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Est-ce que tout peut changer?

11 mai 2015

naomi KleinTout peut changer, Capitalisme et changement climatique de Naomi Klein porte sur le changement climatique et sur ses liens avec le mode de vie qui accompagne le capitalisme. La thèse centrale de l’auteure est qu’on doit modifier radicalement ce mode de vie pour pouvoir restreindre le réchauffement climatique à un niveau viable.

Comme il est impossible de résumer convenablement tous les angles abordés par ce livre, je vais ici m’attarder à un seul de ses chapitres et mentionner quelques-uns des autres thèmes que l’auteure analyse dans les autres.

La droite voit juste

Le titre du premier chapitre suivant l’avant-propos, La droite voit juste, est pour le moins intrigant, surtout dans un livre qui associe d’aussi près le capitalisme au réchauffement (ou chaos) climatique. Il est aussi très pertinent!

L’auteure débute ce chapitre en racontant le déroulement d’une conférence du Heartland Institute, un groupe de pression qui nie le réchauffement climatique. Elle cite entre autres un intervenant qui affirmait que la lutte contre le réchauffement climatique est en fait une attaque contre le capitalisme (affirmation semblable à celle de Stephen Harper qui a déjà associé cette lutte à un complot socialiste). Cette citation est en fait bien modérée par rapport à celles d’autres intervenants qui comparent les mouvements environnementalistes à l’Inquisition catholique, au nazisme hitlérien ou au stalinisme…

L’auteure poursuit en montrant que les opinions sur le réchauffement climatique sont intimement liées à l’orientation politique. Que ce soit aux États-Unis entre les partisans des républicains et des démocrates, ou au Canada entre ceux du NPD, du parti libéral et des conservateurs, la proportion des partisans de ces partis qui considèrent réel le réchauffement climatique et l’attribuent à l’être humain est toujours beaucoup plus élevée chez les personnes qui appuient des partis de gauche que chez celles qui accordent leur vote aux partis de droite. D’autres recherches ont montré un clivage semblable entre les personnes penchant pour une société plus égalitaire et celles qui sont plus individualistes. Ce clivage est, selon certains chercheurs, dû au biais culturel (forme de biais de confirmation) «un processus par lequel chacun (…) filtre toute information nouvelle de manière à protéger sa «vision préférée d’une bonne société». Si l’information nouvelle semble confirmer cette vision, il l’accepte et l’intègre facilement. Si elle menace son système de croyances, son cerveau se met à produire des anticorps intellectuels afin de repousser cette invasion importune».

L’auteure avance que les gens de droite ont raison de craindre que les politiques de lutte contre le réchauffement climatique attaquent leur «vision préférée d’une bonne société», donc le capitalisme. Si certains tentent de convaincre la population que les mécanismes de marché (comme les systèmes de plafonnement et d’échange de droits d’émission, ou bourses de carbone) peuvent lutter efficacement contre lui, la droite sait bien qu’une diminution majeure de la consommation d’énergies fossiles signifierait la fin de leur mode de vie. Pire, pour limiter le réchauffement climatique, il faudrait :

  • interdire certaines activités polluantes et en réglementer strictement d’autres;
  • imposer des amendes salées aux contrevenants;
  • subventionner les solutions écologiques;
  • augmenter les taxes (surtout sur certains produits) et les impôts;
  • financer des travaux d’infrastructure, en favorisant notamment la construction de logement à haute densité et le développement du transport en commun au détriment du transport individuel;
  • donner plus de pouvoir à des institutions internationales,
  • aider les pays pauvres entre autres par des transferts technologiques;
  • etc.

Toutes ces actions nécessaires affrontent directement les valeurs de la droite et s’attaquent, comme elle le prétend, aux fondements du capitalisme, mettant de l’avant des principes de collaboration (plutôt que de concurrence), l’intervention du secteur public, la réglementation, les avantages de hausses de taxes et d’impôts et le contrôle des marchés. La droite a donc raison de craindre la lutte au réchauffement climatique!

Les négationnistes du réchauffement climatique ont même mieux compris ce «danger» que les membres de la droite et du centre droit qui reconnaissent le réchauffement climatique et l’attribuent à l’être humain, mais qui prétendent pouvoir s’y attaquer par de petits gestes qui ne remettent pas en question notre mode de vie, ni notre système économique, exactement ce qu’on voit actuellement au Québec.

