Luc Godbout et les ménages
Compte tenu de la parution des données sur l’emploi d’avril de l’Enquête sur la rémunération et les heures de travail (EERH) jeudi dernier, je comptais écrire un billet pour mettre à jour celui que j’ai publié le mois dernier sur ce sujet. Mais une étude parue le même jour me force à remettre ce billet à plus tard. Disons seulement que les estimations de l’emploi pour mai de l’Enquête sur la population active (EPA) ont montré une pause à la croissance anormale qu’elles indiquent depuis décembre 2014 et que celles de l’EERH montrent toujours une stagnation de l’emploi (hausse de 0,2 % de l’emploi depuis un an par rapport à une hausse de 1,7 % des estimations de l’EPA…).
L’étude en question s’intitule L’évolution des revenus entre 1976 et 2011 – Des éléments pour mesurer adéquatement l’enrichissement ou l’appauvrissement des ménages et a été produite par Luc Godbout et Suzie St-Cerny de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. La question de l’enrichissement ou l’appauvrissement des ménages étant très sensible, cette étude peut potentiellement se voir critiquée aussi bien par la droite que par la gauche. Avant de se prononcer, le mieux est bien sûr d’en prendre connaissance…
Les données
L’étude commence en présentant les données utilisées et les raisons qui ont porté les auteurEs à les choisir. Cette étape peut sembler fastidieuse, mais elle est pour moi essentielle pour comprendre les résultats de cette étude.
– Revenu après impôt (ou revenu disponible) : il s’agit du total des revenus reçus par un ménage (provenant du travail, du capital, de transferts gouvernementaux, etc.) moins l’impôt payé. Il s’agit du choix le plus fréquent pour ce genre d’études. Son plus grand défaut est de ne pas tenir compte des biens et services offerts par l’État, qui varient justement en grande partie en fonction de l’impôt payé. Cela dit, c’est le choix le plus judicieux, tant qu’on tient compte de ses particularités quand on analyse les résultats.
– Revenu médian : l’étude présente la plupart de ses résultats en fonction du revenu médian, revenu «qui partage exactement la population en deux : la moitié de la population dispose d’un revenu plus élevé que le revenu médian et l’autre moitié, d’un revenu moins élevé ». Cela évite d’être influencé par les valeurs extrêmes, ce qui aurait été le cas si on avait utilisé le revenu moyen. Encore là, c’est le choix qui s’impose (tant qu’on tient compte de ses particularités quand on analyse les résultats…). Cela dit, il est toujours bon de jeter aussi un œil sur le revenu moyen pour compléter le portrait.
– Dollars constants : Ce choix permet d’enlever l’effet de l’inflation. Il est encore une fois judicieux, même s’il ne tient pas compte des changements dans le panier de consommation de l’indice des prix à la consommation (IPC), indice qui sert au calcul de l’inflation. Or, le panier de 2011 est très différent de celui de 1976. Par exemple, une connexion Internet ne coûtait rien en 1976 et les ménages n’en consommaient pas, parce que cela n’existait pas! Les autos et les télés étaient différentes, les mets qu’on mange ont changé. Pire, la population sondée n’est plus la même (voir ce billet ou cette étude pour plus de précision sur les changements à l’IPC)! Il s’agit d’un point majeur : il faudra y penser quand on analysera les résultats.
– Les types de ménages : La présentation des données sans tenir compte des types de ménages (personnes seules, familles avec ou sans enfants, monoparentales et biparentales, formées de personnes âgées, etc.) ne permet pas de tenir compte de l’évolution de chacun de ces types de familles dans le temps. Or, la structure des ménages a grandement changé depuis 1976. Encore une fois, il faudra en tenir compte.
