La publicité est-elle utile ou seulement nuisible?
Dans un billet datant de plus de quatre ans (tempus fugit…), je montrais que l’impression que nous avons que la publicité nous permet de bénéficier «gratuitement» ou moins cher de la télé, de sites Internet, de spectacles et même l’utilisation du métro, sans parler de plein d’autres produits, n’est qu’une illusion : au bout du compte, c’est nous qui payons cette publicité, car les entreprises qui font la promotion de leurs produits augmentent le prix de leurs biens ou services en fonction de leur coûts, dont la publicité fait partie. Je soulignais aussi que la source des revenus de cette «industrie» est étrange, car les personnes qui payent pour la publicité ne sont pas nécessairement celles qui utilisent les services «gratuits» (ou moins chers), mais celles qui achètent les produits des annonceurs, peu importe qu’ils utilisent ou non les services financés par la publicité. Je n’y avais pas pensé à l’époque, mais on pourrait dire que la publicité est une taxe (celui qui la paie ne se sert pas nécessairement des produits qu’elle finance), taxe qui est utilisée pour financer des services sans aucun contrôle démocratique!
Or, j’ai lu cette semaine un texte philosophique intitulé Is Advertising Morally Justifiable? The Importance of Protecting Our Attention (La publicité est-elle moralement justifiable? De l’importance de protéger notre attention) qui aborde le même sujet sous un angle différent, quoique tout à fait complémentaire.
Introduction
L’auteur, Thomas Wells, débute son texte en comparant la publicité à une industrie d’extraction qui récolte et vend l’attention humaine. Pire, elle le fait sans consulter sa proie (nous), sans reconnaître ses droits de propriété et en surexploitant sa ressource…
La publicité est une défaillance du marché
La publicité est une défaillance de marché parce que l’objet même du produit de cette industrie, notre attention, n’entre tout simplement pas dans ses coûts. Elle demande notre attention, mais nous l’offrons gratuitement, sans même l’offrir volontairement! Ainsi, il n’y a aucune limite aux moyens que peut prendre cette industrie pour accaparer ce qu’elle demande. Non seulement elle a accès gratuitement à ce qu’elle demande, mais la façon dont elle l’acquiert entraîne des externalités fort négatives pour l’offreur captif : elle l’embête et le distrait quand il veut regarder un film, écouter une chanson ou même marcher dehors, et elle le rend souvent irritable devant cette forme de harcèlement.
En termes économique, notre attention est un bien commun : elle est rivale et non exclusive. Elle est rivale, car si on l’attire à écouter une chose, elle ne peut écouter autre chose (enfin, pas aussi efficacement et il y a une limite à porter son attention sur plus d’un objet); non exclusive, car personne ne peut empêcher un autre sujet de s’en servir…
C’est encore pire!
La publicité existe depuis longtemps, mais elle n’a jamais été aussi répandue. D’une part, les dépenses de consommation n’ont jamais été plus élevées (donc attirantes pour les entreprises), d’autre part, nous semblons accepter de plus en plus facilement qu’on accapare notre attention sans compensation. En plus, le néolibéralisme ambiant rend «normal» qu’une industrie exploite toutes les possibilités pour faire des profits. C’est si elle ne le faisait pas qu’elle semblerait anormale! Par exemple, certains reprocheraient à la Société des transports de Montréal, à Radio-Canada ou même à une école de refuser d’aller chercher ce financement facile, ou de ne pas le faire davantage! Finalement, la technologie a permis à la publicité d’exploiter d’autres façons d’attirer notre attention, et même d’amasser, avec l’aide des fournisseurs d’accès à Internet, de l’information sur nous pour l’utiliser pour attirer encore plus notre attention. Et, elle ne s’en prive pas…
La défense de la publicité
Cette défense se fait sur deux plans : certains considèrent (ou tentent de nous convaincre) que la publicité a une valeur intrinsèque et qu’elle est essentielle pour financer des biens de club (biens non rivaux, mais qui peuvent être rendus exclusifs), comme la télé et Internet.
– Valeur intrinsèque de la publicité : La publicité permettrait de fournir de l’information aux consommateurs sur l’ensemble des produits disponibles, leur donnant ainsi les moyens de mieux choisir ce qu’ils veulent acheter. Comme le dit l’auteur, cela était peut-être vrai en 1960 (et encore!), mais avec toute l’information disponible sur Internet (dont les sites qui fouillent le net pour trouver les meilleurs prix), cet argument, s’il a déjà eu un certain fondement, n’en a manifestement plus. Ensuite, la publicité ne se préoccupe nullement de l’information qui nous intéresse, mais nous transmet uniquement celle pour laquelle elle est payée pour le faire.
