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Encore les chars!

15 août 2015

gros_charsDans un billet datant de quelques mois, j’ai montré que l’évolution de la proportion de voitures particulières dans les ventes de véhicules neufs (formés des voitures particulières et des camions, camions qui comprennent les véhicules dits utilitaires sport, VUS) a diminué considérablement au Québec et au Canada depuis 1981, cette proportion demeurant tout de même bien plus élevée au Québec qu’au Canada. J’ai aussi indiqué que cette proportion varie de façon importante selon les périodes de l’année.

Je ressens le besoin de revenir à l’analyse des ventes de véhicules neufs pour mettre à jour le billet précédent, mais surtout pour présenter ces données sous de nouveaux angles qui permettent d’avoir une vision plus complète de l’évolution de ces ventes. Toutes les données utilisées dans ce billet proviennent du tableau cansim 079-0003 de Statistique Canada.

Mise à jour

Ayant montré que la forte baisse de la proportion de voitures particulièrese dans les ventes de véhicules neufs lors des mois d’hiver 2015 étaient bien plus dus à la saisonnalité qu’à la baisse des prix de l’essence, j’ai écrit vers la fin du billet précédent qu’on «on verra avec les données des prochains mois si cette proportion augmentera, comme elle le fait habituellement, à partir du mois de mars». Les données étant maintenant disponibles jusqu’à mai 2015, le moment est bien choisi pour procéder à cette vérification.

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On voit que, tel que prévu, cette proportion s’est mise à remonter dès février au Québec (ligne rouge) et dans le reste du Canada (ligne bleue), encore plus en mars et moins fortement en avril et en mai. Peut-on penser que ces variations sont dues, au moins en partie, aux variations du prix de l’essence, comme le prétendaient certaines personnes l’hiver dernier (voir le précédent billet)? C’est possible que cela ait eu un rôle, mais, comme les lignes de tendances rouge et bleue nous permettent de voir un creux à peine un peu plus net l’hiver dernier (surtout au Québec) que lors des hivers précédents, la baisse du prix de l’essence n’aurait fait qu’accentuer un peu la tendance qu’on observe depuis au moins 1981 à une baisse de la proportion des ventes de voitures particulières sur les ventes totales.

Si l’analyse de l’évolution de cette proportion est intéressante, je me suis aperçu qu’elle camoufle les mouvements du nombre de ventes totales de véhicules. J’examinerai donc cette évolution dans la suite du billet, mais uniquement pour le Québec pour alléger un peu les graphiques que je présenterai.

Évolution des ventes de véhicules neufs

Le graphique qui suit montre l’évolution du nombre de véhicules neufs vendus entre 1981 et 2014 au Québec.

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Le premier constat que nous permet de faire ce graphique est que le nombre de véhicules automobiles neufs vendus au Québec (ligne bleue), même s’il a varié passablement au cours de cette période, a beaucoup moins augmenté au cours des 30 dernières années qu’on ne pourrait le penser. En effet, le nombre de véhicules neufs vendus était en 2014 moins de 5 % plus élevé qu’en 1985, même si le parc automobile du Québec a, lui, augmenté de 90 % au cours de cette période (voir la page 5 de ce document). En fait la baisse des ventes des années 1990 s’expliquerait en partie par la hausse de la popularité de la location à bail qui «a connu [au Canada] un sommet en 1997, intervenant pour 46,8 p. 100 de l’ensemble des immatriculations de voitures neuves» (voir la sixième page de ce document), mais aussi par la hausse de l’âge moyen des automobiles (voir la page 3 de ce document). Malheureusement, Statistique Canada ne fournit pas de données sur le sujet.

