Le PLQ, l’emploi et le suspens
Avec les données de mars de l’Enquête sur la population active (EPA), le parti libéral (PLQ) aurait pu mettre à jour son petit graphique (que je garde pour illustrer ce billet pour un deuxième mois consécutif par paresse…) en changeant «52 000 emplois» par «57 000 emplois» (peut-être l’a-t-il fait, mais je ne l’ai pas vu). En effet, l’estimation la plus récente de l’EPA montre une nouvelle hausse de 5300 emplois, pour, de fait, porter la hausse de l’estimation de l’emploi par l’EPA à tout juste 57 000 emplois entre avril 2014 et mars 2015.
Suspens…
Comme je le fais toujours quand on présente des données sur l’emploi provenant de l’Enquête sur la population active (EPA), ce qu’a fait le PLQ dans sa publicité, je vais encore les comparer avec celles de l’Enquête sur la rémunération et les heures de travail (EERH). En effet, les estimations de l’EPA comportent une marge d’erreur importante, tandis que celles de l’EERH sont beaucoup plus fiables, sans marge d’erreur, car issues d’un recensement de toutes les entreprises à partir de leur liste de paye, mais disponibles avec un ou deux mois de retard sur les premières. Par contre, l’EERH ne comptabilise pas les grévistes, les personnes en lock-out et les personnes en congé sans solde, alors que les estimations de l’EPA les considèrent en emploi.
On a vu le mois dernier que les données de l’EERH avaient ramené la hausse de l’estimation de l’EPA pour janvier de 16 000 à seulement 2500 (donnée révisée à 2800). J’avais donc hâte de voir si la hausse de l’estimation de l’EPA de 16 800 emplois pour février serait confirmée ou infirmée par les données de l’EERH. Le suspens a pris fin jeudi dernier lors de la parution des données de l’EERH pour février.
Les données de l’EERH montrent une hausse de 8600 emplois entre janvier et février 2015, soit environ la moitié de celle de l’EPA. De décembre à février, la hausse de 32 800 emplois selon l’EPA devient une hausse de 11 400, soit à peine un peu plus du tiers de l’estimation de l’EPA. L’estimation de 57 000 emplois créés depuis l’élection du PLQ en avril 2014 selon l’EPA ratatine à environ 13 000 emplois (j’ai dû comparer à la moyenne des données de l’EERH de mars et mai 2014, car les données d’avril 2014 ont indiqué une baisse ponctuelle, comme on peut le voir sur le graphique, baisse probablement due à des conflits de travail), soit entre quatre et cinq fois moins! Le graphique qui suit illustre ces évolutions divergentes.
Si, tel que je m’y attendais, les données de l’EERH ont atténué énormément la hausse de l’emploi estimée par l’EPA depuis l’élection du PLQ, la hausse de 11 400 emplois entre décembre 2014 et février 2015 m’a tout de même étonné. En effet, tous les autres indicateurs, dont le PIB – qui montre de faibles variations de 0,0 % et de 0,2 % en décembre 2014 et en janvier 2015 – et le Rapport mensuel sur les opérations financières de janvier 2015 – qui nous apprend à la page 4 que les recettes du gouvernement tirées de l’impôt sur le revenu des particuliers, recettes intimement liées à la vigueur du marché du travail, ont diminué de 28,5 % entre janvier 2014 et janvier 2015 (baisse tellement forte qu’elle est peut-être due, au moins en partie, à un calendrier différent des remises des retenues d’impôt par les employeurs et les travailleurs autonomes) et ont augmenté de seulement 0,1 % entre les 10 premiers mois de l’exercice 2013-2014 et les mêmes mois de 2014-2015 (évolution qui serait bien moins touchée par le possible changement de calendrier que j’ai mentionné) – tendent vers la stagnation. Sans remettre en question cette hausse de 11 400 emplois entre décembre 2014 et février 2015 (quoiqu’elle pourrait être due à un changement dans la saisonnalité des emplois, ce qui arrive fréquemment), j’ai bien hâte de voir si cette hausse (et celle de l’estimation de 5300 emplois en mars tirée de l’EPA) sera confirmée dans les données de mars de l’EERH. Bref, le suspens continue!
Autres facteurs
Même si la hausse de l’emploi selon l’EERH entre décembre 2014 et février 2015 se confirme, il demeure que la hausse des estimations récentes de l’EPA (de 32 800 emplois entre décembre 2014 et février 2015) est bien supérieure à celle montrée par les données de l’EERH (11 400). Il peut bien sûr s’agir d’une hausse qui va s’estomper dans les mois à venir (ce que je pense), mais elle peut être la conséquence d’un autre facteur. En effet, Statistique Canada nous informait en janvier dernier (voir le paragraphe sur le Remaniement de l’échantillon dans l’encadré bleu de cette page) que : «Tous les 10 ans, l’échantillon de l’EPA fait l’objet d’un remaniement pour tenir compte des changements observés dans les caractéristiques de la population et du marché du travail de même que des nouvelles définitions des limites géographiques. L’échantillon remanié a commencé à être introduit en janvier 2015 et sera entièrement mis en œuvre en juin 2015». Ce changement de méthodologie serait-il à l’origine du saut dans l’estimation de l’emploi depuis janvier 2015? Possible, mais encore là, il faudra attendre quelques mois pour pouvoir l’affirmer. Je le répète, le suspens continue!
Et alors…
Il peut sembler décourageant de devoir, mois après mois, vérifier de nombreuses sources différentes (aucune n’étant suffisante en elle-même), suivre les changements méthodologiques apportés par Statistique Canada et, au bout du compte, ne jamais être certain de ce qui se passe vraiment sur le marché du travail, mais, ce genre d’incertitude est ce qui est pour moi le plus intéressant dans l’analyse de données! J’adore le suspens!
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