Que ce soit en niant le réchauffement climatique ou en faisant croire qu’on peut le maintenir à un niveau viable sans changer notre mode de vie, la droite a, selon l’auteure, remporté la première manche :

«(…) la véritable cause de l’inertie actuelle face au changement climatique tient au fait que les mesures nécessaires menacent directement le paradigme économique dominant (qui combine capitalisme déréglementé et austérité) et le mythe fondateur de la culture occidentale (selon lequel l’être humain ne fait pas partie de la nature et peut se jouer de ses limites), de même que bon nombre des activités qui forgent nos identités et définissent la vie collective (la consommation, le virtuel, un peu de consommation supplémentaire…). De telles mesures sont aussi synonymes d’extinction pour des industries – celles du pétrole et du gaz – dont la prospérité et le pouvoir sont sans précédent, mais qui ne pourront subsister dans leur forme actuelle si nous autres humains désirons éviter notre propre annihilation. Pour résumer : si nous n’avons pas relevé ce défi, c’est parce que nous sommes emprisonnés – politiquement, physiquement, culturellement. Et c’est seulement quand nous reconnaîtrons l’existence de nos chaînes que nous aurons une chance de nous en libérer.»

Autres thèmes

Voici certains des autres thèmes abordés dans ce livre :

  • le financement des négationnistes;
  • la priorité accordée au commerce sur la lutte au réchauffement climatique;
  • la privatisation de la gestion de l’énergie;
  • le rôle de la planification et de la réglementation;
  • le mirage des marchés du carbone (un des meilleurs chapitres, clair et scandaleux…), comme celui dont on se félicite de voir l’Ontario y entrer…;
  • l’illusion des riches qui prétendent consacrer leur fortune à la lutte au réchauffement climatique (comme Richard Branson);
  • un autre mirage : la géo-ingénierie;
  • l’efficacité (relative) des mesures de blocage (notamment par les autochtones un peu partout sur la Terre);
  • l’effet sur la fertilité du pétrole, des gaz, des produits chimiques, de la pollution et du réchauffement climatique.

Et alors…

Alors, lire ou ne pas lire? En commençant ce livre, je craignais que le style journalistique de l’auteure fasse en sorte qu’elle se concentre davantage sur des anecdotes que sur des présentations plus globales. Je n’avais pas totalement tort, mais ce style est dans ce cas un atout. En effet, ce livre se lit très bien et les très (très) nombreuses anecdotes servent à bien illustrer les propos de l’auteure et les présentations plus globales des thèmes qu’elle aborde. On doit aussi souligner la profondeur et l’exhaustivité de ses recherches (et de celles de son équipe) qui permettent d’en apprendre d’un chapitre à l’autre.

Des bémols? Oui, deux. Le livre est un peu long et la répétition d’histoires semblables peut lasser. Et, comme c’est rendu quasiment inévitable, je déplore que les notes (64 pages…) aient été mises à la fin. Par contre, ces notes sont composées en très grande majorité de sources, qu’il n’est pas nécessaire de consulter. Les notes explicatives sont presque toutes en bas de page, même s’il y en a quelques-unes à la fin.

Par ailleurs, je trouve l’auteure un peu trop optimiste à mon goût. Alors qu’elle montre très bien que, si on veut limiter le réchauffement climatique à un niveau viable (soit une hausse d’au plus deux degrés Celsius), on doit changer de façon majeure notre mode de vie, elle base son optimisme relatif sur quelques victoires certes importantes (comme le moratoire de l’exploitation des gaz de schiste au Québec), mais pas déterminantes. Et, comme elle le montre aussi, si ces victoires ne font que délocaliser les émissions, cela ne règle nullement le problème de fond.

Malgré ces bémols et petits désaccords (vraiment pas nombreux), ce livre est à lire par toute personne qui s’intéresse à la question fondamentale qu’est le réchauffement climatique.

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4 commentaires leave one →
  1. Raymond Lutz permalink
    25 mai 2015 10 h 07 min

    Vous écrivez « niveau viable soit une hausse d’au plus deux degrés Celsius » Hmmm, une hausse de 2C au-delà des températures dites normales (clin d’oeil) ne sera pas viable pour de nombreuses communautés et de nombreuses espèces.

    http://www.theguardian.com/environment/2014/oct/01/2c-climate-change-target-global-warming-nature-paper

    PS: Super blogue! Content d’avoir trouvé une voix québecoise traitant d’économie et d’alternatives socio-économiques. Bon, oui, expression fourre-tout qui ne veut rien dire… 😎

    J’aime

  2. 25 mai 2015 11 h 56 min

    C’est vrai que, même à 2 degrés, il y aurait des conséquences désastreuses. Mais, elles seraient bien pires au-delà, possiblement incontrôlables (avec entre autres le méthane emprisonné dans la glace qui pourrait s’échapper). cela dit, merci pour l’article et pour les bons mots!

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