– Ajustement pour la taille des ménages : Les besoins des familles diffèrent grandement selon leur taille. Plus une famille est grande, plus d’économies d’échelles sont possibles (notamment sur le coût d’un logement, mais pour bien d’autres produits de consommation). La norme internationale est d’attribuer à chacun des membres d’une famille le revenu total divisé par la racine carrée du nombre de personnes dans un ménage. Par exemple, lorsqu’un ménage de quatre personnes gagne en tout 100 000 $, on attribuera à ces quatre membres un revenu de 50 000 $ (100 000 / racine carrée de 4 = 100 000 / 2 = 50 000 $). Bien utilisée, cette méthode permet assez bien à comparer le pouvoir d’achat de ménages de taille différente. Cela dit, elle ne nous dit pas si le nombre de personnes dans un ménage de même taille est formé d’adultes ou d’enfants. Or, les enfants étaient proportionnellement bien plus nombreux en 1976 qu’en 2011 (35,3 % de la population du Québec avait moins de 15 ans en 1976 par rapport à 21,6 % en 2011, selon le tableau cansim 051-0001). Bref, même cette méthode ne nous dispense pas d’interpréter les résultats. Même si les auteurEs présentent en détail cette méthode et la vante, leur étude ne l’utilise que dans sa dernière partie. Étrange…
– Les sources : Les auteurEs ont choisi la source la plus courante sur le sujet, soit celle qui combine les résultats de l’Enquête sur les finances des consommateurs (EFC), disponible de 1976 à 1997, et de l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR), disponible de 1993 à 2011 (les années communes ont permis de quantifier les écarts entre les deux). Toutefois, ils n’ont ici utilisé que les données de 1976 (de l’EFC) et de 2011 (de l’EDTR). C’est un choix… Mais, comme les échantillons sont relativement petits (par exemple 4 800 familles québécoises ou 8 800 personnes en 2011), les données de sous-échantillons (familles monoparentales, pesrsonnes seules, familles sans enfants, etc.) présentent des marges d’erreur importantes. J’aurais aussi préféré avoir des données pour toutes ces années, pour ne pas seulement examiner les changements entre deux années distantes de 35 ans, mais aussi les tendances entre ces deux années. Mais, bon, le choix des auteurEs permet tout de même un examen pertinent des questions examinées par leur étude.
Résultats
– Revenus médians après impôt
Le premier résultat présenté dans l’étude montre que le revenu médian de marché (tous les revenus sauf les transferts) non ajusté des ménages est passé de 48 700 $ en 1976 à 40 300 $ en 2011, en baisse de 17,2 %, alors que le revenu médian après impôts (toujours non ajusté) a diminué de seulement 3,4 %, passant de 46 500 $ à 44 900 $. Cette observation est intéressante, mais pas vraiment expliquée. On ne dit pas non plus que le minimum atteint au cours de ces 36 ans a eu lieu en 1996, avec un revenu médian après impôt de 36 300 $, une baisse de 22 % par rapport au revenu médian de 1976 et un niveau moins élevé de 19 % par rapport à celui de 2011. On voit donc que le choix de l’année de départ d’une telle série est primordiale et a de grandes conséquences sur les résultats.
Les auteurs tentent d’expliquer que la baisse entre 1976 et 2011 est moins forte du côté du revenu médian après impôt que de celui du revenu médian de marché parce que «les transferts gouvernementaux se sont accrus pour l’unité familiale médiane et que les impôts payés ont de leur côté diminué». Ce calcul est très délicat, car, quand on utilise des médianes, on ne parle pas nécessairement des mêmes personnes dans chacune des catégories. Les ménages qui reçoivent par exemple le montant médian de transferts ne gagnent pas nécessairement le revenu médian de marché ni le revenu médian après impôt (les ménages qui reçoivent le montant médian de transferts gagnent en général bien moins que la médiane dans ces deux types de revenus, une des raisons pour lesquelles ils reçoivent des transferts, et ceux qui paient le montant médian des impôts gagnent généralement plus que la médiane , quoique cela dépende de la composition de leur ménage!).
