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La mortalité infantile aux États-Unis

6 juin 2015

mortalité_infantileEn septembre dernier, deux études différentes mais complémentaires furent publiées sur la mortalité infantile aux États-Unis. La première est intitulée International comparisons of infant mortality and related factors: United States and Europe 2010 (Comparaisons internationales de mortalité infantile et les facteurs liés aux États-Unis et en Europe en 2010) et la deuxième Why is infant mortality higher in the US than in Europe? (Pourquoi la mortalité infantile est-elle plus élevée aux États-Unis qu’en Europe?). J’ai cru un instant qu’il s’agissait de deux versions de la même étude, mais non. Encore une fois, j’ai pris connaissance de ces études grâce à l’indispensable blogue de Mark Thoma, Economist’s View.

La première…

… de ces deux études débute en observant que le taux de mortalité infantile aux États-Unis (6,1 par 1000 naissances) était en 2010 un des plus élevés des 34 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), seuls le Chili, le Mexique et la Turquie affichant un taux supérieur. Même en excluant la mortalité des enfants nés avec moins de 24 semaines de gestation pour rendre les taux comparables (les pays n’ont pas tous les mêmes critères pour définir la mortalité infantile), le taux des États-Unis demeure plus de deux fois plus élevé que celui de certains pays comme la Finlande, la Suède et le Danemark. Pourtant, le taux de mortalité infantile aux États-Unis est comparable à celui de ces pays pour les enfants nés après une gestation de 24 à 31 semaines (prématurés). Par contre, il est le deuxième plus élevé chez ceux nés après une gestation de 32 à 36 semaines et demeure parmi les pires chez ceux nés après une gestation de 37 semaines ou plus.

L’étude montre que, si le taux de mortalité infantile aux États-Unis est semblable à celui des pays européens chez les enfants prématurés, leur fréquence est beaucoup plus élevée (9.8 % des naissances par rapport à une moyenne de 5,9 % dans les trois pays cités). Cette plus grande fréquence expliquerait par exemple près de 40 % de la différence du taux de mortalité infantile entre les États-Unis et la Suède. Constatation plus étonnante, près de 50 % (47 %, pour être plus précis) de cette différence s’explique par le taux de mortalité plus élevé chez les enfants nés après une gestation de 37 semaines ou plus. La plus forte mortalité chez les enfants nés après une gestation de 32 à 36 semaines, de son côté, ne compte que pour 6 % de la différence.

Quoique pertinente, cette étude nous laisse sur notre faim, car elle n’aborde nullement les raisons qui pourraient expliquer les différences observées. Par exemple, pourquoi y a-t-il plus de naissances prématurées aux États-Unis? Pourquoi le taux de mortalité est-il tellement plus élevé chez les enfants nés après une gestation de 37 semaines ou plus? On peut bien s’en douter, mais l’utilité d’une étude est autant sinon plus d’expliquer ces écarts que de les observer…

La deuxième…

… étude est à la fois plus volumineuse, plus complexe et plus complète. Au lieu de comparer la situation aux États-Unis avec celle en Suède, elle se sert plutôt des données sur la mortalité infantile en Finlande et en Autriche. Les auteurs expliquent que ce sont les pays qui fournissent le plus de données (36 variables, non seulement sur la période de gestation, mais aussi sur le poids à la naissance, la profession des parents, l’âge de la mère, son origine ethnique, son niveau de scolarité, son état matrimonial, la cause de la mort, etc.). En plus, le fait de comparer les données des États-Unis avec un pays dont le taux de mortalité infantile est un des plus bas (la Finlande) et avec un autre dont le taux est plutôt dans la moyenne européenne (l’Autriche) permet d’examiner la situation sur plus d’angles différents. Finalement, cette étude utilise les données de six années différentes (2000 à 2005), permettant ainsi d’éviter des écarts possiblement momentanés.