Pire, la publicité favorise la concentration des entreprises, donc la baisse de la concurrence, ne donnant de l’information (ou plutôt en tentant de nous manipuler…) que sur les produits des entreprises qui ont les moyens de la payer. Et, cette information est toujours biaisée en faveur du produit publicisé. Elle mise aussi sur la consommation ostentatoire, publicisant des produits que seuls les plus riches peuvent acheter, simplement pour montrer aux riches qu’ils pourront se pavaner avec ces produits pour marquer leur rang social (et frustrer tous les autres qui doivent se taper cette pub et endurer le pédant qui affiche sa supériorité sociale avec ses bébelles). Pour l’auteur, cette stratégie publicitaire est peut-être bonne pour les affaires des agences de pub, mais est carrément immorale et nuit au bien-être de l’ensemble de la société.
– Le financement de biens de club : Actuellement, la publicité est une source de financement majeure (parfois la seule) pour les biens de club (télé, radio, journaux, Google, Facebook, etc.). En général, ces biens ont un coût marginal de production (le coût pour offrir son service à un consommateur de plus) très faible, sinon nul. Ils ont par contre des coûts fixes (coûts avant même d’offrir le service au premier consommateur) élevés. Si certains biens de club peuvent se financer par des abonnements (comme certains journaux en papier ou sur Internet, les postes de télé à la carte, etc.), il est très rare que ces revenus soient suffisants pour compenser les coûts fixes. La publicité serait alors, selon les défenseurs de cette industrie, un moyen de financement «idéal» pour financer les coûts fixes.
Même si cette défense de la pub peut sembler pertinente, elle omet de dire que la publicité n’est pas le seul moyen de financer les biens de club. Si on considère que certains biens de club sont importants pour la société, on peut alors s’arranger pour qu’ils soient financés avec les fonds gouvernementaux. Par exemple, la radio publique a longtemps été exempte de publicité. Si on appliquait ce modèle à Facebook, il serait peut-être plus démocratique et moins envahissant!
En plus, le niveau de publicité accepté par les entreprises qui fournissent des biens de club ne vise pas qu’à financer les coûts fixes, mais aussi et surtout à maximiser leurs profits. Une fois la rentabilité atteinte, Google, Facebook et autres ne se mettent pas à refuser la publicité! D’ailleurs, leur niveau de revenu n’a plus rien à voir avec leurs coûts de production. Non seulement ils ne refusent pas de publicité, mais ils cherchent à l’imposer de plus en plus, avec des moyens qui ne visent pas seulement à attirer notre attention, mais aussi à obtenir nos renseignements personnels. Pourtant, d’autres biens de club, comme Wikipedia, parviennent aussi à offrir un excellent service (malgré quelques égarements…) sans publicité, grâce à la participation bénévole de la population et des campagnes de financement volontaire. Bref, il est faux de prétendre que la publicité est la seule option pour financer les biens de club.
La défense de nos droits
Comme je l’ai expliqué dans le billet que je cite au début de celui-ci, la gratuité des services financés avec la publicité n’est qu’une illusion. Pire, cette fausse gratuité est très coûteuse et pas seulement en raison de la hausse des prix des produits annoncés, mais aussi en raison des attaques à notre attention (à notre temps de vie, pourrait-on ajouter) et à notre vie privée.
Dans ce sens, il serait essentiel d’à tout le moins réglementer les pratiques publicitaires, notamment celles qui nuisent le plus à notre attention (comme les images qui bougent et les vidéos qui partent automatiquement). On doit aussi interdire la publicité dans certains endroits (merci, M. Ferrandez, plusieurs fois merci!), comme les espaces extérieurs, le métro, les avions et surtout les écoles.
L’auteur voudrait aussi que nous récupérions la propriété sur notre attention, ce avec quoi je suis d’accord, et avoir le choix de la louer (ou de la vendre) directement aux annonceurs. Là, je suis moins d’accord! L’auteur veut ainsi corriger la défaillance du marché présentée plus tôt pour que le demandeur paie l’offreur. Je crois plutôt qu’il y a des domaines où le marché n’a pas sa place, défaillant ou pas! Et, je le répète, et ça, l’auteur ne le mentionne pas, mais nous payons toujours au bout du compte pour la publicité par l’augmentation des prix des produits annoncés. Bref, non seulement n’est-elle pas essentielle au financement des biens de club, mais elle nous coûte cher.