Autres exemples de cette complexité, les transferts médians ont presque triplé au cours de cette période (de 2400 $ à 7000 $), tandis que les transferts moyens n’ont même pas doublé (de 5900 $ à 9700 $). De même, l’impôt médian est demeuré stable à 5700 $ (il n’a donc pas diminué, contrairement à ce que disent les auteurEs), tandis que l’impôt moyen est passé de 9400 $ à 11 000 $, une hausse de 17 %. Finalement, si on additionne au revenu médian de marché les transferts médians et qu’on soustrait du résultat les impôts médians, on obtient au cours de chacune des 36 années de cette série un montant inférieur au revenu médian après impôt (de 2,4 % en 1976 et de 7,3 % en 2011). Bref, on peut estimer l’impact des impôts et des transferts sur le revenu moyen, mais pas de façon précise sur le revenu médian.
– Revenus médians après impôt selon les types de familles
Les auteurEs poursuivent en montrant que, si le revenu médian après impôt pour l’ensemble des ménages était plus faible en 2011 qu’en 1976, il a par contre augmenté dans chacune des catégories de ménages, comme on peut le voir au tableau suivant.
Si ce genre de paradoxe de Simpson (où le résultat de plusieurs groupes s’inverse lorsque les groupes sont combinés) est confondant, il s’explique assez bien dans ce cas. L’étude mentionne entre autres que la proportion de personnes seules dans les ménages est passée de 22 % à 37 % entre 1976 et 2011. Ainsi, même si le revenu médian de ces ménages a augmenté de 25 %, il demeure à peine un peu plus élevé que la moitié du revenu médian de l’ensemble des ménages. L’augmentation en importance de cette catégorie de ménage fait bien sûr diminuer le revenu médian de l’ensemble des unités familiales. De la même façon, la hausse de 26 % du revenu médian des ménages de personnes âgées (due en bonne partie à l’amélioration des transferts à leur intention, dont la RRQ, la pension de la sécurité de la vieillesse et le supplément de revenu garanti, mais aussi à l’augmentation du taux d’emploi des femmes au cours de cette période, faisant croître la proportion des femmes âgées qui reçoivent des pensions privées ou provenant de REÉR) le laisse plus bas que le revenu médian de l’ensemble des ménages. Comme leur proportion a augmenté considérablement (de 7,6 % de la population en 1976 à 15,7 % en 2011, selon le tableau cansim 051-0001) et a même plus que doublé (ce qui signifie qu’ils étaient plus nombreux sous la médiane en 2011 qu’en 1976), ces ménages ont finalement aussi contribué à la baisse du revenu médian de l’ensemble des ménages. Finalement, mais avec moins d’ampleur, même si le revenu médian des familles monoparentales a augmenté de plus de 60 % (hausse due en grande partie à au fait que leur taux d’emploi est passé de 27,5 % en 1976 à plus de 60 % en 2011, voir ce billet) leur plus grande présence (de 10 % des familles avec enfants en 1976 à 21 % en 2011 – dans le texte les auteurEs écrivent que 76 % des familles étaient biparentales en 2011, donc que 24 % des familles auraient été monoparentales, et non 21 % – selon le tableau et le texte de la page numérotée 10 de l’étude, là aussi plus du double qu’en 1976) dans l’ensemble des unités familiales a aussi fait diminuer le revenu médian de l’ensemble des ménages.
Bref, cette partie de l’étude est intéressante, mais peut-on vraiment considérer qu’une société «a accompli des progrès», comme le disent les auteurs à la page numérotée 9, quand une proportion sans cesse croissante de ses ménages est formée de familles monoparentales et de personnes seules? Oui, les groupes les plus défavorisés ont amélioré leur sort (si on ne considère pas les changements dans le panier de consommation de l’IPC), mais leur proportion dans la société a augmenté.