Le taux de mortalité infantile au cours de cette période fut de 6,8 par 1000 naissances aux États-Unis, de 4,0 en Autriche et de 3,2 en Finlande. Si on ne retient que les enfants nés après 22 semaines de gestation et pesant au moins 500 grammes, l’écart diminue (de 43 % avec la Finlande et de 39 % avec l’Autriche, ce qui est cohérent avec les constats de l’étude précédente), mais demeure important : 4,65 aux États-Unis, 2,94 en Autriche et 2,64 en Finlande. Dans cet échantillon, la durée de gestation est semblable aux États-Unis et en Autriche (respectivement 38,8 et 38,6 semaines), mais est plus élevée en Finlande (39,4 semaines). De même, le poids à la naissance est semblable aux États-Unis et en Autriche (respectivement 3,33 et 3,34 kilos), mais nettement plus élevé en Finlande (3,55 kilos). Les auteurs calculent que si le poids moyen de l’ensemble des bébés nés aux États-Unis était égal à celui des bébés nés en Finlande, cela lui permettrait de réduire de 75 % l’écart du taux de mortalité entre ces deux pays. Cela dit, parmi les naissances avec des poids «normaux», le taux de mortalité est toujours beaucoup plus élevé aux États-Unis (2,3 sur 1000 naissances) qu’en Autriche (1,3) et qu’en Finlande (1,5).

Les auteurs comparent ensuite les taux de mortalité infantile en fonction de l’âge du décès du bébé. Ils distinguent ainsi la mortalité néonatale (durant le premier mois de la naissance) de la mortalité post-néonatale (entre un mois et un an). Ils constatent alors que le taux de mortalité néonatale (toujours celui des bébés nés après une gestation d’au moins 22 semaines et pesant au moins 500 grammes) est très mortalité_infantile1semblable aux États-Unis (2,3), en Autriche (2,7) et en Finlande (2,1). La différence entre les taux de mortalité infantile de ces pays est donc concentrée dans la mortalité post-néonatale (2,3 aux États-Unis 1,3 en Autriche et 1,0 en Finlande. Le graphique ci-contre illustre ce phénomène, mais seulement pour les naissances uniques (excluant les jumeaux). Il montre le taux de mortalité cumulatif au cours de la première année qui suit les naissances.

On y voit que le taux de mortalité à la naissance (au premier jour) n’est pas vraiment très différent entre les trois pays. L’écart augmente un peu au cours du premier mois, mais c’est vraiment dans les 11 mois qui suivent que l’écart se creuse.

mortalité_infantile2Le graphique suivant est encore plus éloquent. Il montre aussi le taux de mortalité cumulatif, mais seulement chez les bébés pesant au moins 2,5 kilos à la naissance. Là, on ne trouve aucune différence dans les taux de mortalité des trois pays au cours du premier mois qui suit la naissance, mais celui des 11 mois suivant est plus du double aux États-Unis (0,6 et 0,7 en Autriche et en Finlande, et 1,5 aux États-Unis). Le même phénomène s’observe chez les bébés pesant moins de 2,5 kilos à la naissance, mais avec beaucoup moins d’ampleur (voir le graphique 4(b) à la page numérotée 19 de l’étude).

Les auteurs examinent ensuite les causes de la mortalité des bébés dans les trois pays. Malheureusement, cet examen n’apporte pas vraiment d’explication, car les deux causes qui sont de loin plus fréquentes aux États-Unis qu’en Autriche et en Suède sont le syndrome de mort subite du nourrisson, sur lequel on sait peu de choses (les auteurs pensent qu’il sert un peu de déversoir dans le codage des causes de mortalité infantile), et les causes «autres». Les mortalités en raison d’accidents et d’assauts sont aussi plus nombreuses aux États-Unis, mais cela n’explique qu’une faible portion des écarts (entre 10 % et 20 %).

mortalité_infantile3Il en est de même de l’examen des caractéristiques sociodémographiques. Dans les trois pays, la mortalité est plus forte chez les familles les plus pauvres, chez celles où les mères sont moins scolarisées, ne sont pas blanches, ne sont pas mariées et sont plus jeunes (moins de 20 ans), mais la présence de ces facteurs a un impact beaucoup plus élevé aux États-Unis que dans les deux autres pays. Ce phénomène est bien illustré dans les graphiques à gauche.

Le graphique du haut montre les taux de mortalité cumulatifs dans les groupes dits avantagés (mères fortement scolarisées, non pauvres, mariées et blanches) : on ne voit aucune différence significative entre les trois pays. Par contre, le graphique du bas montre clairement que le taux de mortalité, surtout dans les 11 mois suivant le premier mois après la naissance, est beaucoup plus élevé aux États-Unis. Alors que la différence du taux de mortalité infantile entre les groupes avantagés et désavantagés n’est au maximum que d’un point (de 2,0 à au maximum 3) en Autriche et en Finlande, elle est de plus de trois points (de 2,0 à plus de 5) aux États-Unis. En outre, le groupe désavantagé est nettement plus important aux États-Unis (22,0 % des naissances) qu’en Autriche (18,5 %) et qu’en Finlande (16,2 %).

