Manuel de l’antitourisme
«[critiquer le tourisme et les voyages en avion] reviendrait à critiquer tout un chacun, c’est-à-dire à délibérément se faire des ennemis»
L’auteur du Manuel de l’antitourisme, Rodolphe Christin, résume très bien avec cette citation mes réticences à aborder ce sujet… Je préfère donc parler d’un livre qui aborde cette question plutôt que de donner mon opinion!
Ce livre a été suggéré par un commentateur d’un statut Facebook sur l’effet des rabais des voyages en avion sur la pollution et les émissions de gaz à effet de serre. En fait, ce livre ne porte pas spécifiquement sur cette question, mais critique le tourisme tel qu’il est majoritairement exercé.
Préface
Je ne conserverai de la préface de Hugo Verlomme que deux courtes citations efficaces qui introduisent bien le sujet du livre. Parlant de la vitesse et de la diversité des voyages en avion, M. Verlomme souligne qu’on disait avant que «Voyager plein d’espoir est mieux que d’arriver», mais que «À présent, on arrive sans voyager». Cette citation présente de fait bien une des principales critiques que fait l’auteur au tourisme actuel.
J’ai conservé la deuxième citation parce qu’elle aborde le sujet des échanges sur le statut Facebook dont je parlais en amorce de ce billet :
«On peut dire que les voyages ont perdu leur charme lorsqu’on a commencé à choisir ses destinations en fonction du prix du billet d’avion, et non par désir de se rendre dans telle ou telle région du monde. Un voyage se mérite et se médite»
Bon, le mérite n’est pas mon fort, mais je comprends ce qu’il veut dire…
Le livre
«Le tourisme est la première industrie mondiale, même s’il est pratiqué par seulement 3,5% de la population… Un luxe réservé aux occidentaux qui, depuis l’avènement des congés payés, ont intégré « un devoir d’ailleurs et de loisirs ». »
Ainsi commence la présentation de ce livre. Si la notion d’industrie est ici un peu vague, il est de fait intéressant de souligner que, si le tourisme est pratiqué par de nombreux Occidentaux, il demeure une activité réservée à une faible minorité de la population de la Terre, peu importe la validité de cette donnée (dont l’auteur ne mentionne pas la source).
Dans le premier chapitre, l’auteur fournit diverses statistiques pour montrer l’ampleur de l’activité touristique (il mentionne entre autres que le tourisme occupe 8 % de la main-d’œuvre mondiale, majoritairement dans des emplois mal payés) et sa forte croissance, surtout dans les voyages intercontinentaux (donc, surtout en avion). Ce volume d’activité ne contredit toutefois pas le fait qu’elle n’est accessible qu’à une proportion bien faible des humains. Le tourisme est, pour l’auteur, «le luxe d’une minorité dont l’impact concerne une majorité, parce que cette minorité tente d’aller partout et que partout on cherche à attirer son pouvoir d’achat».
Il aborde ensuite les conséquences de l’importance et de la croissance du tourisme, notamment :
- la pollution, l’épuisement des ressources (comme l’eau) et les nuisances socio-économiques («massacres des sites à des fins d’aménagement», artificialisation et uniformisation des lieux, menace pour les habitats d’espèces en danger d’extinction, etc.);
- la commercialisation des contacts avec d’autres cultures;
- la croissance du tourisme sexuel (souvent auprès de mineures exploitées);
- l’imposture du tourisme écologique et du développement dit durable;
- la fuite des temps libres pour l’obligation de remplir ses voyages d’activités incessantes;
- la course au développement de l’industrie touristique à l’avantage de seulement quelques individus;
- l’augmentation du coût du logement et l’exode des habitants autochtones des sites populaires;
- la «bétonisation des architectures et des natures»;
- le déplacement d’activités économiques pour le bien-être local (notamment agricoles) par des activités pensées pour des étrangers;
- l’augmentation de la vulnérabilité aux désastres naturels (comme le tsunami dans l’Océan indien en 2004, il y a quelques années);
- la disparition des cultures autochtones;
- la standardisation du monde et la Disneylandisation de la réalité «où le divertissement remplace la diversité».
Si le livre décrit exhaustivement les tares du tourisme, il en dit beaucoup moins sur ses bienfaits. Les seuls voyages qui obtiennent l’aval de l’auteur sont ceux qui favorisent «le chemin à la destination». Pour en bénéficier pleinement, ils doivent être moins fréquents et plus longs. La lenteur doit être appréciée, et non repoussée. Idéalement, il conseille l’utilisation de transports lents (bicyclette, canot, voilier, etc.) plutôt que l’automobile et surtout l’avion. En outre, un voyage sain ne doit pas laisser de traces dans l’environnement visité.
Et alors…
Alors, lire ou ne pas lire? Personnellement, je n’ai pas beaucoup aimé ce livre, tant sur le fond que sur la forme. Même s’il n’a que 103 pages (89 après la préface), je l’ai parfois trouvé long. Son style pamphlétaire, son ton méprisant, son manque de nuance et ses généralisations m’ont fréquemment irrité, même si plusieurs de ses observations sont pertinentes et si certaines de ses citations sont bien tournées. En fait, il présente les touristes (autres que lui-même et ses connaissances) comme des êtres tellement superficiels et vains que personne ne se reconnaîtra dans sa description!