Il faut aussi tenir compte du fait que la proportion de la population dans les ménages privés qui avait un emploi est passée de 41,8 % en 1976 à 51,4 % en 2011, une hausse de 23 %. Cela dit, entre ces deux années, la taille moyenne des ménages privés est passé de 3,21 personnes à 2,28, une baisse de 29 %, faisant plus qu’annuler la plus forte proportion de personnes en emploi (ces données sont tirées de l’ISQ pour le nombre de ménages privés et le nombre de personnes dans ces ménages et du tableau cansim 282-0002 pour l’emploi).
Pour compléter cette section je n’ai pas pu résister à la tentation de regarder ce que cet exercice aurait donné en utilisant le revenu après impôt moyen plutôt que le revenu médian. Le tableau qui suit en donne le résultat.
On peut voir que là, le revenu moyen des ménages a augmenté plutôt que diminué comme le revenu médian l’a fait, montrant que les revenus élevés ont davantage augmenté que les revenus faibles. Par contre, les revenus moyens ont moins augmenté que les médians dans les types de ménages les plus défavorisés, montrant une amélioration notable de la situation des plus pauvres des groupes désavantagés. Même si cela montre une certaine amélioration de leur condition, il demeure, je le répète, que ces ménages désavantagés sont plus nombreux qu’avant, ce qui explique que la hausse de leur revenu moyen n’aient pas permis une plus grande augmentation du revenu moyen de l’ensemble des unités familiales.
Les revenus des familles avec enfants par quintiles
Il m’est impossible de commenter aussi précisément cette section, car les sources des données ne sont pas disponibles. Cela dit, la principale conclusion des trois premières parties de cette section me semble être que le revenu médian après impôt des familles biparentales et surtout monoparentales a davantage augmenté dans les deuxième et troisième quintiles que dans les autres. Notons que ce résultat est cohérent avec les différences que j’ai commentées plus tôt entre l’évolution du revenu médian après impôt et du revenu moyen chez les familles monoparentales et biparentales.
Ces fortes augmentations sont vraisemblablement le résultat de la hausse du taux d’emploi des femmes monoparentales (celles qui ne travaillaient toujours pas étant sûrement restées dans le premier quintile), de l’augmentation de la proportion des ménages à deux revenus chez les familles biparentales, due à la hausse du taux d’emploi des femmes, et de la hausse des transferts, comme le montre le tableau ci-contre. On notera de ce tableau que les transferts aux familles ont augmenté malgré la diminution du nombre d’enfants et qu’ils ont moins augmenté auprès des familles monoparentales, sûrement en raison de la hausse de leur taux d’emploi. Comme ces transferts sont souvent établis en fonction du revenu des familles, il est normal qu’ils bénéficient proportionnellement moins aux familles à haut revenu.
La quatrième partie de cette section aborde «Le revenu après impôts médian ajusté pour la taille de la famille». Cette section peut se résumer à l’aide du tableau qui suit (tiré de la page numérotée 15 de l’étude), tableau qui fut un des plus médiatisés lors de la sortie de cette étude.
On y constate que les plus fortes augmentations de revenu s’observent dans les trois premiers quintiles. De nombreux facteurs peuvent expliquer ce résultat. Tout d’abord, les familles avec enfants étaient bien plus grosses en 1976 qu’en 2011. Les auteurEs mentionnent d’ailleurs que «la proportion des familles de cinq, six ou de sept personnes ou plus a diminué de 35,1 % des familles à 17,2 %». Or, avec le calcul de l’ajustement, cela fait réduire beaucoup plus le revenu des grosses familles que des petites, par exemple, on divisera par 3 le revenu d’une famille de neuf personnes (car la racine carrée de 9 est 3). Comme une famille de neuf est en général composée d’une majorité d’enfants, il y a une forte probabilité que le revenu de ce ménage après impôt se retrouve dans les premiers quintiles. En plus, cette famille amènera neuf personnes dans le quintile où ses membres se retrouveront. Ainsi, une famille de neuf en 1976 qui avait un revenu de 45 000 $ se retrouvera avec 9 personnes à qui on appliquera un revenu de 15 000 $. Pour une famille de quatre gagnant 40 000 $, on divisera le revenu par deux et cette famille amènera quatre personnes dans le quintile où se classe les personnes gagnant 20 000 $. Une famille monoparentale avec un seul enfant ayant un revenu de 35 000 $ (ce qui est sous le revenu médian de 2011) verra son revenu divisé par 1,4 (la racine carrée de deux est de 1,414, que j’arrondis à 1,4) n’amènera que deux personnes dans le quintile où se situent les personnes gagnant 25 000 $ (35 000 / 1,4 = 25 000).