Ce dernier angle d’analyse montre que la totalité de la différence dans les taux de mortalité infantile entre les États-Unis et les deux autres pays chez les bébés nés après 22 semaines de gestation et pesant au moins 500 grammes, provient des groupes désavantagés, surtout du côté de la mortalité post-néonatale. Les auteurs en concluent que, mis à part les efforts qui devraient être investis pour diminuer la prévalence des naissances prématurées (qui explique, je le rappelle, 75 % l’écart du taux de mortalité entre les États-Unis et la Finlande), la priorité devrait être donnée à diminuer la mortalité post-néonatale chez les groupes défavorisés. Les auteurs suggèrent, entre autres, d’imiter les pays européens en favorisant des visites d’infirmières et d’autres professionnels de la santé chez les familles d’enfants de moins d’un an pour vérifier si tout va bien et donner des conseils et de l’aide au besoin. Des mesures pour faire diminuer la taille du groupe des désavantagés (en réduisant les inégalités) devraient aussi être mises en œuvre.

Et alors…

La comparaison entre ces deux études est remarquable et pleine d’enseignements. Si les constats de la première sont exacts, elle passe à côté de l’essentiel : expliquer pour pouvoir corriger. La deuxième est exemplaire. Les auteurs ont su regarder leur sujet d’étude sous tous ses angles pour en arriver à bien comprendre les causes de la différence entre les taux de mortalité infantile aux États-Unis et dans les pays qui en ont un bien inférieur. En comprenant mieux les causes, ils ont su avancer des propositions de politiques pour pouvoir refermer ces écarts. Cela dit, il est loin d’être garanti qu’elles seront mises en application!

7 commentaires leave one →
  1. 8 juin 2015 9 h 16 min

    L’étude ignore complètement le volet ethnique/culturel? Pourtant il y a là de nombreuses explications intéressantes!

    En 2008, aux États-Unis le taux de mortalité infantile des bébés afro-américains était de 92% supérieur à la moyenne nationale. Environ 30% des décès de nouveau-nés sont afro-américains aux États-Unis. Celui des bébés d’origine hispanique était de 20% inférieur à la moyenne nationale et 4% inférieur à celui des bébé blancs-caucasiens.

    L’allaitement maternel peut prévenir la mortalité infantile. Il appert que les femmes afro-américaines ont constamment des taux d’allaitement inférieurs aux femmes blanches et hispaniques.

    Par ailleurs, les Afro-Américaines ont des durées plus courtes entre les grossesses, ce qui est un facteur de risque pour les naissances prématurées.

    De plus, les enfants nés de mère adolescentes sont plus susceptibles de décéder dans la première année de vie. Les États-Unis ont 7 fois plus de naissances de mères adolescentes que la Suède, notamment parce que l’accès à l’avortement y est découragé pour motifs religieux. Les naissances de mères âgées de 19 ans et moins représentent 16.4% des naissances totales chez les noirs comparativement à 7.2% chez les blancs.

    L’obésité et le diabète sont aussi des facteurs de risques pour les naissances prématurées et la mortalité infantile. Ceux-ci sont plus prévalents aux États-Unis que dans les autres pays riches et sont plus fréquents chez les afro-américains que chez les blancs.

    Le syndrome de la mort subite du nourrisson (SMSN) est la troisième cause la plus importante de mortalité infantile aux États-Unis. Parmi les causes et facteurs de risque du SMSN, on retrouve la position de couchage (il faut mettre le bébé sur le dos!), le tabagisme et le non-allaitement, sur lesquels les parents ont le contrôle. L’autre facteur de risque est bien entendu la prématurité de la naissance. À noter que les États-Unis ont un taux de SMSN 66% plus élevés que la moyenne des pays riches. Aux États-Unis, le SMSN est significativement plus fréquents chez les noirs Afro-Américains.

    La conclusion simpliste, mais tout de même fort plausible, est que la mortalité infantile des États-Unis n’est qu’un artefact statistique découlant de la composition ethnique très particulière de ce pays. Rien de bien mystérieux.

    Mon billet sur ce sujet comporte plein de liens vers d’autres études à cet égard:

    La mortalité infantile aux États-Unis.