Cette évolution fut par contre très différente selon le type de véhicule. Alors que le nombre de voitures particulières a diminué de plus de 30 % entre 1985 et 2014, le nombre de camions a, de son côté, augmenté de plus de 160 %! En conséquence, la proportion de voitures particulières sur les ventes totales est passée de 82 % en 1985 (87 % en 1981) à moins de 54 % en 2014. Comme je le mentionnais plus tôt, cette tendance est tellement forte qu’il est difficile de voir le rôle des variations du prix de l’essence dans ces mouvements!

Ventes mensuelles

Le premier graphique de ce billet montrait l’évolution de la proportion des ventes de voitures particulières sur les ventes totales. On pouvait avoir l’impression que chaque point de ce graphique avait la même valeur. En fait, ce n’est pas le cas, simplement parce que le nombre de véhicules automobiles neufs vendus, que ce soit des voitures particulières ou des camions, varie considérablement selon le mois, comme le montre le graphique suivant.

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Ce graphique nous montre en effet que le nombre de véhicules vendus, voitures particulières ou camions, est le moins élevé de décembre à février, justement les mois où la proportion de voitures particulières dans les ventes de véhicules neufs est la plus faible. À l’inverse, les mois où cette proportion est la plus élevée sont ceux au cours desquels le volume de vente est le plus élevé. Ce phénomène tend à sous-estimer la proportion des ventes de voitures particulières par rapport à la moyenne annuelle quand on ne regarde que les proportions mensuelles.

En fait, c’est en mai qu’il se vend presque tout le temps le plus de voitures particulières et de camions, et en janvier qu’il s’en vend le moins. De 2002 à 2014, il s’est vendu en moyenne 150 % plus de voitures particulières en mai qu’en janvier, et 90 % plus de camions. La moyenne des années plus récentes, soit de 2013 à 2015 (période illustrée sur le graphique), est très semblable, avec des ventes plus élevées en mai qu’en janvier de 154 % pour les voitures particulières et de 105 % pour les camions. Bref, se fier seulement sur les données mensuelles pour évaluer l’évolution de la proportion des ventes de voitures particulières fausse le portrait.

Et alors…

Les constats de ce billet ont permis d’aller plus loin qu’on y était allé dans le billet précédent. Par exemple, en montrant qu’il se vend beaucoup moins de véhicules automobiles l’hiver, qu’ils soient des voitures particulières ou des camions, et que la proportion des ventes de voitures particulières a remonté grandement entre janvier et mai, on peut voir que les facteurs secondaires, comme les variations du prix de l’essence, ont au bout du compte bien peu d’impact sur la tendance de la baisse de la proportion de ventes des voitures particulières qui est presque linéaire depuis le début des années 1980!

Ce billet montre aussi que si on voulait changer cette tendance et faire diminuer nos émissions de gaz à effet de serre pour éviter un trop fort réchauffement climatique, et cela est encore plus important maintenant qu’on sait que «sur les 2 degrés Celsius d’augmentation que nous ne devrions en théorie pas dépasser, le premier est franchi», il faudrait s’attaquer carrément à ce que j’ai déjà appelé «l’amour du char, et surtout du gros char»… Comment? J’aimerais bien le savoir!

3 commentaires leave one →
  1. 15 août 2015 13 h 55 min

    Il faudrait commencer par remplacer le matraquage publicitaire pro-automobile par des campagnes de sensibilisation recommandant l’usage des transports en commun, tout en investissant mieux dans ce réseau.

    Les lobbies automobiles et pétroliers en mènent beaucoup trop large, nous farcissent la cervelle et modulent même notre culture (des contes et jouets pour enfants jusqu’aux films Fast and Furious et distractions insignifiantes comme la F1).

    Aimé par 2 personnes

  2. 15 août 2015 14 h 01 min

    De fait, ces lobbys entretiennent ce que Pablo Servigne et Raphaël Stevens appellent les «verrouillages socio-techniques» («on reste pris avec des technologies inadéquates parce que celles-ci sont bien implantées et qu’il est trop difficile socialement de les changer») dans leur livre «Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes».

    L’effondrement

    Aimé par 3 personnes

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