Ensuite, comme je l’ai mentionné auparavant, même si les familles avaient moins d’enfants en 2011 qu’en 1976, les transferts pour les familles étaient plus élevés. Comme ces transferts sont réduits pour les familles à haut revenu, il est normal qu’ils avantagent les familles à faible revenu. Ces transferts ont en fait plus d’impact quand on ajuste la taille des familles, car les familles qui ont plus d’enfants reçoivent normalement plus de transferts.
Finalement, je trouve un peu décevant que les auteurEs n’aient fait cet exercice qu’avec les ménages avec enfants, mais pas avec l’ensemble des ménages. En retirant les ménages d’une seule personne, de personnes âgées ou de couples sans enfants, on diminue bien plus l’échantillon de 2011 que celui de 1976, et on le diminue en plus de personnes qui ont des revenus bien moins élevés. Le résultat aurait-il été le même? Le tableau cansim 202-0707 permet justement de répondre à cette question comme on peut le voir dans le tableau qui suit.
Dans ce tableau comme dans le précédent, les augmentations en pourcentage furent plus élevées que la moyenne dans les trois premiers quintiles et moins élevées dans les deux derniers, mais disons que les écarts sont drôlement moins nets! Cela montre que les revenus médians après impôts se sont bien plus amélioré pour les familles avec enfants, surtout celles des premiers quintiles, que pour les autres types de ménages. Notons que cette situation s’explique en grande partie par l’augmentation des transferts bien plus élevée pour ces familles que pour les autres, politique que je ne conteste surtout pas!
Et alors…
Je dois tout d’abord mentionner que ce genre d’étude apporte sans contredit un apport important à la compréhension de l’évolution des revenus. Bien des gens ont par exemple été étonnés de voir le revenu des familles monoparentales augmenter autant, ce qui est pourtant bien vrai. Par contre, cette étude passe rapidement ou même n’aborde pas certaines nuances que je trouve importantes :
- elle ne mentionne pas du tout l’importance de la variation du panier de consommation utilisé pour calculer l’inflation; pourtant, M. Godbout connaît l’importance de ce facteur, comme on peut le constater en écoutant l’entrevue (à partir de 5 min 50) qu’il a accordée jeudi dernier à Gérald Fillion, où, au lieu de parler comme moi de l’absence de connexion Internet dans le panier de 1976, il donne comme exemple les besoins plus grands en automobiles (…) ou en téléphones cellulaires; il conclut avec cette phrase : «Si le panier [n’] avait pas évolué, on pourrait dire clairement que le pouvoir d’achat est vraiment plus grand aujourd’hui qu’il ne l’était en 1976»; or, il a dit lui même qu’il a évolué! Que vaut une conclusion lorsqu’elle est basée sur un postulat qu’on dit soi-même être faux?
- elle se réjouit (avec raison) de l’augmentation du revenu médian après impôt des ménages les plus désavantagés, comme les familles monoparentales et les personnes seules, mais ne se désole pas de l’augmentation de leur proportion dans la population;
- elle n’apporte pas, selon moi, suffisamment de nuances dans les conséquences de la diminution de la taille des ménages et dans l’interprétation de l’utilisation du revenu après impôts médian ajusté pour la taille d’un ménage;
- elle n’utilise pas l’ajustement de la taille des ménages dans les premières sections. ce qui aurait pourtant été intéressant et aurait peut-être donné des résultats différents (et je ne dispose pas des données pour le faire); par exemple, le poids des personnes seules (qui ont le revenu médian le plus bas, mais qui n’aurait pas diminué, car la racine carrée de 1 est 1) aurait été grandement diminué et celui des familles avec enfants aurait augmenté;
- elle insiste davantage sur les familles avec enfants que sur les autres ménages, ce qui n’est pas mal en soi, mais laisse complètement de côté les autres types de ménages dans sa troisième partie.
