Le marché du travail des femmes (4) – les industries
Pour ce quatrième billet de ma série sur le marché du travail des femmes, je vais présenter l’évolution de l’emploi masculin et surtout féminin par industrie entre 1976 et 2014.
Par grand secteur industriel
Pour bien camper le sujet, il est bon de regarder l’évolution de la structure industrielle selon le sexe par grand secteur industriel, soit les secteurs :
- primaire (agriculture, mines et forêt);
- secondaire (manufacturier et construction);
- tertiaire (services, y compris les services publics).
Comme je vais présenter les données sur ces secteurs en pourcentage de l’emploi total, il faut se rappeler que, comme je l’ai montré dans le premier billet de cette série, l’emploi chez les femmes a augmenté de 117 % entre 1976 et 2014, alors qu’il n’a augmenté que de 28 % chez les hommes. Cela veut dire qu’une baisse de la proportion de l’emploi dans un secteur chez les femmes peut camoufler une hausse du nombre d’emplois, alors qu’une petite hausse de cette proportion signifie une très forte augmentation, supérieure en tout cas à 117 %. Le même phénomène peut survenir chez les hommes, mais avec beaucoup moins d’ampleur.
Ce graphique montre l’évolution de la répartition de l’emploi par grand secteur industriel pour les femmes et les hommes.
– Secteur primaire : L’importance relative du secteur primaire a diminué de moitié entre 1976 et 2014 à la fois chez les hommes (de 6,4 % de l’emploi à 3,2 %, ligne bleue) et chez les femmes (de 2,2 % à 1,0 %, ligne rouge). En nombre, l’emploi a en fait diminué de 35 % chez les hommes et est demeuré assez stable chez les femmes.
– Secteur secondaire : L’importance relative du secteur secondaire a aussi diminué considérablement, mais davantage chez les femmes (de plus de 55 %, soit de 19,1 % de l’emploi à 8,4 %, ligne verte) que chez les hommes (d’environ de 20 %, soit de 34,9 % de l’emploi à 27,6 %, ligne jaune). En nombre, il a en fait augmenté très légèrement chez les hommes (de 1,5 %) et a diminué de 4,8 % chez les femmes. Comme on le verra plus tard, la baisse d’importance de ce secteur est uniquement due aux industries manufacturières, l’importance relative du secteur de la construction ayant au contraire augmenté, surtout chez les hommes, mais aussi chez les femmes. La plus forte baisse de l’importance relative du secteur secondaire chez les femmes s’explique en partie par la plus forte augmentation de leur emploi dans les services, mais aussi par l’effondrement de l’emploi dans la fabrication de vêtements, seul secteur de l’emploi manufacturier où elles sont et ont toujours été majoritaires (données non montrées).
– Secteur tertiaire : On le devinera sans peine, l’importance relative du secteur tertiaire a augmenté aussi bien chez les hommes (de 18 %, soit de 58,8 % à 69,1 %, ligne rouge vin) que chez les femmes (de 15 %, soit de 78,7 % à 90,6 %, ligne bleue pâle). En nombre, il a en fait augmenté de 51 % chez les hommes et de 150 % chez les femmes! Quoique spectaculaire, cette information nous laisse sur notre faim, car elle ne nous dit pas dans quelles industries précises cette augmentation s’est principalement concrétisée. Heureusement, c’est justement ce que je comptais faire!
Par industrie
Comme un graphique ne pourrait que faire croiser des lignes de façon illisible, je vais présenter l’évolution de l’emploi par industrie selon le sexe à l’aide d’un tableau.
Ce tableau montre la répartition de l’emploi par industrie en 1976 pour les hommes (première colonne) et les femmes (deuxième colonne) ainsi que la différence entre les deux (troisième colonne), les mêmes éléments pour 2014 (de la quatrième à la sixième colonne), puis la différence de l’emploi pour les hommes et les femmes entre 1976 et 2014, dans les deux dernières colonnes.
