Le vol des salaires
Il est bien connu que le salaire minimum des États-Unis est affreusement bas. L’image qui accompagne ce billet montre l’évolution de ce salaire minimum. La surface foncée montre son évolution en dollars courants, tandis que la surface pâle l’indique en dollars constants (en tenant compte de l’inflation). On y voit que son niveau le plus élevé a été atteint en 1968 et que, malgré quelques hausses, il ne se situait qu’à 7,25 $ en 2013 (et aussi en 2015). Selon Robert Reich, non seulement ce salaire serait à environ 11,00 $ s’il avait été indexé à l’inflation depuis 1968, mais qu’il atteindrait 21,00 $, soit près du triple de son niveau actuel, s’il avait été indexé en fonction de la hausse de la productivité (la théorie économique classique prétend de fait que les salaires évoluent en fonction de la productivité) entre 1968 et 2015.
Ce billet ne porte pas sur cette question, mais y est lié. En effet, une courte étude de l’Economic Policy Institute parue le 11 septembre dernier montre que, non seulement des millions de personnes doivent aux États-Unis tenter de survivre avec de faibles salaires, mais que, en plus, de nombreux employeurs ne leur versent même pas ces faibles salaires!
Ampleur du vol des salaires
Il n’est pas facile de mesurer précisément l’ampleur de ce phénomène, car seule une minorité des victimes dénonce son employeur. Il y a toutefois moyen de l’estimer. Ainsi, une étude menée dans trois grandes villes des États-Unis (Los Angeles, New York et Chicago) auprès de travailleurs d’industries à bas salaires est arrivée à la conclusion que ces personnes, qui gagnaient en moyenne 17 600 $ annuellement, se faisaient voler plus de 2 600 $, soit 15 % de leurs gains reçus. Si on étend cette proportion à l’ensemble des États-Unis, les 30 millions de personnes qui travaillent dans ces industries se feraient voler plus de 50 milliards $ annuellement. Pour mieux visualiser l’ampleur de cette somme, les auteurs la compare au coût des autres vols, bien plus craints que celui-ci. Or, «[traduction] Tous les vols, cambriolages, larcins et vols de véhicules à moteur aux États-Unis ont coûté à leurs victimes moins de 14 milliards $ en 2012, selon l’Uniform Crime Reports du FBI», soit moins du tiers du coût du vol de salaires estimé par cette étude! Et, on ne parle ici que du vol de salaires dans les industries à bas salaires!
Une autre donnée qui permet d’estimer l’ampleur de ces vols est la somme des montants récupérés à la suite de poursuites pour non paiement de salaires. En 2012, les poursuites auprès de toutes les instances (fédérales, des états, des poursuites individuelles, etc.) ont permis aux victimes de récupérer 933 millions $, somme près de trois fois plus élevée que les sommes volées dans des cambriolages déclarés à la police (vols de banques, dans des résidences, des commerces et sur la rue), soit 341 millions $ (il s’agit des sommes volées, pas de celles qui ont été récupérées).
Et il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg, car, comme mentionné auparavant, seule une minorité des victimes dénonce son employeur, que ce soit par ignorance, pour se protéger de représailles, pour éviter de se retrouver sur une liste noire ou en raison d’un statut illégal (immigrants illégaux, par exemple). Cela dit, le nombre de plaintes a quintuplé depuis 20 ans.
Quelques exemples de vols
L’étude se poursuit en citant dix exemples de vols de salaires à partir de décisions de la cour. On y trouve des cas variés de vols :
- heures non payées;
- salaires inférieurs au salaire minimum;
- heures supplémentaires non payées ou payées à taux simple;
- chèques sans fonds;
- vols de pourboires;
- obligation de remettre son salaire à l’employeur, l’employé ne conservant que ses pourboires;
- pas de pauses;
- paiement à la production à un taux inférieur au salaire minimum;
- détournement de fonds de pension;
- non paiement de l’assurance-maladie faisant partie des conditions de travail.