Cela dit, cette étude aura aussi permis de discuter de ces données qui sont trop souvent utilisées de façon inadéquate selon la thèse qu’on veut défendre, alors que l’interprétation qu’on doit leur donner est beaucoup plus complexe que la plupart des gens ne le pensent.
En lisant l’article http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/443567/les-chiffres-decodes-autrement-et-si-les-quebecois-etaient-plus-riches-qu-on-le-pretend , j’avais eu l’impression que pour Luc Godbout et Suzie St-Cerny, l’accroissement des inégalités des revenus de marché n’est pas inquiétant s’il y a paiements de transfert. Comme ces paiements sont financés par l’impôt des particuliers et des entreprises [1], ma crainte c’est que le tissu social se désagrège encore plus.
As-tu l’impression, Darwin, que Luc Godbout et Suzie St-Cerny ne s’inquiètent pas de cet accroissement des inégalités des revenus de marché?
[1] Il faut bien réduire l’impôt des entreprises puisque tout le monde le fait, rapport que nous avons signé des traités commerciaux nous obligeant à le faire. Pourtant au Québec, le coût de l’électricité étant très avantageux pour les entreprises, il me semble qu’il n’y aurait pas de déménagements massifs si l’impôt des entreprises était un peu plus élevé que dans la moyenne des autres provinces.
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«As-tu l’impression, Darwin, que Luc Godbout et Suzie St-Cerny ne s’inquiètent pas de cet accroissement des inégalités des revenus de marché?»
Je me suis efforcé en rédigeant ce billet (et ce ne fut pas facile) de ne pas prêter d’intention aux auteurs. Je ne le ferai pas plus en commentaires. Désolé!
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Si je te pose la question : «Suis-je dans’patates lorsque j’affirme qu’Éric Desrosiers prétend que Godbout et St-Cerny pensent que ce n’est pas grave qu’il y ait accroissement des inégalités des revenus de marché s’il y a paiements de transfert?», tomberas-tu dans le panneau?
Je suis conscient que ma question te paraîtra pataphysique. Mes amours philosophiques [1] me portent à me poser la question : «dans : il est vrai qu’il est vrai qu’il pleut, y a-t-il un il est vrai de trop?». Au lieu de compter des moutons, je compte des il est vrai pour m’endormir.
Moins sérieusement, je me dis parfois que les inégalités de revenus de marché corrigés correctement par les paiements de transfert, ce serait la vie rêvée des anges. Le hic, c’est le concept «économie de marché» me semble correspondre à la définition de la concurrence pure et parfaite. Comme je n’y crois pas (je tolère «économie de marché régulée»), le concept «revenu de marché» m’angoisse, alors je dois compter encore plus de il est vrai pour m’endormir.
Comme Jeanne Émard n’est pas un courrier du coeur, je ne te demande pas de recettes, Darwin, pour résoudre mes problèmes philosophiques sans les dissoudre, n’en déplaise à Ludwig Wittgenstein.
[1] L’amour de l’amitié de la sagesse semble aussi pléonastique que «un infini sans bornes de Victor Hugo», mais Koval a écrit qu’il existe des bornes sans infini dans une certaine branche des mathématiques.
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«tomberas-tu dans le panneau?»
Comme je réponds (sans répondre), on peut dire que oui. 😉
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Pour vraiment réfuter la thèse Godbout-St-Cerny il faudrait démontrer rigoureusement que les revenus des ménages — des classes sociales moyennes et inférieures — ont diminué depuis 35 ans. Nous n’y sommes pas encore arrivés, mais est-ce bien grave pour la gauche? La droite aussi récupère l’argument alarmiste selon lequel le Québec s’appauvrit et manque de riches.
