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La valeur et les valeurs

6 décembre 2014

valeursMon billet de lundi dernier sur la valeur m’a laissé sur ma faim. Je ne suis pas certain d’avoir vraiment avancé dans la compréhension de ce concept. Je trouvais de valeur d’en arrêter là… Le hasard faisant encore une fois bien les choses, j’ai lu quelques jours plus tard un texte totalement différent portant sur la valeur et les valeurs : Value, de Diane Coyne, professeure d’économie à l’Université de Manchester.

Le contenu

«[traduction] Apprécions-nous que les choses qui ont une valeur monétaire? Bien sûr que non. Les gens accordent en fait bien plus de valeur à ce qui n’a aucune valeur monétaire, à l’amour, à la santé et au bonheur, à une soirée passée avec des amis, à la musique, à la lumière du soleil avec une brise délicieuse, au bruit de la mer, à un coin préféré dans lequel se blottir à la maison, à un animal de compagnie bien-aimé.»

Voilà comment commence ce texte. Selon l’auteure, la compréhension du concept de la valeur est en partie influencée par son étymologie. Quand on chérit quelqu’un, on lui donne du «mon cher» sans nécessairement vouloir dire qu’il est onéreux! On doit de la même façon distinguer la valeur des valeurs. D’ailleurs, les valeurs n’ont pas nécessairement une valeur positive, elles peuvent même en avoir une négative, selon…nos valeurs! Elles ont en effet grandement varié avec le temps. Les valeurs victoriennes de gloire et d’honneur n’ont plus vraiment la cote alors que celles liées à l’acceptation des différences, aux droits des enfants et des animaux qui sont de nos jours de plus en plus partagées sembleraient étranges aux victoriens.

– les marchés répugnants

Si le marché de l’esclavage nous répugne (ce qui ne l’empêche pas de toujours exister), d’autres marchés ont émergé qui auraient pu être incompréhensibles à nos ancêtres, comme celui du carbone. Même entre nous, certains marchés sont répugnants pour les uns et pas pour les autres. Les autres font la promotion de la marchandisation de l’éducation et de la santé, tandis que les uns s’y opposent farouchement. La consommation ostentatoire est honnie par les uns, jugée immorale, alors qu’elle est adoptée (souvent inconsciemment) par les autres. Les valeurs du marché affrontent ainsi souvent ainsi les valeurs qui rendent les sociétés démocratiques viables. Elles divisent plutôt que d’unir.

Certains économistes [l’auteure doit parler de Gary Becker…], membres des autres, voient le marché partout, même dans le choix de nos partenaires de vie et dans nos décisions d’avoir des enfants. Si les marchés peuvent de fait influencer certains comportements, il répugne aux uns de voir des gens affirmer qu’ils représentent leur seule motivation, et même une motivation importante dans certains choix de vie. L’introduction de marchés dans les dons d’organes et même de sang (sans oublier la location des utérus…) révulsent la plupart d’entre nous (nous sommes presque tous «les uns» dans ce cas!). Et j’espère qu’ils révulseront aussi les prochaines générations (mais vouloir que ses valeurs demeurent, c’est le propre de toutes les générations…).

Thomas Piketty, dans son livre Le Capital au XXIe siècle, s’est demandé à quel niveau de richesse son accroissement n’apporte plus de bien-être supplémentaire, non seulement aux plus riches, mais à toute une population, ou pire, n’apporte que des désavantages, que ce soit du côté de la destruction de ressources ou de la diminution de la cohésion sociale et de la perversion des valeurs morales et civiques d’une société. Les uns l’approuvent, mais trop d’autres ne se posent même pas la question…

– l’argent et le bonheur

Dans ce chapitre, l’auteure montre essentiellement les limites de l’utilisation du PIB comme mesure du progrès, comme je l’ai déjà fait souvent, notamment dans ce billet. Non seulement sa croissance ne rend pas nécessairement plus heureux, mais elle peut détruire la qualité de vie par la pollution (comme en Chine) ou menacer la vie sur Terre par l’épuisement des ressources et la hausse des températures.