Solutions
Les auteurs proposent quelques mesures pour faire face à ces vols qui gagnent en ampleur :
- augmentation du nombre d’enquêteurs;
- interdiction de donner des contrats gouvernementaux aux entreprises contrevenantes;
- hausse des pénalités, surtout pour les récidivistes et les grandes entreprises.
Mais, pour que ces mesures soient adoptées, il faudrait avoir l’appui du Congrès, ce qui n’est pas le cas, car les deux chambres du Congrès sont dominées par les Républicains qui résiste à toute réglementation, encore plus celles qui avantageraient les salariés contre leurs employeurs.
Et alors…
Cette étude montre bien l’imagination dont font preuve les employeurs pour voler leurs employés. Pourtant, ce sont les salariés qui doivent toujours faire confiance à leurs employeurs qui, légalement, les payent deux à quatre semaines (la Loi des normes du travail prévoit un maximum d’un mois de délai) après que les salariés ont accompli leur travail. Et je ne parle pas de la paye de vacances qui s’accumule et est payée jusqu’à un an après que le droit à ces sommes ait été acquis.
On voit que les salariés subissent plus souvent qu’on pouvait le penser (moi, en tout cas) les conséquences d’une confiance mal placée, mais forcée…
Ça se produit aussi au Canada. Quand je travaillais dans une épicerie de la rue Ontario, le boss ne payait pas le temps suppémentaire de ses empoyés.
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Merci de l’info.
Je sais que cela existe ici aussi, mais je n’ai pas trouvé de source pour pouvoir estimer et comparer l’ampleur du phénomène. Dans la restauration et les bars (surtout où les pourboires sont généreux), l’endossement de chèques de paye n’est pas rare, mais je ne peux pas savoir à quel point. Le temps pour placer les tables avant l’ouverture d’un restaurant est aussi souvent (?) non payé.
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Tu viens d’ouvrir une porte Darwin, tu risques de recevoir des centaines de témoignages. Juste moi je pourrais t’en citer des dizaines que j’ai été victime ou que j’en ai été témoins.
Bien sur que ça existe ici et partout d’ailleurs.
Là où il y a un vulnérable il a toujours un profiteur. La nature humaine est ainsi faite. Des cannibales.
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Si d’autres veulent témoigner, pas de problèmes. Et si le problème est documenté par exemple par un organisme gouvernemental ou communautaire, comme Au bas de l’échelle. J’imagine qu’en consultant ces documents ( http://www.aubasdelechelle.ca/nos-publications/memoires-et-avis.html ), je trouverais quelque chose, mais aucun d’entre eux ne semble porter directement sur le vol de salaires
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On le savait bien, mais ça existe aussi au Québec, même dans un amphithéâtre que nous avons payé!
http://ici.radio-canada.ca/regions/quebec/2015/10/24/003-centre-videotron-levy-restaurant-paiement-salaire.shtml
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«elles disent avoir multiplié les démarches auprès de leur employeur, Levy Restaurant, une filiale de Compass, un sous-traitant à l’amphithéâtre de Québec».
Bien évidemment, Vidéotron n’a aucune responsabilité. Le gouvernement du Québec non plus!
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J’ai surtout retenu que Compass est un «géant britannique». Il n’est pas devenu géant pour rien! Avant cela, le seul Compass que je connaisais était un langage informatique (computer assembler).
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Ce sera amusant d’entendre le chef de l’opposition officielle: «M. Le président, nous apprenons par Radio-Canada que des employés d’un sous-traitant du Centre Vidéotron (payé en partie par nos impôts, sans compter le fait que la Caisse de dépôt ait ajouté 500 M$ à l’offre de Québécor pour éviter que l’entreprise passe aux mains de Rodger’s) se plaignent de ne pas recevoir leur plein salaire. Est-ce que le ministre du Travail peut éclairer notre lanterne?»
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Hahaha!
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