– Agriculture : Que ce soit en 1976 ou en 2014, les hommes ont toujours été bien plus présents dans cette industrie que les femmes; dans les deux cas, cette présence s’est érodée avec le temps. On peut voir que l’emploi dans l’agriculture a diminué davantage chez les hommes (de 25 %, ou de 13 000 emplois) que chez les femmes (de 10 %, ou de près de 2 000 emplois).
– Foresterie, pêche, mines, exploitation en carrière, et extraction de pétrole et de gaz : Que ce soit en 1976 ou en 2014, les hommes ont toujours été plus présents dans ces industries, à la fois dans les mines, dans la pêche et dans la forêt (données non montrées). Cela dit, pendant que l’emploi masculin y diminuait de 45 % entre ces deux années (avec 28 000 emplois en 2014), il doublait chez les femmes pour atteindre un peu moins de 5 000 emplois en 2014, encore six fois moins que chez les hommes.
– Services publics : Ces services sont essentiellement présents chez deux employeurs, soit Hydro-Québec et, dans une bien moindre mesure, Gaz métropolitain. Il s’agit d’un autre bastion masculin, mais de moins en moins. Alors que l’emploi chez les hommes y a diminué légèrement (d’entre 5 % et 10 %, avec un peu plus de 20 000 emplois en 2014), il triplait presque chez les femmes pour se situer à 8 500 en 2014.
– Construction : En termes de structure d’emploi, la construction est avec le secteur manufacturier l’industrie où la présence des hommes était la plus élevée par rapport à celle des femmes, tant en 1976 qu’en 2014. On peut voir que l’emploi y a crû de près de 60 % chez les hommes pour atteindre 230 000 en 2014, et y a presque triplé chez les femmes pour dépasser tout juste la barre des 10 % de l’emploi (avec un plus de 25 000 emplois).
– Secteur manufacturier : Il s’agit, et de loin, de l’industrie où l’emploi a le plus diminué chez les hommes (de près de 75 000 emplois) et chez les femmes (de plus de 25 000 emplois). L’emploi y a baissé d’entre 15 % et 20 % chez les membres des deux sexes. C’est vraiment un des phénomènes les plus importants des changements de l’emploi industriel depuis 40 ans.
– Commerce : J’aurais bien aimé présenter séparément les données du commerce de gros et de détail, mais les données de l’Enquête sur la population active ne permettent cette distinction que depuis 1987. Disons seulement que l’emploi était en 2014 (et aussi en 1987) près de quatre fois plus élevé dans le commerce de détail que dans le commerce gros et qu’il était en 2014 majoritairement masculin dans le commerce gros (68 %) et majoritairement féminin dans le commerce de détail (53 %). Cela mis à part, il y a peu à dire sur le commerce, l’emploi y ayant augmenté au même rythme que dans l’ensemble du marché du travail, soit de 29 % chez les hommes et de 116 % chez les femmes par rapport aux augmentations respectives de 28 % et 117 % dans l’ensemble des industries.
– Transport et entreposage : Il s’agit du troisième plus important bastion masculin, avec quatre fois plus d’emplois masculins que féminins en 2014, écart déjà moins accentué qu’en 1976 (sept fois plus). L’emploi y a augmenté, mais beaucoup moins que dans l’ensemble des industries, soit de 12 % chez les hommes et de 96 % chez les femmes.
– Finance, assurances, immobilier et location : L’emploi a augmenté dans ces industries de façon presque égale, soit de 80 % chez les hommes et de 70 % chez les femmes. Bref, ce n’est pas un secteur qui a marqué les changements dans la répartition de l’emploi entre les sexes au cours de cette période.
