en juillet, la croissance du PIB cadre aussi avec une stagnation de l’emploi. J’ai aussi l’habitude de regarder les données de l’assurance-emploi, mais il est plus difficile de les interpréter depuis la réforme de 2013. Cela dit, le nombre de prestataires a très légèrement augmenté en août (de 0,4 % par rapport à août 2013), tandis que le nombre de demandes de prestations n’a augmenté que de 1,2 % entre août 2013 et août 2014, tout en diminuant de 3,1 % entre juillet et août 2014. Rien là non plus pour appuyer l’hypothèse d’une forte baisse de l’emploi…
Bref, la stagnation continue de stagner et ce n’est pas comme cela que le PLQ va voir sa promesse se réaliser!
Est-ce une promesse, est-ce une cible ?
Personnellement, avec sa promesse, je crois que le PLQ prends l’électorat pour cible!
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Le taux d’emploi baisse pour la tranche d’âge de 55-59 pour remonter aux tranches d’âges suivantes!
Est-ce un retour au travail de retraités ?
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« je crois que le PLQ prends l’électorat pour cible!»
Oui, mais ça risque de lui retomber sur le nez à la prochaine élection!
«Le taux d’emploi baisse pour la tranche d’âge de 55-59 pour remonter aux tranches d’âges suivantes!»
La baisse chez les 55-59 m’a grandement surpris. Il faut dire que le taux d’emploi dans cette tranche d’âge a fortement augmenté au cours des dernières années, passant de moins de 50 % en 1999 à 59,4 % en 2006, puis à 65,2 % en 2012 pour culminer à 67,9 % en 2013, avant de revenir à 65,7 % au cours des 10 premiers mois de 2014. Il demeure que ce niveau est le deuxième plus élevé de tous les temps. Compte tenu de la variabilité des données de l’EPA, il est fort possible que la donnée de 2013 était surestimée et soit revenu à un niveau plus «normal» en 2014. Il est toutefois impossible d’être certain de la validité de cette explication. Bref, je ne m’avance jamais avec une seule donnée provenant de cette enquête!
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