Il est possible que le Québec se soit légèrement et généralement enrichi au cours des 35 dernières années, parallèlement à une explosion de la dette et à l’arrivée de plus de femmes sur le marché du travail. Mais qu’en est-il des 15 dernières années, où nous contrôlons notre dette au prix de mesures de restriction budgétaires et de baisses d’impôt aux particuliers et aux entreprises? Ces données sont également plus fiables en ce que les formes des ménages se stabilisent, on pourrait donc comparer des pommes avec des pommes.
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@ Diogène
Quel «hasard», j’ai justement mentionné Diogène aujourd’hui dans un commentaire sur Facebook. Mais, je ne parlais pas de vous! 😉
«Pour vraiment réfuter la thèse Godbout-St-Cerny il faudrait démontrer rigoureusement que les revenus des ménages — des classes sociales moyennes et inférieures — ont diminué depuis 35 ans.»
Je ne suis pas d’accord. On peut réfuter une thèse en montrant qu’une étude ne mène pas nécessairement aux conclusions de son auteur (ici, de ses auteurEs). C’est ce que je crois avoir réussi avec ce billet. Comme je considère que les revenus d’une époque éloignée ne peuvent pas vraiment se comparer avec les revenus actuels, je me serais moi-même contredit si j’avais prétendu arriver à la conclusion que vous mentionnez.
«Ces données sont également plus fiables en ce que les formes des ménages se stabilisent, on pourrait donc comparer des pommes avec des pommes.»
Pour les 15 dernières années, la comparaison serait de fait moins influencée par le changement du panier de consommation (quoique, les téléphones interactifs, par exemple, étaient pas mal moins répandus). En plus, le nombre de personnes par ménage a diminué de plus de 8 % entre 1996 et 2011, la proportion de ménages ne comptant qu’une seule personne a augmenté de 23 %, la proportion de familles qui sont monoparentales de 19 %. Et je ne parle pas de la croissance du nombre de ménages dont le soutien est âgé de 65 ans et plus (bizarrement, la donnée pour 2011 n’est pas sur le site de l’ISQ, mais la hausse est très forte, soit de 14 % en 10 ans, de 1996 à 2006).
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Après avoir lu la digestion journalistique de l’étude en question par Francis Vailles de La Presse et la conclusion contenu dans le titre « Les Québécois s’appauvrissent? Faux. », je me suis demandé instinctivement où est l’erreur? (un instinct rempli de préjugé!)
Ma première réaction fût de me demander si l’étude prenait en compte l’endettement des ménages et dans le cas contraire, est-ce une erreur la négliger?
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@ Philippe L’Heureux
«Ma première réaction fût de me demander si l’étude prenait en compte l’endettement des ménages et dans le cas contraire, est-ce une erreur la négliger?»
Oui et non! L’étude est axée sur les revenus, pas sur ce qu’achètent les ménages avec ces revenus. Cela dit, le sujet est connexe. Il rejoint ce que j’ai écrit dans le billet sur l’évolution du panier de consommation (dont le contenu peut aussi bien être acheté avec des revenus qu’avec des emprunts) ou des besoins croissants des ménages. Par contre, l’endettement est aussi lié à l’achat d’actifs, comme des maisons, qu’on ne peut pas considérer comme une dépense de consommation. Cela dit, l’endettement pour les produits de consommation est aussi en hausse, même si moins que l’endettement hypothécaire. J’ai mis de côté une étude sur le sujet (endettement et actifs) sur laquelle j’écrirai peut-être un jour…
Quant à la chronique de M. Vailles, j’avais noté son adresse Internet, mais je n’en ai finalement pas parlé. Le billet était déjà assez long comme cela!