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  2. 8 juin 2015 9 h 50 min

    «L’étude ignore complètement le volet ethnique/culturel?»

    Non, elle en tient compte. Sauf que, comme il y a peu de «non-blancs» en Autriche et en Filande, le rôle de ce facteur est difficile à quantifier. Et, en passant, la définition de «désavantagés» tient compte des non-blancs. Pour en savoir plus, il est préférable de lire l’étude (voir notamment le tableau 1 à la page numérotée 21 et le tableau 5 de la page 25.

    «Le syndrome de la mort subite du nourrisson (SMSN) est la troisième cause la plus importante de mortalité infantile aux États-Unis»

    Voir le tableau 4 de la page 24).

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  3. benton65 permalink
    8 juin 2015 12 h 12 min

    Finalement, aussi bien dire que si l’on enlève les noirs de l’équation, le système de santé américain s’en tire plutôt bien!!!

    En réalité, c’est l’iniquité sur système en général et de la santé en particulier qui cause vraiment problème aux États-Unis.

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  4. 9 juin 2015 8 h 34 min

    @Benton

    Alors pourquoi est-ce que la mortalité infantile est inférieur chez les hispaniques comparativement aux blancs même s’ils sont pourtant plus pauvres?

    Par ailleurs, de nombreux programmes gouvernementaux se sont attaqués au problème, en tentant d’aider les pauvres qui manqueraient de soins de santé. La liste est quand même imposante, tout comme les budgets sous-jacents:

    Temporary Assistance for Needy Families program (TANF)
    Women, Infants, and Children program (WIC)
    Supplemental Nutrition Assistance Program (SNAP)
    Healthy Start Program (HSP)
    Maternal and Child Health Services Block Grants
    Federal Health Center Program
    Health Education Efforts (HHS), incluant Toll-Free Prenatal Care Line, Back-to-Sleep (prevention du SMSN), Folic acid campaign, Preventing mother-to-child HIV transmission campaign.
    Programmes de prevention (Teen Pregnancy, Family Planning, Childhood Immunization).
    Medicaid

    Le programme Healthy Start est un programme fédéral qui vise spécifiquement à s’attaquer à la mortalité infantile en finançant l’accès aux soins prénataux pour les familles à faible revenu. Le programme WIC quant à lui subventionne la distribution de nourriture aux femmes enceintes et aux jeunes enfants de familles à bas revenus.

    Selon le rapport du CRS les ayant évalués, ces programmes n’ont eu à peu près aucun impact. Il semblerait que la dynamique culturelle prédomine. Tout programme d’intervention qui ignore cela est voué à l’échec.

    De plus, il y a un aspect très important dont je n’ai pas parlé dans mon billet cité plus haut: la guerre à la drogue. La vaste majorité des prisonniers aux États-Unis purgent une peine reliée au trafic de drogue, qui est un non-crime. De tous les gens incarcérés pour des offenses liées à la drogues, 47% sont des noirs.

    Pendant que ces hommes sont en prison, la mère devient monoparentale, ce qui est un facteur de risque pour la mortalité infantile. Pour moi il ne fait aucun doute que la guerre à la drogue sévèrement menée aux États-Unis contribue indirectement à la mortalité infantile, particulièrement chez les noirs.

    Légalisons les drogues!

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  5. benton65 permalink
    9 juin 2015 13 h 00 min

    @minarchiste

    Il y a le poids de l’histoire que les hispaniques n’ont jamais véçus aux États-Unis et je parle de l’esclavage. Ça laisse des traces….

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  6. 11 juin 2015 8 h 09 min

    @benton65

    Ok, donc nous sommes d’accord ce n’est pas une question d’iniquité ou de pauvreté, mais bien de culture ethnique (ce qui n’équivaut pas à dire que « c’est de leur faute », je tiens à le préciser).

    Ceci dit, les hispaniques aussi ont vécu l’esclavage d’abord sous l’empire colonial espagnol, puis ensuite sous les juntes qui ont pris le contrôle de ces pays suite à leur indépendance.

    Le travail forcé s’appellait « encomienda » à l’époque. Je dirais que c’était probablement encore plus brutal que ce qu’on vécu les afro-américains aux États-Unis.

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  7. benton65 permalink
    11 juin 2015 10 h 57 min

    @minarchiste

    La différence c’est que la dynamique des relations entre « WASP » et « Afro-américain » et loin d’être la même entre « WASP » et « latino »….

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