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La dette étudiante aux États-Unis

25 février 2015

dette étudiants États-UnisGrâce au blogue Economist’s View (que je vante pour la troisième fois, ce qui n’est pas assez…), j’ai lu la semaine dernière une série de trois textes sur la dette des étudiants aux États-Unis (un, deux, trois). Je vais tenter ici d’en faire ressortir les points saillants.

Ampleur de la dette étudiante

Les auteurs, Meta Brown, Andrew Haughwout, Donghoon Lee, Joelle Scally, and Wilbert van der Klaauw, débutent leur série en montrant à quel point la dette étudiante a augmenté au cours des dernières années, comme l’illustre le graphique suivant (notons que les données précises des graphiques du premier article sont accessibles ici).

dette étudiants États-Unis1Ce graphique présente l’évolution de quatre types de prêts non hypothécaires aux États-Unis, la HELOC, home equity line of credit ou lignes de crédit domiciliaire (ou deuxième hypothèque), les prêts auto (Auto loan), les dettes sur les cartes de crédit (Credit card) et les prêts étudiants (Student loan). Au début de la période (fin 2004), les prêts étudiants étaient les moins élevés de ces quatre types de prêts, mais les plus élevés à la fin 2014, 10 ans plus tard atteignant 1157 milliards $. Alors que les autres types de prêts ont diminué (de 2 % pour les prêts sur cartes de crédit) ou augmenté légèrement (de 9 % pour les HELOC et de 30 % pour les prêts auto), la tendance à la hausse des prêts étudiants n’a jamais faibli, la valeur de cette dette ayant plus que triplé en 10 ans (hausse de 235 %)! Cette hausse est composée d’une augmentation de 92 % du nombre d’endettés et de 74 % de la dette moyenne (qui a atteint 27 000 $ en 2014). Si 39 % des endettés devaient moins de 10 000 $ en 2014, 4 % d’entre eux (quand même 1,8 million de personnes!) devaient plus de 100 000 $. Si le tiers de la dette était attribuée à des jeunes ayant moins de 30 ans, 5 % de celle-ci était due par des personnes âgées de 60 ans et plus (moins de 2 % en 2004)…

Les auteurs expliquent la hausse des prêts étudiants par :

  • l’augmentation de la fréquentation des collèges et universités;
  • l’augmentation de la durée des études;
  • la baisse des taux d’intérêt;
  • la hausse des droits de scolarité (tiens, tiens…);
  • la faiblesse du taux de remboursement.

Les auteurs terminent le premier texte en liant la hausse de la dette étudiante à la baisse de l’achat de maisons par les jeunes âgés de 27 à 30 ans qui ont des prêts étudiants et, bien plus troublant, à la baisse de formation des ménages chez ces mêmes jeunes.

Les défauts de paiements

Le deuxième texte faisant partie de cette série aborde la question des défauts de paiements. Mais avant de l’aborder, je préfère présenter un graphique que les mêmes auteurs ont publié dans un article précédent.

dette étudiants États-Unis2Ce graphique présente, pour les quatre mêmes types de prêts que le graphique précédent, mais aussi pour les prêts hypothécaires, l’évolution du pourcentage de défauts de paiements de 90 jours et plus. Ce qu’il y a de plus remarquable dans ce graphique, c’est que le pourcentage de défaut des prêts étudiants a augmenté de façon notable depuis le creux de la dernière récession (2009), mais qu’il a diminué pour les quatre autres types de prêts. Pire, ce pourcentage est rendu le plus élevé des cinq types de prêts présentés, ayant depuis 2012 surpassé celui des prêts sur les cartes de crédit pour atteindre 11,3 % en 2014. Les auteurs mentionnent comme principal motif de cette évolution à contre-courant le fait qu’on ne peut pas se libérer d’une dette étudiante avec une faillite (sauf dans de rares cas et selon des conditions contraignantes, comme d’avoir respecté ses paiements de remboursement pendant au moins 20 ans), contrairement aux autres types de prêts.

dette étudiants États-Unis3Le deuxième texte de la série, de son côté, examine la situation de défaut de paiement par cohorte plutôt que globalement comme dans le précédent graphique. Le graphique ci-contre (les données précises de ce graphique sont accessibles ici) illustre l’évolution du pourcentage d’emprunteurs qui ont déjà fait défaut depuis le début de leur remboursement (et non pas qui sont en état de défaut de paiement comme le précédent graphique) pour trois cohortes, celles qui remboursent depuis 2005, 2007 et 2009. On peut voir que 26 % des membres de la cohorte de 2009 avaient déjà connu une période de défaut au cours des cinq années suivantes. Les taux correspondant pour les cohortes de 2005 et de 2007 étaient respectivement de 21 % et de 20 % en 2010 et en 2012, cinq ans après le début de leur remboursement. Même après sept et neuf ans, les cohortes de 2007 (24 %) et de 2005 (25 %) n’avait pas atteint les 26 % de la cohorte de 2009 après cinq ans. À combien ce taux s’élèvera-t-il après sept et neuf ans? Sûrement à plus de 30 % et probablement encore plus.

