L’emploi et les autres facteurs
Compte tenu des mouvements chaotiques des estimations de l’emploi de l’Enquête sur la population active (EPA) depuis quelques mois, j’ai dû consacrer mes derniers billets sur l’emploi à montrer que ces mouvements sont en fait sans grande importance réelle. Comme la variation de ces estimations a été minime le mois dernier, en plus de présenter les données les plus récentes, je vais profiter de cette accalmie pour faire ce qu’il y a un bout de temps que je n’ai pas fait, soit de faire le tour de quelques indicateurs qui peuvent nous aider à mieux interpréter les données sur l’emploi.
Les données récentes
Comme je le fais toujours quand je présente des données sur l’emploi provenant de l’EPA, je vais les comparer avec celles de l’Enquête sur la rémunération et les heures de travail (EERH). En effet, les estimations de l’EPA comportent une marge d’erreur importante, (la marge d’erreur à 95 % des estimations de l’EPA pour un mois donné par rapport à celles du mois correspondant de l’année précédente est d’environ 56 000 et celle d’un mois à l’autre est de près de 30 000), tandis que celles de l’EERH sont beaucoup plus fiables, sans marge d’erreur, car issues d’un recensement des salariés de toutes les entreprises à partir de leur liste de paye, mais disponibles avec un ou deux mois de retard sur les premières. Par contre, l’EERH ne comptabilise pas les travailleurs autonomes, les salariés du secteur de l’agriculture, les grévistes, les personnes en lock-out et les personnes en congé sans solde, alors que les estimations de l’EPA le font. Ces différences font en sorte qu’il faut toujours être prudent quand on compare les données de ces deux sources. Pour les rendre comparables, je dois donc faire partir les données à 100 (en divisant chaque donnée de chaque série par l’emploi de juillet 2011) dans les deux cas pour qu’on puisse mieux voir l’évolution relative des deux courbes.
Comme on peut le voir sur le graphique, les mouvements de l’estimation de l’emploi selon l’EPA (ligne rouge) a peu varié pendant un mois d’affilée! Du côté des données de l’EERH (ligne bleue), l’emploi a légèrement diminué en juin (d’un peu moins de 6000 emplois), beaucoup moins que le mouvement des estimations de l’EPA pour le même mois (baisse de plus de 33 000 emplois!). En juillet, au lieu de montrer une hausse de quelque 22 000 emplois comme l’estimation de l’EPA, les données de l’EERH indiquent une quasi stabilité (baisse de moins de 1000 emplois, sujette à une révision le mois prochain). On peut donc conclure que les mouvements des estimations de l’EPA pour juin et juillet sont en fait des mouvements erratiques, comme le sont souvent ces estimations mensuelles, ce qui est normal compte tenu des marges d’erreur de ces estimations. Et, enfin, l’estimation de l’EPA a peu varié en août (baisse de 2000 emplois), ce qui est enfin probablement un reflet de la réalité.
Malgré cette pause, le graphique montre bien que les estimations de l’EPA furent nettement plus élevées que celles de l’EERH depuis le début de 2015. Ainsi, alors que les estimations de l’emploi de l’EPA ont augmenté de 1,0 % entre les sept premiers mois de 2014 et les mois correspondants de 2015, les données de l’EERH montrent plutôt une hausse de 0,3 % au cours de cette période, et de seulement 0,1 % entre juillet 2014 et juillet 2015, alors que les estimations de l’EPA sont plus élevées de 1,1 %.
Pour pouvoir avoir une meilleure idée de la hausse réelle, je vais dans la deuxième partie de ce billet examiner les tendances les plus récentes de six indicateurs pertinents et voir si elles correspondent davantage aux tendances des estimations de l’EPA ou des données de l’EERH.
Les autres indicateurs
– Assurance-emploi : Cet indicateur montre un calme plat… Le nombre de prestataires a en effet peu changé depuis l’an passé. Il a augmenté de 2,2 % entre juillet 2014 et juillet 2015, mais de seulement 0,2 % entre les sept premiers mois de 2014 et ceux de 2015 (selon les données du tableau cansim 276-0022). Les demandes de prestations ont de leur côté très légèrement diminué, soit de 2,3 % entre les sept premiers mois de 2014 et ceux de 2015 (selon les données du tableau cansim 276-0004). Comme cette baisse n’a pas permis de faire diminuer le nombre de personnes qui touchent des prestations, ces données vont davantage dans le sens d’une stagnation de l’emploi que d’une hausse.
– Faillites : Les données les plus récentes sur les faillites, celles de juin 2015, montrent une hausse du nombre de dossiers d’insolvabilité déposés par des consommateurs de 13,6 % entre juin 2014 et juin 2015, mais de 6,6 % entre les 12 mois se terminant en juin 2014 et ceux se terminant en juin 2015. Cet indicateur est plus inquiétant, mais pas suffisamment pour aller à l’encontre de la tendance de stagnation de l’emploi. Il est en effet possible que cette hausse s’explique davantage par la hausse de l’endettement des ménages que par la situation du marché du travail.
