Les riches au Québec en 2012
Enfin! Cela fait au moins trois mois que la version de 2012 des Statistiques fiscales des particuliers est supposée être sortie. C’est fait depuis une semaine ou deux! Je vais ici poursuivre mon habitude d’utiliser les données de ce document pour présenter la situation de nos riches, comme je l’ai fait avec les données de 2009 à 2011, et cela même s’il sont supposées être trop peu nombreux pour que ça vaille la peine de les imposer davantage.
Évolution du nombre de riches au Québec
Le tableau qui suit montre certaines des caractéristiques des contribuables les plus riches du Québec.
On peut y voir à la troisième colonne que, si le nombre de contribuables a augmenté de seulement 0,7 % entre 2011 et 2012, le nombre d’entre eux faisant partie des tranches de revenus supérieures, soit ceux gagnant au moins 100 000 $, a augmenté bien plus rapidement, soit entre 6,9 % et 11,2 %, en moyenne de 9,5 %, alors que ceux gagnant moins de cette somme n’ont augmenté que de 0,2 %. Il est certain que le fait que ces données soient présentées en dollars courants explique une partie importante de cette hausse (100 000 $ en 2011 valait un peu plus que 100 000 $ en 2012, car, en tenant compte de l’inflation de 2,1 % au Québec en 2012, la hausse globale des personnes gagnant 100 000 $ et plus passe de 9,5 % à environ 5,6 %. Il n’empêche que cette croissance de 5,6 % est beaucoup plus élevée que celle de l’ensemble des contribuables et même 14 fois plus forte que la hausse du nombre de contribuables gagnant moins de 100 000 $ (0,4 %, en tenant compte de l’inflation).
Cela dit, nos riches sont moins nombreux que ceux du reste du Canada. En effet, en jumelant ces données avec celles des statistiques fiscales des particuliers pour 2012 pour l’ensemble du Canada, on observe que la proportion de contribuables qui gagnent au moins 250 000 $ est de 0,68 % au Québec, mais de 0,90 % dans le reste du Canada, soit une proportion qui est plus élevée de 33 %. Par contre, le revenu moyen de ces super-riches était semblable, en fait même un tantinet plus élevé au Québec (542 200 $ au Québec par rapport à 540 200 $ dans le reste du Canada).
Comme ces données viennent de sources différentes, les comparaisons ne sont pas parfaites. Par exemple, on dénombrait dans les données canadiennes 6 224 850 contribuables du Québec (voir la page 3), alors que le document du Québec en considère 6 414 021, soit 3 % de plus (ce qui est normal, car le document du Québec est publié quelques mois plus tard, ce qui permet de comptabiliser plus de déclarations de revenus remises en retard). Cela ne change pas grand chose. En effet, même s’il n’y avait aucun contribuable parmi ceux qui les remettent en retard qui gagnait au moins 250 000 $, cela ne ferait passer la différence dans la proportion de contribuables gagnant 250 000 $ et plus de 33 % à 28 %. On n’en sort pas, il y a une plus forte proportion de super-riches dans le reste du Canada. Par contre, cela n’empêche pas la proportion de riches au Québec d’augmenter fortement année après année!
Autres caractéristiques
Les quatrième et cinquième colonnes (intitulées «Revenus» et «Impôts»), montrent que si les 5,2 % des contribuables les plus riches, soit ceux gagnant au moins 100 000 $, payaient 34,2 % des impôts en 2012, ils gagnaient 24,5 % des revenus, soit près de cinq fois plus que la moyenne! Et ceux qui gagnaient 250 000 $ et plus par année ont accaparé 9,1 % des revenus, soit entre 13 et 14 fois plus que leur proportion parmi les contribuables (0,68 %). Comme mentionné auparavant, ils ont en moyenne amassé près de 542 200 $ chacun, soit 18 fois plus que le contribuable médian (celui dont la moitié gagne plus que lui et la moitié moins).
Il est aussi intéressant de noter que les contribuables qui ont gagné 250 000 $ et plus par année (avec en moyenne un revenu de près de 542 200 $, je le rappelle) ont payé 15,3 % de leurs revenus totaux en impôt provincial, soit moins que le taux versé par ceux qui ont gagné entre 200 000 $ et 249 999 $ (15,7 %), et un peu moins de 44 % de plus que la moyenne (10,6 %, en tenant en compte les 37,0 % des contribuables qui n’en n’ont pas payé du tout même s’ils ont gagné 11,4 % de tous les revenus, dont 454 avaient gagné 250 000 $ ou plus). On vante pourtant notre système progressif d’imposition, alors qu’il est en fait un de ceux qui le sont le moins, avec, en 2012, un taux maximal d’imposition de 24 %, à peine 50 % de plus que le taux le plus bas (16 %), alors que la différence est bien plus grande au fédéral (les taux passant de 15 % à 29 %, une différence de 93 %).
Les deux dernières colonnes de ce tableau montrent que les plus riches bénéficient de façon hors-norme des deux types de revenus qui sont imposés à un taux inférieur à celui appliqué aux autres types de revenus. Les contribuables ayant gagné 250 000 $ et plus par année ont en effet accaparé 49,6 % des gains en capital (73 fois plus que leur proportion parmi les contribuables!), imposés à 50 % de leurs valeur, et 41,8 % des dividendes, eux aussi imposés à un taux moindre (réduction dépendant du type de dividendes…). En fait, comme seulement la moitié des gains en capital sont déclarés comme revenus et que les 18 631 des 43 589 contribuables ayant gagné 250 000 $ et plus en 2012 en ont déclaré en moyenne plus de 93 000 $, on voit que ces personnes ont en fait gagné en moyenne 93 000 $ de plus que ce qu’elles ont déclarés. Et, c’est légal! En tenant compte tous leurs gains en capital, leur taux d’imposition se retrouve à seulement 14,26 %, cette fois seulement 36 % de plus que la moyenne de 10,5 % (ajustée elle aussi aux gains en capital)!