Les auteurs montrent ensuite que ce sont les personnes qui ont les prêts les moins importants qui font défaut le plus souvent. En effet, 34 % des membres de la cohorte de 2009 qui avaient une dette de moins de 5 000 $ avaient fait défaut au moins une fois par rapport à seulement 18 % de ceux qui avaient une dette supérieure à 100 000 $. Les auteurs ne possèdent pas de données permettant d’expliquer ces écarts, mais avancent que ces petits emprunteurs sont probablement moins nombreux à avoir terminé leurs études et à avoir obtenu un diplôme (d’où la faiblesse des sommes empruntées) ou à avoir trouvé un emploi suffisamment payant pour pouvoir faire face à leurs paiements de remboursement.

Le remboursement

Le dernier texte de la série examine le taux de remboursement des prêts étudiants et la vitesse (ou la lenteur…) à laquelle ils sont remboursés. Les auteurs insistent sur l’importance de cette question, car elle peut avoir un impact sur les autres dépenses des endettés, notamment sur leur possibilités d’acheter une maison, et aussi sur les montants d’intérêts qu’ils doivent continuer à payer (à des institutions financières qui en profitent démesurément, dois-je ajouter…).

dette étudiants États-Unis4Le fait qu’on ne peut pas se libérer d’une dette étudiante avec une faillite n’entraîne pas seulement un fort taux de défaut de paiement, mais aussi un faible taux de remboursement. Le graphique ci-contre montre les différentes situations des emprunteurs (les données précises des graphiques de ce texte sont accessibles ici).

«[traduction] Alors que 17 pour cent des emprunteurs sont en situation de défaut de paiement, seulement un peu plus d’un tiers (37 pour cent) de tous les emprunteurs font des versements réguliers selon l’échéancier prévu. Les autres emprunteurs, soit près de la moitié d’entre eux, sont soit encore aux études ou dans l’un des divers programmes qui permettent aux étudiants d’éviter d’être en défaut de paiement. Fait important, ces emprunteurs ne réduisent pas leurs soldes [ils augmentent dans 33 % des cas et demeurent stables dans les 13 % des cas restants].»

Les auteurs observent ensuite que, si ceux qui ont les dettes les plus élevées sont moins souvent en défaut de paiement que ceux qui ont de faibles dettes, une plus forte proportion d’entre eux voient leur solde augmenter, même en respectant leurs échéanciers de remboursement (8,5 % de ceux qui doivent moins de 5 000 $, mais 23 % de ceux qui doivent entre 50 000 $ et 100 000 $ et 22 % de ceux qui doivent plus de 100 000 $). Cela veut dire que leurs remboursements ne couvrent pas les frais d’intérêt!

dette étudiants États-Unis5En fait, plus de 50 % des emprunteurs de la cohorte de 2009 ont soit déjà été en défaut de paiement ou ont vu leur solde augmenter. La situation globale n’est guère mieux! Le graphique ci-contre (le dernier, promis!) montre au-dessus des barres bleus le montant des dettes de chaque cohorte au début de leur remboursement. Par exemple, la cohorte de 2005 devait au départ 50,2 milliards $ et celle de 2010 78,3 milliards $. La colonne dorée montre le pourcentage de cette dette qui était encore effective en 2014. Par exemple, la cohorte de 2005 devait encore 62 % de sa dette de départ neuf ans plus tard, soit 31,2 milliards $ sur les 50,2 milliards $ du début. Celle de 2010 n’avait remboursé que 9 % (il en restait 91 %, comme indiqué sur le graphique) des 78,3 milliards $ de dette quatre ans plus tard, soit 6,7 milliards $. Il leur restait 71,6 milliards $ à rembourser!

Les auteurs soulignent que, selon un mode normal de remboursement sur 10 ans, la cohorte de 2005 aurait dû rembourser 90 % de sa dette alors qu’elle n’en a remboursé que 38 %… Il en reste 62 % à rembourser au lieu de 10 %, soit plus de six fois plus! Est-ce inquiétant? Pour certains, il s’agit d’une bombe à retardement, tandis que, pour d’autres, il s’agit carrément de la prochaine bulle qui risque d’éclater. Peu importe la figure de style, ou que ce fardeau retombe sur le système financier ou le gouvernement des États-Unis, il demeure que cette situation est intenable pour les familles des États-Unis.

Et alors…

Quand on sait que le système universitaire des États-Unis sert de modèle à ceux qui voulait augmenter les droits de scolarité au Québec pour pouvoir bénéficier d’universités de «classe mondiale», disons que je préfère, et de loin, notre système et l’aimerait encore plus s’il tendait à s’éloigner de ce modèle destructeur plutôt que de s’en approcher… Heureusement, cet objectif semble avoir reculé récemment, mais il faut rester vigilant si on ne veut pas le voir rebondir!

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17 commentaires leave one →
  1. 25 février 2015 9 h 42 min

    Absolument décourageant. Surtout quand on pense à toutes ces personnes stressés par cette dette énorme. 50 000, 100 000 dollars, ce sont des montants astronomiques!