Le PIB ignore en effet complètement les effets délétères de sa croissance sur l’environnement et les liens sociaux et, pire, est stimulé lors d’un désastre naturel ou d’une guerre! Le père du PIB, Simon Kutznets, voulait dans ce contexte exclure du calcul du PIB les éléments négatifs, comme les coûts de la publicité et de la prévention du crime. Non seulement le PIB inclut des éléments qui nuisent au bien-être, mais il en exclut d’autres qui l’améliore. L’auteure mentionne, comme moi, le travail domestique, les soins aux gens en besoin et les activités bénévoles. Le PIB ne comptabilise pas non plus tout ce qui est gratuit sur Internet (c’est-à-dire sans échange monétaire direct), que ce soit Wikipédia ou un bon blogue sur l’économie, même s’ils apportent beaucoup de connaissance et de bien-être!

Axé sur le court terme, le PIB ne tient pas plus compte des innovations. L’auteure donne comme exemple l’homme le plus riche du monde en 1836 (un Rothschild) qui est mort d’une infection due à un abcès dentaire. Aujourd’hui, cela se guérit pour tous avec un antibiotique vendu 10,00 $! Quelle somme M. Rothschild aurait-il été prêt à verser pour ce médicament? Mais, pour le PIB, il «vaut» 10,00 $, pas plus! Nous profitons ainsi gratuitement de plein d’innovations que nous ne comptabilisons pas dans le PIB, même si elles contribuent sans le moindre doute à notre bien-être. L’espérance de vie a augmenté, la mortalité infantile a diminué, l’hygiène publique diminue la prévalence de plein de maladies, sans que le PIB n’en tienne compte. L’auteure termine cette partie en concluant que notre bien-être est bien sûr en partie influencé par le PIB, mais que celui-ci ne le définit pas.

– vision, valeurs et valeur

Le PIB ne distingue pas les dépenses à court terme des investissements à long terme, considère sur le même pied l’achat d’une boisson gazeuse, le même dollar consacré à creuser un tunnel pour accélérer les transactions à la bourse de quelques millisecondes ou à éduquer nos enfants. Étrangement, si les victoriens faisaient preuve d’étroitesse d’esprit, d’hypocrisie et de conformité, cela ne les a pas empêché d’avoir une meilleure conscience de l’avenir que nous. Ils ont construit des voies ferrées (nous, on les ferme), des canaux, des aqueducs, des musées, des bibliothèques, des monuments qui résistent bien au temps, ont mis sur pied des institutions (comme les syndicats, alors que nous réduisons leur importance) et avaient confiance à l’avenir. Nous bénéficions encore de nos jours de leurs investissements et de la façon dont leurs valeurs ont traduit leur compréhension de la valeur. Ils étaient des créateurs de valeur, pas des créateurs de richesses indéfinies et infinies qui ruinent l’espérance de la vie à long terme sur cette Terre.

«Tout ce qui a de la valeur origine des valeurs et de la vision d’une société, aussi bien de nos jours que par le passé.»

Et alors…

Même si ce texte n’apporte pas beaucoup de nouveau (quoique…), j’ai trouvé sa lecture rafraîchissante après avoir subi un livre aussi difficile à lire que La tyrannie de la valeur. Ici, la valeur découle des valeurs et d’une vision à long terme, pas de concepts inaccessibles aux non initiés. Et, ces valeurs me sont chères!

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3 commentaires leave one →
  1. 6 décembre 2014 9 h 42 min

    On peut aussi lire un résumé de ce texte par l’auteure à :

    http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/nov/20/gdp-markets-short-term-victorians-value

    J’aime

  2. 6 décembre 2014 14 h 01 min

    Fort intéressant!

    Aimé par 1 personne

  3. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    7 décembre 2014 9 h 12 min

    Le concept se met à briller une fois nettoyé des moisissures ontologiques.

    Aimé par 1 personne

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