Et alors…
J’ai conclu le billet dont j’ai parlé au début de celui-ci en disant que je ne voulais pas faire le procès de l’industrie de la publicité. Ce texte m’a enlevé mes dernières réserves à ce sujet! Plutôt que de corriger les défaillance du marché de la publicité, il faudrait peut-être interdire cette activité humaine nuisible, ou à tout le moins la circonscrire à des domaines et lieux bien précis. Après avoir lu ce texte (et même avant) il devient évident pour moi que la publicité ne crée pas seulement des emplois inutiles, mais surtout des emplois nuisibles! Elle n’apporte rien et entraîne plein d’externalités négatives. Il me semble qu’il y a plein de choses utiles qu’on pourrait faire dans notre société, que ce soit dans les domaines de l’éducation, de la santé (comme enfin un service de maintien à domicile digne de ce nom) et des services sociaux (comme des services aux autistes, en santé mentale et ailleurs), qui améliorerait notre bien-être plutôt que de lui nuire.
Il est clair qu’on ne peut se débarrasser de la publicité du jour au lendemain. Mais, en la restreignant de plus en plus, comme le fait mon maire, on va dans la bonne direction! À quand les prochains pas?
Excellent billet, encore une fois, Jeanne. J’aimerais y ajouter un autre point philosophique:
La publicité consiste effectivement à s’approprier notre « attention » ou, comme le disait Patrick Le Lay, à s’accaparer de « temps de cerveau humain disponible ». Mais le pire, selon moi, est qu’elle nous détourne de biens qui concourent à l’amélioration de notre qualité de vie, afin de nous inciter à faire de mauvais choix, par exemple en consommant des produits nuisibles à notre santé (p.ex. tabac, coca-cola, etc.), ou en surévaluant l’importance d’acquérir un bien onéreux par rapport à nos besoins réels (p.ex. une voiture sport).
Ces influences et manipulations sont efficaces, elles touchent tout d’abord notre subconscient de manière acritique, nous élèvent depuis l’enfance, et façonnent la culture entière de notre société. Un peu comme la Caverne de Platon, on ne pourrait s’imaginer un monde sans publicité ni Coca-Cola ni fast-foods, et on s’étonne de l’obésité qui frappe les États-Unis malgré le culte de la minceur prôné par Hollywood.
À Cuba, on a pourtant fait le choix de vivre sans la publicité, depuis environ un demi-siècle, et la population ne s’en porte que mieux. L’espérance de vie surpasse même celle des États-Unis. Les Cubains-nes n’ont jamais cédé à la tentation de financer leurs services publics par la voie facile de la publicité. Ils savent d’instinct que la publicité est un caractère intrinsèque du capitalisme, promouvant des intérêts privés, donc opposé à la réalisation du bien commun.
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Merci pour ce complément! Voici bien le genre d’activité qui augmente le PIB sans rien apporter au bien-être, même en le réduisant!
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C’est quand même paradoxal de lire ceci sur une page qui see terminé avec une publicité!
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En fait, je ne vois pas ces publicités. C’est WordPress qui les met. Il ne fait que m’avertir au bas de mes billets que «Certains de vos visiteurs peuvent de temps en temps voir de la publicité à cet emplacement». Quand le fondateur de ce blogue s’est inscrit à WordPress, il n’y avait pas de publicité. Et comme il y a environ 1500 billets sur ce blogue, ce serait dommage de les perdre en mettant fin à ce blogue pour cette raison. Cela dit, c’est clair que ça me déplaît.
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Absolument exact. si la publicité papier, radio, tv avaient une justification avant internet, elle ne l’a plus du tout.
Comme vous le soulignez justement, la publicité non sollicité devrait être interdite.
Le but de la publicité étant d’informer le consommateur de l’existence d’un produit ou service, elle devrait être cantonnée à un site:
https://www.publicite.com où tous les producteurs de biens et services déposeraient leurs publicité, ailleurs elle devient interdite.
Plus de pub dans les boites aux lettres, plus de panneaux de pub dans les villes, plus de pub sur les radios, plus de pub TV et plus de pub non sollicité sur internet.
Et à ceux qui hurlent disant que les les radios, TV etc sont payées par la pub on répond que le consommateur paient ces pubs et qu’il préfère payer les produits et services en évitant de gaspiller des ressources inutilement par des temps de pénurie.
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«Le but de la publicité étant d’informer le consommateur de l’existence d’un produit ou service»
C’est peut-être le but qu’elle devrait avoir ou qu’elle prétend viser, mais c’est clair que son objectif premier est d’influencer les consommateur.trices et de les faire consommer davantage, pas de les informer. Dans le contexte environnemental actuel, cet objectif est encore plus contreproductf que quand j’ai écrit ce billet!
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