– Services professionnels, scientifiques et techniques : Cette industrie regroupe des sous-industries bien différentes : bureaux d’avocats, d’ingénieurs, d’architectes et de comptables, publicité, conception informatique, etc. C’est l’industrie où l’emploi a le plus augmenté depuis 1976 : il a quadruplé chez les hommes et quintuplé chez les femmes, même si on y trouve encore plus d’hommes (près de 175 000) que de femmes (près de 125 000).
– Services aux entreprises, services relatifs aux bâtiments et autres services de soutien : Ce regroupement d’industries (gestion de sociétés et d’entreprises, services d’emploi, d’enquête, de voyages, de conciergerie, de nettoyage, etc.) présente une évolution selon le sexe semblable au regroupement précédent. L’emploi y a triplé chez les hommes (pour atteindre près de 90 000 en 2014) et plus que quintuplé chez les femmes (67 000 en 2014).
– Services d’enseignement : Ce secteur était en 2014 le deuxième plus féminin, avec plus de deux fois plus de femmes (190 000) que d’hommes (85 000). L’emploi y a moins augmenté que dans l’ensemble des industries, ayant même diminué de 5 % chez les hommes et augmenté moins que la moyenne chez les femmes (103 % par rapport à la moyenne de 117 %). Cette croissance plus faible que la moyenne s’explique par la baisse du nombre d’enfants et de jeunes, car la hausse du taux de fréquentation scolaire entre ces deux dates (phénomène que j’aborderai dans un prochain billet) aurait sans cela fait augmenter l’emploi bien plus fortement.
– Soins de santé et assistance sociale : Ce secteur est celui qui s’est le plus féminisé entre 1976 et 2014. Alors que les femmes y était deux fois et demie plus nombreuses en 1976, elles l’étaient plus de quatre fois plus en 2014. Le nombre d’emplois féminins y a plus de triplé pour atteindre environ 463 000 emplois, le niveau d’emploi féminin le plus élevé des industries ici présentées, alors que l’emploi masculin y a augmenté de 80 % pour à peine dépasser la barre des 100 000 emplois, au septième rang des industries du tableau pour les hommes.
– Information, culture et loisirs : À la surprise de bien des gens, l’emploi a augmenté bien plus fortement dans cette industrie que dans l’ensemble du marché du travail. Il a augmenté de 100 % chez les hommes et de 180 % chez les femmes entre 1976 et 2014. On y trouvait en 2014 environ 95 000 hommes et plus de 85 000 femmes.
– Hébergement et services de restauration : cette industrie est la troisième plus féminine, les femmes y occupant près de 60 % des emplois en 2014. La croissance de l’emploi y fut semblable à celle de l’industrie précédente, avec des hausses respectives de 120 % et 160 % chez les hommes et chez les femmes.
– Autres services : Ce regroupement compte des industries aussi bien majoritairement masculines, comme les ateliers de réparation d’automobiles, que majoritairement féminines, comme les salons de coiffure. Au bout du compte, il s’agit de l’industrie la plus égalitaire en 2014, avec 90 000 hommes et 90 000 femmes! Comme quoi l’égalité peut camoufler de grands écarts!
– Administrations publiques : cette industrie a connu un des plus grands changements dans la répartition de l’emploi selon le sexe. Alors que les hommes y occupaient 70 % des emplois en 1976, les femmes dominaient en 2014 avec 53 % des emplois. En fait, l’emploi masculin y a reculé de 5 % (à 105 000 en 2014), pendant que l’emploi féminin y a augmenté de 140 % pour dépasser 115 000 en 2014.
Et alors…
On a pu voir dans ce billet que l’augmentation de 117 % de l’emploi féminin entre 1976 et 2014 s’est concentré fortement dans quelques industries du secteur des services. De fait, près de 30 % de cette hausse s’est manifestée dans les services de santé et d’assistance sociale, alors que ce secteur ne fournissait que 14 % de l’ensemble des emplois en 2014 (8 % en 1976!). On verra la semaine prochaine si la hausse de l’emploi des femmes fut aussi concentrée dans les professions (qui sait, peut-être plus…).
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