Sur le fond, je préfère de beaucoup l’attitude de Serge Mongeau dont j’ai parlée dans ce billet. Lui aussi déplore la banalisation des voyages en avion et dénonce les étiquettes de tourisme écologique (ou des voyages supposément «carboneutres»), mais il ne fait pas de morale et ne tente pas d’imposer sa vision du tourisme idéal. Tout ce qu’il espère, c’est que les gens réfléchissent avant d’acheter des billets d’avion. Je préfère de loin cette attitude à celle de Rodolphe Christin…
Un bel exemple de ce que dénonce l’auteur : un beau voyage en 36 heures!
http://www.ledevoir.com/art-de-vivre/voyage/432198/trente-six-heures-asie-et-oceanie-the-new-york-times-edite-par-barbara-ireland
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Philippe Hurteau, chercheur à l’IRIS, dénonce lui aussi l’industrie du tourisme à
http://www.journaldemontreal.com/2015/02/23/le-sud–voyager-nulle-part
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C’est que la grande majorité des gens ne veulent pas d’un voyage mais d’une destination!
L’idée est de passer sa semaine de vacance a décompresser du boulot et d’oublier l’hiver. La majorités des gens en sont plus aux voyages « qui forme la jeunesse »!
P.S.: Je ne suis pas un grand voyageur…. ni un grand vacancier, ayant eu mon premier passeport à 42 ans et n’ayant pris l’avion qu’une seule fois dans ma vie….
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Moi, j’ai dû le prendre une douzaine de fois, les dernières dans le cadre de mon emploi, il y a cinq ou six ans. Je vais certainement éviter de le refaire…
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Est-ce que le livre établit le lien avec la littérature sur les (non) effets des grands projets de développement public d’infrastructures pour stimuler le tourisme (stades, collisées etc.?)?
En fait, je suis content de voir cette oeuvre (que je vais acheter) puisque mon instinct est que le tourisme a un effet économique léger voir négatif. http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00036849500000079
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«Est-ce que le livre établit le lien avec la littérature sur les (non) effets des grands projets de développement public d’infrastructures pour stimuler le tourisme (stades, collisées etc.?)? »
De mémoire, non, il ne parle pas beaucoup de cela. Et comme je loue mes livres et publie mes billets sur les livres avec deux semaines de retard, je ne peux pas vérifier, car je l’ai remis. Il parle davantage de l’effet de ces développements sur la dégradation de l’environnement.
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Triste, parce que j’ai généralement l’impression que ces problèmes sont alimentés par les éléphants blancs que les gouvernements encouragent. Les venues sportives seraient moins problématiques socialement et économiquement si les gouvernements cessaient de subventionner FIFA, CIO etc pour construire des mastodontes qui seront abandonnés peu après l’évènement.
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Nous sommes en accord sur ce point!
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Il est un point sur lequel le livre semble, à ce que tu en décris, peu insister, et je pense que c’est pourtant un des reproches majeurs à faire à ce tourisme. Il concerne les deux derniers points: disparition de la diversité culturelle par l’uniformisation. C’est contre cet aspect que Lévi-Strauss nous mettait en garde, et c’est probablement ce qui lui a inspiré la célèbre phrase « je hais les voyages et les explorateurs ».
Une anecdote à ce sujet: alors que je me trouvais en Colombie dans une des zones tenues par la guérilla, donc a priori moins susceptible de « contamination » par la civilisation occidentale, j’ai été surpris par la réflexion d’une gamine indienne de 12 ou 13 ans: « tu n’as pas de portable? Mais alors comment fais-tu pour communiquer? ». Dans l’anomalie de ce lieu où je me trouvais par la grâce d’un ami, protégé par ses liens avec les chefs de tribus, j’entendais une réflexion qu’aurait pu me faire une petite parisienne…
Ce qui d’ailleurs m’a aussi posé la question d’un maillage technologique qui couvre aujourd’hui des régions qu’on pourrait croire encore à l’abri…
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Cet exemple va bien avec ce que reproche l’auteur au tourisme moderne… On veut être dépausé, mais pas trop et sans perdre l’accès à notre mode de vie habituel.
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« Je préfère donc parler d’un livre qui aborde cette question plutôt que de donner mon opinion! »
Votre critique finale (ne pas aimer se faire faire la morale, vouloir simplement que les gens réfléchissent avant d’acheter un billet) renforce votre premier commentaire, et à mon avis c’est ce que je déplore souvent à cette époque « post-religieuse », à savoir qu’il faille être « mous », ne pas critiquer, ne pas juger les gens. C’est à mon avis la meilleure façon d’échouer collectivement…
Cela dit, je note votre point de vue au sujet du biais possible de l’auteur qui se favoriserait et favoriserait ses connaissances. Si on décide de faire la morale, il faut savoir le faire honnêtement et commencer par soi!
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