Mais, il y a plus. On peut en effet obtenir un crédit sur cette moitié de gains en capital (un maximum de 375 000 $ à vie, qui représente en fait 750 000 $ de gains, puisqu’on n’en déclare que la moitié) si ce gain résulte de la vente «d’un bien agricole admissible, d’un bien de pêche admissible, d’actions admissibles de petites entreprises ou de certains biens relatifs aux ressources» (voir la définition de la ligne 52 à la page numérotée 267). Et quelle proportion de ces crédits sont allés en 2012 à nos contribuables ayant gagné 250 000 $ et plus? 56,7 %, soit 83 fois plus que leur proportion parmi les contribuables…
Je dois ici préciser que les contribuables qui profitent de cette déduction ne font souvent partie de la classe des 250 000 $ et plus qu’une seule fois dans leur vie, soit justement l’année où ces personnes vendent leurs biens, souvent l’équivalent de leur régime de retraite. Il est important de bien comprendre cette question, sinon, on s’étonnera, comme l’a fait le blogueur Michel Pepin de Radio-Canada dans ce billet paru cette semaine, que 927 des 43 589 personnes ayant déclaré des revenus supérieurs à 250 000 $ aient touché des crédits d’impôts pour la solidarité, que 454 d’entre eux n’aient pas payé d’impôts et que 16 aient touché des sommes dans le cadre des crédits d’impôt relatifs à la prime au travail. En effet, si la valeur de leur gain en capital (lié à la vente d’un bien agricole, de pêche ou autre bien admissible à cette déduction) se situaient entre 500 000 $ et 750 000 $, ils ont déclaré plus de 250 000 $ de gains en capital et l’ont ensuite soustrait dans les déductions admissibles. S’il n’avaient pas eu d’autres source de revenu cette année-là, leur revenu imposable était égal à 0! Il est donc «normal» que ces personnes n’aient pas payé d’impôt et aient eu droit au crédit de solidarité. Si, en plus, elles avaient eu un petit revenu supplémentaire, par exemple tiré d’un emploi salarié occupé à temps partiel, elles avaient droit au crédit d’impôt relatifs à la prime au travail. Selon moi, comme cela ne peut arriver qu’une fois dans une vie et que, je le répète, ce gain en capital sert souvent de fonds de retraite, il n’y a rien de scandaleux dans ces observations. Finalement, il est bon de souligner que les gains en capital résultant de la vente d’une résidence principale ne sont simplement pas comptabilisés dans les revenus. Mais, retournons à nos vrais super-riches…
Les contribuables les plus riches bénéficient aussi de façon disproportionnée, quoique à un niveau moindre, des déductions associées aux Régimes enregistrés d’épargne retraite (RÉER). Les 0,68 % les plus riches ont bénéficié de 8,1 % de ces déductions (12 fois plus que la moyenne). Et j’imagine que si l’État ne contribuait pas à leur retraite, ils vivraient sûrement celle-ci dans la misère la plus abjecte… Voilà une bonne raison pour limiter le plafond des sommes qu’on peut déposer dans un RÉER comme le recommandent QS et la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics.
Et alors…
À chaque fois que j’écris sur ces statistiques, j’ai l’impression de me répéter. Mais, en mettant à jour les données, je m’aperçois que les proportions que je calcule pour les plus riches augmentent à chaque année, signe que l’augmentation des inégalités n’épargne pas le Québec! Je ne peux que conclure comme je l’ai fait dans mes précédents billets sur le sujet : «Et, je n’ai parlé que des sommes déclarées par les riches, pas de l’évasion fiscale, ni des paradis fiscaux…», tout en sachant que les proportions de revenus détournés dans ces paradis ont plus tendance à augmenter qu’à diminuer…
Et pourtant, le discours : «le Québec est trop pauvre en riches» a toujours son efficace [1], de même que celui de l’exode de nos meilleurs médecins, il y aurait consensus chez les économistes selon lequel le palier supérieur d’imposition ne doit pas dépasser 50%, en Suède les taxes de vente sont élevées en oubliant de préciser que les salaires sont plus élevés et que ce n’est plus le parti social-démocrate qui est au pouvoir.
Je me permets de rappeler que le cadre financier électoral de 2014 de Québec solidaire prévoyait des revenus supplémentaires de 2,07 G$ annuellement de la part des particuliers sur un total de 9,056 G$. Pas facile pour une candidate ou un candidat de briser ce discours par le porte-à-porte, avec quelques affiches et des dépliants.
J’espère, Darwin, que tu trouves libidineux d’éplucher ces statistiques fiscales et que tu ne le fais pas pour gagner ton ciel. J’ai déjà tenté d’orienter ma libido selon le pari de Blaise Pascal, mais Georges Brassens m’a convaincu que c’était une pauvre idée.
[1] J’utilise la langue du structuro-marxisme qui sévissait en sciences sociales à l’UQAM au cours des années 70 pour éviter d’écrire : «pogne». «A du succès» ne rend pas mon idée.
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«J’espère, Darwin, que tu trouves libidineux d’éplucher ces statistiques fiscales et que tu ne le fais pas pour gagner ton ciel. »
je le fais surtout pour pouvoir lire des commentaires aussi songés! 😉
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À Richard Langelier,
Je me permet de vous dire: « Le pouvère tu le prends, parsonne va te laisser. » (Maurice Duplessis)
Il n’y a rien de plus vrai dans le monde.
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