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Un passage du billet de Francis Vailles m’a fait sursauter : «Cela dit, il est possible que les exigences de consommation soient plus grandes aujourd’hui qu’à l’époque, bien qu’il ne soit toujours clair qu’il s’agisse de besoins essentiels. Par exemple, certaines familles ne peuvent se priver de leurs deux voitures ou de leurs téléphones intelligents, ce que les familles n’avaient pas à l’époque. Est-ce vraiment toujours nécessaire?»
L’expression «téléphone intelligent» me donne des boutons. C’aurait déjà été nécessaire? Ce ne le serait plus? Ah bon! Que voilà une grave question existentielle que je n’ai jamais eu à me poser! Francis Vailles approuve-t-il une amélioration du financement du transport en commun de la part du gouvernement provincial proposée par Québec solidaire dans sa plate-forme électorale? Lorsqu’il faut aller reconduire un enfant au CPE, un autre à l’école, le conjoint au travail et se rendre soi-même au travail et refaire le chemin en sens inverse en fin de journée, je me vois mal critiquer le couple qui a deux voitures en ce moment.
D’autre part, j’ai lu cette lettre ouverte d’Amir Khadir http://www.journaldemontreal.com/2015/06/29/sommes-nous-plus-riches-ou-plus-pauvres-lettre-ouverte-au-fiscaliste-luc-godbout en lisant ce billet de Youri Chassin http://www.journaldemontreal.com/2015/06/29/amir-khadir-critique-liris . Je médite.
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«L’expression «téléphone intelligent» me donne des boutons»
Tu as sûrement remarqué que je parle de téléphones interactifs… Moi, c’est la notion de «nécessaire» qui m’indispose encore plus. Ce qui n’est pas nécessaire pour les uns (je n’ai pas de téléphone interactif) l’est pour d’autres pour ne pas se sentir exclu (un jeune).
«Je médite.»
Tu ne dois pas me lire sur Facebook. J’y ai critiqué la lettre d’Amir…
«Je suis un peu mal à l’aise avec certaines parties de la lettre d’Amir. Par exemple :
«Mais comment diable la moyenne de tous les individus peut-elle s’appauvrir alors que les familles s’enrichissent? C’est là le tour de magie de votre analyse.»
Tout d’abord, je cherche dans l’étude où on peut lire une telle chose et ne trouve pas, ensuite, l’étude utilise surtout des médianes et finalement, oui une moyenne globale peut diminuer même quand toutes les parties de cette ensemble augmentent. Ça s’appelle un paradoxe de Simpson (pas Homer, ni Bart…) et ce n’est pas magique. J’explique tout ça dans mon billet (https://jeanneemard.wordpress.com/2015/06/27/luc-godbout-et-les-menages/). j’explique aussi que la hausse du travail des femmes, bien réel, ne compense pas la baisse du nombre de ménages.
L’étude en question comporte de fait de nombreux problèmes, mais pas ceux là (quoiqu’elle devrait de fait tenir compte de nombreuses nuances).»
Et je cite ensuite ma conclusion…
Quant à Youri Chassin, il n’a pas totalement tort, mais il s’égare dans sa haine de l’IRIS… Il cite une des études de l’IRIS pour prouver son point (là où il n’a pas tort), mais reproche ensuite à Amir de trop lire l’IRIS… qu’Amir (ou son recherchiste) n’a manifestement assez lu (j’ajouterais qu’il ne pas pas assez lu non plus!). Comprenne M. Chassin qui le peut!
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Le lien que donne Chassin pour «autre chose que l’IRIS est «Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste». Il pense sûrement que les altermondialistes ne connaissent pas la thèse des avantages comparatifs de Ricardo et s’opposent au commerce entre les peuples. J’ai lu son billet uniquement à cause du titre.
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«Le lien que donne Chassin pour «autre chose que l’IRIS est «Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste».»
Je ne savais pas. J’avais juste pointé sur ce lien et quand j’ai vu que ça menait sur une page de l’IÉDM, j’ai considéré que j’en savais assez sur cette autre chose…
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