– Rapport mensuel des opérations financières : À la page 4 du rapport le plus récent, on peut voir à la dernière colonne du premier tableau que les recettes de l’impôt sur le revenu des particuliers diminué de 1,3 % entre les mois d’avril à juin 2014 et les mêmes mois de 2015. Même si l’année est bien jeune, cette baisse, en dollars courants, est inquiétante, car la baisse serait d’environ 2,4 % en dollars constants, soit en tenant compte de l’inflation (selon les données du tableau cansim 326-0020), et de 3,6 % en tenant compte de la hausse salariale moyenne entre ces deux années (selon les données du tableau cansim 281-0026). Ce facteur cadrerait même plus avec une baisse légère de l’emploi qu’avec une stagnation.
– Ventes au détail : Selon les données du tableau cansim 080-0020, les ventes au détail n’ont augmenté que de 0,6% entre juillet 2014 et juillet 2015, et encore moins (0,4 %) entre les sept premiers mois de 2014 et ceux de 2015. En fait, cela représente une baisse d’environ 0,5 % si on faisait ce calcul en dollars constants. Encore là, cet indicateur cadre beaucoup plus avec une stagnation, voire une baisse, de l’emploi qu’avec la hausse des estimations de l’emploi de l’EPA.
– Produit intérieur brut (PIB) : Les données les plus récentes du PIB du Québec ont été diffusées hier par l’Institut de la statique du Québec. On y voit à la ligne 22 de ce tableau que le PIB réel du Québec a diminué de 0,1 % entre le premier et le deuxième trimestre de 2015 et n’a augmenté que de 1,0 % entre le deuxième trimestre de 2014 et celui de 2015, ce qui est très peu, surtout si on considère la hausse de la population (0,7 % l’an passé) et la hausse moyenne de productivité (hausse de 17,8 % entre 1997 et 2011, ce qui représente une augmentation annuelle moyenne de 1,2 %, quoique la productivité a tendance à baisser depuis un peu partout dans le monde). Encore un autre indicateur qui milite davantage pour une stagnation ou une légère baisse de l’emploi…
– Heures travaillées : Il serait toujours possible que les estimations de l’emploi selon l’EPA aient augmenté, mais pas son estimation des heures travaillées. Cela pourrait expliquer que cette hausse cadre très mal avec tous les autres indicateurs, notamment avec la baisse des impôts des particuliers et la stagnation du PIB réel. Or, ce n’est pas le cas. En effet, la moyenne de l’estimation du nombre d’heures travaillées entre les mois d’avril à juin 2014 et ceux de 2015 (selon les données du tableau cansim 282-0015) a augmenté de 1,5 %, un taux très semblable à celui du nombre d’emplois au cours de la même période (1,4 %). Les résultats sont aussi similaires quand on compare les six ou huit premiers mois de ces données. Bref, non, les heures travaillées sont finalement aussi surestimées que le nombre d’emplois.
Et alors…
Ce n’est pas la première fois que je regarde les différents facteurs qui influencent l’évolution de l’emploi pour voir plus clair entre les différences de croissance de l’emploi révélés par les estimations de l’EPA et les données de l’EERH. Par contre, c’est la première fois que tous ces facteurs vont dans le même sens, soit de remettre en question la hausse de l’emploi montrée par les estimations de l’EPA. Et cela va aussi dans le sens de ce que je dis depuis près de deux ans, soit que l’emploi stagne…
Alors que faire pour augmenter l’emploi?
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Ça, ça serait un sujet pour un autre billet! Chose certaine, les mesures d’austérité des gouvernements, surtout de celui du Québec actuellement, n’aident pas…
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Darwin, je ne comprends pas d’où vient pas ton chiffre de 0,7% d’augmentation de la population en un an (dans le paragraphe sur le PIB). En utilisant les chiffres du tableau auquel tu réfères, j’obtiens plutôt une augmentation de 0,007%. Suis-je dans le champ ?
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Oui!
8214672 – 8153971 = 60701
60701 / 8153971 = 0,00744 = 0,74 %.
On dirait que tu as oublié de multiplier le résultat de la division par 100 pour obtenir le pourcentage.
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@ PatateChaude,
À qui l’emploi profite-t-il le plus, à l’employé ou à l’employeur ?
– À l’employeur ! L’employé profite au client. Quel profit ferait un employeur sans employés ?
– De là à se payer des politiciens pour promouvoir l’emploi, il n’y a qu’un pas. Et à se faire subventionner pour en créer. Ça mène à la vente d’armes à l’Arabie Saoudite.
– Nous en sommes là.
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«Ça mène à la vente d’armes à l’Arabie Saoudite.»
Et à considérer que 1000 ou 3000 emplois à London sont plus importants que la protection des droits humains les plus élémentaires…
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Merci Darwin pour ta réponse. Je me souviens que j’étais fatigué quand j’ai posé ma question ci-dessus. De fait… 🙂
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