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  2. 25 février 2015 10 h 01 min

    Je connaissais par d’autres sources l’ampleur du problème, mais pas dans ses détails comme ces textes nous permettent d’en prendre connaissance. J’ai été frappé par ces précisions…

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  3. Jean-Marie Coen permalink
    25 février 2015 10 h 48 min

    Darwin, dans le dernier lien que tu donnes à la fin de ton billet (vers le site de l’Expansion), le journaliste précise que c’est l’État fédéral qui est le prêteur pour 93% des prêts. Si c’est correct (est-ce exact?), est-ce que ça ne contredit pas l’idée que les institutions financières privées se font grassement plaisir à accorder ces prêts ?

    Toujours d’après le même article, les consignes de l’État fédéral sont très laxistes pour accorder les prêts. Cela pourrait d’autant motiver les écoles à augmenter leurs tarifs… Ou alors c’est l’inverse qui s’est passé : la souplesse du programme fédéral de prêts répond aux augmentations de tarifs pratiquées par les écoles, suite au désengagement public (des États fédérés souvent, toujours d’après l’article de l’Expansion) ?

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  4. 25 février 2015 11 h 21 min

    «est-ce que ça ne contredit pas l’idée que les institutions financières privées se font grassement plaisir à accorder ces prêts ?»

    Le système est complexe et je ne le connais pas bien. Si j’ai bien compris, l’État prête l’argent, mais, à partir de la période de remboursement, la dette relève d’un «loan servicer» (ou agent de prêt) qui est une «[traduction] est une société qui gère la facturation et d’autres services sur votre prêt étudiant du gouvernement fédéral». Voir https://studentaid.ed.gov/repay-loans/understand/servicers

    Le système complet de remboursement est expliqué dans ce site que je n’ai pas exploré…

    https://studentaid.ed.gov/https://studentaid.ed.gov/repay-loans )

    Quant à ta deuxième question, ton hypothèse est plausible, mais je ne m’aventurerai pas à la valider ou à la contredire…

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  5. 25 février 2015 11 h 30 min

    Ici, on parle même d’un marché secondaire pour les prêts étudiants…

    http://www.finaid.org/loans/servicers.phtml

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  6. Yves permalink
    26 février 2015 5 h 35 min

    Est-ce le début d’un grand mouvement?

    http://geopolis.francetvinfo.fr/bureau-washington/2015/02/25/dettes-etudiantes-la-revolte-commence.html

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  7. 26 février 2015 5 h 55 min

    Ça me semble un cas bien spécifique. Ils se sont fait arnaqué et leur université a fait faillite!

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  8. Pierre permalink
    26 février 2015 17 h 10 min

    Je n’ai pas encore lu les articles cites, mais est- ce que le nombre d’étudiants est resté comparable durant ces années? Est-ce que la dette par étudiant a suivi cette courbe? Est-ce que la dette globale « étudiants » augmente aussi parce que des étudiants sont maintenant sur le marché du travail et remboursent sur une plus longue période ayant contracté d’autres dettes ( maison, auto,, maison, etc.)? En tenant compte de l’inflation, quel est le montant d’une dette moyenne ou médiane d’un finissant universitaire pour ces années de comparaison.

    Toujours intéressant à lire.

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  9. 26 février 2015 18 h 01 min

    «est- ce que le nombre d’étudiants est resté comparable durant ces années? Est-ce que la dette par étudiant a suivi cette courbe?»

    C’est indiqué dans le billet :
    «Cette hausse est composée d’une augmentation de 92 % du nombre d’endettés et de 74 % de la dette moyenne (qui a atteint 27 000 $ en 2014).» et :
    «l’augmentation de la fréquentation des collèges et universités» (pas chiffrée…).

    Je ne peux pas répondre aux autres questions, les données n’allant pas jusque là. Mais, il est clair qu’une hausse de 74 % de la dette moyenne en 11 % est bien supérieure à l’inflation, soit plus de trois fois.

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  10. José permalink
    5 mars 2015 6 h 00 min

    Merci pour cet article très bien documenté. En effet, encore une bulle bien inquiétante à l’horizon. Le dette sous toutes ses formes, économiques, écologiques etc., et ses conséquences, sont en train de ronger la planète. Malraux aurait-il dû dire « le 21e siècle sera endetté ou ne sera pas »?

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  11. 5 mars 2015 6 h 27 min

    Dette, déficit, épuisement (des ressources), c’est en effet la marque de ce siècle.

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  12. benton65 permalink
    5 mars 2015 10 h 14 min

    Reste que les dettes sont peu de choses par rapport au réchauffement climatique.
    C’est infiniment plus facile a régler qu’une planète qui s’emballe…

    Aimé par 3 personnes

  13. José permalink
    6 mars 2015 3 h 14 min

    @benton65
    C’est comme la dette, une conséquence d’un système. On traite un symptôme pour faire face à l’urgence, mais c’est vain si on ne s’occupe pas de la maladie. Et s’en occuper, ce n’est pas rechercher les coupables pour un sacrifice expiatoire. C’est une logique de système qui est à remettre en cause. Et qui dit système dit interconnexions et rétroactions. Nous y participons tous. Gnothi seauton.

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